N° 686

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juin 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée par Mme Gisèle JOURDA et M. Yves POZZO di BORGO au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune ( PSDC ) ,

Par MM. Jacques GAUTIER et Daniel REINER,

Sénateurs

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Nathalie Goulet, Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall, Bernard Vera .

Voir le numéro :

Sénat :

619 (2015-2016)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Madame, Monsieur,

À huit jours du référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné une proposition de résolution sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Cet important sujet avait fait l'objet dès 2013 d'un rapport d'information de notre commission : Pour en finir avec « l'Europe de la défense » - Vers une défense européenne (2012-2013), de MM. Reiner, Gautier, Vallini et Pintat, qui est toujours d'actualité, et dont certaines propositions ont inspiré la résolution.

La commission est saisie de cette proposition de résolution européenne n° 619 (2015-2016), enregistrée à la Présidence du Sénat le 23 mai 2016 au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement du Sénat, présentée par Mme Gisèle Jourda et M. Yves Pozzo Di Borgo.

L'Europe est, sans doute, à un tournant de son histoire. Elle est confrontée à des défis multiformes auxquels elle peine à apporter une solution, qu'il s'agisse de la crise économique, longue de cinq années déjà, des conflits sur ses flancs Sud et Est, de la crise migratoire qui la touche particulièrement depuis deux ans, des attaques terroristes qui ont frappé plusieurs États sans que les outils communautaires (corps de garde-frontières européens, dossier des passagers dit PNR- Passenger name record , etc.) ne parviennent à être mis en place.

Dans ce contexte, la définition d'une stratégie globale européenne comportant un important volet dédié à la défense est une priorité politique pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées qui s'est réunie le 15 juin pour adopter la proposition de résolution après l'avoir modifiée.

Si l'inscription à l'ordre du jour n'est pas demandée, la résolution adoptée par votre commission deviendra résolution du Sénat à temps pour le Conseil européen des 28 et 29 juin. Un débat aura lieu en séance publique le 21 juin à 17h30 sur ce Conseil européen au cours duquel les positions de la commission seront présentées.

UNE « DÉFENSE EUROPÉENNE » AUX CONTOURS AUJOURD'HUI LIMITÉS ?

La proposition de résolution porte sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune. Il semble de fait que la PSDC soit aujourd'hui l'alpha et l'oméga de l'idée de défense européenne que défendait la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées dans son rapport n° 713 (2012-2013), intitulé Pour en finir avec « l'Europe de la défense » - vers une défense européenne.

UNE LENTE ÉVOLUTION DE L'IDÉE DE DÉFENSE EN EUROPE

UNE LENTE PROGRESSION DE L'IDÉE DE DÉFENSE EN EUROPE
Les grandes étapes de l'émergence de la politique communautaire dans le domaine de la sécurité et de la défense

La chronologie suivante présente l'évolution des politiques et instruments ou encore des décisions prises dans le domaine de la défense européenne et le contexte international dans lequel elle s'inscrit.

1949 : Traité de Washington, fondation de l'OTAN.

1950 : Les États-Unis s'engagent sur des théâtres d'opérations en Corée du Sud. Craignant une avancée des troupes soviétiques en République fédérale d'Allemagne (RFA), ils sont alors favorables au réarmement de l'Allemagne à la prise en charge de sa propre défense par l'Europe. La réponse française sera le Plan Pleven qui propose la création de la communauté européenne de défense (CED) dotée d'une armée européenne rattachée à des institutions politiques de l'Europe unie, placée sous la responsabilité d'un ministre européen de la défense, sous le contrôle d'une assemblée européenne, avec un budget militaire commun. Les contingents fournis par les pays participants seraient incorporés dans l'armée européenne, au niveau de l'unité la plus petite possible.

