N° 164

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES

ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

( Seconde partie de la loi de finances )

ANNEXE N° 24

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Rapporteurs spéciaux : MM. Philippe ADNOT et Michel BERSON

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André, présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung, vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 165 à 170 (2015-2016)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

I. L'évolution des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » en 2016

1. Les crédits initialement proposés dans le projet de loi de finances pour 2016 étaient stables par rapport aux années précédentes, tant sur le périmètre « Enseignement supérieur » que pour les programmes « Recherche ».

Au total, la budgétisation 2016 a été réduite de 19 millions d'euros à périmètre constant après les votes de l'Assemblée nationale résultant d'une hausse de 100 millions d'euros sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et d'une diminution de 119 millions d'euros sur les programmes « Recherche ».

La diminution des moyens accordés à la recherche ne paraît pas cohérente avec la sanctuarisation des crédits annoncée par le Président de la République ni avec les enjeux qui lui sont associés. C'est un signal négatif envoyé aux chercheurs, aux entreprises innovantes qui s'appuient sur leurs travaux et aux pays avec lesquels la France est associée dans des programmes internationaux.

2. Les dépenses fiscales rattachées à la mission à titre principal s'élèvent à 6,3 milliards d'euros , soit une augmentation de 240 millions d'euros par rapport à 2015, compte tenu du passage de 5,3 milliards d'euros à 5,5 milliards d'euros de la dépense liée au crédit impôt recherche (CIR), qui représente près de 90 % du coût des dépenses fiscales de la mission.

II. Les programmes « Enseignement supérieur » (Philippe Adnot)

1. Le budget consacré à l'enseignement supérieur (programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante »), se trouve être préservé pour 2016 .

Déjà, le projet de loi de finances déposé devant l'Assemblée nationale prévoyait 15,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 1,6 % par rapport à 2015, et des crédits de paiement (CP) stabilisés à 15,3 milliards d'euros (- 0,04 % par rapport à 2015).

En outre, en première lecture à l'Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement a été adopté pour abonder le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » de 100 millions d'euros (en AE et en CP).

Si cette enveloppe supplémentaire devrait être attribuée aux établissements d'enseignement supérieur compte tenu de la dynamique du nombre d'étudiants, elle correspond surtout au montant du prélèvement sur fonds de roulement opéré par le Gouvernement sur 47 établissements en 2015 et constitue ainsi un « rattrapage » bienvenu pour 2016.

Compte tenu des crédits inscrits au titre de l'enseignement supérieur dans les autres programmes de la mission (enseignement supérieur agricole et organismes de formation supérieure et de recherche en matière économique et industrielle), l'enveloppe globale s'établit à 16,2 milliards d'euros en AE et 16 milliards d'euros en CP . Il convient de noter que 3,8 milliards d'euros sont consacrés à la recherche universitaire au sein de programme 150 (action 17 « Recherche »).

2. S'agissant plus spécifiquement du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », avant abondement de 100 millions d'euros par l'Assemblée nationale, les crédits de paiement étaient stables par rapport à 2015, avec 12,8 milliards d'euros, et les autorisations d'engagement en hausse de 1,6 % avec 12,9 milliards d'euros.

Les subventions pour charges de service public augmentent de 138 millions d'euros par rapport à 2015, pour atteindre 11,93 milliards d'euros. Cette hausse s'explique à la fois par divers transferts, notamment liés au passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE) de plusieurs établissements, l'application de mesures en faveur des agents de la fonction publique mais aussi à la création de 1 000 emplois dans l'enseignement supérieur, conformément aux engagements du Gouvernement de créer 5 000 emplois entre 2013 et 2017.

Le programme contribue par ailleurs à l'effort de redressement des comptes publics à hauteur de 20 millions d'euros sur les subventions pour charges de service public.

