II. SEULES DES ÉCONOMIES DE CONSTATATION PERMETTENT À L'ÉTAT D'AFFICHER UNE TRAJECTOIRE MAÎTRISÉE SUR LES DÉPENSES

A. 7,1 MILLIARDS D'EUROS REDÉPLOYÉS : UN SCHÉMA DE FIN DE GESTION D'UNE AMPLEUR INÉDITE

1. Un schéma de fin de gestion très significatif

Le présent projet de loi de finances rectificative présente le schéma de fin de gestion pour 2015 , c'est-à-dire de l'ajustement en fin d'exercice des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires tout en assurant le respect de la norme de dépenses . Les ouvertures - et les annulations qui visent à les gager - sont prévues à la fois dans le projet de loi de finances rectificative et, pour les plus urgentes d'entre elles, dans le projet de décret d'avance sur lequel la commission des finances a donné son avis et publié un rapport le 23 novembre 2015 64 ( * ) .

Si l'ouverture de crédits en fin d'année constitue une procédure somme toute classique, l'ampleur du schéma de fin de gestion pour 2015 mérite quant à elle d'être relevée.

Graphique n° 16 : schéma de fin de gestion de 2012 à 2015 (montant des ouvertures de crédits en fin de gestion hors redéploiement du PIA)

(en millions d'euros)

Note de lecture : les chiffres présentés sont la somme des crédits ouverts par le dernier projet de loi de finances rectificative de l'année et par le dernier décret d'avance de l'année.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ce sont ainsi près de 6 milliards d'euros (en crédits de paiement) qui doivent être ouverts , dont 1,7 milliard d'euros par décret d'avance et 4,3 milliards d'euros par le projet de loi de finances rectificative, auxquels il faut ajouter 1,1 milliard d'euros de redéploiement des fonds issus du programme d'investissements d'avenir (PIA) soit un total de 7,1 milliards d'euros redéployés par rapport aux arbitrages initiaux. À titre de rappel, le schéma de fin de gestion s'élevait à environ 2,1 milliards d'euros de 2012 à 2014 et les redéploiements du PIA ne dépassaient pas 600 millions d'euros en 2014, soit un total inférieur à 3 milliards d'euros en moyenne depuis le début du quinquennat.

Certes, l'année 2015 est marquée par plusieurs évènements tragiques et imprévus, dont les conséquences budgétaires ne pouvaient être anticipées en décembre 2014 . Le renforcement de la lutte contre le terrorisme à la suite des attentats de janvier a conduit à ouvrir 478 millions d'euros en 2015 . En effet, après les ouvertures prévues au profit de plusieurs ministères par le décret d'avance de mars, pour un total de 247 millions d'euros, a été constaté en fin de gestion un besoin de financement supplémentaire de 171 millions d'euros au titre de l'opération « Sentinelle » de déploiement des forces armées sur le territoire français et de 60 millions d'euros au titre de l'allègement du schéma d'emplois.

Encore faut-il ajouter à ce surcoût les efforts de redéploiement internes au ministère de la Défense et dans les autres ministères , qui n'ont par définition pas entraîné d'ouvertures de crédits supplémentaires et qui sont plus difficiles à quantifier. Le rapport de motivation du décret d'avance de mars les chiffrait à 150 millions d'euros pour le seul ministère de la Défense. Si cet ordre de grandeur est toujours valable, le coût total du renforcement des mesures anti-terrorisme s'élève au moins à 628 millions d'euros en 2015 .

C'est un montant certes important, mais qui ne représente qu'une fraction des ouvertures de crédits intervenues en cours d'année par décret d'avance et prévues par le schéma de fin de gestion.

Force est donc de constater que la très grande majorité des dépenses financées par les ouvertures en fin de gestion ne découlent pas de mesures relatives à la sécurité intérieure ou extérieure du pays mais des nombreuses annonces gouvernementales faites en cours d'année, en particulier concernant le nombre de contrats aidés, et qui exigent d'importants redéploiements. En matière de défense, la plus grande partie des ouvertures de fin de gestion procède des besoins constatés pour les opérations extérieures de l'État , engagées depuis plusieurs années et dont la sous-budgétisation est systématique, avant même le renforcement de nos actions militaires en Syrie .

Cette hausse des ouvertures ne traduit pas tant un dérapage des dépenses de l'État - puisque la majorité des ouvertures est compensée par des annulations - qu'une incapacité du Gouvernement à respecter les arbitrages qu'il a fixés, et que le Parlement a approuvés, en loi de finances initiale .

2. Une très faible lisibilité budgétaire des redéploiements intervenant sur le programme des investissements d'avenir

1,1 milliard d'euros de fonds issus du programme d'investissement d'avenir sont redéployés par le présent projet de loi de finances rectificative, dont 308 millions d'euros de subventions et 800 millions d'euros de prêts non bonifiés et non garantis transformés en dotations en fonds propres .