1954 : Le projet esquissé en 1950 prend la forme d'un traité le 27 mai 1952, signé par 6 États. Ratifié par quatre d'entre eux, la RFA, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, le traité instituant la CED sera rejeté par l'Assemblée nationale française le 30 août 1954 par 319 voix contre 264 1 ( * ) . 1954 est aussi l'année de création de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) qui fut, de 1954 à 2011, l'organisation européenne de défense et de sûreté, composée d'États membres de l'OTAN et de la Communauté économique européenne puis de l'Union européenne.

1989 : Chute du mur de Berlin.

1992 : Guerre en Bosnie-Herzégovine. La même année sont définies les missions de Petersberg 2 ( * ) qui prévoient que l'UEO peut engager des missions humanitaires, de maintien de la paix et de gestion de crise.

1993 : Signature du traité de Maastricht établissant notamment la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

1994 : Mise en place de groupes de forces interarmées multinationales au sein de l'OTAN.

1998 : Guerre au Kosovo. La même année, les 3 et 4 décembre 1998, a lieu le sommet franco-britannique de Saint-Malo, réunissant le Président Jacques Chirac et le Premier Ministre Tony Blair. Il a donné lieu à une déclaration commune appelant à l'établissement de moyens militaires « autonomes » et « crédibles » pour l'Union européenne. La relation avec l'OTAN est précisée : l'UE agira « lorsque l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée », et « sans duplication inutile ».

1999 : Dans la droite ligne tracée par la déclaration de Saint-Malo, le Conseil européen de Cologne établit la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), consacrée par le traité de Nice de 2001. Le Conseil européen d'Helsinki fixe l'objectif de capacité de réaction rapide : « coopérant volontairement dans le cadre d'opérations dirigées par l'UE, les États membres devront être en mesure, d'ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50 000 à 60 000 personnes, capables d'effectuer l'ensemble des missions de Petersberg ». Les accords dits « Berlin plus » sont adoptés lors du sommet de Washington en 1999. Ils régissent la mise à disposition de l'Union européenne des moyens et des capacités de l'OTAN pour des opérations dans lesquelles l'Alliance ne serait pas engagée militairement en tant que telle.

2001 : La PESD est déclarée opérationnelle lors de la réunion du conseil européen de Laeken Attentats du 9 septembre aux États-Unis. Intervention américaine en Afghanistan.

2002 : L'Union européenne élargit à la lutte contre le terrorisme les missions de la PESD. En décembre 3 ( * ) , une déclaration commune de l'OTAN et de l'Union européenne prévoit l »application des accords « Berlin plus ». Cette déclaration sur la PESD établit le cadre formel applicable à une coopération dans la gestion de crises et la prévention des conflits. Elle garantit à l'Union européenne, pour ses propres opérations militaires, un accès aux moyens logistiques et de planification de l'OTAN.

2003 : Guerre en Irak. Mise en oeuvre des deux premières missions de la PESD : Concordia -opération militaire de mars à décembre visant à contribuer à la mise en place d'un environnement stable et sûr dans le cadre de la mise en oeuvre de l'accord cadre d'Ohrid en Ancienne République yougoslave de Macédoine- et Artémis -opération visant à contribuer à la stabilisation des conditions de sécurité et à l'amélioration de la situation humanitaire à Bunia de juin à septembre en république démocratique du Congo. La stratégie européenne de sécurité intitulée : « Une Europe sûre dans un monde meilleur » est présentée le 12 décembre 2013.

2004 : Mars 2004 : attentats en Espagne. Mise en place de l'Agence européenne de défense. Mise en oeuvre de l'opération militaire EUFOR ALTHEA en Bosnie-Herzégovine (BiH), en décembre 2004. L'opération ALTHEA est menée en ayant recours aux moyens et capacités de l'OTAN, dans le cadre des accords dits de "Berlin plus".

