II. LA FAIBLESSE DU BUDGET 2016 : LA SOUS-ÉVALUATION DE CERTAINES DÉPENSES

A. UN SURCOÛT OPEX TOUJOURS INSUFFISAMMENT PROVISIONNÉ

1. La sous-budgétisation du surcoût OPEX

Le « surcoût OPEX » ne représente pas l'intégralité du coût des opérations, mais les dépenses supplémentaires liées aux OPEX, composées « de coûts de rémunérations et charges sociales (personnel militaire et personnel civil de recrutement local), de transport stratégique, de contrats d'externalisation, de contributions aux budgets des opérations militaires de l'UE et de l'OTAN et de surcoûts de fonctionnement. Ces derniers représentent la différence entre les coûts de fonctionnement des unités déployées en opération extérieure et les économies réalisées en métropole du fait de l'absence de ces unités » 8 ( * ) .

La LPM 2014-2019 prévoyait un surcoût OPEX de 450 millions d'euros par an, constant sur la période. Ce niveau était déjà optimiste. Il est désormais clairement irréaliste. Pour mémoire, le surcoût OPEX s'est établi en 2014 à 1,12 milliard d'euros. Il atteindra un montant quasi identique en 2015, soit 1 119,9 millions d'euros selon les prévisions du ministère de la défense.

Détail des prévisions de surcoûts OPEX par opération, toutes armées confondues, pour l'année 2015

(en millions d'euros)

Zone

Théâtre

Opération

Titres 2 et 3

Titre 6 (5)

Total Prévision 2015 (6)

RCS

Alim.

Fonct.
(4)

Sous Total

Europe

Kosovo

TRIDENT

0,1

0,0

0,1

0,2

2,6

2,8

Bosnie

ASTREE

/

/

/

/

1,5

1,5

Afrique

RCI

CORYMBE, ONUCI/CALAO et LICORNE

9,9

0,9

11,2

22,0

/

22,0

EUTM MALI

0,9

0,0

1,3

2,2

1,4

3,6

Sahel

BARKHANE + MINUSMA

128,7

6,4

349,1

484,2

/

484,2

SABRE

14,9

3,0

60,5

78,4

/

78,4

RCA

SANGARIS + MINUSCA

47,1

1,3

100,1

148,5

/

148,5

EUMAM RCA (2)

2,7

/

4,2

6,9

1,3

8,2

Guinée

TAMARIN

3,3

/

13,0

16,3

/

16,3

Océan Indien

ATALANTE (3)

3,8

0,2

1,7

5,7

0,6

6,3

Asie

Liban

DAMAN

33,4

2,1

32,0

67,5

/

67,5

Afghanistan

PAMIR HERACLES

7,1

0,8

22,3

30,2

4,2

34,4

Levant

CHAMMAL

49,2

2,2

184,3

235,7

/

235,7

Autres opérations

2,8

0,1

5,8

8,7

1,8

10,5

Total

303,9

17,0

785,6

1 106,5

13,4

1 119,9

RCS : Rémunérations et charges sociales (titre 2) ; ALIM : Alimentation ; FONCT : Fonctionnement hors alimentation.

(1) Les surcoûts présentés sur la ligne "CORYMBE" englobent aussi ceux des opérations.

(2) EUMAM RCA fait suite à EUFOR RCA qui a pris fin le 15 mars 2015.

(3) ATALANTA (opération de l'UE) y compris le volet français de l'opération consistant à fournir des équipes de protection embarquées (EPE) à certains navires.

(4) Cette rubrique correspond au titre 3 hors alimentation. Elle comprend principalement les activités CHORUS suivantes : maintien en condition opérationnelle (MCO), entretien programmé des personnels (EPP), munitions, carburant opérationnel, transport stratégique, soutien au stationnement, fonctionnement courant, condition du personnel, déplacement des personnels, locations immobilières, soutien externalisé, actions civilo-militaires, télécommunications.

(5) Les dépenses réalisées sur le titre 6 correspondent aux contributions versées par la France aux budgets des opérations militaires des organisations internationales (UE/OTAN).

(6) A cette prévision de surcoûts s'ajoute la perte de recettes hospitalières du service de santé des armées en raison du niveau important de projection en OPEX des équipes chirurgicales. Cette perte est évaluée à 3,5 millions d'euros pour 2015.

Source : ministère de la défense

Interrogé par votre rapporteur spécial sur le surcoût 2016, le ministère de la défense explique qu' « il est prématuré d'établir une estimation des surcoûts, les premières orientations pour les OPEX devant être arrêtées au cours du dernier trimestre 2015 ».

Toutefois, selon votre rapporteur spécial, rien dans l'évolution prévisible des principales OPEX ne laisse penser que le surcoût 2016 sera significativement inférieur au niveau atteint en 2014 et 2015.

Pour autant, la loi actualisant la programmation militaire a maintenu le principe d'une provision annuelle de 450 millions d'euros et c'est bien ce montant qui figure dans le budget 2016.

Provision et surcoûts OPEX 2008-2016

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

En outre, les surcoûts OPEX, tel qu'établis selon une méthodologie commune au ministère de la défense et le ministère du budget, ne prennent pas en compte certains coûts directement liés aux OPEX, avec comme enjeu le montant de la prise en charge interministérielle de ces dépenses (voir infra ).

