Rapport n° 342 (2015-2016) de M. François PILLET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 janvier 2016

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N° 342

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 janvier 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi constitutionnelle de M. Jacques MÉZARD et plusieurs de ses collègues visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l' article 1 er de la Constitution ,

Par M. François PILLET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Sénat :

258 et 343 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 27 janvier 2016, sous la présidence de M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. François Pillet , la proposition de loi constitutionnelle n° 258 (2015-2016), déposée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE, visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution .

Cette proposition de loi constitutionnelle aurait pour effet de donner une valeur constitutionnelle aux principes affirmés par les articles 1 er et 2 de la loi du 9 décembre 1905, selon lesquels « la République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes », dans le respect de l'ordre public, et « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Le rapporteur a considéré que la proposition de loi constitutionnelle n'apporterait rien au droit positif en matière de protection de la laïcité. En revanche, son adoption remettrait en cause de larges pans du régime actuel des cultes , en rendant inconstitutionnels les dispositions législatives dérogeant à l'interdiction de subventionner les cultes, dont certaines résultent de la loi de 1905 elle-même (entretien des édifices cultuels, avantages fiscaux, garanties d'emprunt, baux emphytéotiques...), ainsi que les régimes locaux spécifiques en matière cultuelle (Alsace-Moselle et outre-mer).

En effet, comme le Conseil constitutionnel l'a indiqué dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, le principe constitutionnel de laïcité, qui résulte de l'article 1 er de la Constitution et de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, n'inclut pas le principe d'interdiction de subventionner les cultes, qui figure dans la loi de 1905, et n'interdit pas le maintien du régime local d'Alsace-Moselle en matière cultuelle.

Après avoir exprimé son attachement au principe de laïcité, lequel n'est pas incompatible avec l'existence de législations particulières qui permettent de subventionner les cultes ou qui correspondent à des traditions locales dans des territoires où la loi de 1905 n'a pas été rendue applicable, la commission a considéré que les conséquences qui résulteraient de l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle n'étaient pas souhaitables.

En outre, la commission a considéré que cette proposition, en l'état de sa rédaction, ne permettait pas d'apporter des réponses pertinentes aux enjeux actuels en matière de laïcité, résultant de certaines expressions religieuses dans l'espace public ou dans le monde du travail, liées notamment à l'islam.

En conséquence, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

À l'occasion des 110 ans de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, notre collègue Jacques Mézard et plusieurs membres du groupe RDSE ont déposé, le 15 décembre 2015, une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution.

Cette initiative témoigne - si besoin en était - de l'actualité du principe de laïcité, tout en reprenant l'une des propositions formulées par le Président de la République lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, lequel avait proposé d'inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 à l'article 1 er de la Constitution. Lors de sa conférence de presse du 5 février 2015, le Président de la République a d'ailleurs estimé que la loi de 1905 ne saurait subir de modifications, ni même d'accommodements. Selon lui, la laïcité définie comme la « séparation de l'État et des cultes » doit « être comprise pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la liberté de conscience et donc la liberté des religions ».

Si le texte de la proposition de loi constitutionnelle soulève plusieurs interrogations juridiques, votre commission souscrit pleinement à la pertinence du débat auquel nous invite une telle initiative, dans le contexte particulier que traverse aujourd'hui notre pays, à la suite des attentats de janvier et novembre 2015, commis au nom de l'islam.

L'examen de cette proposition par le Sénat fait involontairement écho à certaines controverses médiatiques sur la laïcité, controverses fréquentes dans la période actuelle, au gré de l'actualité. Votre rapporteur observe que plusieurs conceptions de la laïcité peuvent effectivement sembler s'affronter, en fonction notamment de la place, de la visibilité et des facilités que l'on peut accorder aux religions dans l'espace public, en réponse à certaines revendications, au-delà de la question consensuelle de la neutralité religieuse de l'État. Aussi l'examen de ce texte doit-il nous permettre de nous extraire des querelles de l'instant, pour revenir aux principes fondateurs, à l'aide d'une analyse juridique rigoureuse.

D'application d'abord conflictuelle, notamment avec l'Église catholique compte tenu de son influence dans la société française, la loi du 9 décembre 1905 est aujourd'hui perçue comme une loi de pacification, de paix civile, qui permet la coexistence de l'État et des différentes religions.

Laïciser l'État, en assurant sa neutralité religieuse, dans le respect des convictions religieuses de chacun, sans pour autant vouloir laïciser la société, tel est, selon votre rapporteur, l'acquis durable et bénéfique de cette loi fondatrice, parmi d'autres, de la République française. Les religions ont toute leur place dans la société civile, dans le respect de l'ordre public, sans pour autant que soit menacée la neutralité de l'État. La difficulté ne réside pas tant dans l'énoncé de ces principes, communément admis, que dans leur application concrète dans la société d'aujourd'hui, d'autant que la laïcité, notion protéiforme et spécificité française, peut susciter des interprétations variées, voire des incompréhensions.

En effet, la loi de 1905 a été conçue alors que l'islam n'était pas présent démographiquement comme il l'est aujourd'hui sur le territoire français. Il en ressort aujourd'hui des interrogations d'une nature différente de celles de 1905, comme l'illustrent depuis une trentaine d'années les débats sur l'islam ou, plus spécifiquement, sur le port du voile. Aussi l'examen de la présente proposition de loi constitutionnelle doit-il être replacé dans ce double contexte d'une relation aujourd'hui apaisée entre l'État et les cultes traditionnellement présents en France et d'un débat actuel parfois vif sur la place de l'islam en France.

Chacun s'accorde sur les principes devant régir, d'une part, l'État et les personnes publiques, soumis à une règle de neutralité en matière religieuse, et, d'autre part, l'espace privé, dans lequel la liberté de conscience et de croyance est évidemment la règle. Le débat porte en réalité sur l'expression des cultes dans l'espace public, lieu de rencontre entre l'État et les individus : que peut-on faire dans l'espace public, jusqu'où peut-on exprimer ses convictions religieuses et dans quelles limites peut-on légiférer au nom des exigences d'ordre public ? À plusieurs reprises, le législateur est intervenu en la matière, pour fixer des règles particulières, selon des approches variées liées au type d'espace public et à la nature de l'expression religieuse. En tout état de cause, votre rapporteur insiste sur le fait que la loi de 1905 autorise l'expression religieuse dans l'espace public.

Il est apparu à votre commission que la constitutionnalisation des principes de la loi de 1905, comme le propose cette initiative du groupe RDSE, conduirait à remettre en cause l'équilibre subtil du droit des cultes en France, qui ne se résume pas au seul texte de 1905, alors même qu'il n'est plus guère contesté aujourd'hui. En outre, une telle constitutionnalisation n'apporterait pas une réponse satisfaisante aux questions relatives au communautarisme ou à certaines expressions contestées de l'islam en France.

En conséquence, à l'initiative de son rapporteur, votre commission des lois n'a pas adopté cette proposition de loi constitutionnelle, tout en ouvrant une réflexion sur les sujets qu'elle soulève.

En vue de l'élaboration de son rapport, votre rapporteur a tenu à entendre plusieurs professeurs de droit et experts, afin de mieux appréhender les conséquences juridiques pouvant résulter de l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle. En revanche, il n'a pas sollicité les représentants des cultes et des sociétés de pensée, non parce qu'ils n'étaient pas concernés par le texte, au contraire, mais parce que les conclusions de rejet qu'il entendait soumettre à la commission ne rendaient pas nécessaires ces auditions, dans les délais très contraints qui lui étaient impartis.

I. LA LOI DE 1905 : UNE LOI FONDATRICE DE LA LAÏCITÉ, SANS ÊTRE LA SOURCE EXCLUSIVE DU RÉGIME JURIDIQUE DES CULTES

Coeur de la laïcité à la française, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État ne contient aucune référence explicite à cette notion. Loi de liberté et d'organisation des cultes, elle est néanmoins considérée comme le pilier de la laïcité, en ce qu'elle sépare les autorités religieuses de l'État et assure à ce dernier sa neutralité confessionnelle. D'autres textes ont complété, après 1905, l'édifice législatif du droit des cultes initié en 1905.

La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État est présentée en annexe du présent rapport.

A. LA GENÈSE ET LA MISE EN oeUVRE DE LA LOI DE SÉPARATION DE 1905, ASSURANT LA NEUTRALITÉ DE L'ÉTAT ET LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

Dans un article récent, M. Jean-Pierre Machelon, professeur de droit et président en 2006 de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics 1 ( * ) , rappelle le statut particulier de la loi de 1905. Tout en étant une loi ordinaire, elle « est devenue une espèce de vache sacrée, un totem de la République ». Alors même qu'elle ne la nomme pas, cette loi « constitue "le coeur" de la laïcité (Jean Baubérot), laquelle, paradoxalement, se trouve depuis 1946 au sommet de l'ordre juridique sans être définie juridiquement » 2 ( * ) .

1. La laïcisation progressive des services publics dans les premières décennies de la IIIème République

La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État couronne un mouvement de sécularisation des services publics, entamé dès le début des années 1880. En effet, à la suite de la démission de Mac Mahon de la Présidence de la République, le 30 janvier 1879, les républicains s'étaient assigné comme objectif de laïciser l'ensemble des services publics.

Deux décrets du 29 mars 1880 eurent ainsi pour objectif d'expulser les jésuites de France et d'imposer aux autres congrégations religieuses l'obligation de solliciter une autorisation dans un délai de trois mois, sous peine de dissolution et de dispersion.

La laïcisation de la société fut poursuivie, la même année, par la réforme de l'enseignement public engagée par Jules Ferry, alors président du Conseil. En février 1880, les ecclésiastiques furent exclus du conseil supérieur de l'instruction publique. Le mois suivant, les congrégations religieuses furent contraintes de quitter leurs instituts d'enseignement. La loi du 21 décembre 1880 sur l'enseignement secondaire des jeunes filles, à l'initiative de Camille Sée, institua les collèges et lycées publics de jeunes filles, dont le programme était différent de celui des établissements pour garçons, mais dont l'objectif était de donner des « compagnes républicaines aux hommes républicains ». Par la loi du 16 juin 1881, l'enseignement primaire devint gratuit, tandis que la loi du 28 mars 1882 relative à l'obligation et à la laïcité de l'enseignement introduisit la laïcité dans les écoles publiques, dans le programme desquelles était également supprimé l'enseignement de la morale religieuse au profit d'une instruction morale et civique. Un jour par semaine était toutefois réservé à l'enseignement éventuel du catéchisme.

La loi du 30 octobre 1886 portant sur l'organisation de l'enseignement primaire, à l'initiative de René Goblet, alors président du Conseil, prolongea la loi du 28 mars 1882 en remplaçant le personnel congréganiste par un personnel exclusivement laïque dans les écoles publiques.

Les établissements d'assistance aux malades, aux vieillards et aux infirmes - dans lesquels l'influence de l'Église était réelle - firent également l'objet d'une politique de laïcisation. Le personnel congréganiste de l'Assistance publique fut, là encore, remplacé par un personnel laïque, formé dans des écoles spécialement créées à cet effet. En outre, furent supprimés les postes d'aumôniers des hôpitaux et hospices, de même que les crédits affectés au culte dans ces établissements.

Au cours de cette même période, d'autres mesures contribuèrent à la laïcisation des pouvoirs publics et, plus largement, de la société : abrogation de l'interdiction du travail le dimanche, suppression des prières publiques lors de la rentrée parlementaire 3 ( * ) , priorité du mariage civil sur le mariage religieux, divorce ou encore soumission des clercs à l'obligation du service militaire.

2. Une marche progressive vers l'adoption de la loi de séparation

Le 15 août 1904, Jean Jaurès écrivait dans La dépêche de Toulouse : « Il est temps que ce grand mais obsédant problème des rapports de l'Église et de l'État soit enfin résolu pour que la démocratie puisse se donner tout entière à l'oeuvre immense de réforme sociale et de solidarité humaine que le prolétariat exige. » Quelques jours plus tôt, lors d'un discours prononcé à Rouen, le 2 juillet 1904, il considéra qu'après « la laïcisation du mariage, de la famille, de l'école, il convenait de laïciser l'État par cette oeuvre qui s'appelle la séparation ». En effet, malgré les nombreuses mesures prises depuis années 1880 en matière de laïcisation des services publics, il estimait que « l'émancipation des consciences voulue par les Républicains n'était pas terminée, ni le pas décisif franchi » .

Le contexte politique de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème siècle favorisera ainsi l'adoption de la loi de 1905.

a) La reprise du débat sur la neutralité religieuse de l'État

Jusqu'au début du XX ème siècle, l'idée d'une séparation des Églises et de l'État n'allait pas de soi : ainsi que le rappelle M. Jean-Pierre Machelon, « il existait une sorte d'accord général pour s'accommoder de la situation faite à la religion majoritaire » 4 ( * ) , régie par la convention du 26 messidor an IX (15 juillet 1801) qui prévoyait la nomination des évêques et des archevêques par le Gouvernement, auxquels le pape accordait l'institution canonique. En échange de l'abandon des biens ecclésiastiques nationalisés par les lois révolutionnaires, l'État assurait, en contrepartie, « un traitement convenable aux évêques et aux curés » 5 ( * ) . Par ailleurs, évêques et prêtres devaient prêter serment de fidélité au Gouvernement, tandis que l'autorité civile prenait des règlements de police relatifs à l'exercice du culte. Les Articles organiques du 18 germinal an X (8 avril 1802), qui tendaient à appliquer le concordat conclu avec le Saint-Siège, reconnaissaient aux pasteurs protestants les mêmes avantages qu'aux prêtres catholiques.

Ainsi, entre 1801 et 1905, période pendant laquelle s'appliqua le régime concordataire, la nomination des évêques reposait sur une négociation entre les autorités civiles et religieuses : ils étaient nommés sur proposition du ministre chargé des cultes après l'accord préalable du nonce apostolique. Si cette pratique fut source de nombreuses frictions sous la III ème République - Georges Clemenceau la qualifiait de « discordat » -, plusieurs républicains restaient attachés au maintien du concordat en ce qu'il favorisait l'exercice public de la religion. Toutefois, les radicaux restaient fidèles au programme de Belleville, défendu par Léon Gambetta en 1869, qui prônait notamment la séparation des Églises et de l'État.

L'affaire Dreyfus provoqua « une nouvelle poussée d'anticléricalisme d'État dont les congrégations firent les frais les premiers » 6 ( * ) et qui favorisa une accélération du processus législatif conduisant à la séparation des Églises et de l'État. La loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association en fut le premier acte. Considérée comme le « concordat des congrégations », elle visait à autoriser la création de toutes sortes d'associations, sous réserve qu'elles ne soient pas confessionnelles, mais soumettait les congrégations à un régime de surveillance exceptionnelle. Dès lors, celles-ci ne jouissaient que d'une capacité civile limitée. Les congrégations non autorisées disposaient d'un délai de trois mois pour se mettre en conformité avec la loi, sous peine d'être dissoutes de plein droit.

En devenant président du Conseil en 1902, Émile Combes 7 ( * ) conféra à ce nouveau régime d'autorisation une portée rétroactive, s'appliquant ainsi aux congrégations créées sur le fondement de la loi du 30 octobre 1886. Puis la loi du 7 juillet 1904 interdit ensuite à tous les congrégationnistes « l'enseignement de tout ordre et de toute nature ». S'ensuivit toute une série de mesures tendant à combattre l'influence de l'Église : changement de noms de rues portant un nom de saint, fermeture de 2 500 écoles religieuses, promotion systématique des fonctionnaires anticléricaux et révocation de ceux qui étaient catholiques. C'est dans ce contexte d'une politique délibérément anticléricale qu'éclata l'affaire dite des fiches, liée à une enquête portant sur les pratiques religieuses des hauts fonctionnaires et des hauts gradés de l'armée, qui contraignit le gouvernement d'Émile Combes à la démission en janvier 1905.

La fermeture des établissements religieux non autorisés provoqua des manifestations, parfois violentes, qui incitèrent la Chambre des députés à mettre en place, le 18 juin 1903, une commission relative à la séparation des Églises et de l'État et à la dénonciation du concordat chargée d'examiner le projet de loi et les diverses propositions de loi concernant la séparation des Églises et de l'État. Le rapporteur en fut Aristide Briand, député de la Loire.

L'affaire des évêques de Laval et de Dijon, présentée dans l'encadré ci-après, conduisit à une rupture des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et les autorités françaises, en juillet 1904. La voie était désormais libre pour l'adoption d'une loi de séparation des Églises et de l'État, visant au premier chef le culte catholique.

L'affaire des évêques de Laval et de Dijon

En violation des règles concordataires, le pape Pie X, qui avait succédé à Léon XIII en 1903, refusa d'investir quatre évêques nommés par l'État français.

Puis, en avril 1904, le Président de la République, Émile Loubet, effectua une visite en Italie, à l'invitation du roi, suscitant ainsi la colère du pape, qui interpréta ce déplacement comme une reconnaissance, par la République française, de l'annexion de Rome par la maison de Savoie, en 1870, le pape se considérant comme prisonnier au Vatican de l'État italien.

À la suite de cet incident diplomatique, Jean Jaurès publia, dans L'Humanité , le 17 mai 1904, la note qui lui avait été remise secrètement par le prince Albert de Monaco et que le Saint-Siège avait adressée aux pays étrangers, dans laquelle le Vatican indiquait qu'il ne maintenait ses relations avec la République française que dans l'attente de la chute prochaine du gouvernement français. L'indignation qui suivit cette divulgation conduisit le gouvernement à rappeler l'ambassadeur de France auprès du Vatican.

La rupture des relations diplomatiques fut consommée dès le début du mois de juillet 1904 à la suite de la convocation, sans l'accord du gouvernement, de deux évêques français devant le tribunal du Saint-Office. Monseigneur Geay, évêque de Laval, et Monseigneur Le Nordez, évêque de Dijon, furent sanctionnés, le premier en raison de son attitude morale contraire aux voeux de son sacerdoce, le second pour son appartenance supposée à la franc-maçonnerie. En réponse aux protestations du gouvernement français, le pape répondit que le concordat lui laissait une « autorité pleine et entière sur les évêques de France ». Le gouvernement français décida, le 30 juillet 1904, de mettre fin aux relations officielles avec le Vatican, « qui, par la volonté du Saint-Siège, se trouvent sans objet ».

b) Des travaux parlementaires décisifs pour l'adoption du principe de neutralité confessionnelle de l'État

La loi du 9 décembre 1905 fit l'objet d'âpres débats, opposant les défenseurs de la religion catholique aux partisans de la laïcité. Ces derniers se partageaient entre ceux qui promouvaient une politique anticléricale, voire antireligieuse, défendant une éradication totale de l'emprise des religions sur la société, et ceux qui, plus modérés, souhaitaient affirmer la neutralité de l'État et la garantie de la liberté de conscience et de religion des citoyens.

