B. DES NORMES PLURIANNUELLES QUI NE SONT QU'IMPARFAITEMENT RESPECTÉES

1. Les normes de gouvernance et de gestion des dépenses publiques ne sont que partiellement mises en oeuvre, en particulier en matière de ressources fiscales affectées à des tiers

Votre rapporteur général souligne que les obligations créées en matière d'affectations de ressources fiscales ne sont aucunement mises en oeuvre par le présent projet de loi de finances : alors même que la loi de programmation prévoyait un principe de rebudgétisation ne souffrant que quelques exceptions dans certains cas limitativement définis, de nouvelles affectations sont ainsi créées sans que des suppressions ne les gagent et très peu de taxes sont rebudgétisées (une seule en 2016).

Au surplus, le Gouvernement se sert des recettes affectées pour pallier les défaillances du budget : à ce titre, l'exemple du relèvement du plafond de la part de la taxe sur les transactions financières (TTF) affectée au développement est révélateur. Il permet au Gouvernement de répondre aux nombreuses critiques qui ont accueilli la présentation du budget de l'aide publique au développement pour 2016 .

En effet, malgré les annonces du Président de la République le 28 septembre, à la tribune des Nations unies selon lesquelles « la France, qui veut toujours montrer l'exemple, [...] a décidé d'augmenter le niveau de l'aide publique au développement pour dégager 4 milliards d'euros de plus à partir de 2020 », le budget présenté deux jours plus tard voit les crédits destinés à l'aide publique au développement diminuer de plus de 6 %, soit la plus forte baisse du budget 2016 , en excluant les mesures de périmètre, alors même que la France n'est plus que le douzième pays donateur en proportion du revenu national brut (RNB). Le ministre de l'économie et des finances a ensuite annoncé, le 10 octobre dernier à Lima, que le Gouvernement majorerait de 150 millions d'euros les financements en faveur de la politique de développement. Deux tiers de cette hausse (100 millions d'euros) sont portés par le relèvement du plafond de la taxe affectée au fonds de solidarité pour le développement. Cette manoeuvre budgétaire permet sans doute de sauver les apparences sans procéder à des ajustements importants sur les dépenses des autres ministères, mais il est manifeste que le Gouvernement use de procédés contraires aux engagements qu'il a pris devant le Parlement il y a moins d'un an .

2. Le budget triennal n'est pas respecté par la budgétisation initiale pour 2016

Concernant les orientations pluriannuelles des finances publiques et en particulier le budget triennal , l'État ne tient pas non plus ses engagements puisque les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2016 dépassent de plus de 500 millions d'euros les plafonds de la loi de programmation (soit un écart de 0,3 %).

Tableau n° 64 : Comparaison du budget prévu par le projet de loi de finances pour 2016 avec l'annuité 2016 de la loi de programmation des finances publiques

(en millions d'euros et en %, classé par ordre décroissant

de l'écart le plus important en % de crédits de la LPFP)

Missions

PLF 2016 (format LPFP 2016)

LPFP 2016

Écart PLF 2016/LPFP

Sport, jeunesse et vie associative

622

501

121

24,2%

Immigration, asile et intégration

706

655

51

7,8%

Travail et emploi

11 035

10 623

412

3,9%

Action extérieure de l'État

3 055

2 955

100

3,4%

Santé

1 256

1 219

37

3,0%

Défense

30 127

29 521

606

2,1%

Culture

2 430

2 383

47

2,0%

Justice

6 342

6 274

68

1,1%

Administration générale et territoriale de l'État

1 940

1 921

19

1,0%

Direction de l'action du Gouvernement

1 173

1 162

11

0,9%

Politique des territoires

710

704

6

0,9%

Sécurités

12 270

12 180

90

0,7%

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

2 530

2 518

12

0,5%

Enseignement scolaire

47 998

47 867

131

0,3%

Pouvoirs publics

988

988

0

0,0%

Recherche et enseignement supérieur

25 603

25 658

-55

-0,2%

Conseil et contrôle de l'État

501

504

-3

-0,6%

Écologie, développement et mobilité durables

6 506

6 547

-41

-0,6%

Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation

2 606

2 625

-19

-0,7%

Gestion des finances publiques et des ressources humaines

8 252

8 323

-71

-0,9%

Régimes sociaux et de retraite

6 320

6 396

-76

-1,2%

Solidarité, insertion et égalité des chances

15 486

15 787

-301

-1,9%

Outre-mer

2 018

2 063

-45

-2,2%

Égalité des territoires et logement

12 990

13 315

-325

-2,4%

Aide publique au développement

2 596

2 667

-71

-2,7%

Économie

1 456

1 506

-50

-3,3%

Médias, livre et industries culturelles

600

631

-31

-4,9%

Engagements financiers de l'État (hors charge de la dette)

755

842

-87

-10,3%

Crédits non répartis

40

96

-56

-58,3%

Total missions du BG (hors RCT)

208 911

208 431

480

0,2 %

Total hors crédits non répartis

208 871

208 335

536

0,3 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

De même, l'objectif de stabilisation des effectifs de l'État n'est pas tenu : ceux-ci augmentent depuis 2015 et la hausse devrait être particulièrement sensible en 2016.

