B. 50 MILLIARDS D'EUROS D'ÉCONOMIES, INVARIABLEMENT...

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement vient confirmer le programme de 50 milliards d'euros d'économies au cours de la période 2015-2017 . Celui-ci tend à devenir le principal pilier de la trajectoire budgétaire ou, du moins, son élément le plus stable ; si les cibles de solde effectif ou encore de solde structurel sont changeantes, l'objectif de 50 milliards d'euros d'économies, lui, demeure .

L'invariabilité de cet objectif est d'autant plus surprenante qu'elle résiste à toutes les évolutions concernant les dépenses et les recettes publiques . Certes, le Gouvernement a prévu des mesures complémentaires venant compenser les moindres économies résultant du ralentissement de l'inflation (cf. supra ) ; pour autant, les modalités de financement de certaines dépenses nouvelles et réductions de prélèvements annoncées au cours de la période récente n'ont, à ce jour, pas encore été précisées .

Quoi qu'il en soit, le montant des économies programmées pour l'exercice 2016 s'élève à 16 milliards d'euros ; néanmoins, les mesures d'économies retenues jusqu'à présent semblent rester à la surface des choses et être difficilement en mesure de ralentir durablement la progression de la dépense publique .

1. Un objectif d'économies qui ne varie pas...
a) Un objectif de 50 milliards d'euros d'économies entre 2015 et 2017

Annoncé par le Gouvernement dès la fin de l'année 2013, le programme d'économies pour les années 2015 à 2017 a été confirmé par le Président de la République, François Hollande, lors de sa conférence de presse de janvier 2014 116 ( * ) , puis détaillé par le Premier ministre, Manuel Valls, à l'issue du Conseil des ministres du 16 avril de la même année 117 ( * ) . Ce dernier avait alors précisé que les économies devraient être « équitablement réparties entre toutes les sources de dépenses publiques » - soit entre l'État et ses agences, les collectivités territoriales et les administrations de sécurité sociale. Aussi le choix du Gouvernement a-t-il été, de toute évidence, de répartir les économies entre sous-secteurs des administrations publiques en fonction de leur poids respectif dans la dépense publique , comme le fait apparaître le tableau ci-après.

Tableau n° 24 : Répartition de l'effort en dépenses sur la période 2015-2017
entre les administrations publiques

État et ODAC

APUL

ASSO

Part dans les économies

38,0 %

21,4 %

40,6 %

Part dans les dépenses publiques

37,4 %

19,0 %

43,5 %

Part dans le déficit public

84,7%

5,3 %

10,0 %

Part dans la dette publique

81,8 %

9,5 %

8,7 %

Source : commission des finances du Sénat (à partir du projet de loi de finances pour 2016 et des données de l'Insee pour l'exercice 2014)

Ainsi, l' État et ses opérateurs porteraient 19 milliards d'euros d'économies entre 2015 et 2017, les collectivités territoriales 10,7 milliards d'euros et les administrations de sécurité sociale (ASSO) 20,3 milliards d'euros, dont une part importante - soit 10 milliards d'euros - serait réalisée dans le champ de l' objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

De même, l'effort serait réparti sur toute la période 2015-2017, le montant des économies attendues étant de 18,6 milliards d'euros en 2015, de 16 milliards d'euros en 2016 et de 15,4 milliards d'euros en 2017 (cf. tableau ci-après).

Ces différentes estimations tiennent compte des mesures complémentaires annoncées dans le cadre du programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 , visant à compenser les moindres économies résultant du ralentissement de l'inflation, dont le montant était estimé à 4 milliards d'euros pour 2015 et à 6 milliards d'euros en 2016 . Le détail des mesures a été précisé dans un rapport adressé par le Gouvernement le 10 juin dernier aux institutions européennes.

