III. L'ÉCHANGE AUTOMATIQUE : UN PROGRÈS MAJEUR ATTENDU, COMPLÉMENTAIRE DU PRÉSENT ACCORD

1. L'échange automatique, future norme mondiale de l'échange d'informations

Le présent accord vise à mettre en conformité avec les derniers standards internationaux le dispositif d'échange à la demande entre la France et la Suisse. Il laisse donc de côté la question du passage à l'échange automatique d'informations.

Or l'échange à la demande souffre de faiblesses inhérentes à ses modalités . Comme expliqué ci-dessus, cette procédure suppose de savoir a priori ce que l'on cherche, même si la liste des informations à fournir est assouplie par le présent accord. Il demeure donc nécessaire d'avoir une connaissance préalable des flux et des actifs suspects, ce qui protège de facto la plupart des comptes dissimulés. Par conséquent, l'échange à la demande demeure in fine soumis à la bonne volonté des pays partenaires , dont certains ne font pas preuve d'une particulière diligence.

Là encore, l'absence de publication récente du rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements annexé au projet de loi de finance rend difficile l'estimation du degré de coopération de nos différents partenaires.

Par ailleurs, l'article 238-0 A du code général des impôts fixe une liste des « États et territoires non coopératifs » (ETNC), définis par l'absence d'accord permettant un échange de renseignements avec la France, ou par une application défaillante de cet accord. La qualification d'ETNC emporte une série de mesures de rétorsion à caractère fiscal (retenues à la source, etc.). Aux termes de l'arrêté du 21 décembre 2015, la liste des ETNC pour 2015 compte six États et territoires 13 ( * ) , avec le retrait de Montserrat et des Îles vierges britanniques, qui fait suite au retrait de Jersey et des Bermudes en 2015.

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue une réponse à ces faiblesses . Dans la mesure où les États partenaires sont tenus de transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par des non-résidents, le système ne requiert plus ni connaissance préalable de l'identité des contribuables et des comptes bancaires, ni bonne volonté particulière de la part des administrations fiscales .

C'est en fait la loi « FATCA », une initiative américaine de nature unilatérale et extraterritoriale, qui a permis de « débloquer » les choses . Adoptée en 2010, la loi FATCA ( Foreign Account Tax Compliance Act ) fait obligation aux banques et établissements financiers du monde entier de transmettre à l' Internal Revenue Service toutes les informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers - équivalant à leur interdire l'accès au marché américain.

Une fois le « mouvement » lancé par la loi FATCA, plusieurs pays européens, puis les pays du G20 et de l'OCDE, se sont mobilisés pour organiser le passage à l'échange automatique à l'échelle internationale. La loi FATCA a fait l'objet d'accords bilatéraux avec les États-Unis pour faciliter son exécution, et centraliser les informations au niveau de chaque administration fiscale. Surtout, l'OCDE a présenté en 2015 une « norme commune de déclaration » ambitieuse , devant servir de base à la collecte d'informations par les banques et aux échanges entre États. Le 29 octobre 2014 à Berlin, quatre-vingt-quatorze États et territoires se sont engagés à appliquer cette norme commune de déclaration d'ici 2017 ou 2018 . À ce jour 14 ( * ) , soixante-dix-neuf d'entre eux ont effectivement signé l'accord, dont la France (pour 2017) et la Suisse (pour 2018). La bonne application du standard sera suivie par le Forum mondial de l'OCDE.

Dans le même temps, la révision de la directive 2011/16/UE sur la coopération administrative , intervenue le 9 décembre 2014 à l'issue de longues négociations compte tenu de la règle de l'unanimité, a permis de mettre en conformité le droit de l'Union au nouveau standard de l'OCDE.

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales , qui doit beaucoup à la mobilisation de quelques grands États, au premier rang desquels figure la France.

Il faut à cet égard souligner que l'échange à la demande et l'échange automatique constituent deux procédures complémentaires , qui ne visent pas les mêmes types de dossiers. L'échange à la demande vise à obtenir des compléments d'informations, souvent précis, sur des contrôles fiscaux déjà en cours. L'échange automatique permet quant à lui de détecter des fraudes potentielles, en vue de lancer une éventuelle procédure. Ces deux mécanismes se renforcent donc l'un l'autre.

Le standard de l'OCDE en matière d'échange automatique

La norme commune de déclaration de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions :

- les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro d'identification fiscale (NIF) du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit (intérêts, dividendes etc.) ;

- les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités , ce qui inclut les trusts et autres structures pouvant correspondre à des sociétés-écrans. La norme requiert de regarder à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en détiennent le contrôle réel ;

- les institutions financières soumises à l'obligation déclarative comprennent non seulement les banques, mais aussi la plupart des sociétés d'assurance, les organismes de placement collectif et d'autres établissements financiers.

Aux termes de la norme OCDE, ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes déclarables . Celles-ci diffèrent en fonction de leur titulaire, de leur date d'ouverture et de leur valeur. Les comptes préexistants de personnes physiques inférieurs à un million de dollars se voient appliquer des procédures allégées, et un seuil de minimis de 250 000 dollars est prévu pour les comptes d'entités préexistants. Pour tous les nouveaux comptes, une auto-certification de résidence fiscale est demandée au titulaire.

Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1 er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017 . L'accord contient d'exigeantes stipulations en matière de confidentialité et de protection des données personnelles, qui seront évaluées par l'OCDE pour chaque État signataire.