2005 : Mise en oeuvre de l'opération EUSEC RDC - République démocratique du Congo (RDC) pour la réforme de l'armée congolaise et du secteur de sécurité depuis juin 2005. Juillet 2005 : attentats au Royaume-Uni. Mise en oeuvre de l'opération EUJUST LEX - Irak. Il s'agit d'une mission État de droit en Irak créée pour renforcer la primauté du droit et promouvoir une culture de respect des droits de l'homme à partir de juillet 2005. Mise en oeuvre de l'opération EUBAM Rafah - Palestine (Rafah) : à partir de novembre 2005, mission de l'Union européenne d'assistance à la frontière afin de surveiller les opérations au point de passage après qu'Israël et l'Autorité palestinienne ont conclu un accord sur les déplacements et l'accès au point de passage de Rafah (Gaza). Mise en oeuvre de l'opération EUPOL COPPS - Territoires palestiniens en novembre 2005, basée en Cisjordanie pour aider l'Autorité palestinienne à renforcer les institutions du futur État de Palestine dans les domaines du maintien de l'ordre et de la justice pénale. Mise en oeuvre de l'opération EUBAM - Moldavie-Ukraine, mission d'assistance frontalière en novembre 2005.

2006 : Mise en oeuvre de l'opération EUFOR RDC en République démocratique du Congo de juillet à novembre, en soutien à une mission de l'ONU lors du processus électoral.

2007 : Le 1 er janvier 2007, l'Union atteint la pleine capacité opérationnelle pour conduire simultanément deux opérations de réaction rapide de la taille d'un Groupement tactique (GT) d'environ 1500 hommes. Mise en oeuvre de l'opération EUPOL RDC - République démocratique du Congo en juin 2007. Il s'agit d'une action commune relative à la mission de police de l'Union européenne menée dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité et son interface avec la justice en République démocratique du Congo. La mission EUPOL RD CONGO a succédé à la mission EUPOL-KINSHASA (première mission européenne de police en Afrique entre février 2005 et juin 2007). Mise en oeuvre de l'opération EUPOL Afghanistan - visant à aider les Afghans à assumer la responsabilité du maintien de l'ordre en juin 2007.

2008 : Mise en oeuvre de l'opération EUFOR Tchad et République Centrafricaine de janvier 2008 à mars 2009. Il s'agit de contribuer à la protection des civils en danger et d'amélioration de la sécurité de la zone. La MINURCAT (Mission de Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad) a pris le relais. Mise en oeuvre, en février 2008, de l'opération EULEX Kosovo. Il s'agit de la plus grande mission civile jamais déployée au titre de la PSDC. C'est une mission État de droit visant à assister et soutenir les autorités du Kosovo dans les domaines de la police, de la justice et des douanes. En décembre 2008 l'opération Atalante est lancée pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie (Golfe d'Aden et Océan Indien). Mise en oeuvre de l'opération EUMM Géorgie, mission d'observation de l'Union européenne en octobre 2008.

2009 : Le traité de Lisbonne, adopté en 2009, introduit la politique de sécurité de défense commune (PSDC), la clause de solidarité d'assistance mutuelle, les coopérations dont la coopération structurée permanente et instaure le « Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité », également l'un des Vice-Présidents de l'Union européenne et doit, à ce titre, garantir la cohérence de l'action extérieure globale de l'UE. Il est responsable de la coordination et de la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ainsi que de la politique de sécurité et de défense commune. Dans ses fonctions, le Haut Représentant s'appuie sur une nouvelle structure administrative, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), dont il désigne les membres et contrôle le budget.

2010 : début du printemps arabe. Mise en oeuvre de l'opération EUTM Somalie de formation militaire en Somalie, en vue de contribuer au renforcement du gouvernement fédéral de transition (GFT) et des institutions de Somalie, avril 2010 à décembre 2012.

2011 : Mise en oeuvre de l'opération EUFOR - Libye d'appui à des opérations d'assistance humanitaire en réponse à la situation de crise en Libye.

2013 : Adoption en décembre 2013 de la stratégie globale européenne intitulée « Une Europe sure dans un monde meilleur ».

2014 : Annexion illégale de la Crimée par la Russie. Événements du Donbas. Émergence du groupe terroriste Daech.