Le principe de séparation des Églises et de l'État était majoritaire au Parlement. Se posait davantage la question du degré et de la portée que le législateur devait lui donner. Ainsi, Aristide Briand, rapporteur, écrivait :

« Dans une démocratie surtout, dont toutes les institutions ont pour base le suffrage universel, c'est-à-dire le principe de la souveraineté du peuple, le maintien d'un culte officiel est un tel défi à la logique et au bon sens qu'on a le droit de se demander comment la République française a pu pendant trente-quatre ans s'accommoder de ce régime équivoque. C'est que, plus fortes et plus décisives que toutes les raisons de principe, les considérations de fait ou d'opportunité ont toujours prévalu jusqu'ici. » 8 ( * )

Ainsi, les travaux de la commission mise en place par la Chambre des députés en 1903 s'orientèrent dès le début dans le sens d'une séparation des Églises et de l'État, en recherchant le système juridique le plus pertinent, à partir de l'examen de huit propositions de loi, dont le contenu est présenté dans l'encadré ci-après.

Les différentes propositions de loi examinées
par la commission de la Chambre des députés

Si l'ensemble des propositions de loi déposées par les députés avaient pour dénominateur commun la dénonciation du concordat, elles différaient, en revanche, sur les modalités de la séparation des Églises et de l'État.

1. Proposition de loi de Victor Dejante

Déposée le 27 juin 1902, cette proposition de loi proposait la suppression immédiate de toutes les congrégations religieuses, la reprise par l'État des biens appartenant à ces dernières et aux établissements ecclésiastiques, et la constitution d'une caisse des retraites ouvrières à partir des capitaux et des ressources rendus disponibles par la suppression des budgets des cultes.

2. Proposition de loi d'Ernest Roche

Déposée le 20 octobre 1902, elle tendait à la suppression du budget des cultes et de l'ambassade auprès le Vatican. Les associations créées pour l'exercice des cultes seraient soumises au droit commun. Les immeubles à la disposition des Églises auraient fait l'objet de baux avec l'État et les communes. Les ressources rendues disponibles auraient servi à alimenter une caisse des retraites ouvrières.

3. Proposition de loi de Francis de Pressensé

Déposée le 7 avril 1903, elle posait le principe d'une séparation des Églises et de l'État et tendait à garantir la liberté de conscience et de croyance. Elle proposait la cessation de l'usage gratuit des immeubles affectés aux services religieux et au logement des ministres des cultes, la suppression du budget des cultes et de toutes les subventions par les départements ou les communes. Elle prévoyait également des dispositions spéciales et une période transitoire pour déterminer les pensions allouées aux ministres des cultes en exercice. Les immeubles provenant des libéralités exclusives des fidèles auraient été attribués à des sociétés civiles consacrées à l'exercice du culte, tandis que les autres immeubles seraient retournés à l'État ou aux communes. Les sociétés cultuelles auraient été créées selon le droit commun. Aurait été mise en place une police des cultes destinée à empêcher toute action ou manifestation étrangère au but religieux de ces sociétés. Les manifestations et les signes extérieurs du culte auraient tous été supprimés.

4. Proposition de loi de Gustave-Adolphe Hubbard

Déposée le 26 mai 1903, elle visait à assimiler les associations religieuses aux associations ordinaires. Elle proposait également la suppression de tous les textes relatifs au régime des cultes et le budget des cultes. Disposition la plus innovante, elle proposait l'institution, dans chaque commune et chaque arrondissement urbain, d'un conseil communal d'éducation sociale, composé en partie de femmes, qui aurait eu pour mission l'administration des biens affectés gratuitement aux cultes et à leurs ministres et en aurait réglé l'usage.

5. Proposition de loi d'Émile Flourens

Déposée le 7 juin 1903, elle visait à légaliser la création ou le rétablissement de toutes les associations religieuses, l'État ne devant plus les subventionner après une période transitoire. Aristide Briand écrivit dans son rapport que « l'effet certain d'un tel projet serait la libération sans garantie de l'Église, sa mise à l'abri de toute règle légale d'intérêt public, et la reconstitution définitive et inébranlable de toutes les congrégations ».

6. Proposition de loi d'Eugène Réveillaud

Déposée le 25 juin 1903, elle garantissait la liberté religieuse. Les édifices religieux ou affectés au logement des ministres des cultes auraient été laissés à la disposition des associations cultuelles, sous la condition de payer une redevance annuelle afin d'assurer la pérennité du droit de propriété des concédants. Les meubles et immeubles appartenant aux menses, fabriques et consistoires auraient été dévolus aux associations nouvelles. Une police des cultes aurait été également mise en place.

7. Proposition de loi de Georges Grosjean et Georges Berthoulat

Déposée le 29 juin 1903, elle visait à laisser aux Églises le maximum de libertés et d'avantages compatibles avec les garanties indispensables à l'ordre public. Les édifices appartenant à l'État et aux communes auraient été mis gratuitement à la disposition des communautés religieuses, les réparations de ces édifices restant à la charge de l'État ou des communes propriétaires. L'ouverture des édifices religieux et la tenue des réunions religieuses auraient été soumises à une simple déclaration faite à la municipalité. Les ministres du culte ayant dix ans de fonction auraient bénéficié à vie du traitement qu'ils recevaient alors. Selon Aristide Briand, « un budget des cultes considérable resterait durant de longues années nécessaire pour le service des pensions du clergé. En outre, les édifices religieux, loin de produire le moindre revenu, seraient pour leurs propriétaires nominaux, l'État ou les communes, la cause de dépenses élevées ».

8. Proposition de loi d'Urbain Sénac

Déposée le 31 janvier 1903, elle proposait de donner au Gouvernement la possibilité de briser, à tout moment, l'action individuelle ou collective des membres des associations cultuelles, qui pouvait être contraire aux intérêts de la République. L'État, les départements et les communes auraient eu la propriété des édifices religieux, qui resteraient à la disposition des divers cultes, les propriétaires pouvant leur en retirer l'usage à tout moment. Les ministres des cultes auraient conservé leur traitement, accordé annuellement. Ceux entrant en fonction ultérieurement auraient bénéficié sous certaines conditions de secours ou d'indemnités, susceptibles d'être supprimés à tout moment. Dans ce cas, l'intéressé n'aurait plus exercé son ministère dans un édifice public affecté au culte. Aristide Briand a estimé que « cette proposition, qui a pour objet évident la défense laïque, établit plutôt un régime de police des cultes qu'elle ne réalise la séparation des Églises et de l'État ».

La commission de la Chambre des députés estima que la loi de séparation des Églises et de l'État ne devait contenir aucune disposition relative aux congrégations et que le régime de séparation devait être défini selon « la liberté la plus large dans le droit commun ; qu'il convenait de n'en s'écarter que le moins possible et seulement dans l'intérêt de l'ordre public ». La commission se prononça également contre toute subvention de l'État au profit des cultes, sans pour autant aborder la question du droit des départements et des communes de subventionner les édifices cultuels.

Le projet de loi présenté par Maurice Rouvier, qui avait succédé à la présidence du Conseil à Émile Combes, se rapprocha des dispositions adoptées par la commission de la Chambre des députés. Ainsi, pouvait-on lire dans l'exposé des motifs que, « comme la commission, nous voulons garantir le libre exercice des cultes et cette liberté ne doit avoir d'autres limites que celles imposées par l'ordre public ». Le projet de loi proposait ainsi de régler la dévolution des biens des établissements ecclésiastiques supprimés, la mise à disposition des édifices religieux aux associations cultuelles et les pensions des ministres des cultes. La philosophie générale d'Aristide Briand, rapporteur de la commission, était d'« assurer sans secousse le passage du régime ancien au régime nouveau ».

Les débats au Parlement furent passionnés. Il fallut le brio d'Aristide Briand à la Chambre des députés et de Maxime Lecomte au Sénat pour imposer une voie modérée entre les défenseurs du statu quo et ceux qui défendaient une vision anticléricale de la société. Aristide Briand déclara ainsi que le nouveau régime des cultes « ne saurait opprimer les consciences ou gêner dans ses formes multiples l'expression extérieure des sentiments religieux ».

Le projet de loi fut adopté le 3 juillet 1905 à la Chambre des députés, par 341 voix pour et 233 voix contre.

Lors de l'examen au Sénat, le rapporteur, Maxime Lecomte, écrivait que « Dieu a réparti entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil le soin de pourvoir au bien du genre humain. Il a préposé le premier aux choses divines et le second aux choses humaines. Chacun d'eux est renfermé dans des limites parfaitement déterminées et tracées en conformité exacte avec sa nature et son principe ; chacun d'eux est circonscrit dans une sphère où il peut se mouvoir et agir en vertu des droits qui lui sont propres » 9 ( * ) . Il condamnait ainsi la doctrine de l'Église sur son rôle dans la société selon laquelle, « dans son union avec l'État, elle est la partie dominante, parce qu'elle est l'âme, et qu'il n'est pas possible que l'âme ne commande pas au corps ».

Le 6 décembre 1905, le projet de loi fut adopté par le Sénat, par 181 voix pour et 102 voix contre 10 ( * ) , avant sa promulgation le 9 décembre 1905 par le Président de la République, Émile Loubet.

3. Un début d'application difficile : l'affaire des inventaires

L'article 3 de la loi ainsi adoptée prévoyait notamment l'affectation des bâtiments destinés à l'exercice du culte à des associations cultuelles, sur la base d'un inventaire des biens jusque-là gérés par les établissements publics du culte, lesquels devaient être supprimés. Un décret du 29 décembre 1905 11 ( * ) fixait le cadre dans lequel devaient s'effectuer les inventaires. Une instruction de la direction générale de l'enregistrement, des domaines et du timbre concernant les modalités de ces inventaires 12 ( * ) indiquait que les agents du domaine « demanderont également aux prêtres d'être présents à l'opération d'ouverture des tabernacles ».

Cette disposition suscita une vive émotion dans les milieux catholiques et dans certains milieux politiques, ainsi que dans certaines régions. En effet, l'opération des inventaires fut vécue comme une profanation, mais aussi une spoliation et une atteinte à la propriété. À la suite des démolitions de la période révolutionnaire, les fidèles catholiques avaient en effet pris à leur charge les travaux de remise en état des églises et avaient participé au financement de la construction de nouvelles églises. L'épisode des inventaires a représenté une période de tension très forte entre républicains et catholiques, qui ne s'apaisa qu'après l'éclatement de la Première Guerre mondiale.

De plus, l'Église catholique était hostile à la constitution d'associations cultuelles, chargées notamment de l'exercice du culte, car leur régime établi par la loi du 9 décembre 1905 ignorait l'autorité canonique des évêques et ne permettait pas de reconnaître la hiérarchie catholique. Le refus de constituer de telles associations rendit plus difficile l'attribution des biens cultuels relatifs au culte catholique. À la suite d'échanges diplomatiques, un compromis fut trouvé en 1924 entre le Saint-Siège et la France, avec la création du régime spécifique des associations diocésaines, dont l'objet était limité à la prise en charge des frais et à l'entretien du culte catholique 13 ( * ) , placées sous la présidence de l'évêque au sein de chaque diocèse et en communion avec le pape, dans le respect des règles d'organisation propres à l'Église catholique. Ce régime fut considéré comme conforme à la loi de 1905 par le Conseil d'État, bien qu'aucun texte ne vint compléter cette loi sur ce point.

Ce rappel succinct de l'histoire de la loi du 9 décembre 1905 montre que cette dernière, malgré son statut de « totem de la République » selon votre rapporteur, est une loi s'inscrivant dans le contexte particulier des débuts de la III ème République. Elle ne peut être, aux yeux de votre rapporteur, considérée comme un texte intemporel, ayant une vocation universelle, à l'instar de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. À cet égard, les débats depuis une trentaine d'années sur le port du voile dans les écoles et, plus globalement, sur la place de l'islam dans notre société, témoignent de ce que la loi de 1905, conçue il y a plus d'un siècle, dans un contexte social et religieux différent de celui d'aujourd'hui, ne peut pas en l'état apporter une réponse complète aux défis contemporains.

B. LE DROIT DES CULTES AUJOURD'HUI : UNE SÉPARATION APAISÉE ET TEMPÉRÉE PAR CERTAINES DÉROGATIONS

Dans un contexte aujourd'hui apaisé vis-à-vis des cultes initialement concernés par la loi de séparation de 1905, votre rapporteur observe que le droit des cultes en France ne repose pas exclusivement sur cette loi fondatrice, mais que des dispositions législatives postérieures y ont apporté des tempéraments, des accommodements et des compléments, contribuant à la pacification des rapports entre l'État et les cultes et à la compréhension mutuelle, mais aussi à un exercice effectif de la liberté de culte .

À la suite du rapport de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, dite « commission Machelon » 14 ( * ) , en 2006, deux circulaires ministérielles ont été publiées en 2009 et 2010 pour clarifier et mieux informer les responsables des cultes sur les règles applicables en matière de rapports entre les pouvoirs publics et les cultes. La première, remplacée en 2011 par une nouvelle circulaire prenant en compte d'importantes décisions du Conseil d'État intervenues en juillet 2011 15 ( * ) , a rappelé les règles concernant la propriété, la construction, la réparation, l'entretien, l'urbanisme, la fiscalité et l'utilisation des édifices du culte 16 ( * ) , tandis que la seconde concernait le régime juridique des associations cultuelles, en particulier leurs modalités de création, leurs ressources et leur fiscalité 17 ( * ) .

1. Les règles et principes établis par la loi de séparation de 1905

Si la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État 18 ( * ) comprend de nombreuses dispositions visant à organiser matériellement la séparation (attribution des biens des établissements publics du culte...) ainsi que des dispositions transitoires, elle comporte aussi des dispositions pérennes, toujours en vigueur, conservant aujourd'hui toute leur valeur normative. Elle fixe ainsi des principes dans son titre I er , comprenant les articles 1 er et 2.

L'article 1 er affirme que « la République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». L'article 2 énonce, entre autres, que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », assurant la neutralité de l'État vis-à-vis de toutes les religions et donc l'égalité entre les cultes.

De plus, la loi de 1905 fixe également un certain nombre de règles qui concernent les édifices cultuels, les associations cultuelles et la police des cultes.

Relatifs aux édifices des cultes, les articles 12 à 17 disposent notamment que les édifices publics, à un titre ou à un autre, affectés à un culte, antérieurs à 1905, « sont et demeurent propriétés de l'État, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d'édifices des cultes » 19 ( * ) . Ces bâtiments publics, ainsi que « les objets mobiliers les garnissant », sont gratuitement mis à disposition des associations cultuelles, tenues de prendre en charge les réparations de toute nature, frais d'assurance et autres charges 20 ( * ) . Les dépenses d'entretien et de conservation de ces bâtiments peuvent toutefois être financées par leur propriétaire public.

Relatifs aux associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte, en remplacement des établissements publics du culte, les articles 18 à 24 fixent les règles de création, composition, organisation et fonctionnement de ces associations 21 ( * ) . Celles-ci sont attributaires des édifices cultuels. L'entretien et l'exercice du culte doivent être leur objet exclusif. Ces associations « ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes », à l'exception des sommes pouvant être allouées pour la réparation des édifices affectés au culte public. Ces édifices, antérieurs à 1905, sont « exemptés de l'impôt foncier et de l'impôt des portes et fenêtres » 22 ( * ) .

Relatifs à la police des cultes, les articles 25 à 36 affirment la liberté de réunion pour la célébration d'un culte dans des locaux mis à disposition d'une association cultuelle ou lui appartenant, tout en prohibant la tenue de réunions politiques dans les locaux servant habituellement au culte. Les manifestations extérieures d'un culte sont autorisées et s'exercent dans le cadre du pouvoir de police du maire. En dehors notamment des édifices cultuels et des cimetières, aucun nouveau signe religieux ne peut être apposé sur un bâtiment public ou érigé sur un emplacement public 23 ( * ) . Des sanctions pénales sont prévues en cas d'infraction à ces règles, ainsi notamment qu'en cas d'atteinte à la liberté de culte et au libre exercice d'un culte ou de contrainte à pratiquer un culte. La liberté de conscience et la liberté religieuse sont ainsi protégées.

2. Des possibilités diverses de subventionnement des cultes de la part des collectivités publiques, confortées par la jurisprudence

La loi de 1905 a elle-même prévu, dès l'origine, quelques dérogations ponctuelles aux principes qu'elle a affirmés.

Ainsi, par dérogation à l'interdiction de faire prendre en charge par le budget de l'État, d'un département ou d'une commune toute dépense relative à l'exercice des cultes, la loi de 1905 prévoit, dès son article 2 que « les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » sont autorisées. Par dérogation à cette même interdiction, elle prévoit également la mise à disposition gratuite pour l'exercice d'un culte des édifices cultuels qui sont la propriété d'une collectivité publique, ainsi que la faculté pour celle-ci de prendre en charge les dépenses d'entretien et de conservation de ces édifices comme de subventionner les associations cultuelles en vue de la réparation de tels édifices. Ces dispositions constituent autant de formes, directes ou indirectes, de subventionnement des cultes par les pouvoirs publics, par dérogation à l'interdiction de subventionner des cultes posée en principe par l'article 2 de la loi de 1905.

En outre, depuis 1905, d'autres textes ont mis en place des possibilités de soutien aux cultes et des dispositifs de subventionnement, direct ou indirect, des cultes. Ainsi, sans prétendre à l'exhaustivité, votre rapporteur a pu recenser un certain nombre de dispositifs législatifs pouvant être considérés comme autant de tempéraments, voire de dérogations, à l'interdiction de subventionner des cultes posée par l'article 1 er de la loi de 1905.

En matière de fiscalité , les associations cultuelles sont exonérées de la taxe foncière et de la taxe d'habitation pour les locaux affectés à l'exercice du culte, dans la continuité des dispositions initiales mentionnées supra de la loi de 1905 24 ( * ) . L'exonération de la taxe foncière concerne tant les édifices cultuels appartenant à l'État ou à une collectivité territoriale que ceux appartenant à une association cultuelle, y compris ceux acquis ou construits après 1905. De plus, les constructions édifiées par les associations cultuelles sont exonérées de la taxe d'aménagement 25 ( * ) , qui s'est substituée à la taxe locale d'équipement en 2012.

Les associations cultuelles 26 ( * ) peuvent aussi recevoir des dons ouvrant droit pour les particuliers à une réduction d'impôt sur le revenu, à hauteur de 66 % du montant des sommes versées, et pour les entreprises à une réduction, selon le cas, d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés, à hauteur de 60 % du montant des sommes versées 27 ( * ) . Les dons des personnes physiques sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit 28 ( * ) . Les dons et legs consentis aux associations cultuelles sont aussi exonérés de droits de mutation à titre gratuit 29 ( * ) .