Les six modes de financement mis en oeuvre par le programme
d'investissements d'avenir

Les subventions budgétaires correspondent à un mode d'intervention de l'État relativement simple bien identifié : il s'agit d'une aide financière apportée directement à un projet. Relèvent également de cette catégorie les intérêts associés à une dotation non consommable.

Les prêts , instrument également classique de financement, doivent être distingués des avances remboursables , qui partagent plusieurs points communs avec les emprunts (inscription au bilan du lauréat, engagement de remboursement) mais s'en distinguent par l'absence de paiement d'intérêts.

La dotation en fonds propres est apportée au capital du porteur de projet, qui s'inscrit directement dans sa comptabilité. À l'inverse, la dotation non consommable n'est pas versée directement mais produit des intérêts dont bénéficie le lauréat (ces intérêts relevant de la catégorie des subventions).

Enfin, les dotations de fonds de garantie ne constituent pas directement des apports financiers mais consistent en une garantie sur les prêts, apportée aux créanciers du bénéficiaire.

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport d'activité 2014 du Commissariat général à l'investissement

À ces mouvements s'ajoutent d'autres redéploiements, qui ne sont pas retracés dans le projet de loi de finances rectificative : 165 millions d'euros de dotations non consommables, 100 millions d'euros de dotations en fonds propres et 30 millions d'euros de subventions, soit un total de 325 millions d'euros supplémentaires .

Votre rapporteur général constate également que sont créées, à travers les redéploiements, deux nouvelles actions du PIA : l'action « Innovation numérique pour l'excellence éducative », dotée au total de 168 millions d'euros, et l'action « Fonds de fonds de retournement » dotée de 75 millions d'euros.

La nature et les objectifs de ces mouvements ne sont pas retracés de façon très lisible dans le projet de loi de finances rectificative . Seules les actions destinataires des fonds sont indiquées, sans que cela ne permette d'apprécier l'opportunité et la régularité budgétaire des transferts ainsi opérés. Votre rapporteur général souligne donc le caractère incomplet voire lacunaire des informations transmises aux parlementaires sur ces enjeux pourtant importants. Cette situation n'est pas nouvelle : comme la Cour des comptes l'a relevé dans son récent rapport relatif aux programmes d'investissement d'avenir, « les redéploiements entre opérations du PIA ont été, notamment en 2013 et 2014, particulièrement complexes et la compréhension précise des mouvements de crédits concernés ne peut pas relever de la simple lecture des informations transmises » 65 ( * ) .

Malgré le manque d'éléments précis et détaillés, quelques remarques peuvent d'ores et déjà être formulées. Votre rapporteur général tient tout d'abord à marquer sa surprise devant l'apparente fongibilité d'un mode de financement à un autre : 800 millions d'euros sont ainsi transformés en dotations en fonds propres sans autre forme de procès, alors qu'il devait s'agir de prêts. Ces deux formes de financement ont, certes, une caractéristique commune : il s'agit de crédits dits « non maastrichtiens » en ce qu'ils n'ont pas d'impact sur le déficit public.

Tableau n° 17 : Impact budgétaire des différents modes de financement du
programme d'investissements d'avenir

Dette

Déficit budgétaire

Déficit maastrichtien

Dotations non consommables

Intérêts annuels

100 % l'année de la loi de finance

Intérêts annuels

Prêts et dotations en fonds propres

Impact lors du décaissement

100 % l'année de la loi de finance

0 % au décaissement, impact si réévaluation ultérieure

Subventions

Impact lors du décaissement

100 % l'année de la loi de finance

100 % au décaissement

Avances remboursables

Impact lors du décaissement

100 % l'année de la loi de finance

100 % au décaissement (impact positif les années de remboursement)

Source : commissariat général à l'investissement

Une différence de taille doit cependant être soulignée : si les prêts ont vocation à être, un jour, remboursés, ce n'est évidemment pas le cas de dotations en fonds propres .

Sur le fond, la pertinence de l'allocation de 158 millions d'euros au plan numérique pour l'éducation peut être interrogée au regard des conclusions pour le moins circonspectes de l'OCDE sur l'impact de tels plans. Ainsi, l'organisation rappelle qu'« au cours des 10 dernières années, les pays qui ont consenti d'importants investissements dans les TIC dans le domaine de l'éducation n'ont, en moyenne, enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences » . Votre rapporteur général souscrit pleinement à l'analyse du rapporteur spécial Gérard Longuet selon lequel « la fourniture à l'ensemble des élèves de 5 e d'un appareil informatique individuel tient au mieux de l'accessoire » . Sur la forme, l'utilisation de crédits du PIA pour financer des dépenses d'équipement des établissements scolaires instaure un précédent dont la conformité aux règles de gestion du PIA est douteuse. À titre de rappel, la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 qui a mis en place le premier programme des investissements d'avenir prévoyait que les crédits ouverts financent des investissements « visant à augmenter le potentiel de croissance de la France », dans des projets « à haut potentiel pour l'économie » . L'impact sur la croissance économique et le potentiel de production de la France résultant de la distribution de tablettes à des collégiens est, au mieux, très incertain.

