C. UN TRANSFERT DE LA CHARGE FISCALE VERS LES MÉNAGES

La bonne réalisation du programme de 50 milliards d'euros d'économies paraît d'autant plus importante que celui-ci doit également contribuer à financer les réductions de prélèvements obligatoires annoncées par le Gouvernement au cours des années à venir .

À cet égard, il est anticipé une baisse du taux de prélèvements obligatoires de 44,6 % du PIB à 44,5 % entre 2015 et 2016 , après 44,9 % du PIB en 2014. Aussi y a-t-il lieu de s'interroger sur les facteurs sous-jacents à ce recul du taux de prélèvements obligatoires. Il apparaît que celui-ci résulte essentiellement de la diminution de la charge fiscale opérée au profit des entreprises - du fait, notamment, du déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité -, les prélèvements directs portant sur les ménages se stabilisant tout juste en 2015. Ceci fait clairement apparaître que, dans un contexte de maîtrise insuffisante des dépenses, le Gouvernement a fait le choix de reporter la charge fiscale sur les ménages afin de mener à bien tout à la fois le redressement des comptes publics et l'abaissement des prélèvements obligatoires acquittés par les entreprises .

1. Une baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises...

La baisse du taux de prélèvements obligatoires devant intervenir en 2016 s'explique principalement par les réductions d'impôts opérées au profit des entreprises. En effet, le prochain exercice serait marqué par la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité , auxquels sont venues récemment s'ajouter les mesures en faveur, d'une part, de l'investissement et, d'autre part, des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME).

Ainsi, entre 2014 et 2016, les prélèvements sur les entreprises seraient réduits de 33 milliards d'euros , soit un « surcroît » de baisse de 9 milliards d'euros en 2016. Cette évolution serait permise par le déploiement du CICE , dont la créance fiscale atteindrait 18,5 milliards d'euros, une seconde réduction de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) , en vue de sa suppression complète en 2017, et l'application d'une baisse de 1,8 point des cotisations familiales employeurs pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC. À ce titre, il faut relever que la date d'entrée en vigueur de cette dernière mesure a été reportée du 1 er janvier au 1 er avril 2016, permettant de réduire le coût du dispositif en 2016 à 3,075 milliards d'euros, contre environ 4,1 milliards d'euros en année pleine 126 ( * ) . Ce report de l'entrée en vigueur de la mesure d'extension de la baisse des cotisations familiales a été justifié par le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, lors de son audition par la commission des finances le 30 septembre dernier, par la nécessité de financer les mesures annoncées au cours de l'année 2015 , et notamment du dispositif de suramortissement des investissements industriels introduit dans la loi « Macron » 127 ( * ) .

Tableau n° 33 : Mesures en faveur des entreprises

(en milliards d'euros)

2014

2015

2016

2017

CICE (créance fiscale)

- 10,0

- 17,5

- 18,5

- 19,5

Pacte de responsabilité et de solidarité

-

- 6,5

- 13,5

- 20,5

Dont allègement des cotisations sociales

-

- 5,5

- 9,0

- 10,0

Dont suppression progressive de la C3S

-

- 1,0

- 2,0

5,5

Dont fin de la contribution exceptionnelle Puis baisse du taux d'IS

-

-

- 2,5

- 4,5

Plans d'investissement et TPE/PME

-

- 0,5

- 1,0

- 1,0

Total des mesures en faveur des entreprises

- 10,0

- 24,0

- 33,0

- 41,0

Note de lecture : les chiffres sont arrondis. De ce fait, la somme apparente des arrondis peut différer de l'arrondi de la somme.