Outre ces avantages spécifiques, les associations cultuelles bénéficient également des avantages fiscaux accordés de manière générale aux organismes d'intérêt général ou sans but lucratif 30 ( * ) .

Ces avantages fiscaux constituent bien un subventionnement indirect des cultes, selon les impôts concernés, par l'État ou les collectivités territoriales, en raison de la dépense fiscale qu'ils représentent.

Cette législation fiscale a donné lieu à une jurisprudence particulière du Conseil d'État, définissant ce qu'est un culte pour pouvoir déterminer les associations susceptibles d'être qualifiées d'association cultuelle et prétendre donc au bénéfice de ces avantages fiscaux. Ainsi, dans un avis d'assemblée du 24 octobre 1997 rendu à la demande du tribunal administratif de Clermont-Ferrand 31 ( * ) , saisi d'une demande de décharge de taxe foncière par l'association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Riom, le Conseil d'État a indiqué que l'exercice d'un culte consistait en « la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques » et qu'une association cultuelle devait avoir pour objet exclusif l'exercice d'un culte au regard tant de ses statuts que de ses activités, sans porter atteinte à l'ordre public. Cet avis, présenté dans l'encadré ci-après, a été prolongé par deux arrêts du 23 juin 2000, par lesquels le Conseil a considéré que les associations locales pour le culte des témoins de Jéhovah de Clamecy et de Riom remplissaient bien les critères d'une association cultuelle 32 ( * ) .

Extrait de l'avis d'assemblée du Conseil d'État du 24 octobre 1997

« (...)

« Il résulte des dispositions des articles 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État que les associations revendiquant le statut d'association cultuelle doivent avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte, c'est-à-dire, au sens de ces dispositions, la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques. En outre, ces associations ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte.

« La reconnaissance du caractère cultuel d'une association est donc subordonnée à la constatation de l'existence d'un culte et à la condition que l'exercice de celui-ci soit l'objet exclusif de l'association.

« Le respect de la condition relative au caractère exclusivement cultuel de l'association doit être apprécié au regard des stipulations statutaires de l'association en cause et de ses activités réelles. La poursuite par une association d'activités autres que celles rappelées ci-dessus est de nature, sauf si ces activités se rattachent directement à l'exercice du culte et présentent un caractère strictement accessoire, à l'exclure du bénéfice du statut d'association cultuelle.

« La liberté des cultes étant assurée par la République, en vertu de l'article 1 er de la loi du 9 décembre 1905 sous les seules restrictions imposées dans l'intérêt de l'ordre public, le fait que certaines des activités de l'association pourraient porter atteinte à l'ordre public s'oppose à ce que ladite association bénéficie du statut d'association cultuelle et, par suite, prétende à l'exemption de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

« (...) »

En matière de bail emphytéotique administratif , l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales prévoit qu'un bien immobilier qui appartient à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un tel bail en vue, notamment, de « l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public ». Cette disposition résulte d'une ordonnance de 2006 33 ( * ) , dont le rapport au Président de la République précise qu'il s'agit, sur ce point, de codifier « une pratique ancienne et constante, pour permettre la réalisation d'édifices du culte ouverts au public par une association cultuelle ». Une telle faculté est aujourd'hui utilisée, en particulier, pour permettre la construction de lieux de culte musulmans sur des terrains apportés par des communes. Au terme du bail, l'édifice construit doit revenir, avec le terrain, dans le patrimoine de la collectivité.

En matière de garantie des emprunts souscrits par les associations cultuelles , les articles L. 2252-4 et L. 3231-5 du code général des collectivités territoriales autorisent, respectivement, les communes et les départements à « garantir les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux ». Cette faculté a été ouverte, initialement, par l'article 11 de la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961. Elle constitue une dérogation expresse du législateur à l'interdiction de subventionner une association cultuelle.

Par ailleurs, votre rapporteur rappelle que la grande mosquée de Paris, destinée à rendre hommage aux combattants musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale et inaugurée en 1926, a bénéficié d'un soutien financier de l'État, accordé par la loi du 19 août 1920 portant affectation d'une subvention de 500 000 francs à la société des habous 34 ( * ) et lieux saints de l'islam pour la construction d'un Institut Musulman à Paris. Cet Institut, qui a également bénéficié de l'apport gratuit d'un terrain par la ville de Paris, devait regrouper un lieu de culte, une bibliothèque et une salle d'étude et de conférences. La construction a été menée sous l'égide de la société des habous et lieux saints de l'islam, association créée en 1917 à l'initiative du ministère des affaires étrangères pour des raisons diplomatiques liées à la Première Guerre mondiale. Là encore, il s'agissait d'une dérogation aux principes de 1905.

Outre ces interventions expresses du législateur, la jurisprudence du Conseil d'État admet la possibilité pour une collectivité locale, dans certaines conditions, de subventionner une organisation ou une manifestation à caractère religieux, dès lors qu'il existe un intérêt public local, en particulier en matière de développement économique, touristique ou culturel. Par une série d'arrêts entre 2011 et 2013, le Conseil d'État a ainsi précisé l'interprétation à donner au principe de non-subventionnement posé par l'article 2 de la loi de 1905.

En premier lieu, dans une série de cinq arrêts rendus le même jour, le 19 juillet 2011, le Conseil d'État a entendu préciser l'interprétation à donner à ce principe. Ainsi, celui-ci ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale contribue à financer un bien destiné à un lieu de culte (orgue, ascenseur...), sous la double condition de l'existence d'un intérêt public local et de la conclusion à cette fin d'une convention 35 ( * ) . Ce financement peut participer à la mise en valeur économique et touristique de l'édifice, ce qui constitue un intérêt public local. Il ne saurait s'agir, évidemment, de permettre le financement direct de la construction d'un lieu de culte. En outre, au nom de la salubrité et de la santé publiques, composantes de l'ordre public, il est possible de contribuer à l'aménagement d'un abattoir rituel, en l'absence d'abattoir proche 36 ( * ) . S'il est possible à une commune de mettre un local à la disposition d'un culte, dans les conditions financières de droit commun, comme pour toute association, il n'est pas possible de le mettre à disposition de façon pérenne et exclusive, ce local devenant alors de ce fait un édifice cultuel 37 ( * ) . Enfin, la conclusion d'un bail emphytéotique administratif avec une association cultuelle est licite lorsqu'elle vise à mettre à disposition un terrain à un prix modique en vue de l'édification d'un lieu de culte 38 ( * ) , un tel régime ayant été institué par le législateur 39 ( * ) par dérogation aux principes de la loi de 1905.

Par un arrêt du 4 mai 2012, le Conseil d'État a admis l'attribution d'une subvention à une association à caractère religieux 40 ( * ) , pour l'organisation d'une manifestation internationale n'ayant pas un caractère cultuel et présentant un intérêt public local touristique et économique 41 ( * ) . Il a ainsi précisé les conditions dans lesquelles des subventions publiques pouvaient être attribuées à une organisation à caractère religieux, sans que soit méconnue l'interdiction de subventionner un culte instaurée par l'article 2 de la loi de 1905, en dehors des cas de subventionnement direct ou indirect autorisés par le législateur.

Par cet arrêt, le Conseil d'État a rappelé que « les collectivités territoriales ne peuvent accorder aucune subvention, à l'exception des concours pour des travaux de réparation d'édifices cultuels, aux associations cultuelles (...) ; qu'il leur est également interdit d'apporter une aide quelconque à une manifestation qui participe de l'exercice d'un culte ; qu'elles ne peuvent accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle (...), a des activités cultuelles, qu'en vue de la réalisation d'un projet, d'une manifestation ou d'une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n'est pas destiné au culte et à la condition, en premier lieu, que ce projet, cette manifestation ou cette activité présente un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n'est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association ».

Par un arrêt du 26 novembre 2012, le Conseil d'État a considéré qu'un établissement public peut attribuer une subvention à une association de nature religieuse en vue de financer un projet ne présentant pas de caractère cultuel, dès lors que ce projet entre dans les missions de cet établissement et donne lieu à une convention 42 ( * ) .

Enfin, par un arrêt du 15 février 2013, dans le prolongement de celui du 4 mai 2012, le Conseil d'État a précisé les conditions dans lesquelles peuvent être accordées, au nom de l'intérêt public local, des subventions publiques à des associations à caractère religieux pour des manifestations culturelles organisées à l'occasion d'activités de nature religieuse 43 ( * ) .

Cet arrêt indique ainsi que « l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce que des subventions publiques soient attribuées à des manifestations culturelles, alors même que (...) leurs organisateurs auraient par ailleurs des activités cultuelles ou que ces manifestations se dérouleraient à l'occasion de célébrations cultuelles ». Il prend le soin, néanmoins, de rappeler que « la prohibition des subventions à l'exercice même d'un culte, lequel ne peut être assimilé à une pratique culturelle, poursuit depuis plus d'un siècle le but légitime de garantir, compte tenu de l'histoire des rapports entre les cultes et l'État en France, la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes ».

Avant cette importante série d'arrêts, le Conseil d'État avait déjà admis une possibilité de subvention, en cas de construction d'un nouvel édifice de culte, lorsque l'édifice en projet comporte un centre culturel, juridiquement distinct et ne pouvant pas être constitué sous la forme d'une association cultuelle, susceptible dans ce cas de bénéficier de subventions publiques. Ainsi, au début des années 1990, le financement de la construction de la nouvelle cathédrale d'Évry, comportant un centre d'art sacré, a pu bénéficier d'un financement du conseil régional, du ministère de la culture et de l'établissement public d'aménagement de la ville nouvelle d'Évry. Cette formule, évidemment transposable à tous les lieux de culte, est régulièrement utilisée, et votre rapporteur rappelle que le Conseil d'État l'a expressément validée, dans un arrêt du 3 octobre 2011, précisant que le montant du financement alloué ne devait pas excéder le coût du volet culturel du projet de construction 44 ( * ) .

Votre rapporteur constate que le Conseil d'État retient une approche libérale du principe d'interdiction de subventionnement, issu de la loi de 1905, ne faisant pas obstacle au soutien public pour des activités non cultuelles ou au nom d'un intérêt public local de nature économique, touristique ou culturel. Cette approche libérale est au demeurant conforme à la jurisprudence constante du Conseil d'État depuis 1905 en matière cultuelle.

À cet égard, il faut relever l'arrêt du 16 mars 2005, par lequel le Conseil d'État indique que « le principe constitutionnel de laïcité qui (...) implique neutralité de l'État et des collectivités territoriales de la République et traitement égal des différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes » 45 ( * ) .

Plus largement, votre rapporteur considère que ces tempéraments et ces dérogations à l'interdiction de subventionner les cultes sont nécessaires à la liberté d'exercice des cultes, en permettant à ceux-ci de disposer des édifices et des moyens matériels de pratiquer le culte dans de meilleures conditions.

3. Des particularités locales anciennes bénéficiant à certains cultes en Alsace-Moselle et outre-mer

Ces particularités concernent deux catégories de territoires : d'une part, les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au titre du droit local maintenu dans ces départements après leur réintégration à l'issue de la Première Guerre mondiale, et, d'autre part, certaines collectivités ultramarines relevant de l'article 73 ou de l'article 74 de la Constitution.

S'agissant du droit local d'Alsace-Moselle , la loi du 9 décembre 1905 n'est pas applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. En effet, ces départements se trouvaient en 1905 sous la souveraineté allemande et, à la suite de leur réintégration dans le territoire français après 1918, l'article 3 de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace et de la Lorraine a prévu le maintien des dispositions législatives et réglementaires en vigueur « jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises ». Par la suite, l'article 7 de la loi du 1 er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a expressément maintenu l'application de la « législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses ». Par la suite, l'article 3 de l'ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a disposé que la législation en vigueur « à la date du 16 juin 1940 est restée seule applicable et est provisoirement maintenue en vigueur ».

En conséquence, la loi de 1905 n'a jamais été rendue applicable à ces départements et la législation française antérieure à l'annexion allemande est demeurée en vigueur jusqu'à présent, n'ayant pas été abrogée par la loi de 1905 pour ces départements. Cette législation maintenue reconnaît les quatre cultes catholique, luthérien, réformé et juif 46 ( * ) , dont la gestion est assurée par des établissements publics du culte, établissements publics sui generis , en fonction de textes du XIX ème siècle propres à chaque culte 47 ( * ) . Pour le culte catholique, il s'agit du régime concordataire, résultant notamment du concordat de 1801 conclu entre la France et le Saint-Siège, qui en a fixé le cadre général, complété unilatéralement par le gouvernement français par les Articles organiques du 18 germinal an X, concernant le culte catholique et les deux cultes protestants. Ce régime a été étendu au culte juif en 1808.

Les ministres des cultes, ayant la qualité d'agent public contractuel, sont rémunérés par l'État, dans le cadre du régime instauré par la loi locale du 15 novembre 1909 relative aux traitements et pensions des ministres des cultes rétribués par l'État et de leurs veuves et orphelins, récemment actualisée - sans l'avoir jamais été auparavant - par le décret n° 2007-1341 du 11 septembre 2007 modifiant la loi locale du 15 novembre 1909 relative aux traitements et pensions des ministres des cultes rétribués par l'État et de leurs veuves et orphelins, lui-même complété par le décret n° 2007-1445 du 8 octobre 2007 relatif à la fixation du classement indiciaire des personnels des cultes d'Alsace et de Moselle.

Le régime concordataire se traduit aussi par l'obligation d'assurer un enseignement religieux à l'école primaire et au collège - une dispense pouvant toutefois être demandée par les parents -, par la nomination des évêques de Strasbourg et de Metz par le Président de la République et par l'existence d'une faculté de théologie catholique et d'une faculté de théologie protestante à l'université de Strasbourg et d'un département de théologie à l'université de Lorraine.

Le droit local des cultes constitue un régime dérogatoire par rapport au triple principe affirmé à l'article 2 de la loi de 1905, selon lequel « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

À cet égard, votre rapporteur rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011 48 ( * ) , a admis la constitutionnalité du droit local d'Alsace-Moselle, sur le fondement d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ainsi conçu :

« Considérant qu'ainsi, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s'agit ; que ce principe doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles ; »

Dans un arrêt du 6 avril 2001, le Conseil d'État avait considéré que « le maintien en vigueur de la législation locale procède de la volonté du législateur », exprimée par la loi du 1 er janvier 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle 49 ( * ) . Il avait ajouté que, « si, postérieurement à la loi précitée du 1 er juin 1924, les préambules des constitutions des 27 octobre 1946 et 4 octobre 1958 ont réaffirmé les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au nombre desquels figure le principe de laïcité, cette réaffirmation n'a pas eu pour effet d'abroger implicitement les dispositions de ladite loi ».

S'agissant des sept collectivités ultramarines connaissant un régime particulier en matière cultuelle , la loi du 9 décembre 1905 n'y est pas non plus applicable, les régimes juridiques locaux particuliers en vigueur dérogeant plus ou moins largement aux principes de 1905. Sont ainsi concernés la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, la Guyane, Mayotte, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) 50 ( * ) .

Le régime applicable en Guyane est sans doute, selon votre rapporteur, celui qui semble le plus s'éloigner des principes de 1905, alors même qu'il s'agit d'un département d'outre-mer depuis la loi de départementalisation de 1946. Ce régime repose sur l'ordonnance de Charles X du 27 août 1828 concernant le gouvernement de la Guyane française, qui ne traite que du culte catholique et dont il résulte aujourd'hui, notamment, que ce culte est organisé en fabriques et que la collectivité unique de Guyane 51 ( * ) assure l'entretien des édifices cultuels et la rémunération des ministres du culte 52 ( * ) . En outre, l'ensemble des cultes peuvent s'organiser en missions religieuses, dotées de la personnalité morale et dirigées par un conseil d'administration, depuis un arrêté du gouverneur de Guyane du 26 août 1939 introduisant le décret du 16 janvier 1939 instituant aux colonies des conseils d'administration des missions religieuses, pour celles qui ne sont pas placées sous le régime de la séparation des Églises et de l'État, dit « décret Mandel », toujours en vigueur aujourd'hui 53 ( * ) .

Concernant Mayotte, la départementalisation en 2011 n'a pas emporté de plein droit l'application de la loi de 1905. Ainsi, si les cadis ont récemment perdu leurs compétences juridictionnelles 54 ( * ) , ils conservent des compétences de médiation et de conciliation, peuvent être consultés par les tribunaux en cas de litige relatif au statut civil coutumier, de droit musulman. Surtout, le grand cadi et les dix-sept cadis sur lesquels il a autorité sont ministres du culte musulman et rémunérés par le Département de Mayotte.

Par ailleurs, la loi du 9 décembre 1905 n'a jamais été étendue dans les collectivités d'outre-mer relevant de l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, régies par le principe de spécialité législative. Les collectivités territoriales peuvent donc y subventionner des opérations d'intérêt général concernant notamment des édifices et bâtiments cultuels 55 ( * ) . Le décret du 16 janvier 1939 précité y a été rendu applicable, selon les cas, dans les années 1940 ou 1950. Les ministres du culte sont rémunérés par les missions religieuses elles-mêmes, chargées en outre de l'entretien et de la réparation des édifices qui leur appartiennent.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la rémunération des ministres catholiques donne lieu à une subvention de la collectivité à la mission catholique. Des règles particulières sont prévues pour la répartition entre les communes et la mission catholique des dépenses de travaux et d'entretien des édifices cultuels.

À Wallis-et-Futuna, l'enseignement primaire est concédé à la mission catholique, qui perçoit à ce titre de l'État une subvention destinée à compenser l'ensemble des charges en résultant.

C. UN REGAIN DU DÉBAT SUR LA LAÏCITÉ DEPUIS TRENTE ANS, À LA FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT DE L'ISLAM EN FRANCE

Alors que la loi du 9 décembre 1905 visait principalement à séparer l'Église catholique de l'État, la place de l'islam dans la société française actuelle et son expression dans l'espace public nourrissent de nouveaux débats sur la laïcité depuis une trentaine d'années, souvent focalisés sur la question du port du voile islamique, en particulier dans l'enceinte scolaire.

Votre rapporteur observe que deux conceptions de la laïcité s'opposent parfois dans les débats actuels : d'une part, une laïcité pouvant être qualifiée d'exigeante ou d'intransigeante par ses détracteurs, voire d'intolérante, voulant parfois cantonner la religion à l'espace privé en laïcisant tout l'espace public, et, d'autre part, une laïcité plus libérale et ouverte, jugée trop accommodante par ses opposants, voire laxiste, à l'égard de certaines revendications religieuses, laissant monter le phénomène du communautarisme. Cette querelle se nourrit aussi du débat épisodique sur l'opportunité de réviser la loi de 1905, entre les partisans de son adaptation à la société française d'aujourd'hui, ou tout au moins de son actualisation, et les tenants de son intangibilité.