2015 : Janvier et novembre 2015, attentats en France. Le Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 a confié à la Haute représentante la mission de définir une « nouvelle stratégie globale de l'Union européenne concernant les questions de politique étrangère et de sécurité ».

2016 : Mars 2016 : attentats en Belgique. La nouvelle stratégie globale européenne devrait être présentée au conseil européen des 28 et 29 juin.

La stratégie globale de 2003 et les espoirs déçus du Conseil européen de 2013

Contrairement aux autres grands acteurs internationaux, l'Union européenne n'a pas disposé, dès l'origine, d'une doctrine permettant d'encadrer et d'expliquer son action à l'extérieur. Après une année difficile marquée par les divisions européennes sur la question irakienne, le Conseil européen du 12 décembre 2003 a adopté la stratégie européenne de sécurité élaborée par le Haut représentant Javier Solana intitulée « Une Europe sûre dans un monde meilleur ».

Ce Conseil européen affichait la volonté de faire avancer l'Europe de la Défense, de façon concrète, pragmatique et opérationnelle. Il souhaitait confirmer que l'Union est un acteur majeur de la sécurité internationale, autonome stratégiquement. Trois axes avaient été déterminés : intervenir plus efficacement dans la gestion des crises, développer des capacités militaires et civiles européennes, et préserver leur industrie de défense et ainsi garantir leur autonomie stratégique, la croissance et l'emploi

La PSDC a été théorisée par Javier Solana à une époque où le terrorisme ne nous avait pas encore frappé et où les questions de sécurité n'étaient pas aussi essentielles qu'elles le sont devenues.

En 2013, la commission des affaires étrangères, de la défense, et des forces armées publiait son rapport d'information « Pour en finir avec l'Europe de la défense - vers une défense européenne » précité. Elle y soutenait une vision et une ambition pour relancer le projet politique européen et réconcilier l'Europe avec ses citoyens. Elle affirmait que l'Europe ne pouvait pas se résumer à un grand marché et qu'elle devait pouvoir compter sur une défense autonome si elle souhaitait devenir une puissance et rester dans l'histoire.

La commission proposait la création « d'un groupe pionnier, un « Eurogroupe de défense », ouvert à tous les pays européens qui le souhaitent et le peuvent désirant d'aller plus vite et plus loin vers une défense commune européenne. Ce groupe pionnier, destiné à permettre à l'Europe d'intervenir militairement hors de ses frontières de manière autonome et à prendre sa part à la défense collective de son territoire, serait formé du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne, et de l'ensemble de ceux qui veulent y participer. Il servirait de passerelle pour franchir le fossé entre « l'Europe de la défense » et la « défense européenne », entre la souveraineté des nations et le projet fédéral, comme l'ont fait jadis l'euro pour la monnaie unique ou Schengen pour l'abolition des contrôles aux frontières ».

Le Conseil européen de décembre 2013 n'a en fait pas permis l'évolution forte espérée.

UNE PSDC AUX SUCCÈS DÉJÀ ANCIENS MAIS CONFRONTÉE À DE NOMBREUX OBSTACLES
La PSDC, un élément de l'approche globale européenne trop cantonnée sur les missions dites de « Petersberg »

Le concept de défense européenne a moins prospéré que celui « d'approche globale de l'action communautaire » comme en témoignent les conclusions du Conseil qui s'est tenu à Bruxelles le 12 mai 2014. Lors de ce Conseil, « L'approche globale de l'Union européenne à l'égard des crises et conflits extérieurs » a été présentée. Il y est dit que : « L'Union européenne et ses États membres peuvent exercer au niveau international une capacité sans équivalent à combiner de manière cohérente des politiques et des instruments se rapportant à un large éventail de domaines qui vont de la diplomatie, de la sécurité et de la défense au financement, au commerce, au développement et aux droits de l'homme, ainsi qu'à la justice et la migration. Cela contribue grandement à la capacité de l'Union à jouer un rôle positif et transformateur dans ses relations extérieures et en tant qu'acteur mondial. »