Tableau n° 25 : Économies mises en oeuvre sur la période 2015-2017

(en %)

2015

2016

2017

Cumul

Total

18,6

16,0

15,4

50,0

État et opérateurs

8,7

5,1

5,1

19,0

Collectivités territoriales

3,5

3,5

3,7

10,7

Administrations de sécurité sociale

6,4

7,4

6,5

20,3

ONDAM

3,2

3,4

3,4

10,0

Autres

3,2

4,0

3,1

10,3

Source : rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2016

Ce document précise, tout d'abord, les économies complémentaires d'un montant de 1,2 milliard d'euros devant être réalisées par l'État et ses opérateurs ; à ce titre, un décret d'annulation de 0,7 milliard d'euros sur les crédits des ministères a été publié le 10 juin 2015 118 ( * ) - le rapport de motivation du décret précité indiquait que les crédits annulés portaient « essentiellement sur des dépenses modulables, afin de ne pas remettre en cause la soutenabilité des dépenses obligatoires (en particulier les rémunérations et prestations versées par l'État) », ce qui tend à confirmer que la stratégie de réduction de la dépense publique choisie par le Gouvernement répond plus à une logique de « coup par coup » qu'à une recherche de mesures permettant d'abaisser durablement le rythme d'évolution de la dépense . S'agissant des opérateurs de l'État, le Gouvernement constate opportunément un ralentissement des dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et des décaissements du programme d'investissements d'avenir (PIA), pour un montant total de 0,5 milliard d'euros.

À cela viendrait s'ajouter une révision à la baisse de la charge de la dette au titre de l'exercice 2015 pour 1,2 milliard d'euros , en lien avec le recul des taux d'intérêt - ainsi, alors que dans le cadre de la loi de finances pour 2015, les taux à 10 ans étaient estimés à 2 % fin 2015, ces derniers sont désormais évalués à 1,4 % à cette échéance, pour une moyenne annuelle de 0,85 % environ. Cette hypothèse ne paraît pas, à ce jour, particulièrement optimiste, le Consensus Forecasts d'octobre 2015 prévoyant un taux d'intérêt à 10 ans de 1 % en janvier 2016 et de 1,3 % en juin de la même année .

Tableau n° 26 : Mesures de redressement annoncées pour 2015

Montant
(en Md d'euros)

Sources/Actions

État

0,7

- Décret d'annulation du 10 juin 2015

Opérateurs

0,5

- Budget rectificatif de l'AFITF du 6 mars 2015

- Rapport trimestriel du Commissariat général à l'investissement (1 er trimestre 2015)

Charge d'intérêts

1,2

- Évaluation de l'Agence France Trésor (AFT)

Sécurité sociale

1,0

- Avis du Comité d'alerte de l'ONDAM du 26 mai 2015

- Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale du 8 juin 2015

Recettes

0,6

- Situation du recouvrement du STDR du 15 mai 2015

- Résultats financiers 2014 de la Banque de France

Total

4,0

Source : rapport de la France sur la mise en oeuvre des actions suivies d'effet consécutives à la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 (10 juin 2015)

Les administrations de sécurité sociale (ASSO), quant à elles, contribueraient à hauteur de 1 milliard d'euros à l'effort supplémentaire requis en 2015 . Ce montant comprend :

- 425 millions d'euros de dépenses entrant dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) . En effet, à la suite du programme de stabilité 2015-2018, 425 millions d'euros de crédits ont été annulés, notamment pour ce qui est des dépenses hospitalières et médico-sociales, dont 175 millions d'euros pris sur l'enveloppe des crédits gelés. En dépit de cela, dans son avis du 6 octobre 2015 119 ( * ) , le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a constaté que « les dépenses dans le champ de l'ONDAM pourraient s'établir à 181,9 Md€, en retrait de 450 M€ par rapport à l'objectif voté dans la LFSS pour 2015, mais en conformité avec l'objectif rectifié par le programme de stabilité notifié à la Commission européenne en avril 2015 ». Dans ces conditions, le Gouvernement propose une révision à la baisse de l'ONDAM pour l'année 2015 dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ;

