D. LES RÉFORMES ISSUES DE LA LOI POUR LA CROISSANCE, L'ACTIVITÉ ET L'ÉGALITÉ DES CHANCES ÉCONOMIQUES

Outre les réformes introduites par les deux ordonnances précitées de 2014, votre rapporteur ne peut omettre de présenter brièvement certaines des dispositions introduites depuis par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, qui complètent ou prolongent les dispositions issues de ces ordonnances, en modifiant le livre VI du code de commerce ou d'autres dispositifs qui lui sont liés.

1. La « dilution forcée » et la « cession forcée » pour les actionnaires opposés à un plan de redressement

Un tel dispositif avait été étudié par le Gouvernement dans le cadre de la préparation de l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée, avant d'y renoncer pour des motifs de risque constitutionnel et conventionnel au bénéfice d'une réflexion complémentaire, laquelle a abouti dans le cadre de la loi du 6 août 2015 précitée.

Dans les entreprises employant plus de 150 salariés dont la fermeture créerait un trouble économique grave, lorsque des associés ou actionnaires font échec à l'adoption d'un plan de redressement judiciaire prévoyant l'entrée de nouveaux actionnaires au capital - éventuellement des créanciers de la société en redressement -, le tribunal peut ordonner, à la demande de l'administrateur judiciaire ou du parquet, la « cession forcée » de tout partie des titres détenus par les actionnaires opposants ou la « dilution forcée » de leur participation, par une augmentation de capital 31 ( * ) .

Ce mécanisme a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, compte tenu de l'objectif d'intérêt général recherché, en dépit de l'atteinte au droit de propriété des actionnaires. Ce mécanisme exorbitant n'a toutefois pas vocation à être utilisé souvent, mais il peut constituer une menace dissuasive pour des actionnaires enclins à s'opposer à un plan de redressement.

L'ordonnance du 12 mars 2014 précitée a toutefois prévu, dans le cas où les capitaux propres n'ont pas été reconstitués par les actionnaires alors qu'ils sont tombés en dessous de la moitié du capital social, lorsque le plan de redressement judiciaire prévoit l'entrée au capital de nouveaux actionnaires, que l'administrateur judiciaire peut demander au tribunal la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de voter la reconstitution du capital à la place des actionnaires opposants 32 ( * ) . La possibilité ouverte par l'ordonnance est toutefois très encadrée.

2. Le regroupement des procédures concernant les sociétés d'un même groupe devant le même tribunal

Dans le cadre de la spécialisation de certains tribunaux de commerce pour traiter des procédures collectives les plus importantes, à l'initiative du Sénat, sur proposition de notre collègue François Pillet, rapporteur au nom de la commission spéciale chargée de ce texte, la loi du 6 août 2015 précitée a instauré un mécanisme procédural de regroupement devant le même tribunal des procédures concernant les sociétés d'un même groupe, remédiant à une situation insatisfaisante du point de vue de la cohérence économique comme juridique du traitement des procédures. Cette évolution était attendue depuis longtemps par les praticiens.

Pour ce faire, cette loi a réécrit une disposition issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée, laquelle prévoyait seulement la possibilité de désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire commun à l'ensemble des procédures, éventuellement chargé d'une mission de coordination, lorsque les procédures concernant les sociétés d'un même groupe relèvent de tribunaux différents 33 ( * ) .

Désormais, il est prévu que le même tribunal est compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui détient ou contrôle une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui, ainsi que de toute procédure concernant une société qui est détenue ou contrôlée par une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui. Il peut aussi désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire communs à l'ensemble des procédures.

Le cas des sociétés soeurs, contrôlées par une même société mère, n'a cependant pas été envisagé par le texte et reste à traiter.

3. L'obligation de désigner un deuxième administrateur judiciaire et un deuxième mandataire judiciaire dans certaines procédures

La loi du 6 août 2015 précitée a également prévu des cas de désignation obligatoire, dans certaines situations, d'au moins un deuxième administrateur judiciaire et un deuxième mandataire judiciaire 34 ( * ) . À l'initiative de notre collègue François Pillet, le Sénat s'était opposé à cette disposition, la jugeant à la fois inutilement rigide et incomplète. Les deuxièmes administrateur et mandataire devraient satisfaire à des exigences supérieures d'expérience et de moyens.

L'objectif est d'imposer un nombre plus important de professionnels, avec une qualification renforcée, dans des affaires présumées complexes. Par exemple, lorsque le tribunal peut être amené à désigner un professionnel local dont la capacité ne paraît pas suffisante pour traiter une affaire d'envergure, il serait de toute façon tenu de désigner un autre professionnel, plus qualifié, sur une liste spéciale. Cette obligation vise à répondre à des cas particuliers.

Outre un critère cumulatif de seuil de chiffre d'affaires, le texte prévoit une telle obligation, notamment, dans le cas où le débiteur possède un nombre important d'établissements secondaires en dehors de son lieu d'immatriculation ou contrôle au moins deux sociétés en procédure collective.

Une telle obligation doit trouver à se combiner avec le mécanisme de regroupement des procédures concernant les sociétés d'un même groupe.

4. L'insaisissabilité de droit de la résidence principale de l'entrepreneur individuel

Enfin, la loi du 6 août 2015 précitée a substitué une insaisissabilité de droit de la résidence principale de l'entrepreneur individuel au mécanisme de la déclaration notariée d'insaisissabilité, réalisée de façon volontaire, instaurée par le législateur en 2003 avec un succès limité. Le dispositif volontaire subsiste pour les biens immobiliers à usage non professionnel autres que la résidence principale (résidence secondaire, biens fonciers...) 35 ( * ) . L'objectif est de protéger le patrimoine personnel de l'entrepreneur et la résidence de sa famille.

Votre rapporteur rappelle que l'insaisissabilité soulève des questions de fond en cas de procédure collective, en raison de son opposabilité absolue à la procédure, questions accentuées avec la nouvelle insaisissabilité de droit. Les biens insaisissables échappent à la procédure et le mandataire judiciaire ne peut agir pour la faire annuler, comme en a jugé la chambre commerciale de la Cour de cassation 36 ( * ) . Si les biens insaisissables échappent ainsi à la collectivité des créanciers professionnels de l'entrepreneur, ils n'échappent pas au créancier professionnel, par exemple un établissement de crédit, qui a pris une sûreté réelle sur la résidence principale ou un autre bien.

Certes, l'ordonnance du 12 mars 2014 a créé une nullité de la période suspecte en cas de déclaration d'insaisissabilité après la date de cessation des paiements, mais cette formule ne résout qu'une partie des difficultés. Il peut paraître discutable, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, de permettre à un débiteur de soustraire à une procédure collective l'ensemble des biens immobiliers qu'il peut posséder en dehors de sa résidence principale, ne laissant qu'un actif professionnel modeste à répartir entre les créanciers pour les désintéresser et apurer son passif. Une telle configuration peut sembler une atteinte abusive et excessive aux droits des créanciers.


* 31 Article L. 631-19-2 du code de commerce.

* 32 Article L. 631-9-1 du code de commerce. En droit des sociétés, une telle situation des capitaux propres est anormale et doit conduire à la dissolution de la société en cas d'inaction des actionnaires, mais une telle disposition n'est pas applicable en droit des procédures collectives.

* 33 Article L. 662-8 du code de commerce.

* 34 Article L. 621-4-1 du code de commerce.

* 35 Articles L. 526-1 à L. 526-3 du code de commerce.

* 36 Voir notamment les arrêts n° 10-15482 du 28 juin 2011, n° 11-15438 et 10-27087 du 13 mars 2012 et n° 12-16035 du 23 avril 2013.

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