L'approche globale constitue à la fois « une méthode de travail générale et un ensemble de mesures et de processus concrets destinés à améliorer la manière dont l'UE, s'appuyant sur une vision stratégique commune et sur le large éventail d'outils et d'instruments existants à sa disposition, peut élaborer, intégrer et produire collectivement des politiques, des pratiques de travail, des actions et des résultats plus cohérents et efficaces ». Selon ces conclusions : « c'est dans les situations de crise et de conflit et dans les États fragiles que la nécessité d'une telle approche globale est la plus pressante, l'objectif étant de permettre une réponse rapide et efficace de l'UE, y compris à l'aide de la prévention des conflits ».

Force est de constater que la PSDC, comprise comme un outil de l'approche globale, semble avoir moins prospéré que la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

La PSDC s'est cantonnée aux missions dites de Petersberg : les interventions humanitaires et d'évacuation des ressortissants, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les opérations de gestion des crises, les actions conjointes en matières de désarmement, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire et les opérations de stabilisation à la fin des conflits.

La PSDC a-t-elle atteint ses limites ?

La PSDC a rencontré de réels succès rappelés ci-dessous mais elle se heurte à un essoufflement de la volonté politique et à plusieurs obstacles.

L'Union, à travers la PSDC, est présente aujourd'hui sur trois continents au travers de 17 missions de gestion des crises variées (voir carte suivante). Au titre des opérations militaires, les forces européennes autonomes sont aujourd'hui présentes :


• en Méditerranée (mission de lutte contre le trafic de migrants EUNAVFOR Med-Sofia),


• en République centrafricaine (mission de stabilisation EUFOR RCA lancée en 2014),


• au Mali (mission de formation militaire EUTM lancée en 2013),


• en Somalie (mission de formation militaire EUTM lancée en 2010),


• sur les côtes somaliennes (opération navale ATALANTE contre la piraterie lancée en 2008),


• en Bosnie-Herzégovine (mission de maintien de la paix ALTHEA lancée en 2004),

Au titre des missions de gestion civile des crises, l'Union assure une dizaine de missions de police et de soutien aux forces de sécurité ou à la justice :


• en Europe (EULEX au Kosovo, EUBAM en Moldavie, EUAM en Ukraine),


• au Moyen-Orient (EUPOL dans les territoires palestiniens, EUJUST en Iraq),


• en Asie centrale (EUPOL en Afghanistan),


• en Afrique (EUCAP SAHEL au Mali, EUCAP au Niger, EUAVSEC au Soudan du Sud, EUCAP sur la corne de l'Afrique, EUSEC et EUPOL en République démocratique du Congo).

Enfin, l'Union assure également des missions d'assistance au contrôle des frontières ou de supervision d'accords de paix : en Libye, dans les territoires palestiniens (surveillance du point de passage entre la bande de Gaza et l'Egypte à Rafah), en Géorgie (mission d'observation en vue de stabiliser la région).

Toutefois, la PSDC est apparue absente de la gestion des principales crises régionales récentes et des appareils de défense des États membres, ou n'est intervenue qu'avec un temps de retard. En 2011, elle a été absente de la crise libyenne. Les interventions françaises au Mali et en République centrafricaine ont été interprétées comme une réponse au retrait de la PSDC, trop centrée sur l'approche globale et qui semble définitivement repliée sur les missions dites de « »Petersberg ». La crise ukrainienne a bien révélé toutes les limites de la PSDC.

La PSDC semble à la recherche d'une nouvelle impulsion politique. Un rapide examen des 17 missions et opérations en cours (6 militaires, 11 civiles) montre qu'un bon tiers des missions et opérations est soit en attente de fermeture, d'une restructuration notable ou a une activité réduite. D'autres ont connu un retard notable dans leur mise en oeuvre (EUAM Ukraine, EUCAP Sahel et EUCAP Nestor). Peu sont en phase d'évolution positive, comme le montre la carte suivante.

