EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Compte tenu de ses compétences en matière de droit de la concurrence et de droit commercial, votre commission est particulièrement attentive à la question de la « vie chère » dans les outre-mer comme en témoigne l'avis de notre collègue Thani Mohamed Soilihi sur la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer 1 ( * ) ainsi que les travaux d'information qu'elle consacre régulièrement aux collectivités ultramarines.

À la suite de leur déplacement en Nouvelle-Calédonie à l'été 2014, nos collègues Sophie Joissains, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca ont exposé, dans leur rapport d'information 2 ( * ) , la situation sociale de ce territoire, en relevant « un effort croissant mais récent en faveur de la concurrence ».

Ces progrès sont le fruit des mouvements sociaux d'ampleur, notamment en février 2011 et en mai 2013, motivé par niveau élevé des prix pour les biens de consommation courante. Ce phénomène s'explique par de multiples facteurs, comme l'insularité, l'éloignement des circuits de distribution, les habitudes de consommation tournées vers les produits métropolitains ou encore les frais de transport maritime ou aérien.

C'est pourquoi, par convention en date du 14 février 2012, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a sollicité l'expertise de l'autorité de la concurrence en vue de la réalisation de deux études portant respectivement sur les mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation et sur l'organisation des structures de contrôle en matière de concurrence. L'autorité de la concurrence a dressé, dans ses rapports du 21 septembre 2012 3 ( * ) , un diagnostic qui a confirmé les obstacles à la libre concurrence.

Le secteur économique reste marqué par une concurrence amoindrie pour la fourniture des biens et des services. En effet, l'autorité de la concurrence relevait en 2012 que « dans le grand Nouméa, deux groupes, le groupe Bernard Hayot et le groupe Kénu-In disposent de plus de 80 % de parts de marché en surfaces de vente » 4 ( * ) . L'instauration d'une véritable concurrence libre et non faussée est donc une revendication récurrente de la société civile qui espère ainsi une baisse du niveau général des prix, particulièrement pour les biens de première nécessité.

L'introduction en 2013, au sein de la loi statutaire de 1999, de la faculté pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes avait pour origine la volonté calédonienne de mettre en place une autorité locale de la concurrence. Un objectif identique anime cette proposition de loi organique présentée par notre collègue Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste et républicain.

Toutefois, comme le soulignait notre collègue Catherine Tasca, alors rapporteure du projet de loi organique en 2013 5 ( * ) , le cadre ainsi fixé aurait vocation à régir d'autres autorités administratives indépendantes, à l'instar d'un Conseil supérieur de l'audiovisuel local, si cette compétence devait être transférée aux institutions de la Nouvelle-Calédonie 6 ( * ) .

I. LA CRÉATION D'UNE AUTORITÉ LOCALE DE LA CONCURRENCE : UN PARCOURS LÉGISLATIF SUR LE POINT D'ABOUTIR

La mise en place d'une autorité locale de la concurrence a appelé une refonte du droit applicable localement , tant de la part des autorités locales que nationales qui ont dû, à cette occasion, coordonner leurs interventions normatives respectives.

La Nouvelle-Calédonie est en effet compétente, au moins depuis 1999, pour les matières suivantes « réglementation des professions (...) commerciales, (...) consommation, concurrence et répression des fraudes, droit de la concentration économique, (...) réglementation des prix et organisation des marchés » (article 22 de la loi organique du 19 mars 1999). Sa compétence s'étend, depuis le 1 er juillet 2013, au droit commercial. La Nouvelle-Calédonie doit cependant composer avec la compétence des provinces « en matière d'urbanisme commercial », leur permettant notamment d'autoriser ou non l'ouverture de magasins de la grande distribution.

Pour sa part, l'État a accompagné les institutions calédoniennes pour les mesures relevant de son domaine de compétence (libertés publiques, procédure pénale et organisation judiciaire). Au niveau organique, le Parlement a ainsi dû autoriser la création d'autorités administratives indépendantes. Puis, habilité par le législateur 7 ( * ) , le Gouvernement a publié l'ordonnance n° 2014-471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce relevant de la compétence de l'État en matière de pouvoirs d'enquête, de voies de recours, de sanctions et d'infractions. Particulièrement vigilant sur cette question, le Parlement a déjà modifié à deux reprises cette ordonnance, lors de sa ratification en décembre 2014 8 ( * ) et, plus récemment, en octobre 2015 9 ( * ) .

A. LA MODERNISATION DU DROIT CALÉDONIEN DE LA CONCURRENCE

Pour favoriser la concurrence, les institutions calédoniennes ont profondément rénové et modernisé le cadre juridique en matière de droit économique, en s'appuyant sur les préconisations formulées par l'autorité de la concurrence .

Tout d'abord, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté la loi du pays n° 2014-7 du 14 février 2014 relative aux livres III et IV de la partie législative du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. Ainsi, il a modernisé l'arsenal juridique à la disposition des autorités locales pour assurer un marché plus concurrentiel et réprimer les comportements anti-concurrentiels. Parallèlement, le contrôle administratif des prix, fortement développé, a été maintenu mais allégé au profit d'une surveillance renforcée de la fixation de ces prix.

Les autorités calédoniennes ont longtemps recouru à la fixation par voie administrative des prix en espérant limiter leur hausse. En 2012, le rapport de l'autorité de la concurrence relevait plusieurs difficultés liées à ce système : il requiert un personnel de contrôle suffisamment nombreux pour en assurer le respect - ce qui n'était pas le cas localement - et il peut conduire à des erreurs de fixation du « juste prix » au regard de la diversité des acteurs économiques (taille des distributeurs, coût de transport variable entre le Grand Nouméa et le reste de l'archipel, situation juridique du distributeur, etc.). Et de conclure : « compte tenu de ces inconvénients, le système de « liberté surveillée » paraît préférable à un système de contrôle des prix, susceptible de générer des distorsions de concurrence entre les provinces » 10 ( * ) .