Les querelles autour de la laïcité apparaissent, selon votre rapporteur, comme un symptôme des difficultés de notre société, traversée par des crises et de nombreuses mutations, à recréer une « communauté d'affections » entre ses membres, alors que les valeurs communes s'affaiblissent. La laïcité semble avoir perdu, en quelque sorte, de sa force d'intégration républicaine. L'école, creuset par excellence de notre intégration, devient par conséquent le théâtre des crispations nouvelles autour de la question de la laïcité, comme en témoigne, depuis une trentaine d'années, la question du port du voile par des jeunes filles musulmanes dans les établissements scolaires ou, plus largement, par le port de signes religieux, pouvant conduire à des perturbations de l'ordre public au sein de l'école publique.

La résurgence de ce débat contemporain sur la laïcité remonte à 1989, avec l'exclusion de trois jeunes filles voilées du collège Gabriel Havez de Creil. Depuis, les tensions se sont cristallisées autour de ces affaires dites du foulard islamique, dont les cas, certes peu nombreux, sont lourds de signification symbolique : l'affichage de ses opinions religieuses est vécu comme une contestation du modèle républicain, avec la revendication de droits spécifiques, au sein même de l'enceinte scolaire, faisant le lit du communautarisme. Votre rapporteur s'interroge sur les différentes affaires de ce type qu'a connues l'école de la République : ne témoignent-elles pas du recul de la capacité de l'école à assurer et à maîtriser son rôle de brassage social, et ne reflètent-t-elles pas la perte de confiance à l'égard de l'école comme ascenseur social, justifiant le repli communautaire et, in fine , l'affaiblissement des valeurs de la République ?

1. La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires dans les établissements scolaires
a) Les suites de l'avis du Conseil d'État du 27 novembre 1989

La place de l'islam au sein de la société française, quasi inexistant en 1905 et qui représente aujourd'hui la deuxième religion pratiquée en France, accompagnée par la montée de pressions communautaires, a perturbé le cadre juridique défini par la loi de 1905. En effet, au cours des années 1980, différentes affaires sur le port du voile dans des établissements scolaires ont ravivé le débat sur la laïcité, dans des termes nouveaux par rapport au contexte de 1905.

C'est dans ce contexte que le ministre de l'éducation nationale d'alors sollicita l'avis du Conseil d'État, sur l'application du principe de laïcité dans les établissements scolaires, en particulier sa compatibilité avec le port de signes d'appartenance à une communauté religieuse et les conditions susceptibles de justifier une décision d'exclusion définitive. Dans son avis du 27 novembre 1989 56 ( * ) , le Conseil d'État voulut concilier principe de laïcité de l'enseignement public, principe de valeur constitutionnelle, et la liberté de conscience des élèves, résultant du principe du respect égal de toutes les croyances, garanti par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et reconnu par l'article 10 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation.

Comme l'avait relevé notre ancien collègue Jacques Valade, rapporteur pour le Sénat de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics 57 ( * ) , il résulte de cette synthèse du Conseil d'État une distinction entre, d'une part, une stricte obligation de neutralité s'imposant aux programmes scolaires et aux enseignants et, d'autre part, le respect de la liberté de conscience des élèves, dans la limite toutefois des obligations scolaires leur incombant et du bon fonctionnement du service public de l'enseignement.

En d'autres termes, un refus d'admission ou une exclusion dans un établissement scolaire « ne serait justifié que par le risque d'une menace pour l'ordre dans l'établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l'enseignement », selon les termes de l'avis précité du Conseil d'État.

b) La commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République en 2003

Malgré l'avis du Conseil d'État de 1989, qui rappelait les conditions de l'application du principe de laïcité dans les établissements scolaires ainsi que sa compatibilité avec la liberté de croyance des élèves, on recensa plusieurs dizaines d'exclusion de jeunes filles de collèges ou de lycées publics en raison du port du voile islamique. Dans plus de la moitié des cas, les exclusions furent annulées par la juridiction administrative.

Pour remédier à cette situation, préjudiciable à l'autorité des chefs d'établissement, le Président de la République, M. Jacques Chirac, mit en place une commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, en juillet 2003, dont la présidence fut confiée à M. Bernard Stasi, alors Médiateur de la République. Cette commission remit son rapport le 11 décembre 2003 58 ( * ) .

Selon la commission, la laïcité « repose sur un équilibre de droits et d'exigences ». « La liberté de conscience, l'égalité de droit, et la neutralité du pouvoir politique doivent bénéficier à tous, quelles que soient leurs options spirituelles. Mais il s'agit aussi pour l'État de réaffirmer des règles strictes, afin que ce vivre en commun dans une société plurielle puisse être assuré. La laïcité française implique aujourd'hui de donner force aux principes qui la fondent, de conforter les services publics et d'assurer le respect de la diversité spirituelle. Pour cela, l'État se doit de rappeler les obligations qui s'imposent aux administrations, de supprimer les pratiques publiques discriminantes, et d'adopter des règles fortes et claires dans le cadre d'une loi sur la laïcité . » La commission concluait ainsi à la nécessité de concilier la neutralité de l'État, qui impose à la République d'assurer l'égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction d'origine, de race ou de religion, avec la liberté de conscience et la liberté de culte. Certains lieux peuvent être le terrain d'une tension entre la compatibilité de ces deux principes : l'armée, les établissements pénitentiaires, les établissements hospitaliers et les établissements scolaires.

S'agissant plus spécifiquement des établissements scolaires, la sérénité qui leur est nécessaire exige un environnement neutre, afin de favoriser l'élévation des consciences par le savoir et l'éducation, dans le respect de tous les élèves, quels que soient leurs convictions, leur origine ou leur sexe.

Pour concilier ces principes, la commission proposa notamment des « accommodements raisonnables » à la loi de 1905, afin de prévoir des réponses aux situations qui ne sont pas couvertes par les dispositions de cette loi, comme, par exemple, l'octroi de permis pour l'édification de nouveaux lieux de culte, l'aménagement des menus de restauration collective, le respect des exigences qu'imposent les principales fêtes religieuses, ou encore l'enseignement du fait religieux dans les établissements scolaires.

Pour mémoire, le Conseil d'État consacra également son rapport public en 2004 au thème de la laïcité, illustrant la vivacité de la réflexion sur ce sujet lors de cette période 59 ( * ) . Le Conseil d'État dressait ce constat, partagé par votre rapporteur, selon lequel « la loi de séparation, son application, son interprétation libérale, ont permis le passage d'une laïcité que l'on a qualifiée de "combat" à une laïcité apaisée, même si, de façon récurrente, des soubresauts se manifestent », insistant également sur son « oeuvre jurisprudentielle dense » y ayant contribué.

c) La loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics

Sur la base de certaines recommandations de la commission présidée par M. Bernard Stasi, un projet de loi fut présenté sur le port ostensible de signes religieux. Le Président de la République souhaita une adoption rapide de ce texte pour une entrée en vigueur dès la rentrée scolaire de 2004.

Notre ancien collègue Jacques Valade, rapporteur du projet de loi pour le Sénat, indiquait que, « si, en 1989, le Gouvernement s'est retranché derrière le juge, aujourd'hui, le législateur doit intervenir. Le temps des circulaires, qui ont montré leurs insuffisances et leur peu de force juridique, est désormais révolu. Le Parlement doit réaffirmer un principe fondateur, qui engage l'avenir de la Nation. » Même s'il reconnaissait que la loi n'était pas suffisante pour « régler tous les problèmes d'intégration qui se posent à l'école et à la société, elle n'en est pas moins un signal et un symbole nécessaires, la marque indispensable de notre attachement au principe de laïcité à l'école publique. Elle doit constituer en cela une première étape sur la voie d'une cohésion nationale renforcée et d'une solidarité partagée. » 60 ( * )

Si la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, adoptée à une large majorité par l'Assemblée nationale le 10 février 2004 puis par le Sénat le 3 mars 2004, ne prétendit pas refonder la laïcité, elle visait à renouveler les moyens de la faire vivre et respecter, en réaffirmant la proscription des signes et tenues des élèves dans les établissements scolaires par lesquels ces derniers manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Cette règle devait permettre de renverser « le rapport de force en faveur des chefs d'établissement et des équipes éducatives, en leur donnant, en renfort du dialogue, l'assise de la loi. Elle permet de sortir de l'appréciation au cas par cas, qui a conduit au développement d'une sorte de droit local, en refondant, au niveau national, le pacte laïque sur des principes clairs et intangibles », ainsi que l'avait relevé notre ancien collègue Jacques Valade.

En revanche, la loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets.

2. Les initiatives postérieures à la loi du 15 mars 2004

À la suite de l'adoption de cette loi, une nouvelle commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics fut mise en place par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, et sa présidence confiée à M. Jean-Pierre Machelon, professeur d'université.

Cette commission devait apprécier les modalités des relations entre les communes et les cultes, en particulier les règles relatives à la construction et à l'aménagement des lieux de cultes, à la police spéciale des cimetières ainsi qu'au régime fiscal des cultes. Ayant remis son rapport en septembre 2006 61 ( * ) , la commission proposa de renforcer les possibilités d'intervention des collectivités territoriales, d'assouplir le statut des associations cultuelles, afin de faciliter l'exercice du culte pour ceux qui y avaient déjà recours et d'inciter à l'utiliser pour les autres, d'accroître la transparence et la sécurité juridique afin d'éviter les montages juridico-financiers contestables conçus pour la construction de nouveaux lieux de culte et, enfin, de réaffirmer les principes républicains afin de protéger le respect des croyances de chacun.

Par la suite, par une circulaire du Premier ministre du 13 avril 2007 62 ( * ) , une charte de la laïcité dans les services publics a été publiée, sur la base d'un texte proposé par le Haut conseil à l'intégration, afin de rappeler aux agents publics comme aux usagers des services publics leurs droits et leurs devoirs au titre du principe de laïcité, pour le bon fonctionnement des services publics. Elle doit être affichée de manière visible et accessible dans les lieux accueillant du public.

Enfin, votre rapporteur relève une dernière étape législative notable : l'adoption de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Bien qu'elle fût motivée par des raisons de sécurité dans l'espace public, cette loi est parfois considérée comme un outil supplémentaire de défense de la laïcité à l'égard de certaines expressions vestimentaires musulmanes.

Par ailleurs, votre rapporteur relève que la Cour européenne des droits de l'homme vient récemment d'accepter, dans une affaire concernant la France 63 ( * ) , que l'exigence de neutralité religieuse de l'État peut légitimement conduire à interdire le port du voile à un agent public, quand bien même cette interdiction constitue une ingérence dans sa liberté religieuse. La Cour a refusé de remettre en cause le modèle français de la laïcité et a admis l'exigence qui en découle en matière de neutralité des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions, permettant notamment le respect des croyances des usagers. Elle a estimé que la France n'avait pas « outrepassé [sa] marge d'appréciation en constatant l'absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de la requérante et l'obligation de ne pas les manifester puis en décidant de faire primer l'exigence de neutralité et d'impartialité de l'État ». Elle ajouté que « l'ingérence litigieuse peut passer pour proportionnée au but poursuivi » et que « l'ingérence dans l'exercice de sa liberté de manifester sa religion était nécessaire dans une société démocratique ».

3. La question de la laïcité dans les structures privées

Une des dimensions actuelles du débat sur la laïcité porte sur sa valeur ou son respect dans le monde du travail et dans l'entreprise. La question s'est posée avec une acuité particulière dans les structures privées accueillant des enfants, comme l'illustre l'affaire dite « Baby Loup ».

Une employée de la crèche « Baby Loup », association de Chanteloup-les-Vignes, avait été informée par la directrice de la crèche, lors de son congé parental, de l'adoption par l'association d'un nouveau règlement, le 15 juillet 2003, imposant le respect des principes de laïcité et de neutralité au personnel. Avant son congé parental, cette employée portait habituellement le voile sur son lieu de travail. À l'issue de son congé parental, elle se présenta donc dans les locaux de l'association vêtue du voile. Refusant de l'ôter, elle fut suspendue de ses fonctions à titre conservatoire, puis licenciée.

S'estimant victime d'une discrimination fondée sur son appartenance religieuse, elle saisit le conseil des prud'hommes et, en parallèle, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).

Un long parcours juridique débuta dès lors pour trancher plusieurs questions : d'une part, un employeur de droit privé peut-il se prévaloir du principe de laïcité mentionné dans un règlement intérieur pour licencier une salariée portant le voile islamique et, d'autre part, dans quelle mesure une clause du règlement intérieur d'une structure privée peut-elle interdire aux salariés d'exprimer leurs convictions religieuses ?

La HALDE estima, une première fois en mars 2010, puis une seconde fois en novembre 2010, que la discrimination de la part de l'employeur était caractérisée.

Le jugement du conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie du 13 décembre 2010 débouta la salariée, qui avait fait preuve d'« insubordination caractérisée et répétée » à l'égard de son employeur. La cour d'appel de Versailles rendit un arrêt confirmatif le 27 octobre 2011, mais la chambre sociale de la Cour de cassation cassa cet arrêt, en évoquant le caractère discriminatoire du licenciement, et renvoya les parties devant la cour d'appel de Paris, qui confirma le jugement de première instance le 27 novembre 2013. La salariée forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt, mais l'assemblée plénière de la Cour de cassation rejeta ce pourvoi le 25 juin 2014.

Il ressort de ces différentes décisions que les employeurs de droit privé ne sont pas soumis à un principe de laïcité. Toutefois, l'interdiction d'exprimer ses convictions religieuses peut être justifiée par le fait pour les salariés d'« être en relation directe avec les enfants et leurs parents », et proportionnée au but recherché eu égard aux « conditions [concrètes] de fonctionnement d'une association de dimension réduite ».

Le licenciement de la salariée pour port du voile apparaissait donc, en l'espèce, régulier. L'ancienne employée a renoncé à saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), mais a saisi le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, à l'encontre de la France, pour violation de certaines dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Afin de clarifier l'application des obligations découlant du principe de laïcité dans les structures privées en charge de la petite enfance, notre collègue Françoise Laborde déposa une proposition de loi, dont le contenu et l'examen sont rappelés dans l'encadré ci-après.

La proposition de loi visant à étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité

Le Sénat a adopté, le 17 janvier 2012, une proposition de loi de notre collègue Françoise Laborde et des membres du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), qui visait à étendre l'obligation de neutralité religieuse au personnel des structures privées d'accueil d'enfants de moins de six ans (crèches, centres de vacances et de loisirs...) et aux assistants maternels.

Notre collègue Alain Richard, rapporteur de votre commission des lois 64 ( * ) , avait relevé que la jurisprudence « Baby Loup » se démarquait de la jurisprudence traditionnelle relative à l'expression religieuse dans les structures de droit privé. « Cette jurisprudence admet qu'une entreprise ou association puisse apporter certaines restrictions à la liberté d'expression confessionnelle si et seulement si elles sont fondées sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. » On rappellera à cet égard que la jurisprudence prévoit, au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail, qu'un organisme privé peut apporter des restrictions à la liberté d'expression religieuse si elles sont justifiées par des impératifs tenant à la sécurité et à la salubrité de l'organisme, à son bon fonctionnement et aux contacts avec le public.

L'Assemblée nationale a adopté ce texte avec plusieurs modifications, notamment en précisant la nature de l'aide financière publique susceptible d'entraîner l'assujettissement des crèches et des haltes-garderies au principe de neutralité et en excluant les crèches familiales de l'obligation de neutralité.

Adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mai 2015, la proposition de loi est en attente d'une inscription, pour une deuxième lecture, à l'ordre du jour du Sénat.

II. LES EFFETS DOMMAGEABLES D'UNE CONSTITUTIONNALISATION DES PRINCIPES DU TITRE IER DE LA LOI DE 1905

Selon une analyse juridique rigoureuse, votre rapporteur s'est attaché à apprécier ce que pourrait apporter la constitutionnalisation des principes du titre I er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, comme l'envisage la présente proposition de loi constitutionnelle, à quels principes serait alors conférée une valeur constitutionnelle et quelles pourraient en être les conséquences sur l'état du droit des cultes.

A. UNE LECTURE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ MOINS LARGE QUE LES PRINCIPES DE 1905

Selon l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ».

Selon l'article 1 er de la Constitution, « la France est une République (...) laïque » 65 ( * ) . Elle « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction (...) de religion » et « respecte toutes les croyances ».

Ces deux dispositions constituent le fondement actuel du principe de laïcité, d'un point de vue constitutionnel, qui se distingue des énonciations à caractère législatif de la loi de 1905. Dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 66 ( * ) , le Conseil constitutionnel a clarifié les implications de ces deux dispositions, en explicitant le principe de laïcité.

Dans son cinquième considérant, cette décision précise ainsi :

« Considérant (...) que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ; »

Votre rapporteur rappelle que l'article 1 er de la loi de 1905 affirme la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, sous réserve des exigences de l'ordre public, tandis que l'article 2 énonce le triple principe selon lequel la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

Selon le Conseil constitutionnel, il apparaît donc que le libre exercice des cultes possède bien une valeur constitutionnelle. Il en est de même pour les deux principes selon lesquels la République ne reconnaît et ne salarie aucun culte. En revanche, le principe selon lequel la République ne subventionne aucun culte, mentionné par l'article 2 de la loi de 1905, n'est pas retenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2013, de sorte qu'il n'a donc qu'une valeur législative et qu'il peut y être dérogé par la loi . L'interdiction de salarier un culte, c'est-à-dire de rémunérer les ministres d'un culte, doit être distinguée de l'interdiction de subventionner un culte, à laquelle le législateur n'est donc pas tenu.

En n'incluant pas le principe de non-subventionnement des cultes dans son explicitation du principe de laïcité, le Conseil constitutionnel a ainsi admis implicitement tant les particularismes locaux que les dispositions législatives, évoqués supra , qui permettent, de façon directe ou indirecte, de subventionner les cultes, contribuant ainsi à la préservation d'une situation pacifiée.

Au surplus, il était difficile au Conseil constitutionnel de reconnaître une valeur constitutionnelle au principe de non-subventionnement, dès lors que la loi de 1905 y déroge elle-même et que de nombreuses dispositions législatives postérieures à 1905 y ont aussi apporté des tempéraments et des dérogations. Il n'aurait pas été possible, par exemple, d'en faire un principe fondamental reconnu par les lois de la République, la législation de la III ème République n'étant pas uniforme en la matière 67 ( * ) .

Par conséquent, aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit le subventionnement, direct ou indirect, à un culte .

Votre rapporteur relève que cette décision se situe dans la continuité de l'arrêt du Conseil d'État du 16 mars 2005, selon lequel « le principe constitutionnel de laïcité qui (...) implique neutralité de l'État et des collectivités territoriales de la République et traitement égal des différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes » 68 ( * ) .