Avec une enveloppe contractualisée à hauteur de 990,25 millions d'euros pour l'État, dont 898,6 millions d'euros pour le programme 150, les contrats de plan État-régions 2014-2020 (CPER 2014-2020) sont d'une ampleur modeste et reposent utilement sur la rénovation et la mise aux normes du parc immobilier existant , et non uniquement sur la création de nouveaux bâtiments. Il faut espérer que les collectivités territoriales disposeront également des moyens nécessaires pour participer à la hauteur des attentes malgré la baisse de leurs dotations par l'État.

3. La préservation des crédits budgétaires inscrits au bénéfice des établissements de l'enseignement supérieur ne suffit pas et doit s'accompagner d'autres ressources qui peinent à se développer voire à se maintenir.

L'importante baisse des recettes issues de la taxe d'apprentissage ne peut ainsi qu'être regrettée , alors qu'elle était annoncée avant même l'adoption de la réforme. Selon une enquête menée sur un panel de 120 écoles 1 ( * ) , les recettes issues de la part « barème » de la taxe d'apprentissage auraient connu une baisse moyenne de 37 % (60 millions d'euros). Des solutions devront être trouvées pour combler ce manque .

Les frais d'inscription aux diplômes nationaux restent, par ailleurs, trop peu élevés et sont totalement décorrélés du coût des études suivies.

Il convient également de développer les contrats de recherche des universités et, à cette fin, votre rapporteur spécial présentera, à titre personnel, un amendement tendant à imposer un certain pourcentage de recherche universitaire dans l'assiette du crédit impôt recherche.

4. À la suite du passage aux responsabilités et compétences élargies, les universités ont amélioré leur gestion et ont mis à profit l'acquisition de leur autonomie . Elles connaissent globalement une situation financière satisfaisante .

À partir des constats et recommandations de la Cour des comptes dans son enquête sur le bilan de l'autonomie financière des universités, commandée par la commission des finances en vertu de l'article 58-2 de la LOLF 2 ( * ) , il apparaît désormais indispensable que l'autonomie soit poursuivie dans les domaines des ressources humaines et du patrimoine immobilier .

5. L'enseignement supérieur privé ne doit pas non plus être sacrifié, alors que ces établissements, sous contrat et qui participent à la réussite de plus de 80 000 étudiants, voient leur dotation maintenue à son montant de 2015 après trois années consécutives de baisse. Votre rapporteur spécial propose ainsi un amendement tendant à la réévaluer à hauteur de 84,5 millions d'euros (contre 78,9 millions d'euros initialement prévus).

6. S'agissant du programme 231 « Vie étudiante » , les crédits augmentent de 1,44 % en autorisations d'engagement et de 0,46 % en crédits de paiement, pour atteindre respectivement 2,54 milliards d'euros en AE et 2,49 milliards d'euros en CP.

Avec 2,1 milliards d'euros inscrits en 2016, les dépenses liées aux aides directes augmentent de 38,6 millions d'euros compte tenu de l'augmentation attendue du nombre de bénéficiaires des bourses sur critères sociaux et de la revalorisation de leur montant à hauteur de l'inflation. L'effort budgétaire en faveur des aides sociales directes versées aux étudiants reste donc élevé, alors que le nombre d'étudiants bénéficiant d'une bourse sur critères sociaux a augmenté de plus de 12 % entre 2010 et 2015.

En outre, l'enveloppe consacrée aux aides au mérite est en hausse de près de 23 millions d'euros , pour atteindre 50,9 millions d'euros en 2016, en raison du maintien du dispositif à la suite de la suspension de la circulaire prévoyant son extinction par le Conseil d'État et de la mobilisation des étudiants. Si votre rapporteur spécial ne peut que s'en féliciter, il regrette en revanche la réforme du Gouvernement tendant à réduire de moitié le montant de cette aide pour les nouveaux entrants et sa suppression pour le niveau master .

Les crédits de paiement consacrés aux dépenses d'opérations financières connaissent une baisse de 50 millions d'euros , à la fois justifiée par une réévaluation des besoins de décaissement au titre des opérations immobilières et par une plus grande mobilisation de la trésorerie des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous).