Source : rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2016

Christian Eckert a jugé utile de préciser, devant la commission des finances, les éléments suivants : « Nous avons estimé que ce milliard d'euros devait être intégré dans les 9 milliards d'euros de réductions d'impôts sur les entreprises. Nous aurions pu le faire à travers une mesure pérenne, par exemple en ne supprimant que la moitié de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, mais nous avons préféré prendre une mesure ponctuelle, « one shot », et décaler d'un trimestre l'entrée en vigueur de ce dispositif. L'effet sera sensible en 2016, mais il disparaîtra en 2017 ». Pour autant, ceci ne signifie en rien que le coût des mesures fiscales en faveur de l'investissement et des TPE-PME , qui comprennent notamment la limitation des effets de seuils dans ces dernières 128 ( * ) , ne sera pas compensé en 2017 . En effet, la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IS), qui doit être ramené à 28 % en 2020, annoncée par le Gouvernement dans le cadre du Pacte de stabilité pourrait être moins rapide qu'initialement anticipé afin de « financer » ces nouvelles mesures.

Toutefois, un tel choix, en plus de renforcer le manque de lisibilité et de prévisibilité de la politique fiscale du Gouvernement, serait d'autant plus regrettable que le taux légal de l'impôt sur les sociétés, bien qu'il ne rende qu'imparfaitement compte de la charge fiscale associée, constitue une donnée faisant l'objet d'une attention toute particulière par les investisseurs , notamment étrangers.

Quoi qu'il en soit, le montant total des baisses de prélèvements sur les entreprises resterait quasiment inchangé à l'horizon 2017 et s'élèverait à 41 milliards d'euros , seule la « structure » de ces baisses ayant été modifiée par les récentes décisions du Gouvernement. De cette manière, se prolongerait la réduction de la charge fiscale des entreprises, qui passerait de 17,9 % du PIB en 2011 à 17,1 % en 2015 (cf. infra ).

2. ... mais un recul des prélèvements obligatoires limité à 2,4 milliards d'euros en 2016...

Malgré la réduction des impôts pesant sur les entreprises, les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires s'élèveraient seulement à - 2,4 milliards d'euros en 2016 .

Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016 porteraient, à eux deux, près de 6 milliards d'euros de baisses nettes des prélèvements au titre de l'année à venir - compte tenu des incidences du CICE et du Pacte de responsabilité.

Toutefois, des mesures adoptées dans le cadre de textes financiers continuent à monter en charge , à l'instar de la non-déductibilité du résultat des entreprises de certaines taxes figurant dans le collectif de la fin de l'exercice 2014 129 ( * ) , qui serait à l'origine d'une hausse des impositions de 0,3 milliard d'euros en 2016, ou encore de la réforme de la fiscalité écologique intervenue dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2014 130 ( * ) , conduisant à une hausse des prélèvements de 1,7 milliard d'euros l'année prochaine. Enfin, l'exercice 2016 serait également marqué par des hausses d'impôts locaux , pour un montant proche de 0,8 milliard d'euros - révélant un transfert accru de la fiscalité de l'État vers les collectivités territoriales du fait de la diminution des dotations versées à ces dernières.

Il convient également de relever que 0,9 milliard d'euros sur les 2,4 milliards d'euros de baisses de prélèvements obligatoires seraient imputables aux moindres recettes liées aux contentieux fiscaux, les contentieux « Précompte », « De Ruyter » ou encore « Stéria » présentant, chacun, un coût de 0,3 milliard d'euros .

Tableau n° 34 : Mesures nouvelles en prélèvements obligatoires (2014-2016)

(en milliards d'euros)

2014

2015

2016

État

- 3,9

- 4,9

- 1,3

Dont PLF/PLFSS 2016

- 2,0

Baisse de l'impôt sur le revenu*

- 2,0

Suppression de la TGAP sur les ICPE

- 0,0

Augmentation du fonds « emprunts toxiques »

0,1

Autre mesures

- 0,0

Administrations de sécurité sociale (ASSO)

5,6

- 3,0

- 3,2

Dont PLF/PLFSS 2016

- 0,0

- 4,0

Réforme des exonérations zonées

0,0

Rationalisation de la réduction de cotisations patronales pour les entreprises en outre-mer

0,1

Suppression de la cotisation minimale maladie des exploitants agricoles

- 0,0

- 0,0

Élargissement du champ de la réduction de cotisations patronales famille

- 3,1

Augmentation de l'abattement d'assiette de C3S

- 1,0

Autres mesures

- 0,0

Administrations publiques locales (APUL)

0,5

1,7

1,3

Organismes divers d'administrations centrales (ODAC)

1,1

2,0

0,7

TOTAL

3,3

- 4,2

- 2,4

Note de lecture : TGAP : taxe générale sur les activités polluantes ; ICPE : installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

* - 2,1 milliards d'euros si l'on considère l'impact de la revalorisation du barème sur l'inflation.