Le principe de liberté de fixation des prix est donc désormais assorti de deux exceptions :

- le régime de la « liberté surveillée » : les prix sont déposés auprès du service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie au moins quinze jours avant leur entrée en vigueur ;

- le régime de la « liberté contrôlée » : les prix sont soumis à l'accord préalable du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

S'agissant du contrôle de la concurrence, l'autorité de la concurrence relevait, en 2012, l'absence de disposition relative au contrôle des concentrations , malgré une délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie de 2009 restée sans suite. Suivant les pistes de réflexion esquissée par l'autorité de la concurrence, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a institué un tel contrôle selon un mécanisme proche de celui applicable en métropole. Au terme de l'instruction d'une demande présentée sur une opération envisagée de concentration (absorption, fusion, prise de contrôle du capital, etc.), le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie autorise, éventuellement sous conditions, ou refuse l'opération par un arrêté motivé et susceptible d'un recours devant le tribunal administratif. En cas d'absence de demande ou de violation de la décision arrêtée par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ce dernier peut adresser une injonction, éventuellement assortie d'une astreinte, ainsi que des sanctions pécuniaires.

Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dispose de pouvoirs similaires pour le contrôle des opérations dans le secteur du commerce de détail lorsque la mise en exploitation, la reprise ou le changement d'enseigne ou de secteur d'activité porte sur un commerce dont la surface de vente est ou devient supérieure à 350 mètres carrés.

Saisi de la loi du pays par la présidente de l'assemblée de la province Sud, le Conseil constitutionnel a validé ces règles, y compris celles plus rigoureuses qu'en métropole « eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et au degré de concentration dans ce secteur d'activité » 11 ( * ) .

De même, le Conseil constitutionnel a admis le prononcé d'injonctions structurelles 12 ( * ) à l'encontre d'entreprises ou de groupes d'entreprises en cas de position dominante, en l'absence d'engagements proposés par l'entreprise ou le groupe d'entreprise ou si ces engagements ne paraissent pas de nature à mettre un terme aux « préoccupations de concurrence ». Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie peut alors enjoindre de modifier, compléter ou résilier tous accords et actes par lesquels s'est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges et peut également enjoindre de procéder à la cession d'actifs si cette cession constitue le seul moyen de garantir une concurrence effective. L'inexécution de ces injonctions peut aboutir à des sanctions pécuniaires, assorties éventuellement d'astreintes.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a également mieux défini et réprimé les pratiques anticoncurrentielles (abus de position dominante, entente, etc.) ou restrictives de concurrence (refus de vente, reventes à perte, pratiques abusives ou discriminatoires, etc.). Suivant également une recommandation de l'autorité de la concurrence en 2012, il a introduit une procédure non contentieuse pour les situations qui, sans constituer une pratique anticoncurrentielle, soulève des préoccupations sur la situation de la concurrence. Dans le cadre de cette procédure négociée, l'entreprise propose, sur une base volontaire, des engagements qui, s'ils apparaissent pertinents, crédibles et vérifiables, sont rendus obligatoires par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ce qui a pour effet de clore la procédure.

Enfin, le législateur national a prévu les pouvoirs d'enquête et les voies de recours relevant de la procédure pénale . Contrairement aux options du Gouvernement au sein de l'ordonnance du 7 mai 2014, le Parlement a choisi :

- à l'initiative de l'Assemblée nationale, de confier le contentieux judiciaire de l'autorité de la concurrence à la cour d'appel de Paris, déjà compétente pour connaître du contentieux de l'autorité nationale de la concurrence, et non à celle de Nouméa ;

- à l'initiative du Sénat, d'appliquer, au regard du principe constitutionnel d'égalité devant la loi pénale, les mêmes peines d'emprisonnement pour les pratiques anticoncurrentielles interdites par le code de commerce applicable localement (abus de position dominante, entente, etc.) que celles en vigueur en métropole.


* 1 Avis n° 781 (2011-2012) de M. Thani Mohamed Soilihi, au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a11-781/a11-781.html.

* 2 Rapport d'information n° 104 (2014-2015) de Mme Sophie Joissains, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Catherine Tasca, au nom de la commission des lois, Nouvelle-Calédonie : continuer à avancer vers le destin commun, 19 novembre 2014. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r14-104/r14-104.html.

* 3 Geneviève Wibaux, rapport relatif aux structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie, 21 septembre 2012 - Thibault Decruyenaere et Philippe Sauze, rapport relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation en Nouvelle-Calédonie, 21 septembre 2012.

* 4 Geneviève Wibaux, rapport relatif aux structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie, 21 septembre 2012

* 5 Rapport n° 777 (2012-2013) de Mme Catherine Tasca, au nom de la commission des lois, 17 juillet 2013

* 6 La communication audiovisuelle est une compétence de l'État que, en application de l'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999, sera transférée dès lors que le congrès de la Nouvelle-Calédonie le sollicitera.

* 7 II de l'article 3 de la loi n° 2013-1029 du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.

* 8 Article 56 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives.

* 9 Article 75 de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer.

* 10 Geneviève Wibaux, rapport relatif aux structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie, 21 septembre 2012.

* 11 Conseil constitutionnel, 1 er octobre 2013, n° 2013-3 LP.

* 12 Une injonction structurelle désigne le pouvoir d'une autorité de régulation d'enjoindre à un acteur économique de céder une partie de ses actifs pour modifier la structure de marché.

Page mise à jour le

Partager cette page