- 225 millions d'euros d'économies permises par le ralentissement des dépenses d'action sociale des caisses de sécurité sociale ;

- 250 millions d'euros de dépenses de gestion de la protection sociale , notamment « sous l'effet d'une évolution moins rapide de la masse salariale des organismes de sécurité sociale et d'un pilotage renforcé de leurs budgets de fonctionnement » ;

- 100 millions d'euros d'économies résultant des dispositions de l'article 19 de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites 120 ( * ) . Selon le Gouvernement, « cette économie repose sur des hypothèses de comportements difficiles à anticiper et n'avait, de ce fait, pas été prise en compte dans la trajectoire de la LPFP. Ainsi, les assurés qui liquident leur pension, puis sont employés dans le cadre du cumul emploi retraite (CER), sont désormais soumis à l'obligation de liquider toutes leurs pensions avant de partir en CER et ne s'ouvrent plus de droits ensuite. Certains assurés reculeront la liquidation de leur pension pour augmenter leurs droits ».

Au total, la réalisation du programme de 50 milliards d'euros d'économies au cours de la période 2015-2017 suppose un ralentissement significatif de la dépense publique , comme le montre le tableau ci-après.

Tableau n° 27 : Évolution des dépenses publiques

(en %)

2014

2015

2016

2017

Inflation

0,4

0,1

1,0

1,4

En valeur, hors crédits d'impôt

0,9

1,0

1,3

1,6

En valeur, y compris crédits d'impôt

1,6

1,5

1,2

1,6

En volume, hors crédits d'impôt

0,5

0,9

0,4

0,1

En volume, y compris crédits d'impôt

1,2

1,4

0,3

0,1

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par le ministère des finances et des comptes publics)

b) 16 milliards d'euros d'économies en 2016

Au cours de l'exercice 2016, 16 milliards d'euros d'économies devraient être réalisées . Par suite, la dépense publique progresserait, hors crédits d'impôts 121 ( * ) , de 1,3 % en valeur et de 0,4 % en volume - le montant des économies réalisées étant calculé comme le différentiel entre la hausse tendancielle des dépenses et leur progression constatée. Ce quantum d'économies comprendrait, tout d'abord, un effort de 5,1 milliards d'euros de la part de l'État et de ses opérateurs . Dans ce cadre, interviendrait, tout d'abord, un ralentissement de la masse salariale de l'État pour 0,8 milliard d'euros , permis notamment par la stabilité du point d'indice de la fonction publique (0,6 milliard d'euros) et la maîtrise des enveloppes catégorielles (0,3 milliard d'euros). Par ailleurs, un effort de 2,7 milliards d'euros serait réalisé dans le champ des dépenses d'intervention , grâce à la mise en oeuvre de réformes ciblées portant sur les aides aux travailleurs faiblement rémunérés, avec la fusion de la prime pour l'emploi (PPE) avec le revenu de solidarité active (RSA) et la mise en place de la prime d'activité, les aides personnelles au logement (APL), ou encore l'uniformisation des règles d'indexation des prestations sociales. En outre, 0,6 milliard d'euros d'économies découleraient de « l'amélioration de la productivité des administrations » et de « la professionnalisation de l'action de l'État-propriétaire » . Enfin, un effort de 1 milliard d'euros serait demandé aux opérateurs de l'État à travers la baisse d'un même montant des subventions pour charges de service public et des taxes affectées plafonnées.

S'agissant des collectivités territoriales, celles-ci verraient les dotations versées par l'État reculer de 3,5 milliards d'euros , le Gouvernement attendant des administrations publiques locales (APUL) un ralentissement de leurs dépenses d'un montant équivalent.

Enfin, les administrations de sécurité sociale consentiraient un effort de 7,4 milliards d'euros , dont 3,4 milliards d'euros dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), les autres économies étant attendues de la réforme de la politique familiale, des retraites de base et complémentaires, de l'assurance chômage, ainsi que de mesures de rationalisation de la gestion des organismes de sécurité sociale.