Si le « plan 40 000 » logements étudiants d'ici à 2017 semble avancer conformément aux attentes , avec près de 20 000 logements qui devraient être livrés à la fin de l'année 2015, les opérations immobilières doivent, plus généralement, s'accompagner d'une réflexion précise quant aux besoins réels des territoires et aux moyens employés .

III. Les programmes « Recherche » (Michel Berson)

1. Le budget total des programmes « Recherche » (172, 187, 190, 192, 191, 186 et 142) s'élèverait à 10,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 10,9 milliards d'euros de crédits de paiement en 2016 . Aussi les crédits correspondants reculeraient-ils, à périmètre constant , de 3,3 % en autorisations d'engagement et de 1,1 % en crédits de paiement, soit de respectivement 328,3 millions d'euros et de 118,5 millions d'euros.

2. À périmètre courant, les crédits diminuent de - 0,1 % en AE et augmentent de 1,8 % en CP en raison du rattachement sur le programme 190 de 321 millions d'euros destinés à financer une partie du coût du démantèlement des installations nucléaires du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Le financement de ces opérations était jusqu'ici partiellement assuré par la revente de titres Areva par le CEA à l'État et transitait par le programme 731 « Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État » du CAS « Participations financières de l'État ».

3. La préservation des crédits affichée par le Gouvernement doit être à la fois saluée et fortement relativisée . La part des programmes « Recherche » dans le PIB a connu, hors PIA, une diminution de 6 % de 2011 à 2014. La dynamique des dépenses de fonctionnement et de personnel menace, à crédits constants, la capacité d'investissement de certains organismes , d'autant plus qu'interviennent d'importantes diminutions de crédits en cours de gestion à travers les surgels. Ne paraît pas davantage encourageante la réduction significative des crédits alloués à la recherche dans le cadre des contrats de projet État région (CPER) .

4. La baisse de 119 millions d'euros sur le budget de la recherche, votée en seconde délibération, n'est acceptable ni sur le fond, si sur la forme . Elle porte essentiellement sur les programmes « Recherche » et plus particulièrement sur le programme 193 « Recherche spatiale » qui voit ses crédits réduits de près de 5 % (en AE=CP). La contribution française va donc être réduite, augmentant la dette de financement dont la France devra tôt ou tard s'acquitter .

Ces diminutions sur le périmètre des programmes « Recherche » s'accompagnent d'une augmentation de 100 millions d'euros sur le périmètre « Enseignement supérieur ». Depuis plusieurs années, les crédits alloués à la recherche servent de variable d'ajustement aux augmentations décidées dans d'autres domaines . Ce « coup de rabot » remet en cause l'engagement d'une sanctuarisation des crédits de la recherche : à périmètre constant, ces réductions de crédits correspondent à une diminution de 1 % en CP et de 3 % en AE des moyens accordés aux programmes « Recherche ».

C'est pourquoi votre rapporteur spécial propose de rétablir les 119 millions d'euros supprimés par l'Assemblée nationale.

5. En matière de recherche par projet, la baisse des crédits et des taux de succès des appels à projet de l'Agence nationale de la recherche (ANR) touche ses limites : la diminution se poursuit en 2016 alors même que votre rapporteur spécial avait déjà souligné l'année dernière que les crédits alloués à l'agence atteignaient un plancher en-dessous duquel le caractère incitatif des appels à projet serait remis en cause : ainsi, les crédits d'intervention de l'ANR passent de 575,1 millions d'euros en 2015 à 555 millions d'euros en 2016. Il en résulte une érosion progressive du taux de projets financés amplifiée par l'augmentation du nombre de projets soumis . Un taux de succès de 10 % est évidemment problématique en ce qu'il est peu incitatif pour les équipes de recherche . De nombreux interlocuteurs ont fait part à votre rapporteur spécial d'une certaine résignation des équipes de chercheurs , se voyant refuser l'octroi de financement sans que les projets ne reçoivent de critique claire sur le fond.

6. Le développement des ressources propres des organismes de recherche exige la mise en oeuvre de la facturation à coûts complets et de préciputs réalistes .

