EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 4 NOVEMBRE 2015

M. Mathieu Darnaud , rapporteur . - Le coût élevé de la vie dans les outre-mer est une question à laquelle notre commission prête la plus grande attention, du fait de ses compétences en matière de droit de la concurrence et de droit commercial.

La Nouvelle-Calédonie représente à ce sujet un cas d'espèce, puisque les biens de consommation courante sont soumis à des prix élevés, à cause de nombreux obstacles dressés face à la libre concurrence et constatés en 2012 par un rapport de l'autorité de la concurrence.

L'introduction en 2013, au sein de la loi statutaire de 1999, de la faculté pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes avait pour origine la volonté calédonienne de mettre en place une autorité locale de la concurrence. Un objectif identique anime cette proposition de loi organique présentée par notre collègue Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste et républicain.

Les autorités calédoniennes ont choisi de confier, à terme, la responsabilité du contrôle de la concurrence à une autorité administrative indépendante.

L'option d'une autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs décisionnels imposait, sur le modèle de la faculté ouverte à la Polynésie française dès 2011, de modifier les dispositions organiques formant le statut de la Nouvelle-Calédonie.

Comme le Conseil d'État le rappelait dans un avis du 22 novembre 2009, aucun obstacle constitutionnel n'existe à la création par le congrès de la Nouvelle-Calédonie d'autorités administratives indépendantes dans les domaines relevant de sa compétence. Cependant, l'exercice par cette dernière d'un pouvoir de règlementation, de sanction ou de transaction appelait une modification de la loi organique du 19 mars 1999 pour doter le congrès de la faculté de créer un organe exerçant des compétences normalement dévolues au gouvernement local.

Répondant au souhait du comité des signataires, le Parlement ouvrait cette voie, par un vote unanime, avec l'article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013. Au cours de la discussion parlementaire, il s'est attaché à fixer les conditions de l'indépendance et de l'impartialité des membres appelés à siéger au sein de cette autorité.

À l'initiative de notre collègue Catherine Tasca, rapporteure, le Sénat a inscrit le principe de l'irrévocabilité des membres de cette autorité, et a prévu leur nomination après un avis adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du congrès.

Parallèlement, l'Assemblée nationale, suivant la proposition de son rapporteur M. René Dosière, a soumis les membres de cette autorité à un régime d'incompatibilité stricte, rendant cette fonction incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d'intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation.

La loi du pays du 24 avril 2014 a marqué une nouvelle étape, en créant une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie au statut d'autorité administrative indépendante.

Elle comprendra un président et trois autres membres - dont un vice-président - nommés pour une durée de cinq ans. S'il est prévu que « le président exerce ses fonctions à plein temps », les autres membres seront « non permanents ».

Si l'ensemble des textes législatifs et règlementaires ont été pris par les autorités locales et nationales pour la mettre en place, cette instance n'a pas été installée à ce jour.

Interrogée le 17 juin 2014 par notre collègue Catherine Tasca, la ministre des outre-mer n'indiquait aucune date pour la désignation des membres de l'autorité. Quelques mois plus tard, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, autorité de nomination, a fait savoir ses difficultés à recruter des membres au regard des incompatibilités prévues par le législateur organique.

Cette situation a été exposée en séance publique à l'Assemblée nationale par le député Philippe Gomès, rappelant que si cette incompatibilité ne soulève pas de difficultés s'agissant du président et du rapporteur qui exercent ces fonctions à temps plein, il n'en va pas de même pour les autres membres.

Comme notre collègue Catherine Tasca, à l'occasion de l'examen de la loi organique du 5 août 2015 relative à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, notre collègue député Philippe Gomès souhaitait modifier, à la faveur du texte examiné, la loi statutaire. Au regard de l'objet de la réforme débattue, votre commission des lois, par la voix de son président, et le Gouvernement, par la voix de la ministre des outre-mer, étaient convenus de la difficulté soulevée, tout en appelant à examiner une telle disposition au sein d'un texte dédié.

Au Sénat, comme le rappelle notre collègue Catherine Tasca, le Gouvernement s'était engagé à soutenir une initiative parlementaire en ce sens, ce qui l'avait conduite à retirer son amendement. En conséquence, elle a déposé dès le 30 juin 2015, la présente proposition de loi organique. À l'Assemblée nationale, deux propositions de loi organiques, au dispositif différent de l'initiative sénatoriale, ont également été déposées avec la même finalité.

Je vous propose de prévoir un statut réaliste pour les membres de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie.

La présente proposition de loi organique propose de modifier l'article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999 afin de limiter l'incompatibilité applicable aux membres d'une autorité administrative indépendante, créée par la Nouvelle-Calédonie, aux seuls emplois publics exercés en Nouvelle-Calédonie. Elle permet ainsi le recrutement de fonctionnaires ou contractuels employés par une personne publique, sous réserve qu'ils n'exercent pas sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, sans distinction de l'employeur public.

Saisi par le président du Sénat, en application de l'article 77 de la Constitution, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a, le 28 septembre 2015, émis un avis favorable sur ce texte sous réserve d'une demande de complément et d'une demande de modification.

D'une part, le congrès appelait à reprendre une rédaction plus souple de l'incompatibilité, retenue par M. Philippe Gomès dans la proposition de loi organique qu'il a déposée. Il avait exprimé son point de vue en juillet 2015 puisqu'il proposait alors de « limiter l'interdiction aux emplois publics exercés en Nouvelle-Calédonie, sous l'autorité des instances calédoniennes » , envisageant que « des fonctionnaires d'État - magistrats financiers ou professeurs d'économie, par exemple - pourraient ainsi venir utilement en Nouvelle-Calédonie pour y effectuer des vacations et permettre ainsi à cette autorité de s'installer ».