En outre, dans son sixième considérant, s'agissant du régime juridique propre à certains territoires en matière cultuelle, la décision du 21 février 2013 précitée indique :

« Considérant, toutefois, qu'il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatifs à son article 1 er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu'en proclamant que la France est une « République ... laïque », la Constitution n'a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte ; » 69 ( * )

Si l'invocation des travaux préparatoires des deux constitutions pour justifier cette décision, en raison de leur consistance ou de leur précision sur ce point, a pu être contestée par la doctrine, il n'en reste pas moins que le Conseil constitutionnel a jugé que les régimes propres à certaines parties du territoire de la République n'étaient pas contraires à la Constitution.

B. LA FINALITÉ DE LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE : LA CONSTITUTIONNALISATION DU TITRE IER DE LA LOI DE 1905

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle, la loi de 1905, « d'une grande modernité, est toujours nécessaire pour garantir la liberté de conscience de chacun et rassembler tous les Français au sein de la communauté nationale ». Il s'agirait, avec ce texte, de mieux préciser dans la Constitution les contours du principe de laïcité, qualifié de « principe constitutif de la construction et de l'identité même de notre République », principe « au fondement même des relations de l'État et des citoyens ». L'exposé des motifs ajoute, à juste titre, que la laïcité « participe à la protection et au respect d'autres principes constitutionnels, et en premier lieu, la liberté de conscience ».

L'exposé des motifs considère également que, dans le contexte des attentats de janvier et novembre 2015, le principe de laïcité « doit être plus que jamais réaffirmé, proclamé et précisé, et ce contre toute autre forme de renoncement intellectuel ou d'interprétation volontairement ambiguë à des fins partisanes », et « ne doit souffrir aucune contestation » : « il est essentiel pour la République d'appliquer avec rigueur le texte de la loi du 9 décembre 1905 : la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905 ». Reposant sur « la neutralité de l'État vis-à-vis de toutes les religions », la laïcité implique « une conception exigeante de l'égalité de tous les citoyens devant la loi » ainsi qu'« une stricte séparation du fait religieux entre sphère publique et sphère privée », « la liberté de conscience s'exprim[ant] librement dans la sphère privée ». Nos collègues auteurs de cette proposition de loi défendent ainsi une conception forte et exigeante de la laïcité républicaine.

L'article unique de la proposition dispose que « la République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l'État, conformément au titre premier de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État » 70 ( * ) .

Ainsi que cela a été exposé supra , le titre I er de la loi de 1905 fixe les principes selon lesquels la République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes, dans le respect de l'ordre public, selon les restrictions énoncées plus loin par la loi, et ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Il prévoit que toute dépense relative à l'exercice des cultes doit être supprimée des budgets publics, à l'exception du financement des aumôneries dans certains établissements publics.

La présente proposition de loi constitutionnelle aurait ainsi pour effet de donner une valeur constitutionnelle à ces principes qui figurent aux deux premiers articles de la loi de 1905, pour ceux de ces principes qui n'en sont pas déjà revêtus. Si la liberté de conscience 71 ( * ) et le libre exercice des cultes, dans le respect des exigences de l'ordre public, possèdent une valeur constitutionnelle, de même que le principe selon lequel la République ne reconnaît aucun culte et celui selon lequel elle ne salarie aucun culte, comme le Conseil constitutionnel l'a explicité dans sa décision du 21 février 2013 précitée, tel n'est pas le cas pour le principe selon lequel la République ne subventionne aucun culte : ainsi que cela a été exposé supra , le principe d'interdiction du subventionnement des cultes n'a qu'une valeur législative, de sorte qu'il peut y être librement dérogé par le législateur sans porter atteinte à une norme constitutionnelle.

Par conséquent, adopter la présente proposition de loi constitutionnelle aurait pour effet juridique immédiat de donner une valeur constitutionnelle au principe interdisant le subventionnement des cultes .

C. UNE PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE SUSCITANT DES RÉSERVES ET AYANT POUR EFFET DE REMETTRE EN CAUSE LE RÉGIME ACTUEL DES CULTES

Au-delà des objectifs poursuivis, la rédaction de la proposition de loi soulève des réserves importantes de la part de votre rapporteur.

D'une part, il serait redondant de mentionner que la République assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l'État, tout en faisant référence au titre I er de la loi de 1905 qui pose ces mêmes principes, dans une formulation parfois identique. De plus, il existe déjà des normes de valeur constitutionnelle partiellement comparables, que ce soit à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ou à l'article 1 er de la Constitution de 1958, même s'il est vrai que ces normes ne correspondent pas à l'intégralité des principes énoncés en 1905. Dès lors, l'apport d'une telle révision serait sans doute inexistant .

De plus, au sein du titre I er de la loi de 1905 à laquelle on voudrait donner valeur constitutionnelle, l'article 1 er fait référence, en matière de libre exercice des cultes, aux « seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public », qui renvoient en réalité au régime de la police des cultes défini aux articles 25 à 36 de la loi 72 ( * ) . Faudrait-il en déduire que ce régime se verrait aussi accorder, implicitement, valeur constitutionnelle ? Votre rapporteur souligne l'incertitude pesant sur le champ précis des dispositions de la loi de 1905 qui se trouveraient constitutionnalisées avec la proposition de loi constitutionnelle.

D'autre part, votre rapporteur se montre perplexe quant à l'idée de faire référence à une loi ordinaire dans la Constitution, fût-elle celle de 1905, pour déterminer les principes de la République. Il s'agirait d'une première 73 ( * ) . La constitutionnalisation par renvoi à des normes externes à la Constitution, en dehors de cas spécifiques liés à des traités internationaux, n'est pas de bonne méthode, selon votre rapporteur. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur les conditions dans lesquelles le législateur pourrait modifier, le cas échéant, les dispositions de la loi de 1905 ainsi constitutionnalisées 74 ( * ) .

En revanche, au-delà des questions d'ordre rédactionnel, la présente proposition de loi constitutionnelle remettrait immédiatement en cause des pans entiers du régime actuel des cultes en France , largement exposés supra , alors qu'aujourd'hui ceux-ci contribuent pourtant à des rapports pacifiés entre l'État et les cultes et à une liberté d'exercice plus effective pour les cultes.

En effet, adopter la proposition de loi constitutionnelle donnerait une valeur constitutionnelle au principe de non-subventionnement - seul principe des deux premiers articles de la loi de 1905 qui n'a aujourd'hui qu'une valeur législative -, interdirait tout subventionnement aux cultes et donc remettrait en cause toutes les dispositions législatives permettant un tel subventionnement, de façon directe ou indirecte, ainsi que la jurisprudence libérale du Conseil d'État : avantages fiscaux, subventions autorisées en matière d'édifices cultuels, bail emphytéotique administratif, garanties d'emprunts... Les dérogations qui ont été expressément prévues par la loi de 1905 elle-même à l'interdiction de subventionner un culte, pour le financement des édifices cultuels communaux comme l'entretien des édifices cultuels appartenant aux associations cultuelles, seraient elles aussi, paradoxalement, remises en cause, car elles ne figurent pas au titre I er de la loi : seul le financement des aumôneries dans les établissements publics serait possible, puisqu'il est prévu à l'article 2.

En outre, l'ensemble des régimes particuliers applicables en matière cultuelle à certains territoires se trouverait également remis en cause, tant dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle que dans les sept collectivités ultramarines concernées, puisque ces régimes dérogent plus ou moins largement à la loi de 1905, qui n'y a jamais été rendue applicable.

Plusieurs professeurs de droit entendus par votre rapporteur ont ainsi estimé que cette proposition de loi constitutionnelle était, au mieux, inutile et, au pire, dangereuse, y compris lorsqu'ils approuvaient l'idée de mieux définir le principe de laïcité dans la Constitution.

Par ailleurs, votre rapporteur s'interroge sur l'impact éventuel d'une telle évolution constitutionnelle sur, notamment, les contributions de l'État et des collectivités territoriales au financement des établissements d'enseignement privés à caractère confessionnel 75 ( * ) et plus largement sur l'idée d'établissements confessionnels sous contrat avec l'État, sur l'existence des facultés de théologie de l'université de Strasbourg, sur le financement par l'État des différentes formations universitaires destinées aux responsables musulmans 76 ( * ) ou encore la subvention d'équilibre dont bénéficie le régime de protection sociale des cultes 77 ( * ) .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : NE PAS ADOPTER UN TEXTE AUX EFFETS INOPPORTUNS, TOUT EN PARTAGEANT SON OBJECTIF DE LUTTE CONTRE LE COMMUNAUTARISME

Votre rapporteur a présenté trois motifs devant justifier de s'opposer à l'adoption en l'état de la présente proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution.

A. NE PAS ADOPTER UN TEXTE AUX EFFETS JURIDIQUES INOPPORTUNS

Ainsi que cela a été exposé supra , l'adoption d'une telle proposition de loi constitutionnalisant les principes de la loi de 1905 conduirait à remettre en cause l'équilibre actuel du droit des cultes en France. Une telle remise en cause semble tout à fait inopportune à votre commission, attachée au caractère pacifié des relations actuelles entre l'État et les cultes, par rapport à la situation des années qui ont précédé et suivi l'adoption de la loi de 1905.

En effet, alors que le cadre de neutralité de l'État et de liberté religieuse issu de la loi de 1905 est aujourd'hui approuvé par tous, les cultes sont souvent devenus des partenaires de l'État ou des élus locaux. Dans ces conditions, la remise en cause du régime juridique actuel des cultes, tant du point de vue du droit applicable dans certains territoires (Alsace-Moselle et outre-mer) que des dispositions législatives qui permettent de subventionner les cultes, directement ou indirectement, complétées par une jurisprudence administrative libérale, ne reçoit pas l'approbation de votre commission.

Votre commission constate que, du point de vue du droit, l'équilibre auquel est parvenu aujourd'hui le droit des cultes en France fait l'objet d'un relatif consensus, qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause, sauf à vouloir courir le risque de débats houleux, de polémiques inutiles et de justifications partiales. Les débats actuels en matière de laïcité ne sont pas liés aux principes de la loi du 9 décembre 1905, que la présente proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Jacques Mézard souhaite constitutionnaliser.

B. PRÉSERVER LE CONSENSUS CONSTITUTIONNEL SUR LA LAÏCITÉ

Si elle n'ignore pas les débats actuels sur l'application de la laïcité, en particulier dans l'espace public et dans le monde du travail, et les controverses qu'ils suscitent, votre commission estime nécessaire de préserver le consensus constitutionnel sur le principe même de laïcité, sans introduire ces controverses dans notre Constitution. En effet, le caractère laïque de la République ne fait aucun doute depuis de longtemps, d'autant qu'il a été expressément affirmé à l'article 1 er de la Constitution de 1946, avant de l'être à l'article 1 er de la Constitution de 1958.

Si, à l'évidence, la laïcité doit vivre et doit continuer à vivre en France, votre rapporteur considère que cette proposition de loi n'y contribuerait pas et serait source, au contraire, de querelles nouvelles et inutiles si elle était adoptée.

Au surplus, la Constitution n'a pas vocation à devenir le « code de la République », accueillant toutes les préoccupations du moment, au détriment de sa stabilité et de sa clarté. Votre rapporteur déplore ainsi la multiplication ces dernières années d'initiatives constitutionnelles sans lendemain, alors que notre loi fondamentale appelle, par nature, une permanence dans les principes devant dépasser les querelles nourrissant l'actualité.

Depuis la dernière révision constitutionnelle en juillet 2008, six projets de loi constitutionnelle ont été présentés 78 ( * ) , dont cinq depuis 2012, sans compter le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation actuellement soumis à l'examen de nos collègues députés, sans qu'aucun n'ait été conduit à son terme. Dans la même période, quatre propositions de loi constitutionnelle ont été adoptées par l'une ou l'autre assemblée, sans examen par l'autre assemblée 79 ( * ) , sans compter la poursuite inachevée de la navette de la proposition visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers.

C. MIEUX LUTTER CONTRE LE COMMUNAUTARISME

Si la proposition de loi constitutionnelle apparaît inopportune à votre commission, en l'état de sa rédaction et compte tenu des effets juridiques qui ne manqueraient pas d'en résulter, il n'en reste pas moins qu'elle met utilement en lumière un phénomène préoccupant de montée du communautarisme au sein de la société française. Entendu par votre rapporteur, notre collègue Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi, a d'ailleurs fortement insisté sur ce phénomène, résultant selon lui de la défaillance des pouvoirs publics à mettre en oeuvre une conception exigeante de la laïcité.

Votre rapporteur partage très largement les observations exprimées par notre collègue et les préoccupations qui sous-tendent la présente proposition de loi constitutionnelle concernant le communautarisme.

Certes, l'article 1 er de la Constitution affirme que la République « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion », tandis que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 affirme que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

Sur le fondement de ce principe d'égalité, le Conseil constitutionnel s'oppose, à juste titre, à la reconnaissance de droits collectifs, attribués du fait de l'appartenance d'un individu à un groupe donné, justifiés par des critères particuliers, notamment d'origine, de langue, de culture ou de religion 80 ( * ) . Il se situe ainsi pleinement dans la tradition constitutionnelle républicaine.

Néanmoins, la société tend aujourd'hui à se fragmenter. Les aspirations communautaires se font entendre de façon croissante, encouragées parfois par certaines pratiques remettant en cause une conception républicaine exigeante du principe d'égalité. Ainsi, en réponse à leurs revendications particulières de traitement différencié pour des motifs, notamment, de croyance religieuse, des catégories de personnes se voient reconnaître un traitement particulier ou des exonérations qui peuvent apparaître comme autant de dérogations au principe d'égalité devant la norme commune, pour l'accès ou l'accomplissement du service public ou bien dans le cadre professionnel. L'actualité en propose de nombreux exemples, par exemple à l'école, en prison, à l'hôpital ou encore dans l'entreprise : mixité des cours de sport, menus des cantines scolaires, contenu des enseignements, refus de l'autorité d'une femme ou du contact d'un homme, jours d'absence pour des fêtes religieuses hors des jours fériés prévus par le code du travail ou encore adaptations particulières en matière d'application du droit du travail (règles d'hygiène et de sécurité, aménagement des horaires et des jours de travail, professions en contact avec l'alimentation, dérogations au règlement intérieur de l'entreprise...). Il arrive même que des employeurs adaptent les règles de leur propre initiative pour tenir compte des prescriptions religieuses auxquelles certains salariés se disent attachés.

Il semble à votre rapporteur que notre droit n'offre pas, aujourd'hui, un appui solide aux agents publics comme aux employeurs pour refuser de telles revendications et de telles pratiques. Pour autant, telle qu'elle est rédigée, la proposition de loi constitutionnelle soumise à votre commission ne répond pas véritablement aux préoccupations relatives au communautarisme et ne renforcera en rien la capacité de notre système juridique à s'y opposer, en particulier dans le monde du travail et de l'entreprise.

* *

*

En conséquence, à l'initiative de son rapporteur, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution.

EXAMEN EN COMMISSION

_______

MERCREDI 27 JANVIER 2016

M. Philippe Bas , président . - Nous sommes à nouveau appelés à examiner une proposition de loi constitutionnelle, s'ajoutant à de nombreuses autres auxquelles nous n'avons pas toujours reconnu le mérite de la clarté.

M. François Pillet , rapporteur . - La loi de 1905 a 110 ans. C'est à l'occasion sans doute de cet anniversaire que notre collègue Jacques Mézard et plusieurs membres de son groupe ont déposé la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise. Cette initiative n'est pas sans relation avec les propositions formulées, lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, par le président François Hollande, qui a précisé sa pensée le 5 février 2015 en indiquant que la laïcité, définie comme « la séparation de l'État et des cultes », doit « être comprise pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la liberté de conscience et donc la liberté des religions » .

Une telle initiative provoque un débat pertinent dans le contexte particulier que traverse notre pays. Mais il appartient à notre commission de s'extraire des querelles de l'instant pour revenir aux principes fondateurs. Aussi limiterai-je mon propos à une analyse juridique rigoureuse.

Les délais impartis m'ont conduit à réduire le nombre de mes auditions. Outre le ministère de la justice, j'ai entendu des constitutionnalistes qui avaient déjà mené des travaux sur la question, et dont les opinions se sont d'ailleurs parfois révélées divergentes.

Laïciser l'État en assurant sa neutralité, sans vouloir pour autant, dans le respect des convictions religieuses de chacun, laïciser la société, tel est l'acquis durable et bénéfique de cette loi fondatrice de la République française. Pour éclairer votre opinion, j'ai avant tout choisi de rechercher, dans une optique strictement juridique, ce que la proposition ne changerait pas et ce qu'elle modifierait.

M. René Vandierendonck . - Excellent programme.

M. François Pillet , rapporteur . - Il faut rappeler que la loi de 1905 intervenait dans le cadre d'une laïcisation progressive des services publics, entre 1880 et 1901. La Chambre des députés n'examinera pas moins de huit propositions de loi avant de parvenir au texte de la loi, au reste modifiée depuis à plusieurs reprises. Vous trouverez dans mon rapport l'intéressant historique de l'élaboration de cette loi.

La constitutionnalisation de cette loi - dans laquelle n'apparaît pas le mot de laïcité et où le mot de séparation ne figure que dans l'intitulé - ne consacrerait pas l'introduction de la laïcité et de la liberté de conscience dans la Constitution, principes qui y sont déjà contenus. Loi de séparation des Églises et de l'État, elle ne règle pas les relations entre les particuliers et l'État et donc l'éventuelle application d'un principe de laïcité, restant à définir, dans la sphère privée, que ce soit au sein des entreprises ou dans l'espace public : elle ne règle en aucun cas les comportements, signes ou attitudes à connotation religieuse des citoyens hors de leur domicile.

La constitutionnalisation de la loi de 1905 est-elle bien de nature, dans ces conditions, à répondre aux questions que suscitent les débats actuels sur la laïcité ?

Voyons à présent les modifications qu'elle introduirait dans notre droit. Si notre Constitution devait être modifiée dans la rédaction ici retenue - qui pose au demeurant problème -, les particularités locales anciennes bénéficiant à certains cultes en Alsace-Moselle et outre-mer - Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Mayotte, Wallis-et-Futuna... -  deviendraient inconstitutionnelles.

Mme Catherine Troendlé . - Bien sûr !

M. François Pillet , rapporteur . - Le principe selon lequel la République ne subventionne aucun culte, inscrit à l'article 2 de la loi de 1905, n'étant pas retenu par le Conseil constitutionnel dans sa définition du principe de laïcité en 2013, n'a qu'une valeur législative : il peut donc y être dérogé par la loi. L'interdiction de rémunérer le ministre d'un culte doit ainsi être distinguée de l'interdiction de subventionner un culte, à laquelle le législateur n'est pas tenu. En retenant cette distinction dans son explicitation du principe de laïcité, le Conseil constitutionnel n'a donc pas invalidé les dispositions législatives qui permettent, de façon directe ou indirecte, de subventionner les cultes, contribuant ainsi à préserver une situation pacifiée entre les cultes et l'État.