La trajectoire financière des différents sous-secteurs des administrations publiques font l'objet d'une analyse approfondie infra , dans un développement dédié.

Les 16 milliards d'euros d'économies ainsi annoncés par le Gouvernement en 2016 intègrent les mesures venant compenser les 6 milliards d'euros d'économies « perdues » du fait de la faible inflation ; selon le rapport économique, social et financier (RESF), ces pertes proviendraient, à parts égales, des prestations et d'autres dépenses évoluant spontanément avec l'inflation, comme les salaires publics.

2. ... alors que les mesures nouvelles en dépenses se multiplient

Si la faiblesse de l'inflation a entraîné l'adoption de mesures de correction, annoncées dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018, afin de maintenir inchangé le quantum de 50 milliards d'euros d'économies, il n'en demeure pas moins que les mesures nouvelles en dépenses se sont multipliées au cours des derniers mois . Pour nombre de ces dépenses, les modalités de compensation financière n'ont pas été précisées. En particulier, l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM), adoptée en juillet dernier, a procédé, d'une part, à la substitution de crédits budgétaires aux ressources exceptionnelles dédiées à la Défense et, d'autre part, à la majoration du montant des crédits attribués à cette dernière . Par conséquent, dans l'attente du versement de ces ressources exceptionnelles dans le budget général de l'État - notamment à la suite de la vente de fréquences hertziennes -, l'actualisation de la LPM conduit à un « surcoût » de 2,2 milliards d'euros en 2016 et de près de 7 milliards d'euros sur la période 2016-2019. Alors que les moyens nouveaux accordés à la Défense devaient, en principe, être compensés par des redéploiements entre missions au sein de la trajectoire de la norme de dépense définie par la loi de programmation pour les années 2014 à 2019, au titre de l'exercice 2016, la norme de dépense est dépassée de près de 0,5 milliard d'euros, essentiellement en raison de la hausse des dépenses au sein de la mission « Défense » de 0,6 milliard d'euros. Dès lors, l'actualisation de la LPM, à laquelle votre commission était bien entendu favorable, est à l'origine d'un besoin de financement non comblé à ce jour de plus de 2 milliards d'euros en 2016 .

À cela, viennent s'ajouter diverses annonces récentes dont les conditions de financement n'ont pas encore été précisées. Il en va ainsi de la dévolution, à l'initiative de la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, d' une enveloppe de 15 millions d'euros afin de favoriser l'accueil de personnes handicapées dans des établissements médico-sociaux français , ou encore de l' abandon du prélèvement sur les intérêts de fonds placés dans des caisses de règlements pécuniaires des avocats (Carpa) par la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, qui conduit à l'apparition d'un besoin de financement de 5 millions d'euros en 2016 au titre de l'aide juridictionnelle et de 10 millions d'euros en 2017 - à supposer que le budget prévisionnel dédié à cette dernière demeure inchangé. À l'horizon 2017 également, le Président de la République, François Hollande, a annoncé une généralisation du service civique , qui conduirait à une hausse des dépenses dédiées de 150 millions d'euros. De même, celui-ci s'est engagé à ce que les financements alloués à l'action de la France pour le climat passent de 3 milliards à 5 milliards d'euros d'ici à 2020 , sans qu'il ne soit encore possible de déterminer quelle sera la place des crédits publics dans cette augmentation.

Enfin, de nouvelles dépenses ont été dévoilées sans qu'en soient précisés ni le coût ni les modalités de financement. Ainsi, le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, a promis, en octobre dernier, des mesures catégorielles en faveur des personnels de la gendarmerie et de la police nationale ; de même, le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé, le 26 octobre, l'introduction de caméras-piétons dans l'équipement des forces de l'ordre .