La PSDC en carte

Source : Article paru sur le site bruxelles2.eu, « La PSDC au milieu du gué. La fin d'un cycle ? A la recherche d'un nouveau souffle » le 24 février 2016

L'un des premiers obstacles auxquels se heurte la PSDC tient à la non-utilisation des instruments mis à sa disposition. Ainsi, le mécanisme de financement européen d'urgence prévu par l'article 41-3 4 ( * ) pour la préparation de missions de la PSDC n'a jamais été activé.

Lorsque les instruments financiers dédiés au financement des domaines de la sécurité et de la défense sont utilisés, ils ne le sont pas toujours de façon optimale, ainsi en est-il de l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix (IcSP). Il conviendra également de veiller aux modalités de mise en oeuvre de l'initiative « Renforcer les capacités pour favoriser la sécurité et le développement » (dite CBSD). Des interprétations très restrictives des services juridiques de la Commission semblent conduire à vider ces instruments de leur sens.

De même, les dispositions innovantes du traité sur l'Union européenne (TUE) ne sont pas mobilisées. C'est le cas des coopérations renforcées entre les États membres dans le domaine de la défense européenne 5 ( * ) prévues par l'article 44 et de la coopération structurée permanente 6 ( * ) prévue par l'article 46. Ce type de coopération s'est ouvert, avec le traité de Lisbonne, à la défense européenne, afin d'alléger les obligations d'unanimité pesant sur la PSDC, politique intergouvernementale. Cette flexibilité semblait propre à stimuler la coopération de défense entre les États membres.

Enfin, les formations militaires existantes ne sont pas non plus suffisamment sollicitées. Ainsi en est-il des groupements tactiques de l'Union européenne, mais aussi du Corps européen dit aussi Eurocorps, à laquelle la brigade franco-allemande est directement subordonnée. Un amendement a été adopté par la commission pour remédier à cela.

Les défis de sécurité auxquels l'Union est désormais confrontée se sont accrus. Dans ce contexte, l'Union européenne semble cantonnée, conceptuellement, avec les missions de Petersberg, et, de façon pratique, avec la PSDC, à ce que certains commentateurs ont appelé un « soft power ». Cela ne semble plus adapté à un monde finalement « moins sûr et meilleur » qu'il ne semblait en 2003.


* 1 Le sixième pays ayant signé le traité était l'Italie.

* 2 Sont des missions dites de Petersberg : les interventions humanitaires et d'évacuation des ressortissants, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les opérations de gestion des crises, les actions conjointes en matières de désarmement, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire et les opérations de stabilisation à la fin des conflits.

* 3 La mise en place de l'accord « Berlin plus » a été retardée par la Turquie qui voulait avoir la garantie que l'Union européenne ne puisse bénéficier d'un accès automatique aux moyens de l'OTAN pour une opération qui n'aurait pas l'aval de tous les membres de l'Alliance.

* 4 L'article 43 du TUE prévoit que le Conseil peut adopter des décisions relatives aux missions entrant dans le cadre de la PSDC définit par l'article 42 du TUE et précise que les missions dans lesquelles l'Union peut avoir recours à des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire. Le Conseil adopte des décisions portant sur les missions précitées en définissant leur objectif et leur portée ainsi que les modalités générales de leur mise en oeuvre. L'article 44 prévoit que dans le cadre des décisions adoptées conformément à l'article 43, le Conseil peut confier la mise en oeuvre d'une mission à un groupe d'États membres qui le souhaitent et disposent des capacités nécessaires pour une telle mission.

* 5 L'article 42 du TUE, alinéa 6 prévoit que les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l'Union. L'article 46 du TUE et le protocole n° 10 relatif à la coopération structurée permanente précisent les modalités d'application de l'article 42-6 du TUE.

* 6 L'article 42 du TUE, alinéa 6 prévoit que les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l'Union. L'article 46 du TUE et le protocole n° 10 relatif à la coopération structurée permanente précisent les modalités d'application de l'article 42-6 du TUE.

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