Source : rapport n° 59 (2015-2016) fait par Éric Doligé au nom de la commission des finances, sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, déposé le 14 octobre 2015.

2. Les échanges automatiques entre la Suisse et la France : une perspective devenue réaliste

Le présent accord ne modifie pas le dernier alinéa du point XI du protocole, aux termes duquel « il est entendu que les États contractants ne sont pas tenus, sur la base de l'article 28 de la Convention, de procéder à un échange de renseignements spontané ou automatique ».

Cette interprétation restrictive de l'article 28, insérée à la demande de la partie suisse et par ailleurs contraire aux commentaires de l'OCDE, deviendrait toutefois sans effet dans la mesure où la Suisse s'est engagée à mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici 2018 , en tant que signataire de l'accord multilatéral du 27 octobre 2014 précité.

Le lundi 14 décembre 2015, le Conseil des États a adopté la réforme qui permettra le passage de la Suisse à l'échange automatique en 2018 , conformément au nouveau standard OCDE. Plusieurs réserves ont toutefois été prévues . Sont ainsi exclues l'assistance au recouvrement pour le compte d'un autre État, les contrôles fiscaux étrangers en Suisse, ou encore la transmission de renseignements portant sur d'autres impôts que ceux sur le revenu ou la fortune (notamment la TVA). Si les banques qui ne respectent pas leurs obligations de déclaration et de diligences peuvent se voir infliger une amende de 250 000 francs suisses, il est précisé que les fausses informations transmises par négligence ne peuvent pas être sanctionnées. Les faits antérieurs à 2014 ne peuvent pas faire l'objet de poursuites pénales. Enfin, les clients étrangers devraient pouvoir contester devant un juge la transmission de ses données si l'État étranger concerné ne donne pas de garanties au niveau de l'État de droit 15 ( * ) .

3. Un effet déjà sensible sur les retours de « repentis » fiscaux

En dépit de ces réserves, il ne fait désormais plus de doute que le secret bancaire en vigueur depuis plusieurs décennies en suisse touche à sa fin , comme en témoignent d'ailleurs les difficultés rencontrées par la place de Genève depuis près de deux ans, notamment en ce qui concerne la gestion de fortune.

La seule perspective de la prochaine entrée en vigueur de l'échange automatique a d'ores et déjà produit des résultats tangibles , alors même que le système n'est pas encore concrètement en place. De nombreux contribuables disposant de comptes non déclarés à l'étranger ont ainsi régularisé leur situation. En France, ce mouvement est visible à travers les excellents résultats du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) : après 1,9 milliard d'euros de recettes en 2014, le STDR devrait rapporter près de 2,7 milliards d'euros de en 2015, et 2,1 milliards d'euros en 2016 d'après le projet de loi de finances.

Les banques suisses ont d'ailleurs mis en place un site internet - www.dormantaccounts.ch - permettant à toute personne intéressée de vérifier si elle est l'héritier d'un compte en Suisse, et le cas échéant de récupérer ses avoirs.

Le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR)

La circulaire du 21 juin 2013 signée par le ministre du budget Bernard Cazeneuve vise à inciter les contribuables français détenant des avoirs non-déclarés à régulariser leur situation, moyennant des pénalités allégées , avant le durcissement du dispositif de lutte contre l'évasion fiscale.

Ainsi, alors que le droit commun prévoit une majoration de 40 % et une amende annuelle de 5 %, la circulaire atténue ces montants en fonction de la catégorie à laquelle se rattache la fraude :

- les fraudeurs « actifs » (comptes ouverts récemment et/ou régulièrement alimentés) se voient appliquer une majoration de 30 % et une amende de 3 % ;

- les fraudeurs « passifs » (notamment les personnes ayant hérité d'un compte à l'étranger et n'en n'ayant pas fait usage) se voient appliquer une majoration de 15 % et une amende de 1,5 %.

Les dossiers sont pris en charge par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) , rattaché à la direction nationale des vérifications des situations fiscales (DNVSF) et composé aujourd'hui d'une centaine d'agents. Sept « pôles régionaux » ont été ouverts en juin 2015 pour accélérer le traitement des dossiers aux enjeux modestes (moins de 600 000 euros d'actifs), à Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Vanves, Saint-Germain-en-Laye et Paris.

Fin septembre 2015, environ 45 000 dossiers avaient été déposés , dont près de 12 000 avaient été traités. Ces dossiers représentent environ 26 milliards d'euros d'avoirs régularisés, le montant moyen étant de 735 000 euros et le montant médian de 350 000 euros. En réalité, 80 % des dossiers traités concernent des actifs inférieurs à 600 000 euros, mais 58 dossiers dépassent les 10 millions d'euros d'avoirs non déclarés. La « fraude passive » représente près de 80 % des cas .

Près de 85 % des dossiers proviennent de Suisse , et 7 % du Luxembourg. L'âge moyen du repenti fiscal est de 70 ans. Près de 40 % des demandes de régularisations concernent des personnes domiciliées en Île-de-France, les régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d'azur et Alsace étant aussi particulièrement représentées.

Source : commission des finances du Sénat.


* 13 Nauru, Guatemala, Brunei, Iles Marshall, Botswana, et Niue.

* 14 Le dernier signataire en date, la Malaisie, a signé l'accord le 27 janvier 2016.

* 15 Source : Le Temps , « Feu vert du Parlement à l'échange automatique d'informations », 14 décembre 2015.

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