Adopter cette proposition de loi constitutionnelle rendrait inconstitutionnels les avantages fiscaux accordés aux associations cultuelles, la déductibilité des dons, les baux emphytéotiques ou les garanties d'emprunt que peuvent consentir les collectivités territoriales et les diverses aides directes ou indirectes reconnues par la jurisprudence du Conseil d'État ; sans parler des conventions passées avec l'enseignement privé confessionnel.

Je pourrais affiner encore cette analyse juridique, qui appelle, à mon sens, une vigilance toute particulière. Le droit des cultes, auquel s'attache la loi de 1905, aboutit aujourd'hui à une séparation apaisée, tempérée par certaines dérogations. Il me paraît essentiel de préserver cet équilibre, sans susciter les controverses juridiques que soulèverait immanquablement l'introduction des deux premiers articles de la loi de 1905 dans notre Constitution.

Depuis la dernière révision de 2008, l'idée de réviser la Constitution devient une pratique un peu inflationniste. Pas moins de cinq textes ont été déposés depuis 2012, dont aucun n'a abouti, sans compter celui dont nous serons bientôt saisis. N'oublions pas que la Constitution est notre loi fondamentale et évitons de la transformer, en lui imprimant un mouvement constant, à l'image du code civil ou du code pénal, en un simple « code de la République ».

Si nous pouvons très largement partager les préoccupations qui motivent la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues, introduire dans notre Constitution le titre I er de la loi de 1905 n'y répondrait pas. C'est pourquoi je vous invite à repousser ce texte, pour envisager d'autres solutions propres à répondre aux préoccupations bien réelles que soulève le communautarisme.

M. Philippe Bas , président . - Voilà une présentation une fois de plus éblouissante. Nos collègues ont entendu inscrire les principes du titre I er de la loi de 1905 dans la Constitution. Ces principes veulent que la République ne reconnaisse ni ne subventionne aucun culte, par où l'on voit, aussi fondamentaux soient-ils, combien ils sont liés à une étape de la fondation de la République qui est, sans doute fort heureusement, largement derrière nous.

Notre rapporteur nous a clairement rappelé que depuis l'adoption de la loi de 1905, d'autres textes sont intervenus, à commencer par ceux qui ont permis, en 1924, de consolider le statut concordataire en Alsace-Moselle. À quoi s'ajoute tout un ensemble de dispositions, telles que celles qui sont relatives aux cadis à Mayotte, celles qui ont trait aux relations entre l'Église et les collectivités publiques en Guyane, celles qui autorisent les baux emphytéotiques concernant des immeubles affectés au culte, etc. Si bien que la proposition qui nous est faite présente l'inconvénient de remettre en cause nombre de dispositions postérieures à la loi de 1905, alors même que les questions essentielles du début du XXI ème siècle en France sur les rapports entre la sphère publique et le religieux sont d'une toute autre nature qu'en 1905. Notre collègue a évoqué la question du communautarisme : peut-on tirer de son appartenance à une religion, voire à un groupe linguistique ou à une région, des droits sur la République ? Telle est la question de notre modernité, quand celle du subventionnement des cultes est réglée, avec minutie, dans des termes qui ne sont pas strictement ceux de la loi de 1905. Je rappelle que, dans notre ordre constitutionnel, les principales références à l'Église ont été supprimées par la révision constitutionnelle de 1884. Ainsi de la mention qui, dans la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics, prévoyait que le dimanche suivant la rentrée parlementaire, « des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler son secours sur les travaux des assemblées ».

M. Alain Richard . - C'est d'ailleurs la même loi constitutionnelle qui a supprimé les sénateurs inamovibles, à défaut de supprimer le Sénat, ce qui eût été dommage.

M. Philippe Bas , président . - En effet, une suppression par extinction naturelle, si bien que certains ont survécu jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale...

Cette étape est derrière nous : dans notre ordre constitutionnel, la seule référence à Dieu qui subsiste est celle qui figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, placée, à titre liminaire, « sous les auspices de l'Être suprême », et qui qualifie ces droits de « sacrés », ainsi qu'il est à nouveau mentionné à l'article 17, qui fait de la propriété un droit « inviolable et sacré ». Sachant qu'il a fallu attendre 1971 pour que cette Déclaration acquière une portée constitutionnelle positive, il n'y a pas été touché, et personne depuis ne s'aviserait d'ailleurs de proposer la modification de ce texte fondateur de notre pacte républicain.

Ce n'est donc pas sous l'angle de la constitutionnalisation des principes de la loi de 1905 qu'il convient d'aborder aujourd'hui la question des relations entre les croyances religieuses et la loi de la République. Il importe bien plutôt de s'interroger sur la question du communautarisme. Est-ce la règle commune découlant de la loi républicaine qui doit prévaloir ou celle que certains pourraient invoquer pour s'en affranchir ? Une question dont le législateur a commencé de s'emparer avec la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostensibles à l'école de la République, et qui donne lieu aujourd'hui encore à de graves questions, à laquelle on n'a apporté d'autre réponse que celle de la jurisprudence constitutionnelle, laquelle, pour importante qu'elle soit, n'est pas inscrite dans le marbre de notre Constitution. Telle est la mise au point que j'entendais faire, dans le sillage de notre rapporteur.

M. André Reichardt . - Je félicite à mon tour notre rapporteur pour la qualité et la clarté de son exposé. Comme lui, si j'ai peine à voir ce qu'apporte cette proposition de loi constitutionnelle, je vois bien, en revanche, ce qu'elle enlèverait à une région qui, de même qu'à Catherine Troendle, m'est chère.

M. Philippe Bas , président . - Elle nous est chère à tous...

M. André Reichardt . - C'est pourquoi je m'opposerai à ce texte avec la plus grande énergie. En Alsace-Moselle, notre laïcité est certes différente de celle qui prévaut dans ce que nous avons coutume d'appeler l'outre-Vosges, mais nous tenons à cette laïcité apaisée comme à la prunelle de nos yeux. Avec la mission d'information sur l'islam, que nous devons à l'initiative du groupe centriste, on se rend compte de tout l'intérêt que présente le cadre qui est le nôtre pour gérer des situations qui ne trouvent pas, ailleurs, de solution. De quelle religion parlons-nous quand on évoque l'islam ? Quelles sont les diverses obédiences en son sein ? Combien en France pratiquent le culte musulman ? Autant de questions auxquelles le directeur des libertés publiques du ministère de l'intérieur nous a indiqué, cet après-midi même, qu'il ne saurait répondre, ne pouvant tout au plus procéder que par estimation, les règles attachées au principe de laïcité ne lui permettant pas de recueillir ces informations. Une telle faculté n'est reconnue qu'en Alsace-Moselle, ajoutait-il, en vertu du concordat. Certes, l'islam ne fait pas partie des quatre cultes reconnus par l'État, mais grâce à la tradition que ce concordat nous a permis d'élaborer au fil du temps, nous avons pu l'associer, à la satisfaction générale, à notre démarche.

Encore une fois, la population est très attachée à cette approche apaisée de la laïcité, à laquelle l'adoption de ce texte porterait gravement atteinte, sans rien apporter au plan national.

M. Philippe Bas , président . - J'entends bien votre souci de souligner qu'il ne s'agit nullement pour vous de mettre en cause le principe de laïcité.

M. Didier Marie . - Ce texte se situe dans la ligne qu'ont toujours tenue les radicaux et, même s'ils ne sont pas les seuls à avoir défendu la laïcité, leur engagement historique en sa faveur mérite d'être salué.

En un temps où la résurgence du communautarisme et l'essor des fondamentalismes nous interpellent, il n'est pas inutile de rappeler ce que sont les fondements de notre laïcité. La loi de 1905 est d'abord une loi de liberté, qui pose un principe d'organisation de la société, par le peuple - laos , par opposition à klericos -, comme l'indique clairement l'étymologie du mot de laïcité. Ainsi que le soulignait Jean Jaurès dans son fameux discours de Carmaux sur l'école, laïcité et démocratie vont de pair, se nourrissant l'une l'autre. La France est une République laïque qui, plaçant tous les cultes sur un pied d'égalité, établit la liberté de conscience. La loi de 1905 s'est voulue avant tout comme une loi de concorde et d'apaisement, le moyen de vivre ensemble dans nos différences, que l'on soit croyant ou athée.

Cela dit, si je suis de ceux qui pensent qu'il est bon de réaffirmer ce principe de laïcité, j'estime, contrairement aux auteurs de ce texte, qu'il n'est pas nécessaire d'en préciser la portée, car cela a déjà été fait. À lire leur exposé des motifs, on a le sentiment que la valeur constitutionnelle de la laïcité est imparfaitement reconnue. Or la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2013, qui faisait suite à une saisine de l'association pour la promotion et l'expansion de la laïcité, pour étendre la loi de 1905 aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, a précisé la valeur constitutionnelle de la loi de 1905, ainsi que je m'en expliquerai en séance.

J'ajoute qu'inscrire le titre I er de la loi de 1905 dans la Constitution soulèverait nombre de difficultés, ainsi que l'a clairement exposé le rapporteur. Au premier rang desquelles le fait de viser dans la Constitution, comme le fait la rédaction proposée, une loi ordinaire. Qu'en serait-il si, demain, les articles de cette loi étaient modifiés ? Inscrire le titre I er de la loi de 1905 dans la Constitution remettrait de surcroît en cause les dispositions dérogatoires qui s'appliquent à certains territoires, métropolitains ou ultramarins. De même que se poserait la question du financement des cultes. Rappelons que la loi de 1905 a été modifiée onze fois depuis son adoption, pour y introduire quelque tempérance et répondre à des situations vivantes. La loi de 1905 posait trois interdictions : reconnaître les cultes, salarier les clercs, subventionner les cultes. Mais seules les deux premières, ainsi que l'a rappelé le rapporteur, ont valeur constitutionnelle, tandis qu'à la troisième ont été apportées nombre de dérogations, recensées dans le rapport d'Hervé Maurey sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, qui permettent de subventionner la restauration des bâtiments cultuels, de garantir un emprunt, etc. Or l'adoption du texte qui nous est proposé les remettrait en cause, au risque de rompre un équilibre chèrement acquis. Si bien que, m'inspirant de ce que disait Yvon Collin, signataire du présent texte, lors du débat en séance sur le rapport d'Hervé Maurey, je suis tenté de lancer cet appel : la loi, toute la loi, rien que la loi.

Portons haut et fort le principe de laïcité, mais gardons-nous de modifier des équilibres qui sont l'expression d'une laïcité pleine et entière. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste s'abstiendra.

M. René Vandierendonck . - Je serai sobre. André Diligent, dont j'ai eu l'honneur d'être le directeur de cabinet à la mairie de Roubaix, rappelait, à l'occasion de la mise en place de Marseille Espérance, ce propos de Jean Jaurès, qui mérite que l'on s'en inspire : apaiser la question religieuse pour poser la question sociale.

Mme Jacqueline Gourault . - Pas plus que mes collègues, je ne saisis l'apport de ce texte, alors que la laïcité est totalement intégrée aux esprits. Elle n'a besoin ni d'être définie, ni d'être qualifiée. Il y aurait beaucoup trop de risques à toucher à l'héritage de la loi de 1905, au-delà même des difficultés que cela poserait en Alsace-Moselle et outre-mer. Il serait sage d'en rester là.

M. Jacques Bigot . - Je prends acte du fait que notre rapporteur n'entend pas signer l'acte de décès du système concordataire.

Mme Catherine Troendlé . - Nous étions vigilants.

M. Jacques Bigot . - Je précise que le principe concordataire n'est pas contraire à la laïcité, mais l'organise différemment. Nous avions, à l'époque, fait valoir au Président de la République que le concordat ne saurait être supprimé au nom de grands principes et que la laïcité pouvait être respectée selon diverses modalités.

Mme Catherine Troendlé . - Tout à fait.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je suis en plein accord avec ce qu'a exposé Didier Marie au nom de mon groupe. Nous approuvons les objections soulevées par notre rapporteur, tout en souhaitant manifester notre attachement à la laïcité, d'où notre choix de l'abstention.

La laïcité suscite bien des débats...

Mme Jacqueline Gourault . - Parfois excessifs...

M. Jean-Pierre Sueur . - ... et je salue le rappel de René Vandierendonck à la conception de Jean Jaurès, qui n'était pas celle de Jules Guesde, député du Nord, sans parler de celle d'Émile Combes. Ou de celle de René Viviani, qui déclarait devant la Chambre des députés : « Nous avons éteint dans le ciel des étoiles qu'on ne rallumera plus ». Des propos un peu excessifs...

M. Philippe Bas , président . - Et surtout très pessimistes.

M. Jean-Pierre Sueur . - ... qui ont suscité une colère mémorable de Charles Péguy...

M. François Pillet , rapporteur . - Je salue l'avis quasiment unanime de notre commission. Je vois cependant un intérêt à ce texte : le débat qui aura lieu en séance publique sera l'occasion pour le Sénat de rappeler l'attachement des parlementaires à la laïcité.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT

M. François Pillet , rapporteur . - L'amendement COM-1 vise à préserver le concordat dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Je pourrai lui être favorable, dans la mesure où il oublie les dispositions particulières qui s'appliquent outre-mer ou qui permettent de subventionner les cultes.

M. Philippe Bas , président . - Vous nous appelez donc à le repousser, même si nous n'en devons pas moins prendre en compte l'hypothèse où le texte serait adopté.

M. André Reichardt . - Nous ne pouvons pas nous opposer à un amendement qui protège le concordat !

M. François Pillet , rapporteur . - Si l'hypothèse, fort improbable, évoquée par le président devait se préciser, je vous proposerais alors un amendement de séance destiné à protéger les territoires et les dérogations concernés.

M. Philippe Bas , président . - En revanche, adopter cet amendement reviendrait à adopter un texte de la commission. Autant nous avons voulu éviter d'interdire le débat en séance, autant nous n'entendons pas proposer un texte à son examen.

Mme Catherine Troendlé . - Compte tenu de l'engagement que vient de prendre le rapporteur, nous pouvons le suivre.

M. Jacques Bigot . - À supposer que le texte passe, l'amendement n'est en tout état de cause pas satisfaisant, puisqu'il oublie les textes en vigueur outre-mer.

M. Philippe Bas , président . - Sans compter qu'il est d'autres dispositions encore qui mériteraient d'être protégées, comme celles qui autorisent les baux emphytéotiques par exemple.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

M. Philippe Bas , président . - Il reste que ce texte soulèvera un débat intéressant, qui sera l'occasion de réaffirmer la suprématie de la loi de la République sur toute autre règle. Des initiatives constructives pourront naître, de là, d'ici à la séance.

La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. MASSON

1

Prise en compte du régime particulier
d'Alsace-Moselle

Rejeté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

M. Jacques Mézard , sénateur du Cantal, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

Ministère de la justice

M. Naïl Bouricha , conseiller chargé des juridictions administratives, des libertés publiques et des affaires institutionnelles

M. Édouard Santais , chargé de mission

Mme Samira Jemaï , conseillère parlementaire

Universitaires

M. Jean-Pierre Machelon , doyen honoraire de la faculté de droit de l'Université Paris Descartes

M. Francis Messner , directeur de recherche émérite au CNRS, professeur conventionné à l'Université de Strasbourg

M. Jean Morange , professeur agrégé des facultés de droit

M. Thierry Rambaud , professeur de droit public à la faculté de droit de l'Université Paris Descartes et à l'Institut d'études politiques de Paris

Mme Agnès Roblot-Troizier , professeur à l'École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

ANNEXE
LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905
CONCERNANT LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT

Version consolidée au 29 janvier 2016

Titre I er
Principes

Article 1 er

La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 2

La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1 er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.

Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3.

Titre II
Attribution des biens, pensions

Article 3

Les établissements dont la suppression est ordonnée par l'article 2 continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu'à l'attribution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu'à l'expiration du délai ci-après.

Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l'inventaire descriptif et estimatif :

1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ;

2° Des biens de l'État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance.

Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une notification faite en la forme administrative.

Les agents chargés de l'inventaire auront le droit de se faire communiquer tous titres et documents utiles à leurs opérations.

Article 4

Dans le délai d'un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui, en se conformant aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice, se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l'article 19, pour l'exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.

Article 5

Ceux des biens désignés à l'article précédent qui proviennent de l'État et qui ne sont pas grevés d'une fondation pieuse créée postérieurement à la loi du 18 germinal an X feront retour à l'État.

Les attributions de biens ne pourront être faites par les établissements ecclésiastiques qu'un mois après la promulgation du décret en Conseil d'État prévu à l'article 43. Faute de quoi la nullité pourra en être demandée devant le tribunal de grande instance par toute partie intéressée ou par le ministère public.

En cas d'aliénation par l'association cultuelle de valeurs mobilières ou d'immeubles faisant partie du patrimoine de l'établissement public dissous, le montant du produit de la vente devra être employé en titres de rente nominatifs ou dans les conditions prévues au paragraphe 2 de l'article 22.

L'acquéreur des biens aliénés sera personnellement responsable de la régularité de cet emploi.

Les biens revendiqués par l'État, les départements ou les communes ne pourront être aliénés, transformés ni modifiés jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la revendication par les tribunaux compétents.

Article 6

Les associations attributaires des biens des établissements ecclésiastiques supprimés seront tenues des dettes de ces établissements ainsi que de leurs emprunts sous réserve des dispositions du troisième paragraphe du présent article ; tant qu'elles ne seront pas libérées de ce passif, elles auront droit à la jouissance des biens productifs de revenus qui doivent faire retour à l'État en vertu de l'article 5.

Les annuités des emprunts contractés pour dépenses relatives aux édifices religieux, seront supportées par les associations en proportion du temps pendant lequel elles auront l'usage de ces édifices par application des dispositions du titre III.

Article 7

Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d'une affectation charitable ou d'une toute autre affectation étrangère à l'exercice du culte seront attribués, par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques, aux services ou établissements publics ou d'utilité publique, dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution devra être approuvée par le préfet du département où siège l'établissement ecclésiastique. En cas de non-approbation, il sera statué par décret en Conseil d'État.

Toute action en reprise, qu'elle soit qualifiée en revendication, en révocation ou en résolution, concernant les biens dévolus en exécution du présent article, est soumise aux règles prescrites par l'article 9.

Article 8

Faute par un établissement ecclésiastique d'avoir, dans le délai fixé par l'article 4, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par décret.

À l'expiration dudit délai, les biens à attribuer seront, jusqu'à leur attribution, placés sous séquestre.