Source : commission des finances du Sénat (à partir du rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2016

La seule mesure « emblématique » du projet de loi de finances pour 2016 est la baisse de 2 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu 131 ( * ) , faisant suite à la réduction de l'impôt sur le revenu des ménages à revenus modestes et moyens intervenue dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2015. Toutefois, celle-ci ne doit pas conduire à occulter le fait que le niveau des prélèvements sur les ménages serait seulement stabilisé en 2015 , après plusieurs années depuis le début de la présente législature, et qu' un net transfert de la charge fiscale vers les ménages est intervenu au cours des dernières années .

3. ... en raison d'un transfert de la charge fiscale vers les ménages

À partir de la méthode explicitée ci-après, votre rapporteur général s'est attaché à examiner l'évolution, durant la décennie passée, de la charge fiscale des ménages et des entreprises . À cet égard, il apparaît que la période 2011-2014 a été marquée par une forte accélération du taux de prélèvements obligatoires , qui est passé de 41 % à 44,9 % du PIB, ainsi que par une hausse significative de la charge fiscale des ménages , qui a atteint 16 % du PIB en 2014 - soit une hausse de 1,5 point par rapport à 2011.

Graphique n° 35 : Évolution de la charge fiscale des ménages et des entreprises ainsi que du taux de prélèvements obligatoires (2005-2015)

(en % du PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee et du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2016)

Ainsi que le fait apparaître le graphique ci-avant, en dépit d'une légère baisse, le taux de prélèvements obligatoires serait encore supérieur en 2015 de 1,9 point de PIB à son niveau de 2011 . Ce différentiel serait, en grande partie, imputable aux impositions directes pesant sur les ménages qui représenteraient encore 15,9 % du PIB en 2015, contre 14,5 % en 2011 - soit une différence de + 1,4 point de PIB -, et ce alors qu'entre ces deux années, la charge fiscale des entreprises a reculé de 0,8 point de PIB.

La mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises

La mesure de la charge fiscale des ménages utilisée a été établie à partir des données de l'Insee 132 ( * ) ; celle-ci comprend les impositions portant sur le revenu des ménages , comme l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) ou encore la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), les autres impôts courants , soit essentiellement la taxe d'habitation, la taxe foncière et l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les impôts en capital , qui intègrent notamment les droits payés sur les successions et les donations, ainsi que les cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques , à l'exclusion de celles versées à des régimes privés.

La charge fiscale des entreprises, quant à elle, tient compte des impôts sur le revenu versés par les sociétés non financières (SNF) ainsi que par les entreprises financières , soit essentiellement l'impôt sur les sociétés (IS), des impôts sur la production , comprenant la taxe sur les salaires, les versements transports, la C3S, ou encore la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), des impôts en capital , de même que des cotisations sociales effectives versées aux administrations publiques .

Il convient de souligner que la mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises ne tient pas compte des taxes indirectes, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ou encore la contribution au service public de l'électricité (CSPE) . En effet, ces dernières ne sont pas acquittées uniquement par les ménages , comme le supposent différentes études - à l'instar d'un récent travail réalisé par l'OFCE 133 ( * ) -, mais également, dans une certaine mesure, par les entreprises ; à cet égard, les sociétés peuvent avoir à supporter des rémanences de TVA 134 ( * ) , estimées à 31,2 milliards d'euros en 2006 par le Conseil des prélèvements obligatoires 135 ( * ) , et sont assujetties à la CSPE pour leur consommation d'électricité. Si les taxes indirectes contribuent significativement au poids des prélèvements obligatoires, les données issues de la comptabilité nationale disponibles ne permettent pas de distinguer celles supportées respectivement par les ménages et les entreprises ; c'est la raison pour laquelle la mesure de la charge fiscale retenue ne les intègre pas.