Graphique n° 65 : Évolution de la masse salariale et des effectifs de l'État

(en milliards d'euros et en milliers d'ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Les départs en retraite , qui diminuent pour des raisons démographiques, sont donc tous remplacés et les recrutements excèdent les départs.

Graphique n° 66 : Départs en retraite et taux de non remplacement depuis 2011

(en milliers d'ETP et en %)

Note de lecture : les départs en retraite se lisent par rapport à l'échelle de gauche (en emplois équivalents temps plein). Le taux de remplacement se lit par rapport à l'échelle de droite (en %). Le taux de remplacement correspond à la part des départs en retraite qui est remplacée. En 2014, 6 % des départs en retraite n'étaient pas remplacés. En 2016, 100 % des départs en retraite seront remplacés et des recrutements excédant le besoin en remplacement seront effectués.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Le Gouvernement affirme que cette hausse des effectifs est liée à la révision de la loi de programmation militaire , notamment en raison des attentats survenus en janvier 2015 sur le sol français.

Force est cependant de constater que l'impact de la révision de la LPM est limité à un accroissement de 4 875 ETPT . À cette hausse nécessaire des effectifs de la Défense s'ajoute une augmentation de 4 716 ETPT , qui résulte bien des schémas d'emplois pour 2016 sans lien avec la LPM. En outre, la révision de la LPM aurait pu être gagée par des suppressions sur d'autres ministères : c'est le sens d'un objectif de stabilisation pluriannuelle des effectifs.

Autrement dit, l'ampleur de la hausse des effectifs n'est pas seulement la conséquence mécanique des nouvelles orientations militaires et résulte bien de l'absence de choix du Gouvernement . De même que la politique fiscale et la politique budgétaire sont caractérisées par l'absence d'arbitrages stratégiques, la gestion des effectifs de l'État n'obéit à aucun principe clair - si ce n'est la création de postes au sein des missions jugées prioritaires, et ce en dépit de la difficulté pour les gestionnaires à les pourvoir.

Graphique n° 67 : Décomposition des facteurs d'évolution du plafond d'emplois de l'État entre 2015 et 2016

(en emplois équivalent temps plein travaillé - ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

La hausse des effectifs couplée à l'impératif de maîtrise de la masse salariale conduit à limiter les politiques salariales incitatives et à tasser la grille indiciaire - les mesures catégorielles étant désormais uniquement ciblées sur les bas salaires - au détriment de l'attractivité de la fonction publique.

Des pistes d'économies ouvertes par l'enquête de la Cour des comptes
sur la masse salariale de l'État

En application de l'article 58-2° de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État .

Le rapport de la Cour des comptes met en avant le poids de la masse salariale publique qui s'élevait en 2013 à près de 13 % du produit intérieur brut contre moins de 10 % en moyenne au sein de la zone euro . À l'inverse de nombreux pays, la France continue de voir ses dépenses de personnel croître (+ 2,4 % en moyenne annuelle au cours des dix dernières années) sous l'effet conjugué de l'augmentation des rémunérations (+ 0,2 % par an en moyenne entre 2003 et 2014 pour la fonction publique d'État) et surtout de la hausse continue des effectifs (+ 0,6 % par an en moyenne pour les trois fonctions publiques sur la même période).

Ces dépenses s'élevaient ainsi en 2014 à 120,8 milliards d'euros pour la seule fonction publique d'État , soit 40 % du budget général , et à 278 milliards d'euros toutes fonctions publiques confondues .

Si le budget triennal 2015-2017 associé à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 impose des économies de l'ordre de 450 millions d'euros par an, la Cour des comptes note que les mesures présentées par le Gouvernement apparaissent extrêmement fragiles compte tenu des évolutions constatées et des décisions déjà prises.

Une plus grande maîtrise des dépenses de personnel constitue par conséquent un enjeu tant pour la réduction des déficits publics que pour la reconstitution de marges de manoeuvre permettant de maintenir l'attractivité de la fonction publique .

Dans le prolongement des pistes ouvertes par la Cour des comptes, votre rapporteur général estime que la mise en oeuvre de mesures d'économies peut être articulée autour de quatre axes :

- une réduction des effectifs résultant d'une rationalisation des missions de l'État , d' un accroissement du temps de travail (lutte contre l'absentéisme, réexamen des régimes dérogatoires) et d' un effort supplémentaire demandé aux opérateurs de l'État ;

- la simplification du régime des primes ;

- la fin de l'automaticité des avancements grâce à une plus grande prise en compte du mérite et au recours plus fréquent aux examens professionnels ;

- le développement de la mobilité dans l'intérêt du service .