Dans le cas où les biens attribués en vertu de l'article 4 et du paragraphe 1 er du présent article seront, soit dès l'origine, soit dans la suite, réclamés par plusieurs associations formées pour l'exercice du même culte, l'attribution qui en aura été faite par les représentants de l'établissement ou par décret pourra être contestée devant le Conseil d'État, statuant au contentieux, lequel prononcera en tenant compte de toutes les circonstances de fait.

La demande sera introduite devant le Conseil d'État, dans le délai d'un an à partir de la date du décret ou à partir de la notification, à l'autorité préfectorale, par les représentants légaux des établissements publics du culte, de l'attribution effectuée par eux. Cette notification devra être faite dans le délai d'un mois.

L'attribution pourra être ultérieurement contestée en cas de scission dans l'association nantie, de création d'association nouvelle par suite d'une modification dans le territoire de la circonscription ecclésiastique et dans le cas où l'association attributaire n'est plus en mesure de remplir son objet.

Article 9

1. Les biens des établissements ecclésiastiques. qui n'ont pas été réclamés par des associations cultuelles constituées dans le délai d'un an à partir de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, seront attribués par décret à des établissements communaux de bienfaisance ou d'assistance situés dans les limites territoriales de la circonscription ecclésiastique intéressée, ou, à défaut d'établissement de cette nature, aux communes ou sections de communes, sous la condition d'affecter aux services de bienfaisance ou d'assistance tous les revenus ou produits de ces biens, sauf les exceptions ci-après :

1° Les édifices affectés au culte lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et les meubles les garnissant deviendront la propriété des communes sur le territoire desquelles ils sont situés, s'ils n'ont pas été restitués ni revendiqués dans le délai légal ;

2° Les meubles ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques ci-dessus mentionnés qui garnissent les édifices désignés à l'article 12, paragraphe 2, de la loi du 9 décembre 1905, deviendront la propriété de l'État, des départements et des communes, propriétaires desdits édifices, s'ils n'ont pas été restitués ni revendiqués dans le délai légal ;

3° Les immeubles bâtis, autres que les édifices affectés au culte, qui n'étaient pas productifs de revenus lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et qui appartenaient aux menses archiépiscopales et épiscopales, aux chapitres et séminaires, ainsi que les cours et jardins y attenant, seront attribués par décret, soit à des départements, soit à des communes, soit à des établissements publics pour des services d'assistance ou de bienfaisance ou des services publics ;

4° Les biens des menses archiépiscopales et épiscopales, chapitres et séminaires, seront, sous réserve de l'application des dispositions du paragraphe précèdent, affectés dans la circonscription territoriale de ces anciens établissements, au paiement du reliquat des dettes régulières ou légales de l'ensemble des établissements ecclésiastiques compris dans ladite circonscription, dont les biens n'ont pas été attribués à des associations cultuelles, ainsi qu'au paiement de tous frais exposés et de toutes dépenses effectuées relativement à ces biens par le séquestre, sauf ce qui est dit au paragraphe 13 de l'article 3 ci-après. L'actif disponible après l'acquittement de ces dettes et dépenses sera attribué par décret à des services départementaux de bienfaisance ou d'assistance.

En cas d'insuffisance d'actif il sera pourvu au paiement desdites dettes et dépenses sur l'ensemble des biens ayant fait retour à l'État, en vertu de l'article 5 ;

5° Les documents, livres, manuscrits et oeuvres d'art ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques et non visés au 1° du présent paragraphe pourront être réclamés par l'État, en vue de leur dépôt dans les archives, bibliothèques ou musées et lui être attribués par décret ;

6° Les biens des caisses de retraite et maisons de secours pour les prêtres âgés ou infirmes seront attribués par décret à des sociétés de secours mutuels constituées dans les départements où ces établissements ecclésiastiques avaient leur siège.

Pour être aptes à recevoir ces biens, lesdites sociétés devront être approuvées dans les conditions prévues par la loi du 1 er avril 1898, avoir une destination conforme à celle desdits biens, être ouvertes à tous les intéressés et ne prévoir dans leurs statuts aucune amende ni aucun cas d'exclusion fondés sur un motif touchant à la discipline ecclésiastique.

Les biens des caisses de retraite et maisons de secours qui n'auraient pas été réclamés dans le délai de dix-huit mois à dater de la promulgation de la présente loi par des sociétés de secours mutuels constituées dans le délai d'un an de ladite promulgation, seront attribués par décret aux départements où ces établissements ecclésiastiques avaient leur siège, et continueront à être administrés provisoirement au profit des ecclésiastiques qui recevaient des pensions ou secours ou qui étaient hospitalisés à la date du 15 décembre 1906.

Les ressources non absorbées par le service de ces pensions ou secours seront employées au remboursement des versements que les ecclésiastiques ne recevant ni pension ni secours justifieront avait faits aux caisses de retraites.

Le surplus desdits biens sera affecté par les départements à des services de bienfaisance ou d'assistance fonctionnant dans les anciennes circonscriptions des caisses de retraite et maisons de secours.

2. En cas de dissolution d'une association, les biens qui lui auront été dévolus en exécution des articles 4 et 8 seront attribués par délibérations concordantes des associations ou établissements concernés, soit à des associations analogues dans la même circonscription ou, à leur défaut, dans les circonscriptions les plus voisines, soit aux établissements visés au paragraphe 1 er du présent article.

3. Toute action en reprise, qu'elle soit qualifiée en revendication, en révocation ou en résolution doit être introduite dans le délai ci-après déterminé.

Elle ne peut être exercée qu'en raison de donations, de legs ou de fondations pieuses, et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe.

Les arrérages de rentes dues aux fabriques pour fondations pieuses ou cultuelles et qui n'ont pas été rachetées cessent d'être exigibles.

Aucune action d'aucune sorte ne pourra être intentée à raison de fondations pieuses antérieures à la loi du 18 germinal an X.

4. L'action peut être exercée contre l'attributaire ou, à défaut d'attribution, contre le directeur général des domaines représentant l'État en qualité de séquestre.

5. Nul ne pourra introduire une action, de quelque nature qu'elle soit, s'il n'a déposé, deux mois auparavant un mémoire préalable sur papier non timbré entre les mains du directeur général des domaines qui en délivrera un récépissé daté et signé.

6. Au vu de ce mémoire, et après avis du directeur des domaines, le préfet pourra en tout état de cause, et quel que soit l'état de la procédure, faire droit à tout ou partie de la demande par un arrêté....

7. L'action sera prescrite si le mémoire préalable n'a pas été déposé dans les dix mois à compter de la publication au Journal officiel de la liste des biens attribués ou à attribuer avec les charges auxquelles lesdits biens seront ou demeureront soumis, et si l'assignation devant la juridiction ordinaire n'a pas été délivrée dans les trois mois de la date du récépissé.

Parmi ces charges, pourra être comprise celle de l'entretien des tombes.

8. Passé ces délais, les attributions seront définitives et ne pourront plus être attaquées de quelque matière ni pour quelque cause que ce soit.

Néanmoins, toute personne intéressée pourra poursuivre devant le Conseil d'État statuant au contentieux, l'exécution des charges imposées par les décrets d'attribution.

9. Il en sera de même pour les attributions faites après solution des litiges soulevés dans le délai.

10. Tout créancier, hypothécaire, privilégié ou autre, d'un établissement dont les biens ont été mis sous séquestre, devra, pour obtenir le paiement de sa créance, déposer préalablement à toute poursuite un mémoire justificatif de sa demande, sur papier non timbré, avec les pièces à l'appui au directeur général des domaines qui en délivrera un récépissé daté et signé.

11. Au vu de ce mémoire et sur l'avis du directeur des domaines, le préfet pourra en tout état de cause, et quel que soit l'état de la procédure, décider, par un arrêté pris en conseil de préfecture, que le créancier sera admis, pour tout ou partie de sa créance, au passif de la liquidation de l'établissement supprimé.

12. L'action du créancier sera définitivement éteinte si le mémoire préalable n'a pas été déposé dans les six mois qui suivront la publication au Journal officiel prescrite par le paragraphe 7 du présent article, et si l'assignation devant la juridiction ordinaire n'a pas été délivrée dans les neuf mois de ladite publication.

13. Dans toutes les causes auxquelles s'appliquent les dispositions de la présente loi, le tribunal statue comme en matière sommaire, conformément au titre 24 du livre II du Code de procédure civile.

Les frais exposés par le séquestre seront, dans tous les cas, employés en frais privilégiés sur le bien séquestré, sauf recouvrement contre la partie adverse condamnée aux dépens, ou, sur la masse générale des biens recueillis par l'État.

Le donateur et les héritiers en ligne directe soit du donateur, soit du testateur ayant, dès à présent, intenté une action en revendication ou en révocation devant les tribunaux civils, sont dispensés des formalités de procédure prescrites par les paragraphes 5,6 et 7 du présent article.

14. L'État, les départements les communes et les établissements publics ne peuvent remplir ni les charges pieuses ou cultuelles, afférentes aux libéralités à eux faites ou, aux contrats conclus par eux, ni les charges dont l'exécution comportait l'intervention soit d'un établissement public du culte, soit de titulaires ecclésiastiques.

Ils ne pourront remplir les charges comportant l'intervention d'ecclésiastiques pour l'accomplissement d'actes non cultuels que s'il s'agit de libéralités autorisées antérieurement à la promulgation de la présente loi, et si, nonobstant l'intervention de ces ecclésiastiques, ils conservent un droit de contrôle sur l'emploi desdites libéralités.

Les dispositions qui précèdent s'appliquent au séquestre.

Dans les cas prévus à l'alinéa 1 er du présent paragraphe, et en cas d'inexécution des charges visées à l'alinéa 2, l'action en reprise, qu'elle soit qualifiée en revendication, en révocation ou en résolution, ne peut être exercée que par les auteurs des libéralités et leurs héritiers en ligne directe.

Les paragraphes précédents s'appliquent à cette action sous les réserves ci-après :

Le dépôt du mémoire est fait au préfet, et l'arrêté du préfet en conseil de préfecture est pris, s'il y a lieu, après avis de la commission départementale pour le département, du conseil municipal pour la commune et de la commission administrative pour l'établissement public intéressé.

En ce qui concerne les biens possédés par l'État, il sera statué par décret.

L'action sera prescrite si le mémoire n'a pas été déposé dans l'année qui suivra la promulgation de la présente loi, et l'assignation devant la juridiction ordinaire délivrée dans les trois mois de la date du récépissé.

15. Les biens réclamés, en vertu du paragraphe 14, à l'État, aux départements, aux communes et à tous les établissements publics ne seront restituables, lorsque la demande ou l'action sera admise, que dans la proportion correspondant aux charges non exécutées, sans qu'il y ait lieu de distinguer si lesdites charges sont ou non déterminantes de la libéralité ou du contrat de fondation pieuse et sous déduction des frais et droits correspondants payés lors de l'acquisition des biens.

16. Sur les biens grevés de fondations de messes, l'État, les départements, les communes et les établissements publics possesseurs ou attributaires desdits biens, devront, à défaut des restitutions à opérer en vertu du présent article, mettre en réserve la portion correspondant aux charges ci-dessus visées.

Cette portion sera remise aux sociétés de secours mutuels constituées conformément au paragraphe 1 er 6°, de l'article 9 de la loi du 9 décembre 1905, sous la forme de titres de rente nominatifs, à charge par celles-ci d'assurer l'exécution des fondations perpétuelles de messes.

Pour les fondations temporaires, les fonds y afférents seront versés auxdites sociétés de recours mutuels, mais ne bénéficieront pas du taux de faveur prévu par l'article 21 de la loi du 1 er avril 1898.

Les titres nominatifs seront remis et les versements faits à la société de secours mutuels qui aura été constituée dans le département, ou à son défaut dans le département le plus voisin.

À l'expiration du délai de dix-huit mois prévu au paragraphe 1 er , 6° ci-dessus visé, si aucune des sociétés de secours mutuels qui viennent d'être mentionnées n'a réclamé la remise des titres ou le versement auquel elle a droit, l'État, les départements, les communes et les établissements publics seront définitivement libérés et resteront propriétaires des biens par eux possédés ou à eux attribués, sans avoir à exécuter aucune des fondations et messes grevant lesdits biens.

La portion à mettre en réserve, en vertu des dispositions précédentes sera calculée sur la base des tarifs indiqués dans l'acte de fondation, ou, à défaut, sur la base des tarifs en vigueur au 9 décembre 1905.

Article 10

1. Les attributions prévues par les articles précédents ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor.

2. Les transferts, transcriptions, inscriptions et mainlevées, mentions et certificats seront opérés ou délivrés par les compagnies, sociétés et autres établissements débiteurs et par les conservateurs des hypothèques, en vertu, soit d'une décision de justice devenue définitive, soit d'un arrêté pris par le préfet soit des délibérations concordantes prévues au 2 de l'article 9, soit d'un décret d'attribution.

3. Les arrêtés et décrets, les transferts, les transcriptions, inscriptions et mainlevées, mentions et certificats opérés ou délivrés venu desdits arrêtés et décrets ou des décisions de justice susmentionnés seront affranchis de droits de timbre, d'enregistrement et de toute taxe.

4. Les attributaires de biens immobiliers seront, dans tous les cas, dispensés de remplir les formalités de purge des hypothèques légales. Les biens attribués seront francs et quittes de toute charge hypothécaire ou privilégiée qui n'aurait pas été inscrite avant l'expiration du délai de six mois à dater de la publication au Journal officiel ordonnée par le paragraphe 7 de l'article 9.

Article 11 (abrogé)

Titre III

Des édifices des cultes

Article 12

Les édifices qui ont été mis à la disposition de la nation et qui, en vertu de la loi du 18 germinal an X, servent à l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires), ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été remis aux cultes, sont et demeurent propriétés de l'État, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d'édifices des cultes.

Pour ces édifices, comme pour ceux postérieurs à la loi du 18 germinal an X, dont l'État, les départements et les communes seraient propriétaires, y compris les facultés de théologie protestante, il sera procédé conformément aux dispositions des articles suivants.

Article 13

Les édifices servant à l'exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II.

La cessation de cette jouissance, et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par arrêté préfectoral, sauf recours au Conseil d'État statuant au contentieux :

1° Si l'association bénéficiaire est dissoute ;

2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs ;

3° Si la conservation de l'édifice ou celle des objets mobiliers classés en vertu de la loi de 1887 et de l'article 16 de la présente loi est compromise par insuffisance d'entretien, et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut du préfet ;

4° Si l'association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ;

5° Si elle ne satisfait pas soit aux obligations de l'article 6 ou du dernier paragraphe du présent article, soit aux prescriptions relatives aux monuments historiques.

Dans les cinq cas ci-dessus prévus, la désaffectation des édifices cultuels communaux ainsi que des objets mobiliers les garnissant pourra être prononcée par décret en Conseil d'État. Toutefois cette désaffectation pourra être prononcée par arrêté préfectoral, à la demande du conseil municipal, lorsque la personne physique ou morale ayant qualité pour représenter le culte affectataire aura donné par écrit son consentement à la désaffectation.

En dehors de ces cas, la désaffectation ne pourra être prononcée que par une loi.

Les immeubles autrefois affectés aux cultes et dans lesquels les cérémonies du culte n'auront pas été célébrées pendant le délai d'un an antérieurement à la présente loi, ainsi que ceux qui ne seront pas réclamés par une association cultuelle dans le délai de deux ans après sa promulgation, pourront être désaffectés par décret.

Il en est de même pour les édifices dont la désaffectation aura été demandée antérieurement au 1 er juin 1905.

Les établissements publics du culte, puis les associations bénéficiaires, seront tenus des réparations de toute nature, ainsi que des frais d'assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant.

L'État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi.

Article 14

Les archevêchés, évêchés, les presbytères et leurs dépendances, les grands séminaires et facultés de théologie protestante seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations prévues à l'article 13, savoir : les archevêchés, et évêchés pendant une période de deux années ; les presbytères dans les communes où résidera le ministre du culte, les grands séminaires et facultés de théologie protestante, pendant cinq années à partir de la promulgation de la présente loi.

Les établissements et associations sont soumis, en ce qui concerne ces édifices, aux obligations prévues par le dernier paragraphe de l'article 13. Toutefois, ils ne seront pas tenus des grosses réparations.

La cessation de la jouissance des établissements et associations sera prononcée dans les conditions et suivant les formes déterminées par l'article 13. Les dispositions des paragraphes 3 et 5 du même article sont applicables aux édifices visés par le paragraphe 1 er du présent article.

La distraction des parties superflues des presbytères laissés à la disposition des associations cultuelles pourra, pendant le délai prévu au paragraphe 1 er , être prononcée pour un service public par décret rendu en Conseil d'État.

À l'expiration des délais de jouissance gratuite, la libre disposition des édifices sera rendue à l'État, aux départements ou aux communes.

Ceux de ces immeubles qui appartiennent à l'État pourront être, par décret, affectés ou concédés gratuitement, dans les formes prévues à l'ordonnance du 14 juin 1833, soit à des services publics de l'État, soit à des services publics départementaux ou communaux.

Les indemnités de logement incombant actuellement aux communes, à défaut de presbytère, par application de l'article 136 de la loi du 5 avril 1884, resteront à leur charge pendant le délai de cinq ans. Elles cesseront de plein droit en cas de dissolution de l'association.

Article 15

Dans les départements de la Savoie, de la Haute-Savoie et des Alpes-Maritimes, la jouissance des édifices antérieurs à la loi du 18 germinal an X, servant à l'exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, sera attribuée par les communes sur le territoire desquelles ils se trouvent, aux associations cultuelles, dans les conditions indiquées par les articles 12 et suivants de la présente loi. En dehors de ces obligations, les communes pourront disposer librement de la propriété de ces édifices.

Dans ces mêmes départements, les cimetières resteront la propriété des communes.

Article 16

Il sera procédé à un classement complémentaire des édifices servant à l'exercice public du culte (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires), dans lequel devront être compris tous ceux de ces édifices représentant, dans leur ensemble ou dans leurs parties, une valeur artistique ou historique.

Les objets mobiliers ou les immeubles par destination mentionnés à l'article 13, qui n'auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l'effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé par le ministre compétent, dans le délai de trois ans, au classement définitif de ceux de ces objets dont la conservation présenterait, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt suffisant. A l'expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit.

En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations, pourront être classés dans les mêmes conditions que s'ils appartenaient à des établissements publics.

Il n'est pas dérogé, pour le surplus, aux dispositions de la loi du 30 mars 1887.

Les archives ecclésiastiques et bibliothèques existant dans les archevêchés, évêchés, grands séminaires, paroisses, succursales et leurs dépendances, seront inventoriées et celles qui seront reconnues propriété de l'État lui seront restituées.

