C. MIEUX LUTTER CONTRE LE COMMUNAUTARISME

Si la proposition de loi constitutionnelle apparaît inopportune à votre commission, en l'état de sa rédaction et compte tenu des effets juridiques qui ne manqueraient pas d'en résulter, il n'en reste pas moins qu'elle met utilement en lumière un phénomène préoccupant de montée du communautarisme au sein de la société française. Entendu par votre rapporteur, notre collègue Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi, a d'ailleurs fortement insisté sur ce phénomène, résultant selon lui de la défaillance des pouvoirs publics à mettre en oeuvre une conception exigeante de la laïcité.

Votre rapporteur partage très largement les observations exprimées par notre collègue et les préoccupations qui sous-tendent la présente proposition de loi constitutionnelle concernant le communautarisme.

Certes, l'article 1 er de la Constitution affirme que la République « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion », tandis que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 affirme que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

Sur le fondement de ce principe d'égalité, le Conseil constitutionnel s'oppose, à juste titre, à la reconnaissance de droits collectifs, attribués du fait de l'appartenance d'un individu à un groupe donné, justifiés par des critères particuliers, notamment d'origine, de langue, de culture ou de religion 80 ( * ) . Il se situe ainsi pleinement dans la tradition constitutionnelle républicaine.

Néanmoins, la société tend aujourd'hui à se fragmenter. Les aspirations communautaires se font entendre de façon croissante, encouragées parfois par certaines pratiques remettant en cause une conception républicaine exigeante du principe d'égalité. Ainsi, en réponse à leurs revendications particulières de traitement différencié pour des motifs, notamment, de croyance religieuse, des catégories de personnes se voient reconnaître un traitement particulier ou des exonérations qui peuvent apparaître comme autant de dérogations au principe d'égalité devant la norme commune, pour l'accès ou l'accomplissement du service public ou bien dans le cadre professionnel. L'actualité en propose de nombreux exemples, par exemple à l'école, en prison, à l'hôpital ou encore dans l'entreprise : mixité des cours de sport, menus des cantines scolaires, contenu des enseignements, refus de l'autorité d'une femme ou du contact d'un homme, jours d'absence pour des fêtes religieuses hors des jours fériés prévus par le code du travail ou encore adaptations particulières en matière d'application du droit du travail (règles d'hygiène et de sécurité, aménagement des horaires et des jours de travail, professions en contact avec l'alimentation, dérogations au règlement intérieur de l'entreprise...). Il arrive même que des employeurs adaptent les règles de leur propre initiative pour tenir compte des prescriptions religieuses auxquelles certains salariés se disent attachés.

Il semble à votre rapporteur que notre droit n'offre pas, aujourd'hui, un appui solide aux agents publics comme aux employeurs pour refuser de telles revendications et de telles pratiques. Pour autant, telle qu'elle est rédigée, la proposition de loi constitutionnelle soumise à votre commission ne répond pas véritablement aux préoccupations relatives au communautarisme et ne renforcera en rien la capacité de notre système juridique à s'y opposer, en particulier dans le monde du travail et de l'entreprise.

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En conséquence, à l'initiative de son rapporteur, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution.


* 80 Par exemple, dans ses décisions n° 99-412 DC du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, le Conseil a considéré que les articles 1 er et 3 de la Constitution « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ». Dans sa décision du 19 novembre 2004 précitée, le Conseil a ajouté que les dispositions de l'article 1 er de la Constitution selon lesquelles la France est une République laïque « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».

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