Ceci indique, d'une part, que les ménages ont eu à supporter l'essentiel des efforts de redressement des comptes publics et d'autre part, que la décélération de la pression fiscale ne profite pas véritablement aux ménages - les mesures en faveur d'une baisse sur l'impôt sur le revenu, et en particulier celle proposée dans le présent projet de loi de finances, ne compensant pas les hausses de prélèvements intervenues depuis 2011 , d'autant que les ménages auront par ailleurs à supporter des augmentations de la fiscalité indirecte, comme celle de la CSPE.

Graphique n° 36 : Part de la charge fiscale des ménages et des entreprises
dans les prélèvements obligatoires

(en %)

* (p) : prévision

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

Cette analyse est confortée par le fort accroissement de la part dans les prélèvements obligatoires totaux des impositions directes acquittées par les ménages , qui atteindrait 35,7 % en 2015 contre 34 % en 2011, alors que la part de la charge fiscale des entreprises dans les prélèvements obligatoires reculerait de 41,9 % à 38,5 % entre ces deux années . Ainsi, la période récente a été clairement marquée par un transfert de la charge fiscale des entreprises vers les ménages - la différence entre la part dans les prélèvements de la charge fiscale des entreprises et celle des ménages étant passée de 7,9 points à 2,8 points entre 2011 et 2012 .

Il n'est aucunement question, ici, de regretter la réduction des prélèvements sur les entreprises , celle-ci étant tout à fait indispensable dans un contexte de dégradation des taux de marges et de perte de compétitivité de ces dernières ; en effet, cette analyse montre avant tout les limites d'un ajustement budgétaire reposant essentiellement sur des hausses de la fiscalité - qui, dans un environnement concurrentiel, doit nécessairement porter à titre principal sur les ménages et les taxations indirectes. C'est pourquoi il eût été préférable que la stratégie budgétaire repose dès le début de la présente législature sur une baisse de la dépense publique, qui aurait permis d'accompagner tout à la fois le redressement des comptes publics et une diminution de la charge fiscale des ménages et des entreprises - s'inscrivant dans la logique qui commençait à se dessiner en 2010-2011.


* 126 Cf. évaluation préalable de l'article 21 annexée au projet de loi de finances pour 2016.

* 127 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances.

* 128 Cf. article 4 du projet de loi de finances pour 2016.

* 129 Loi n° 2015-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 130 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 131 Cf. article 2 du projet de loi de finances pour 2016.

* 132 La mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises est strictement comptable et ne tient pas compte des éventuels effets de l'incidence fiscale, soit des possibles reports de la fiscalité des contribuables « théoriques » vers d'autres acteurs.

* 133 M. Plane et R. Sampognaro, « Baisse de la fiscalité sur les entreprises mais hausse de celle des ménages », Le Blog de l'OFCE, 22 octobre 2015.

* 134 Les consommations ou investissements de certains opérateurs sont grevés d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui ne peut être déduite - s'incorporant, par conséquent, définitivement dans le coût de l'opération. Ce phénomène, appelé rémanence de TVA, résulte des règles prévues par la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dite directive « TVA », qui trouve à s'appliquer dans les États membres de l'Union européenne. Ainsi, certaines opérations d'agents économiques, bien que dans le champ d'application de la TVA, bénéficient d'une exonération et n'ouvrent donc pas droit à déduction ; il s'agit en particulier des activités bancaires et d'assurance. En outre, des exclusions spécifiques du droit à déduction peuvent être prévues, comme pour les dépenses de carburant ou de logement supportées par les entreprises au titre de leurs salariés ou dirigeants.

* 135 Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée , octobre 2009.

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