Aussi ces différentes zones d'ombre entourant le financement des mesures nouvelles en dépenses engagées par le Gouvernement, qui atteignent près de 2 milliards d'euros au seul titre de l'exercice 2016 , peuvent faire douter de la capacité de ce dernier à atteindre, in fine , son objectif de 50 milliards d'euros d'économies au cours de la période 2015-2017.

3. Des mesures d'économies qui restent à la surface des choses

La réalisation du programme d'économies de 50 milliards d'euros suppose la mise en oeuvre de réformes permettant de ralentir durablement la progression de la dépense publique. Or, le Gouvernement paraît éprouver des difficultés à engager des mesures structurelles d'économies, ayant privilégié jusqu'à présent la stratégie du « coup de rabot » . Ceci semble avoir significativement contribué à ce que la France affiche, aujourd'hui, une situation budgétaire parmi les plus dégradées de la zone euro .

a) Des comparaisons européennes défavorables à la France...

La comparaison des principaux indicateurs des finances publiques des différents États de la zone euro s'avère, en effet, particulièrement défavorable à la France . En premier lieu, dans notre pays, les recettes totales provenant des impôts et cotisations sociales - y compris sociales imputées 122 ( * ) - atteignaient 47,3 % du PIB en 2013 , soit plus de 6 points au-dessus de la moyenne de la zone euro, qui s'établissait à 41,2 % cette même année, et de 7 points à celle de l'Union européenne (40 % du PIB).

Graphique n° 28 : Évolution des dépenses publiques dans la zone euro
(2006-2014)

(en % du PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'Eurostat)

En deuxième lieu, la France présentait, en 2014, un ratio de dépenses publiques dans le PIB de 57,5 %, plus élevé de 8,1 points que le ratio moyen observé dans la zone euro , qui s'élevait à 49,4 % (cf. graphique ci-avant), et excédant celui des principaux États de la zone, soit l'Allemagne (44,3 %), l'Italie (51,2 %), l'Espagne (44,5 %) et les Pays-Bas (46,2 %). Aussi, la France constitue le pays qui présente à ce jour le plus haut niveau de dépenses publiques dans l'Union européenne , après la Finlande (58,3 % du PIB).

Pour autant, l'élément le plus préoccupant réside sans aucun doute dans la comparaison du taux d'évolution des dépenses publiques au sein de la zone euro. Alors que les dépenses publiques ont crû, en moyenne annuelle, de 2,1 % en valeur entre 2011 et 2014 en France, celles-ci n'ont progressé que de 0,9 % par an au cours de cette période dans la zone euro . En effet, la hausse annuelle a alors été de 1,4 % en Allemagne, de 0,8 % en Italie et de 0,2 % aux Pays-Bas ; les dépenses ont même reculé de 1,5 % chaque année en Espagne.

Le caractère dégradé de la situation budgétaire de la France, relativement à ses partenaires européens, résulte en grande partie d'une maîtrise insuffisante de la dépense publique , et ce d'autant plus que le taux de prélèvements obligatoires y affiche un niveau élevé (cf. infra ), qui a continûment augmenté au cours des dernières années. Par ailleurs, comme le fait apparaître le graphique ci-après, selon les prévisions de la Commission européenne publiées le 5 novembre dernier, la France demeurerait en 2016, comme en 2017, parmi les seuls pays de la zone euro affichant un solde effectif en deçà de - 3 % du PIB.

Graphique n° 29 : Le solde public dans la zone euro en 2015 et 2016

(en % du PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Commission européenne)

b) ... qui peine à engager des réformes structurelles d'économies

Cette maîtrise limitée de la dépense publique n'est sans doute pas sans lien avec les difficultés rencontrées par le Gouvernement à engager des réformes structurelles d'économies , seules à même de ralentir durablement la progression de la dépense. En effet, une récente étude réalisée par France Stratégie 123 ( * ) a permis de mettre en évidence le fait que les pays ayant le plus réduit leurs dépenses publiques étaient ceux qui s'étaient montrés les plus « sélectifs » , c'est-à-dire ayant le plus modifié la structure de leurs dépenses - par opposition aux pays qui recourent à la stratégie du « coup de rabot », consistant à procéder à une réduction homothétique des dépenses.