Article 17

Les immeubles par destination classés en vertu de la loi du 30 mars 1887 ou de la présente loi sont inaliénables et imprescriptibles

Dans le cas où la vente ou l'échange d'un objet classé serait autorisé par le ministre compétent, un droit de préemption est accordé :

1° aux associations cultuelles ;

2° aux communes ;

3° aux départements ;

4° aux musées et sociétés d'art et d'archéologie ;

5° à l'État.

Le prix sera fixé par trois experts que désigneront le vendeur, l'acquéreur et le président du tribunal de grande instance.

Si aucun des acquéreurs visés ci-dessus ne fait usage du droit de préemption la vente sera libre ; mais il est interdit à l'acheteur d'un objet classé de le transporter hors de France.

La visite des édifices et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance.

Titre IV
Des associations pour l'exercice des cultes

Article 18

Les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants du titre Ier de la loi du 1 er juillet 1901. Elles seront, en outre, soumises aux prescriptions de la présente loi.

Article 19

Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte et être composés au moins :

Dans les communes de moins de 1.000 habitants, de sept personnes ;

Dans les communes de 1.000 à 20.000 habitants, de quinze personnes ;

Dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000, de vingt-cinq personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse.

Chacun de leurs membres pourra s'en retirer en tout temps, après payement des cotisations échues et de celles de l'année courante, nonobstant toute clause contraire.

Nonobstant toute clause contraire des statuts, les actes de gestion financière et d'administration légale des biens accomplis par les directeurs ou administrateurs seront, chaque année au moins présentés au contrôle de l'assemblée générale des membres de l'association et soumis à son approbation.

Les associations pourront recevoir, en outre, des cotisations prévues par l'article 6 de la loi du 1 er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.

Les associations cultuelles pourront recevoir, dans les conditions prévues par les trois derniers alinéas de l'article 910 du code civil, les libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l'accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles.

Elles pourront verser, sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à d'autres associations constituées pour le même objet.

Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques.

Article 20

Ces associations peuvent, dans les formes déterminées par l'article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions ayant une administration ou une direction centrale ; ces unions seront réglées par l'article 18 et par les cinq derniers paragraphes de l'article 19 de la présente loi.

Article 21

Les associations et les unions dressent chaque année l'état inventorié de leurs biens meubles et immeubles.

Le contrôle financier est exercé sur les associations et sur les unions par le ministre des finances et par l'inspection générale des finances.

Article 22

Les associations et unions peuvent employer leurs ressources disponibles à la constitution d'un fonds de réserve suffisant pour assurer les frais et l'entretien du culte et ne pouvant, en aucun cas, recevoir une autre destination.

Article 23

Seront punis d'une amende prévue par le 5° de l'article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la 5ème classe, et, en cas de récidive, d'une amende double, les directeurs ou administrateurs d'une association ou d'une union qui auront contrevenu aux articles 18,19,20,21 et 22.

Les tribunaux pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe 1 er du présent article, prononcer la dissolution de l'association ou de l'union.

Article 24

Les édifices affectés à l'exercice du culte appartenant à l'État, aux départements ou aux communes continueront à être exemptés de l'impôt foncier et de l'impôt des portes et fenêtres.

Les édifices servant au logement des ministres des cultes, les séminaires, les facultés de théologie protestante qui appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes, les biens qui sont la propriété des associations et unions sont soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers.

Toutefois, les édifices affectés à l'exercice du culte qui ont été attribués aux associations ou unions en vertu des dispositions de l'article 4 de la présente loi sont, au même titre que ceux qui, appartiennent à l'État, aux départements et aux communes, exonérés de l'impôt foncier et de l'impôt des portes et fenêtres.

Les associations et unions ne sont en aucun cas assujetties à la taxe d'abonnement ni à celle imposée aux cercles par article 33 de la loi du 8 août 1890, pas plus qu'à l'impôt de 4 % sur le revenu établi par les lois du 28 décembre 1880 et 29 décembre 1884.

Titre V
Police des cultes

Article 25

Les réunions pour la célébration d'un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l'article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 26

Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte.

Article 27

Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte, sont réglées en conformité de l'article L2212-2 du code général des collectivités territoriales.

Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l'association cultuelle, par arrêté préfectoral.

Le décret en Conseil d'État prévu par l'article 43 de la présente loi déterminera les conditions et les cas dans lesquels les sonneries civiles pourront avoir lieu.

Article 28

Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

Article 29

Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de police.

Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 25, 26 et 27, ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 25 et 26, ceux qui ont fourni le local.

Article 30 (abrogé)

Article 31

Sont punis de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5 ème classe et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte.

Article 32

Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.

Article 33

Les dispositions des deux articles précédents ne s'appliquent qu'aux troubles, outrages ou voies de fait, dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d'après les dispositions du Code pénal.

Article 34

Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni d'une amende de 3 750 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement.

La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du présent article et de l'article qui suit.

Article 35

Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile.

Article 36

Dans le cas de condamnation par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles 25 et 26, 34 et 35, l'association constituée pour l'exercice du culte dans l'immeuble où l'infraction a été commise sera civilement responsable.

Titre VI
Dispositions générales

Article 37

L'article 463 du Code pénal et la loi du 26 mars 1891 sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.

Nota : Aux termes de l'article 323 de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 : sont abrogées toutes les dispositions faisant référence à l'article 463 du code pénal.

Article 38

Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1 er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904.

Article 39

Les jeunes gens, qui ont obtenu à titre d'élèves ecclésiastiques la dispense prévue par l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889, continueront à en bénéficier conformément à l'article 99 de la loi du 21 mars 1905, à la condition qu'à l'âge de vingt-six ans ils soient pourvus d'un emploi de ministre du culte rétribué par une association cultuelle et sous réserve des justifications qui seront fixées par un décret en Conseil d'État.

Article 40

Pendant huit années à partir de la promulgation de la présente loi, les ministres du culte seront inéligibles au conseil municipal dans les communes où ils exerceront leur ministère ecclésiastique.

Article 41 (abrogé)

Article 42 (abrogé)

Article 43

Un décret en Conseil d'État rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.

Des décrets en Conseil d'État détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et à la Nouvelle-Calédonie.

Article 44

Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l'organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l'État, ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment :

1° La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ;

2° Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1 er août 1879 sur les cultes protestants ;

3° Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l'ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite ;

4° Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859 ;

5° Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal ;

6° Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12, de l'article 136 et l'article 167 de la loi du 5 avril 1884 ;

7° Le décret du 30 décembre 1809 et l'article 78 de la loi du 26 janvier 1892.


* 1 Voir infra.

* 2 « Combats d'hier, laïcité d'aujourd'hui, Retour sur la loi du 9 décembre 1905 » de M. Jean-Pierre Machelon, Le Débat, n° 185, mai-août 2015.

* 3 La loi du 14 août 1884, portant révision partielle des lois constitutionnelles, a supprimé cette disposition figurant à l'article 1 er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.

* 4 Article précité.

* 5 Ibid.

* 6 Ibid.

* 7 Émile Combes était alors sénateur de la Charente-Inférieure et président du groupe de la Gauche démocratique.

* 8 Rapport n° 2302 (huitième législature), session de 1905, fait au nom de la commission relative à la séparation des Églises et de l'État et à la dénonciation du concordat chargée d'examiner le projet de loi et les diverses propositions de loi concernant la séparation des Églises et de l'État.

* 9 Rapport n° 260 (session extraordinaire de 1905), fait au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, concernant la séparation des Églises et de l'État.

* 10 Un deuxième vote fut organisé sur la modification de l'intitulé du projet de loi pour remplacer les mots « la séparation » par les mots « les nouveaux rapports ». Cette proposition fut rejetée par 194 voix contre et 25 voix pour.

* 11 Décret du 29 décembre 1905 portant règlement d'administration publique en ce qui concerne l'inventaire prescrit par l'article 3 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.

* 12 Instruction du 2 janvier 1906 relative à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.

* 13 La loi de 1905 disposait que les associations cultuelles avaient aussi pour objet l'exercice du culte.

* 14 Voir infra.

* 15 Voir infra.

* 16 La circulaire du 29 juillet 2011 est consultable à l'adresse suivante :

http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2011/08/cir_33668.pdf

* 17 La circulaire du 23 juin 2010 est consultable à l'adresse suivante :

http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2010/12/cir_32278.pdf

* 18 Le texte intégral de la loi du 9 décembre 1905 figure en annexe du présent rapport.

* 19 Il existait en 1905 plusieurs catégories juridiques d'édifices cultuels : ceux appartenant à un établissement public du culte, soit qu'ils aient été acquis ou construits par cet établissement, soit qu'ils proviennent de l'État, et ceux appartenant à l'État, un département ou une commune et mis à disposition d'un établissement public du culte. La loi de 1905 a prévu le transfert de la propriété des édifices appartenant à un établissement public du culte et ne provenant pas de l'État aux nouvelles associations cultuelles, tous les autres édifices revenant à leur propriétaire public.

* 20 Par exemple les dépenses de chauffage et d'électricité.

* 21 Compte tenu de son opposition aux associations cultuelles telles que conçues dans la loi de 1905, l'Église catholique a pu constituer, à partir de 1924, des associations diocésaines, dont l'objet ne s'étend pas à l'exercice du culte (voir supra).

* 22 Cette disposition est obsolète, faisant référence à des impositions qui n'existent plus. Celles-ci ont été remplacées depuis par la taxe foncière sur les propriétés bâties et la taxe d'habitation.

* 23 Les signes érigés avant 1905 n'étaient donc pas remis en cause (croix sur les voies publiques...).

* 24 Respectivement articles 1382 et 1407 du code général des impôts En tout état de cause, les édifices cultuels ne sont pas des immeubles d'habitation. L'exonération est en revanche plus notable pour la taxe foncière.

* 25 Articles L. 331-7 et R*. 331-4 du code de l'urbanisme.

* 26 Ainsi que les établissements publics des cultes reconnus et les associations cultuelles de droit local pour les cultes non reconnus en Alsace-Moselle.

* 27 Respectivement articles 200 et 238 bis du code général des impôts.

* 28 Article 757 du même code.

* 29 Article 795 du même code.

* 30 Par exemple l'exonération de la taxe sur les transferts de biens mobiliers, prévue par l'article 1039 du code général des impôts.

* 31 Affaire n° 187122.

* 32 Un arrêt du 19 juin 2006 a retenu la même solution pour une association évangélique de Guyane. Affaire n° 270595.

* 33 Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.

* 34 En droit musulman, les biens habous sont des biens de mainmorte consacrés à une oeuvre religieuse, qui ne peuvent être cédés.

* 35 Affaires n° 308544 et n° 308817. Acquisition et restauration par la commune de Trélazé d'un orgue destiné à l'église communale et subvention de la ville de Lyon pour la construction d'un ascenseur pour accéder à la basilique de Fourvière.

* 36 Affaire n° 309161. Aménagement par la communauté urbaine du Mans d'un abattoir temporaire pour la fête musulmane de l'Aïd-el-Kébir.

* 37 Affaire n° 313518. Mise à disposition par la commune de Montpellier d'un local à l'association des Franco-Marocains en vue de l'exercice du culte musulman.

* 38 Affaire n° 320796. Bail conclu entre la commune de Montreuil et la fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil.

* 39 Voir supra.

* 40 Il faut entendre par association à caractère religieux une association classique, ne relevant du régime des associations cultuelles établi par la loi de 1905, mais ayant un objet ou une activité de nature religieuse.

* 41 Affaire n° 336462. Subvention par la ville de Lyon de la Communauté Sant-Egidio pour l'organisation à Lyon de sa 19 ème rencontre internationale de la paix.

* 42 Affaire n° 344379. Refus de subvention de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie à la communauté de la chartreuse de Portes pour l'acquisition d'une chaudière à bois.

* 43 Affaire n° 347049. Subventions du conseil régional du Limousin au bénéfice des ostensions septennales du Limousin en 2009.

* 44 Affaire n° 326460. Achèvement par la communauté d'agglomération de Saint-Étienne des travaux de l'église de Firminy Vert, dessinée par Le Corbusier, dont elle était devenue propriétaire gratuitement, pour réaliser un centre culturel dans la partie inachevée de l'édifice par ailleurs affecté au culte.

* 45 Affaire n° 265560. Attribution par le territoire de la Polynésie française d'une subvention à l'Église évangélique de Polynésie française en vue de reconstruire un presbytère détruit par un cyclone.

* 46 Les associations représentant des cultes non reconnus, dont le culte musulman, sont tenues de s'inscrire auprès du tribunal d'instance, conformément au droit local, comme toute association.

* 47 Fabriques pour le culte catholique, consistoire et conseils presbytéraux pour les cultes protestants et consistoire départemental pour le culte juif. Dans certains cas, les subventions communales aux fabriques ont le caractère de dépense obligatoire.

* 48 Décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société Somodia (interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle).

* 49 Affaires n° 219379, 221699 et 221700. Contestation par le Syndicat national des enseignements du second degré (SNES) de l'ouverture et de l'attribution de postes d'enseignement religieux catholique et protestant à un concours réservé de recrutement certains professeurs certifiés du second degré.

* 50 Concernant la Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et, depuis leur création par détachement de la Guadeloupe, les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, le décret du 6 février 1911 portant règlement d'administration publique et déterminant les conditions d'application à la Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion des lois sur la séparation des Églises et de l'État et l'exercice public du culte organise l'application de la loi du 9 décembre 1905, avec de légères adaptations.

* 51 À compter des élections régionales de décembre 2015, la collectivité territoriale unique de Guyane s'est substituée au département de Guyane et à la région de Guyane. La dépense était auparavant à la charge du département.

* 52 Contestant ce régime depuis plusieurs années, le département de Guyane a voulu le remettre en cause en suspendant unilatéralement en mai 2014 la rémunération des ministres du culte, avant que le tribunal administratif de Cayenne lui enjoigne en décembre 2014 de rétablir le versement des rémunérations. Dans un arrêt du 9 octobre 1981 (affaire n° 18649), le Conseil d'État avait déjà veillé à ce que les dispositions prévoyant la rétribution du clergé catholique de Guyane soient appliquées conformément à l'ordonnance de 1828.

* 53 À la différence des associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905, l'objet des missions religieuses n'est pas limité à l'exercice du culte.

* 54 La justice cadiale a été supprimée par l'ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître, et transférée aux tribunaux judiciaires de droit commun.

* 55 Voir supra l'espèce de l'arrêt du Conseil d'État du 16 mars 2005 concernant la Polynésie française.

* 56 Affaire n° 346893.

* 57 Rapport n° 219 (2003-2004), fait au nom de la commission des affaires culturelles.

* 58 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/034000725.pdf

* 59 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Un-siecle-de-laicite-Rapport-public-2004

* 60 Rapport n° 219 (2003-2004) précité.

* 61 « Les relations des cultes avec les pouvoirs publics », commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, présidée par M. Jean-Pierre Machelon, septembre 2006. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000727.pdf

* 62 Cette circulaire est consultable à l'adresse suivante :

http://www.fonction-publique.gouv.fr/archives/home20111012/IMG/Circulaire_PM_5209_20070413.pdf

* 63 Arrêt du 26 novembre 2015, Ebrahimian c/ France, n° 64846/11. En l'espèce, la Cour a estimé que le non-renouvellement du contrat d'une assistante sociale par un établissement public en raison du port du voile par cette dernière n'a pas violé l'article 9 de la Convention.

* 64 Rapport n° 144 (2011-2012), fait au nom de la commission des lois.

* 65 Il reprend ainsi, à l'identique, l'article 1 er de la Constitution de 1946.

* 66 Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité (traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).

* 67 Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un principe fondamental reconnu par les lois de la République doit résulter d'une législation de la III ème République, constante et de portée générale, à l'instar de la liberté d'association, premier principe fondamental ainsi qualifié, par la décision du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.

* 68 Voir supra.

* 69 Le Conseil constitutionnel a ainsi repris le raisonnement tenu par le Conseil d'Etat dans son arrêt précité du 6 avril 2001.

* 70 À titre de comparaison, lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, le Président de la République avait proposé une rédaction très proche, préservant cependant la situation en Alsace-Moselle :

« La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l'État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle. » (proposition n° 46 du programme de M. François Hollande pour l'élection présidentielle de 2012).

* 71 Dans sa décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs estimé que la liberté de conscience devait « être regardée comme l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

* 72 Voir supra.

* 73 Seules les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie, très spécifiques et prises pour appliquer l'accord de Nouméa de 1998, font de même, pour déterminer un corps électoral particulier. L'article 76 de la Constitution fait référence à « l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 », tandis que l'article 77 fait référence aux « articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ». Par ailleurs, la Constitution fait plusieurs fois référence à des traités internationaux particuliers.

* 74 En tout état de cause, si le législateur modifiait la rédaction ou étendait le contenu du titre I er de la loi de 1905, ces modifications ne pourraient pas être revêtues d'une valeur constitutionnelle : le législateur ordinaire ne peut pas intervenir dans le domaine de la Constitution. Le contenu du titre I er ayant valeur constitutionnelle serait celui en vigueur à la date de la révision constitutionnelle, selon un principe de « cristallisation ».

* 75 Rémunération par l'État des enseignants des établissements sous contrat, contribution des collectivités territoriales au fonctionnement des établissements sous contrat d'association...

* 76 À ce jour, 13 diplômes universitaires ont été créés, dans différentes universités, pour former des cadres religieux musulmans, le premier ayant été ouvert à Strasbourg. Ils comportent un enseignement historique et civique, un enseignement de droit des cultes et un enseignement de vie religieuse. Ils sont financés par le ministère de l'intérieur à hauteur de 15 000 euros par diplôme, de sorte que les étudiants n'ont à leur charge que les droits universitaires normaux.

* 77 Créé par la loi n° 78-4 du 2 janvier 1978 relative aux régimes d'assurance maladie, maternité, invalidité, vieillesse, applicables aux ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses, ce régime est aujourd'hui géré par la caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC), créée par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle.

* 78 Projet relatif à l'équilibre des finances publiques, en 2011, projet relatif à la démocratie sociale, projet relatif aux incompatibilités applicables à l'exercice de fonctions gouvernementales et à la composition du Conseil constitutionnel, projet portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature et projet relatif à la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement, en 2013, et projet autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en 2015.

* 79 Proposition autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et proposition visant à modifier la Charte de l'environnement pour préciser la portée du principe de précaution, en 2013, proposition tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires, en 2014, et proposition tendant à favoriser la simplification du droit pour les collectivités territoriales et à encadrer la transposition des directives européennes, en 2016.

* 80 Par exemple, dans ses décisions n° 99-412 DC du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, le Conseil a considéré que les articles 1 er et 3 de la Constitution « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ». Dans sa décision du 19 novembre 2004 précitée, le Conseil a ajouté que les dispositions de l'article 1 er de la Constitution selon lesquelles la France est une République laïque « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».

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