Votre rapporteur général souligne donc, avec la Cour des comptes, la nécessité d'un suivi clarifié des investissements d'avenir et de la mise en oeuvre de modalités de contrôle plus étendues du Parlement sur cet objet extrabudgétaire dont le Président de la République a annoncé la pérennisation. Il considère que les redéploiements sur les fonds issus du programme d'investissement d'avenir devraient faire l'objet d'une présentation détaillée du Premier ministre voire d'un article distinct qui pourrait s'ajouter aux trois articles du titre premier de la seconde partie du projet de loi de finances rectificative prévoyant les autorisations budgétaires pour 2015. Si le PIA est pérennisé, ses règles de gestion et ses modalités de contrôle doivent être rapidement normalisées .

3. Des reports importants prévus de 2015 à 2016, attestant d'une exécution 2015 heurtée

L'analyse des premières tendances qui se dégagent de l'exécution 2015 ne saurait être complète en l'absence d'éléments relatifs aux reports de crédits, qui ne sont cependant pas retracés dans le projet de loi de finances rectificative mais dont une présentation - très partielle - est faite dans le projet de loi de finances de l'année à venir .

L'encadrement des reports de crédits

Les reports consistent, comme leur nom l'indique, à permettre le reversement des crédits non consommés d'un exercice à l'autre - à rebours d'une stricte logique d'orthodoxie budgétaire qui voudrait que les crédits non consommés soient annulés et que d'éventuels besoins sur l'année à venir soient couverts par des ouvertures en loi de finances initiale.

La justification du report peut être trouvée dans le fait que l'impossibilité de reporter les crédits non utilisés d'une année sur l'autre risque fort de conduire à une accélération des dépenses en fin d'année au détriment de l'efficience de la dépense publique. L'autorisation des reports de crédits, assortie de limites et de contrôles, paraît donc sinon souhaitable, du moins inévitable.

Cette solution suppose cependant une maîtrise suffisante de la chaîne de la dépense afin d'une part de limiter le plus possible les cas de report , d'autre part d'être en capacité d'assurer un traitement budgétaire efficace de dépenses dont les crédits ne se rattachent pas à l'exercice en cours.

L'article 15 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) prévoit ainsi que les autorisations d'engagement peuvent être reportées sans limitation de montant. En revanche, le report des crédits de paiement (hors dépenses de personnel) ne peut excéder la limite globale de 3 % de l'ensemble des crédits initiaux inscrits sur les mêmes titres du programme à partir duquel les crédits sont reportés. Ce plafond peut toutefois être majoré par une disposition de loi de finances .

En conséquence, la loi de finances initiale fixe chaque année une liste de programmes qui pourront bénéficier de reports supérieurs au plafond de 3 %. À cette limite quantitative s'ajoutent plusieurs autres contraintes : les arrêtés de report doivent être publiés au plus tard le 31 mars de l'année du report et le report ne peut intervenir que sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs.

Source : commission des finances du Sénat

Après l'examen du projet de loi de finances pour 2016 au Sénat, vingt-huit programmes devraient faire l'objet de reports supérieurs au plafond fixé par la LOLF .

Le Parlement ne dispose pas du total des reports prévus ni même d'un ordre de grandeur. Pourtant, des reports trop élevés seraient de nature à remettre en cause la sincérité de la budgétisation initiale dans la mesure où ils auraient pour effet de mettre à disposition des gestionnaires des moyens significativement supérieurs aux plafonds votés par le Parlement. Seul le projet de loi de règlement, qui intervient en général près de six mois après la fin de l'exercice budgétaire, indique le montant des reports de crédits.

Ainsi, en 2014, ceux-ci se sont élevés à 21,3 milliards d'euros en AE et 6,8 milliards d'euros en CP , soit respectivement 4,3 % et 1,4 % du total des crédits prévus en loi de finances initiale et en loi de finances rectificative.

Votre rapporteur général propose donc que le gouvernement dépose chaque année, avant le 1 er juin, un rapport présentant le montant total des crédits reportés , l'impact sur les crédits disponibles des engagements de crédits par anticipation et des reports de crédits. La date limite de remise du rapport est identique à celle de publication des annexes au projet de loi de règlement.


* 64 Rapport d'information relatif au décret d'avance de fin de gestion pour 2015, Albéric de Montgolfier, 2015-2016.

* 65 Cour des comptes, p. 46 du rapport.

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