Le préciput reste fixé à 11 %, loin du taux de 25 % des programmes européens « Horizon 2020 » qui devrait être la norme de référence. Votre rapporteur spécial s'était, l'année dernière, félicité de l'augmentation substantielle du préciput de l'ANR qui devait passer de 11 % à 15 %. Cependant, force est de constater que le règlement financier de l'ANR ne prévoit aucune évolution sur ce point . De même, la règle demeure la facturation à coût marginal et non à coût complet : le paiement de la prestation ne recouvre alors que l'exact surcoût lié au programme sans prendre en compte les coûts liés au personnel permanent. Il ne s'agit pas seulement d'un problème de principe ou de bonne gestion budgétaire : la faiblesse du préciput et l'absence de facturation à coût complet remettent en cause l'idée même selon laquelle les ressources propres peuvent permettre aux organismes de recherche de trouver un nouveau souffle .

Ce problème important, et même grave pour certains opérateurs, ne peut recevoir que deux solutions : ou bien l'État augmente le préciput et généralise la facturation à coûts complets, ou bien il renonce à utiliser le développement des ressources propres (et la stabilisation associée des subventions budgétaires) comme levier de dynamisation des opérateurs de recherche.

7. La situation préoccupante de l'emploi scientifique appelle des mesures fiscales ciblées .

Dans le secteur public, face à la baisse des départs à la retraite, certains organismes de recherche ne disposent d'aucune marge de manoeuvre . La baisse du nombre de départs réduit mécaniquement le nombre d'embauches de chercheurs, d'ingénieurs et techniciens, quand bien même les remplacements de ces départs se feraient à un taux de un pour un - ce qui n'est souvent pas le cas en raison des contraintes budgétaires fortes qui pèsent sur les opérateurs. Dans le secteur privé, au vu de la faiblesse persistante du nombre de docteurs recrutés en entreprise , la modulation actuelle de l'assiette du crédit impôt recherche (CIR) en faveur de l'embauche de jeunes docteurs (les dépenses de personnel afférentes sont prises en compte pour le double de leur montant pendant deux ans) ne semble pas parvenir pas à renverser les difficultés que rencontrent traditionnellement les docteurs pour s'insérer dans le secteur de la recherche privée.

C'est pourquoi votre rapporteur spécial proposera, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2015, de conditionner l'application du seuil de 5 % à l'embauche de docteurs ou à un effectif important de docteurs au sein du personnel de recherche salarié .

8. L e taux de mise en réserve, d'une importance cruciale au regard de l'ampleur des annulations de crédits gelés, diffère selon le ministère de rattachement de l'organisme de recherche . Ainsi, un même opérateur financé par plusieurs programmes relevant de ministères différents peut connaître plusieurs taux de mise en réserve s'appliquant chacun à la subvention portée par le ministère considéré.

Cette situation semble injuste dans la mesure où le taux de mise en réserve doit être modulé au regard des contraintes effectives des opérateurs et non selon un critère purement formel qui dépend essentiellement du hasard et de l'histoire de l'organisme de recherche. Elle traduit les limites de la mise en oeuvre de la logique par mission prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 : les missions budgétaires, correspondant chacune à une politique publique de l'État, ne paraissent pas s'être imposées en matière d'arbitrages budgétaires, ceux-ci continuant d'être pris au niveau ministériel .

Votre rapporteur spécial considère donc que des travaux devraient être engagés quant à la constitution d'un budget unifié de la recherche : sans pour autant rattacher l'ensemble des opérateurs au ministère de la recherche, il s'agit de réfléchir aux modalités selon lesquelles l'ensemble des crédits de la recherche pourraient être rassemblés dans un instrument budgétaire qui permettrait la prise d'arbitrages globaux et équitables .

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 78,7 % des réponses étaient parvenues à vos rapporteurs spéciaux en ce qui concerne la mission « Recherche et enseignement supérieur ».


* 1 Enquête menée par la Conférences des grandes écoles (CGE) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI).

* 2 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Page mise à jour le

Partager cette page