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'enquête de la Cour des comptes

3. La norme de dépenses n'est respectée en 2016 qu'en raison d'économies de constatation
a) Une double norme de dépenses sur le budget de l'État qui devrait être respectée en 2016

Si des normes d'évolution des dépenses de l'État ont été introduites dès le début des années 2000, c'est la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 qui a mis en place la double norme de dépenses 163 ( * ) aujourd'hui appliquée :

- d'une part, les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant : c'est la norme « zéro valeur » ;

- d'autre part, la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charge de la dette et dépenses de pension, doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation : c'est la norme « zéro volume ».

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a fixé le niveau des normes de dépenses de l'État pour les années à venir : en vertu de son article 8, les dépenses sous norme « zéro volume » ne doivent pas progresser plus vite que l'inflation et les dépenses sous norme « zéro valeur » doivent diminuer d'environ 7 milliards d'euros de 2015 à 2017, passant de 282,81 milliards d'euros en 2015 à 280,65 milliards d'euros en 2016, puis à 275,48 milliards d'euros en 2017.

Ces deux normes de dépenses devraient être respectées en 2016 selon la trajectoire budgétaire présentée par le Gouvernement . Cependant, plusieurs éléments amènent à nuancer la portée de ce constat.

Tableau n° 68 : La double norme de dépenses sur le budget de l'État
en 2016

(en milliards d'euros)

LPFP 2016

PLF 2016

Différence

Crédits des ministères

203,0

203,4

0,4

Affectations de recettes

5,1

4,7

-0,3

Transferts aux collectivités territoriales

49,8

49,9

0,1

Prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne

22,8

21,5

-1,3

Norme 0 valeur

280,7

279,6

-1,1

Charge de la dette

47,3

44,5

-2,9

Pensions

46,2

46,1

0,0

Norme 0 volume

374,2

370,2

-4,0

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

b) Le respect de la norme « zéro valeur » par l'État est facilité par la révision à la baisse de l'évolution tendancielle des dépenses et la révision à la baisse du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne

La révision à la baisse de la croissance tendancielle des dépenses complexifie certes la réalisation d'économies par rapport à ce tendanciel, mais facilite le respect de la norme en valeur dans la mesure où celle-ci exige précisément d'économiser au moins le montant de l'évolution tendancielle des dépenses.

Au surplus, la baisse du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne par rapport à l'estimation de la loi de programmation 164 ( * ) (- 1,3 milliard d'euros) permet au Gouvernement d'afficher un « effort supplémentaire » sur la norme de dépenses qui n'en est pas un dans la mesure où le montant de ce transfert ne dépend pas de la gestion budgétaire du Gouvernement. Hors prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, la norme de dépenses en valeur est dépassée de 200 millions d'euros .

Votre rapporteur général note à ce titre que l'intégration du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne au sein de la norme de dépenses « zéro valeur » ne paraît pas conforme à son objet : celle-ci est censée regrouper les dépenses pilotables par le Gouvernement, ce qui n'est pas le cas (ou de façon marginale) concernant le PSR UE. L'intégration du PSR UE dans le champ de la norme en valeur conduit à créer des effets d'aubaine pour le Gouvernement en cas de baisse du prélèvement sur recettes, ou contraint à comprimer les dépenses des ministères en cas de hausse des appels à contribution au budget européen, sans que cela ne traduise la qualité de la gestion budgétaire du Gouvernement. Votre rapporteur général s'interroge donc sur la pertinence du maintien du PSR UE au sein de la norme « zéro valeur » et considère que sa sortie doit être envisagée.

c) Le respect de la norme « zéro volume » est assuré grâce à la baisse de la charge de la dette

De la même façon, le respect de la norme « zéro volume » est assuré dès lors que la charge de la dette de l'État prévisionnelle diminue de près de 3 milliards d'euros entre les estimations de la loi de programmation et le projet de loi de finances pour 2016. Cet allègement constitue davantage un signal de la faiblesse des taux d'intérêt sur la dette souveraine qu'une preuve de la bonne gestion budgétaire du Gouvernement .


* 163 L'introduction d'une double norme permet d'éviter que d'éventuelles économies constatées sur la charge de la dette ou les pensions ne soient utilisées pour financer des dépenses nouvelles qui relèvent désormais de la norme « zéro valeur ».

* 164 Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne augmente de 0,8 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015 mais diminue au regard de la prévision pour 2016 du projet de loi de programmation des finances publiques.

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