Or, la France ne semble pas faire preuve d'une grande sélectivité dans la réduction des dépenses publiques . Le « coup de rabot » reste largement utilisé par le Gouvernement afin de conforter sa trajectoire budgétaire ; ceci a déjà été mis en évidence dans les développements consacrés aux mesures d'économies complémentaires de 5 milliards d'euros engagés en 2015 afin de compenser les effets de la faible de l'inflation, dont une part significative reposait sur des annulations de crédits portant sur des « dépenses modulables » de l'État (cf. supra ).

Tableau n° 30 : Évolution des principales dépenses publiques (2011-2017)

% du PIB 2011

% du PIB 2014

Évolution relative 2014/2011

% du PIB 2017*

Évolution relative 2017/2014

Masse salariale

12,8

13,0

+ 1,6 %

12,5

- 3,8 %

Achats courants

5,1

5,2

+ 2,0 %

4,8

- 7,7 %

Prestations sociales

24,8

26,2

+ 5,6 %

25,6

- 2,3 %

Investissements

4,0

3,7

- 7,5 %

3,3

- 10,8 %

Autres dépenses

6,6

7,2

+ 9,1 %

7,1

- 1,4 %

Dépenses primaires

53,3

55,3

+ 3,8 %

53,3

- 3,6 %

Charges d'intérêts

2,6

2,2

- 15,4 %

2,2

0,0 %

* Prévisions du programme de stabilité 2015-2018

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee et du programme de stabilité 2015-2018)

De manière plus générale, l'essentiel des efforts d'économies consentis jusqu'à présent a concerné les dépenses les plus aisées à réduire sans réformes (cf. tableau ci-avant). Ainsi, entre 2011 et 2014, seules les dépenses d'investissement ont affiché une baisse relative , leur part dans le PIB ayant reculé de 7,5 % ; en outre, les dépenses dont la progression a été la plus faible au cours de cette période sont celles dédiées aux achats courants de biens et services et à la masse salariale , cette dernière ayant fortement ralenti en raison du « gel » du point d'indice de la fonction publique.

Par ailleurs, le Gouvernement ne paraît pas vouloir se départir de cette logique pour les années à venir, les prévisions d'évolution des dépenses publiques qui figurent dans le programme de stabilité 2015-2018 montrant que les réductions les plus fortes à l'horizon 2017 concerneraient les investissements et les achats courants .

Tableau n° 31 : Les revues de dépenses en 2016

Sous-secteurs des administrations publiques

Thèmes

Enjeux

Toutes administrations publiques

La formation initiale des fonctionnaires (toutes écoles sauf les écoles d'ingénieurs)

~ 250 M€

Toutes administrations publiques

L'optimisation des interventions en faveur du sport

13 Md€

Collectivités territoriales

Les budgets annexes des collectivités territoriales et de leurs syndicats

22 Md€

Collectivités territoriales

La gestion du Fonds de compensation de la TVA

6 Md€

Collectivités territoriales

La fonction achats des collectivités territoriales

9 Md€

Collectivités territoriales

Le patrimoine des collectivités territoriales

NC

Organismes de sécurité sociale

Les transports sanitaires

4,2 Md€

Organismes de sécurité sociale

Les soins à l'étranger des assurés

1 Md€

Agences

Le pilotage de la masse salariale des agences et des opérateurs

~ 17 Md€

État/agences

La gestion des aides agricoles de la politique agricole commune (PAC) par l'Agence de services et de paiement (ASP)