D'autre part, le congrès de la Nouvelle-Calédonie s'interrogeait « sur la possibilité d'introduire un délai de carence d'au moins trois années s'agissant d'agents ayant exercé en Nouvelle-Calédonie pour le compte de l'État ou d'agents ayant exercés en Nouvelle-Calédonie et ayant atteint l'âge de la retraite », appelant à retenir un « délai significatif ».

Souhaitant prendre en compte ces observations, je vous propose un amendement qui présente une solution de compromis par rapport à la rédaction initiale de la proposition de loi organique et l'avis exprimé par le congrès sur ce texte.

Serait ainsi distingué le régime d'incompatibilité professionnelle du président par rapport aux autres membres d'une autorité administrative indépendante, compte tenu de la différence de situation. Comme le prévoit la loi du pays du 24 avril 2014, le président a un régime spécifique : à temps plein, il peut prendre des décisions seul. En outre, il est l'autorité à laquelle les autres membres de l'autorité sont chargés de faire état d'éléments de nature à entraîner un conflit d'intérêts.

Par voie de conséquence, le président serait soumis à une incompatibilité professionnelle plus rigoureuse puisqu'il ne pourrait exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie, comme le prévoyait la rédaction initiale du texte. En revanche, les autres membres pourraient exercer parallèlement un emploi public mais uniquement au sein de l'État, notamment au sein des juridictions ou de l'université, comme l'appellent de ses voeux le congrès et le député Philippe Gomès.

Cette solution est conforme aux règles constitutionnelles. D'une part, elle n'apporte pas une atteinte disproportionnée à la liberté des membres au regard de l'objectif de prévention des conflits d'intérêts, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé, en 2013, conforme à la Constitution une incompatibilité professionnelle au périmètre plus large. D'autre part, cette différence de traitement entre le président et les autres membres ne contrevient pas au principe d'égalité puisqu'elle est justifiée par la différence de situation entre eux.

Pour prolonger l'observation du congrès, je vous propose également d'instituer un délai de carence de trois ans, empêchant que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé les mandats ou fonctions ou détenu les intérêts compris dans le champ des incompatibilités s'appliquant respectivement au président ou aux autres membres d'une autorité administrative indépendante.

Par cette solution, je vous propose d'aboutir, dans les meilleurs délais, à l'adoption de ce texte dans une approche consensuelle entre les deux assemblées parlementaires, comme il est d'usage depuis de nombreuses années, pour les textes relatifs à la Nouvelle-Calédonie.

Mme Catherine Tasca . - Je souscris au rapport présenté par le rapporteur.

Je souhaiterais expliciter les interrogations concernant la préservation de l'indépendance de cette autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie. L'archipel présentant une superficie limitée, des liens existent entre différents acteurs de sa vie publique et économique. Notre préoccupation a donc consisté à prévoir des mesures pour s'assurer de l'indépendance des membres de cette autorité. Il est particulièrement important d'assurer cette indépendance dès la mise en place de l'autorité afin d'en assurer la crédibilité. Dans ce contexte, je souscris à l'amendement de notre rapporteur.

En outre, des discussions sont en cours avec nos collègues de l'Assemblée nationale. Pour mémoire, en 2013, le député Philippe Gomès n'était pas favorable à l'incompatibilité telle qu'elle existe. Le premier texte voté par l'Assemblée n'a pas permis la mise en place de cette autorité et il convient donc de le modifier.

M. Jean-Pierre Sueur et moi-même avons prévu des garde-fous pour garantir l'indépendance des membres de l'autorité. L'enjeu est donc de faire émerger un compromis avec nos collègues députés. Je rappelle que l'Assemblée nationale et le Sénat ont toujours recherché, pour des raisons évidentes, le consensus au sujet de la Nouvelle-Calédonie.

Il est donc souhaitable de rapprocher les points de vue. L'un des points de désaccord restant pourrait être le délai de carence imposé avant la nomination des membres de l'autorité. Je privilégie la solution de notre rapporteur mais, à titre personnel, je pense qu'il est envisageable de réduire ce délai afin d'obtenir le consensus.

M. Pierre-Yves Collombat . - Je m'en voudrais de priver la Nouvelle-Calédonie de cet instrument de modernité qu'est une autorité administrative indépendante, oxymore juridique comme le rappelait notre ancien collègue Patrice Gélard.

Toutefois, la commission d'enquête sénatoriale sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes préconise la suppression du titre « d'autorité administrative indépendante » pour la moitié d'entre elles.

Je suis donc réservé sur la création par le Parlement d'une nouvelle autorité indépendante. À titre personnel, je m'abstiendrai sur ce texte.

M. Mathieu Darnaud . - Pour répondre à notre collègue Pierre-Yves Collombat, ce texte ne crée aucune autorité administrative indépendante supplémentaire. Il se borne à donner les moyens au congrès de la Nouvelle-Calédonie de réellement créer une autorité compétente en matière de régulation de la concurrence.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article unique

M. François Pillet , président . - Je considère que l'amendement présenté par le rapporteur a été défendu et je le mets aux voix.

L'amendement COM-1 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. Darnaud, rapporteur

1

Distinction du régime d'incompatibilité professionnelle du président et des autres membres d'une autorité administrative indépendante calédonienne et fixation d'un délai de carence pour leur désignation

Adopté

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