Coûts non pris en compte dans les surcoûts OPEX

En application d'une méthodologie présentée au ministère en charge du budget et servant de calcul aux surcoûts OPEX depuis 2010, les surcoûts OPEX retracent les dépenses supplémentaires engendrées par les opérations extérieures. Ces surcoûts agrègent deux éléments :


• les dépenses imputées sur des budgets opérationnels de programme (BOP) dédiés aux OPEX . Ces dépenses sont restituées dans le système d'information financière de l'État CHORUS. Elles comportent les éléments suivants :

- les dépenses de titre 2 - Rémunérations et charges sociales sur le BOP 0212-0093 OPEX-MISSINT, dont le sous-chef opérations de l'état-major des armées est responsable et dont le responsable de programme (le programme 212 Soutien de la politique de la défense regroupe, depuis 2015, l'ensemble des dépenses de personnel du ministère de la défense) est le secrétaire général pour l'administration (SGA) : indemnités de sujétion pour service à l'étranger (ISSE) 9 ( * ) et éventuels suppléments de l'ISSE du personnel militaire ; salaires et charges sociales du personnel civil de recrutement local (PCRL) ;

- les dépenses hors titre 2 sur le BOP 0178-0062 OPEX-MISSINT , dont le sous-chef opérations de l'état-major des armées est responsable et dont le responsable de programme est le chef d'état-major des armées :

- Titre 3 - Fonctionnement : fonctionnement courant des unités (dont gestion externalisée des camps), transport stratégique et carburant routier délivré sur les théâtres ;

- Titre 6 - Dépenses d'intervention : Elles comportent les contributions françaises aux budgets opérations de l'OTAN ainsi qu'au financement des opérations militaires de l'UE.


• les dépenses hors titre 2 ne pouvant être imputées au BOP 0178-0062 OPEX-MISSINT au moment de la consommation budgétaire 10 ( * ) . Ces dépenses dites « ex-post » comprennent exclusivement les éléments suivants : entretien programmé du matériel (EPM) et du personnel (EPP), équipement d'accompagnement du combattant (EAC), carburant, munitions.

Ce mécanisme de financement ne permet toutefois ni de retracer ni de financer un certain nombre de coûts parmi lesquels les dommages de guerre. Dans les missions où sont engagées les forces, les matériels peuvent subir des dommages de guerre . Si les matériels sont réparables, les réparations consécutives à ces évènements sont prises en compte au titre des dépenses ex-post d'entretien programmé du matériel (EPM) évoquées supra. En cas de perte ou de destruction, en revanche, le coût correspondant à la perte d'un élément du patrimoine de l'État ne fait l'objet d'aucune prise en compte.

La valeur des équipements détruits ou perdus en OPEX est estimée à 4,4 millions d'euros en 2013 et ne recouvre que des matériels terrestres. En 2014, la valeur de ces équipements détruits ou perdus en OPEX s'élève à 16,9 millions d'euros dont 15,2 millions d'euros de matériel aéronautique et 1,7 million d'euros de matériels terrestres.

En 2015, à ce stade, la valeur de ces équipements détruits ou perdus en OPEX s'élève à 6,7 millions d'euros comprenant uniquement des matériels terrestres.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

2. La non-prise en compte de la contribution du ministère de la défense au financement du dépassement de la provision OPEX

La sous-estimation du surcoût OPEX est assortie d'une disposition prévoyant qu'un éventuel dépassement de la provision fera l'objet d'un financement interministériel 11 ( * ) .

Cette garantie, imprécise, est toute relative, le Gouvernement déterminant la contribution de chaque ministère à ce financement, y compris celle du ministère de la défense.

En effet, alors que cela n'avait pas clairement transparu dans les débats parlementaires lors de l'examen de la loi de programmation militaire 2014-2019, le Gouvernement a considéré que ce financement interministériel s'effectuait dans le cadre plus large de la solidarité interministérielle, qui couvre également les besoins d'autres ministères et à laquelle la mission « Défense » contribue, en principe à proportion de son poids dans le budget général, et en pratique au-delà de ce poids selon la Cour des comptes (cf. tableau ci-dessous, les annulations excédentaires étant estimées à 79 millions d'euros).

Part des annulations des crédits de la mission « Défense »
en fin de gestion

Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire 2014, mission « Défense »

NB : missions RDEFE = missions « Remboursements et dégrèvements » et « Engagements financiers de l'État ».

Ainsi, les annulations de crédits de fin de gestion ont amputé le budget de la défense, essentiellement sur le programme 146 « Équipement des forces », de 650 millions d'euros en 2013 et 400 millions d'euros en 2014, montant qui s'ajoute à l'annulation de 202 millions d'euros en loi de finances rectificative du 8 août 2014 au titre de la participation à la baisse des dépenses de l'État. Sur ces montants, respectivement 111 millions d'euros en 2013 et 120 millions d'euros en 2014 sont directement liés au financement du surcoût OPEX.

Interrogé sur le fait de savoir si la contribution à la solidarité interministérielle, charge récurrente, était prise en compte par l'actualisation de la programmation militaire, le ministère de la défense a confirmé à votre rapporteur spécial que « cette contribution étant par nature aléatoire et imprévisible, elle ne peut être prise en compte ab initio dans le besoin de financement du ministère de la défense exprimé dans la loi pour la période de programmation. Elle a vocation, comme par le passé, à être traitée le cas échéant en gestion » .


* 8 Projet annuel de performances 2014 de la mission « Défense ».

* 9 Instaurée par le décret 97-901 du 1 er octobre 1997, l'ISSE est versée au personnel militaire envoyé à l'étranger dans le cadre d'une OPEX. Elle est égale à 1,5 fois la solde de base, complétée d'un supplément (SUP ISSE) par enfant.

* 10 Par exemple, un lot de munitions est acquis sans qu'il soit possible au moment de l'achat de garantir qu'il sera utilisé dans le cadre des OPEX ni, a fortiori , de préciser l'OPEX concernée.

* 11 L'article 4 de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 dispose qu'« en gestion, les surcoûts nets, hors titre 5 et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette dotation qui viendraient à être constatés sur le périmètre des opérations extérieures font l'objet d'un financement interministériel ».

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