250 M€ et 2 000 ETP

État/agences

Mutualisation des forces d'hélicoptères

~ 200 M€

État/agences

Les zones franches d'activité

90 M€

Source : Annexe « Revues de dépenses » au projet de loi de finances pour 2016

Ainsi, de toute évidence, aucune réflexion n'a été engagée quant à la structure des dépenses publiques , grevant fortement les perspectives de redressement des comptes publics à moyen et long termes. À cet égard, il convient de relever que le dispositif de revue des dépenses, institué par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 124 ( * ) , doit encore faire ses preuves. En effet, dans le cadre du budget 2016, les économies découlant de la revue des dépenses s'élèveraient à 500 millions d'euros seulement , alors même que celle-ci a porté sur des politiques publiques d'ampleur, représentant des dépenses d'un montant total de près de 58 milliards d'euros. Si les revues constituent un instrument efficace afin de procéder à des réductions sélectives des dépenses publiques, encore faut-il que celles-ci bénéficient « à la fois d'une forte volonté politique et d'un fort degré d'appropriation des administrations concernées » 125 ( * ) , deux points pour lesquels il n'y a encore aucune certitude à ce jour.

Dans un document budgétaire annexé au projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement a détaillé les « thèmes » sur lesquels porteront les revues de dépenses au cours de l'année 2016, dans la perspective de la préparation du budget 2017. Ces revues porteront sur des dépenses représentant plus de 70 milliards d'euros (cf. tableau ci-avant).

c) La sensibilité de la trajectoire budgétaire à l'évolution de la dépense

Dans ces conditions, il paraît nécessaire d' examiner la sensibilité de la trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement au rythme d'évolution de la dépense publique , de manière à mesurer les effets d'un ralentissement moins fort qu'anticipé de cette dernière. À cet effet, des projections ont été réalisées à partir de deux scénarii :

- un premier scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 1,3 % en 2016 et 2017 , ce qui correspond au taux moyen d'évolution de la dépense en 2014-2015 ;

- un second scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 0,7 % sur la même période , soit une progression intermédiaire entre le taux d'évolution constaté en 2014-2015 et la prévision du Gouvernement.

Ces projections montrent que le non-respect de l'objectif d'évolution annuelle de la dépense publique en volume fixé dans le programme de stabilité aurait pour conséquence de dégrader fortement la trajectoire des soldes structurel et effectif et de la dette publique .

Une progression de la dépense publique de 1,3 % par an en volume en 2016 et 2017 conduirait ainsi à un déficit structurel d'environ 1,8 % du PIB en 2017 , contre une « cible » de 0,6 % du PIB. Le déficit effectif ne passerait pas en-dessous de 3 % au cours de la période considérée et « stagnerait » à 3,8 % du PIB en 2016 . Enfin, la dette publique augmenterait jusqu'en 2017 pour atteindre 98,3 % du PIB .

Si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an, le déficit structurel serait de 1,2 % du PIB en 2017 . Pour ce qui est du déficit effectif, celui-ci ne reviendrait pas en deçà du seuil de 3 % du PIB en 2017, s'élevant à 3,2 % du PIB, contre 3,5 % du PIB en 2016 . La dette publique, elle, serait supérieure de près d'un point de PIB en 2017 par rapport à la prévision, atteignant 97,3 % du PIB.

Ces résultats montrent bien que le Gouvernement n'a pas droit à l'erreur et devra donner plus de substance à son programme d'économies , en engageant les réformes nécessaires à un ralentissement pérenne de la dépense publique, s'il souhaite tenir ses engagements, en particulier en ce qui concerne le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017.

Tableau n° 32 : Sensibilité de la trajectoire des finances publiques à l'évolution des dépenses des administrations publiques

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

Hypothèses macroéconomiques

Croissance (en %)

0,2

1,0

1,5

1,5

Trajectoire présentée par le Gouvernement dans le cadre du PLF pour 2016

Évol. de la dépense en vol.*

1,2

1,4

0,3

0,1

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,3

- 2,7

Solde structurel

- 2,0

- 1,6

- 1,1

- 0,6

Ajustement structurel

0,6

0,4

0,5

0,5

Dette publique

95,6

96,3

96,5

96,5

Trajectoire en cas de croissance en volume de la dépense de 1,3 % en 2016 et 2017

Évol. de la dépense en vol.*

1,2

1,4

1,3

1,3

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,8

- 3,9

Solde structurel

- 2,0

- 1,6

- 1,7

- 1,8

Ajustement structurel

0,6

0,4

0,0

- 0,1

Dette publique**

95,6

96,3

97,1

98,3

Trajectoire en cas de croissance en volume de la dépense de 0,7 % en 2016 et 2017

Évol. de la dépense en vol.*

1,2

1,4

0,7

0,7

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,5

- 3,2

Solde structurel

- 2,0

- 1,6

- 1,4

- 1,2

Ajustement structurel

0,6

0,4

0,3

0,2

Dette publique**

95,6

96,3

96,7

97,3

* Évolution de la dépense publique en volume y compris crédits d'impôts

** Il est supposé que seule la variation de la dette imputable au déficit est sensible aux évolutions du PIB (les éléments exogènes, soit ceux non pris en compte dans le calcul du déficit mais comptabilisés dans la dette publique, conformément aux règles européennes - dettes contractées par le FESF, apports au capital du MES, etc. -, sont déterminés en retenant les hypothèses du projet de loi de finances pour 2016).

Source : commission des finances du Sénat (à partir des hypothèses du projet de loi de finances pour 2016 appliquées aux données établies par l'Insee en mars et octobre 2015)


* 116 Conférence de presse du 14 janvier 2014 du Président de la République, François Hollande.

* 117 Déclaration du 16 avril 2014 du Premier ministre, Manuel Valls.

* 118 Compte rendu de la communication d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur un projet de décret d'annulation de crédits transmis par le Gouvernement entendue par la commission des finances du Sénat le 10 juin 2015.

* 119 Avis du Comité d'alerte n° 2015-3 du 3 octobre 2015 sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie.

* 120 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

* 121 L'entrée en vigueur, en 2014, du nouveau système européen des comptes nationaux, dit « SEC 2010 », a modifié le traitement des crédits d'impôts « restituables », soit ceux correspondant à une créance et pouvant donner lieu à un versement de la part du Trésor public en cas de dépassement de l'impôt dû, qui sont désormais comptabilisés comme des dépenses publiques - alors qu'ils l'étaient auparavant en tant que moindres recettes. Aussi, dans un contexte marqué par la montée en puissance du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), afin de ne pas introduire de « rupture » dans les données relatives à l'évolution de la dépense publique, les données figurant dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au présent projet de loi excluent généralement les crédits d'impôts des dépenses des administrations.

* 122 Les cotisations sociales imputées représentent la part des prestations sociales fournies directement par les employeurs à leurs salariés, anciens salariés et autres ayants droits qui n'est pas financée par des cotisations sociales effectives à la charge des salariés. À titre d'exemple, des cotisations sociales sont imputées à l'État pour couvrir les pensions versées aux anciens fonctionnaires, ces dernières n'étant que partiellement financées par les cotisations sociales effectives des fonctionnaires actifs. Il convient de noter que les cotisations sociales imputées n'entrent pas dans le calcul du taux de prélèvements obligatoires.

* 123 N. Lorach et A. Sode, « Quelle sélectivité dans la réduction des dépenses publiques ? », La Note d'analyse - France Stratégie , n° 28, avril 2015.

* 124 Prévue par l'article 22 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, la revue de dépenses, mise en oeuvre chaque année, doit permettre de disposer d'une analyse complète de la dépense et des interventions publiques - sur la base d'objectifs chiffrés d'économies -, dont il est en principe tenu compte lors de la construction budgétaire. Ce dispositif porte également sur les dépenses fiscales.

* 125 N. Lorach et A. Sode, op. cit. , p. 3.

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