C. L'ARTICULATION NÉCESSAIRE DE LA PRÉVENTION DE LA PERTE D'AUTONOMIE DANS LES TERRITOIRES39 ( * )

1. Une sollicitation des acteurs sanitaires et médico-sociaux

La politique de prévention de la perte d'autonomie est aujourd'hui confrontée au défi majeur de la coordination d'acteurs aux compétences auparavant distinctes. Un peu sur le modèle de ce qui s'entreprend dans le secteur du handicap avec la « réponse accompagnée pour tous », la prévention de la perte d'autonomie chez les personnes âgées appelle une réponse globalisée autour de la personne et non une réponse paramétrée en fonction des acteurs existants.

L'exercice est d'autant plus difficile que l'objectif global des politiques de l'autonomie des personnes âgées semble en contradiction avec leurs moyens de prédilection . Alors qu'un consensus se dessine autour du maintien à domicile, le plus longtemps possible et dans tous les cas où il est possible, qui appelle la mobilisation quotidienne du secteur social et médico-social, les risques liés au vieillissement conservent au sanitaire (par le biais du médecin traitant) une importance prépondérante.
Une réponse globalisée appelle donc la collaboration active des deux sphères d'intervention, d'autant plus que les ruptures de parcours peuvent être fréquentes.

En effet, le succès mitigé de l'hospitalisation à domicile 40 ( * ) , réforme dont votre rapporteur est convaincu qu'elle est une des meilleures solutions aux problèmes liés à la perte d'autonomie, montre l'échec des pouvoirs publics à concentrer la prise en charge hors du milieu hospitalier et complique le travail commun des différents secteurs.

2. La nécessité d'une coordination
a) Des cloisonnements dommageables à la personne

Votre rapporteur déplore que la logique générale de la prévention de la perte d'autonomie soit excessivement verticale et ne montre aucune porosité entre secteurs. Le souci exprimé par différents acteurs de mieux coordonner leurs actions a connu des réponses réelles, mais à chaque fois limitées aux frontières du secteur. Ainsi, de nombreux efforts ont été fournis pour fluidifier le parcours de la personne âgée en amont et en aval de l'hospitalisation, dont le plus emblématique est le programme d'accompagnement au retour à domicile après hospitalisation (Prado), mis en place par l'assurance maladie et qui organise l'intervention de professionnels de santé libéraux - souvent un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) - à partir du retour à domicile. Orchestré par le médecin traitant, le parcours pré et post-hospitalier reste centré sur les acteurs sanitaires .

Symétriquement, une prise en charge déclenchée par des facteurs non médicaux, par une sollicitation des services communaux d'action sociale ou des services départementaux, entraîne l'élaboration d'un plan d'aide par les équipes médico-sociales du département et le versement conditionné de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa). Or, ces plans d'aide ne recouvrent dans la plupart des cas que des services d'aide à domicile (Saad) fournisseurs d'aides essentiellement techniques (portage de plat, aide-ménagère, aide à la toilette...) et intègrent rarement des prestations nécessitant une prescription médicale .

b) Les deux axes du dialogue entre secteurs

À ce stade de la réflexion, il apparaît que tout dispositif visant à améliorer la fluidité et la communication entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social doit reposer sur deux piliers fondamentaux que sont le partage des systèmes d'information et la formation 41 ( * ) .

En matière de prévention de la perte d'autonomie, les systèmes d'information partagés ont été récemment identifiés comme le principal levier de gains d'efficience de parcours dans la prise en charge. L'opérateur clef de ce chantier est l'Agence des systèmes d'information partagés de santé (Asip-Santé), qui a déjà mis en oeuvre plusieurs outils dont l'usage est insuffisamment répandu comme les messageries sécurisées entre intervenants et le dossier médical partagé (DMP). De plus, en raison du rôle coordinateur du médecin traitant, il convient d'être particulièrement attentif à ce que les professionnels du secteur sanitaire n'accaparent pas l'usage de ces outils et n'en excluent les professionnels du secteur médico-social, pour qui la tentation serait alors grande de construire des solutions parallèles et redondantes.

La formation est l'autre outil essentiel de la coordination, en ce qu'elle permet de créer une culture commune de la prise en charge coordonnée de la personne âgée. De très nombreuses formations sont ainsi ouvertes aux professionnels de la santé, par le biais du développement professionnel continu (DPC) , devenu obligation individuelle triennale depuis la loi HPST, et qui portent pour partie sur la prise en charge de la perte d'autonomie. Essentiellement portées par des associations spécialistes, ces formations ciblées sur les personnes âgées sont au nombre de 350 sur l'ensemble du territoire 42 ( * ) .

3. Le problème de l'échelon territorial pertinent
a) Des compétences partagées

Malgré les clarifications apportées par la loi ASV, et outre la persistance des clivages socio-culturels entre secteurs, votre rapporteur est convaincu que les difficultés de coordination proviennent d'un brouillage autour de l'échelon territorial compétent et, partant, du financeur de ces dispositifs. L'interlocuteur et le financeur principal en matière sanitaire reste, surtout depuis la loi HPST, l'agence régionale de santé (ARS), alors que les personnes confrontées à la perte d'autonomie (personnes âgées ou aidants) considèrent davantage la commune ou le département comme leur interlocuteur privilégié.

Le législateur a, à ce titre, entretenu l'ambiguïté dans la répartition des compétences, essentiellement par souci de concilier l'homogénéité de la couverture des territoires et le maintien des services de proximité. Ainsi, si la mise en oeuvre de la politique de santé relève principalement de l'échelon régional (notamment à travers l'élaboration des schémas de l'offre sanitaire et médico-sociale), l'article L. 121-6-1 du Casf donne aux communes un rôle de recueil et de transmission des informations relatives aux publics en perte d'autonomie et l'article L. 113-2 issu de la nouvelle rédaction de la loi ASV donne aux départements un rôle de coordination de l'action sociale et médico-sociale notamment gérontologique, avec une possibilité de conventionner avec les ARS.

Ces principes reçoivent une application très variable selon les territoires et les coordinations entre échelons sont rarement harmonieuses. Ainsi, le rôle informationnel des communes, essentiellement rempli par les centres communaux d'action sociale (CCAS), ne peut être effectif qu'en cas de partenariat avec le département. De même, le département ne peut assurer son rôle de coordination qu'à l'aide d'un réseau équilibré de structures dédiées, les centres locaux d'information et de coordination (Clic) .

Les trois niveaux de label des Clic

En vertu de l'article L. 312-1 du Casf, les Clic sont des « établissements ou services [...] mettant en oeuvre des actions de dépistage, d'aide, de soutien, de formation ou d'information, de conseil, d'expertise ou de coordination au bénéfice d'usagers », à destination des personnes âgées dans le cadre départemental.

Leurs missions dépendent de leur niveau de labellisation. Le niveau 1 habilite à l'accueil, à l'écoute et au soutien des familles. Le niveau 2 habilite à l'évaluation des besoins de la personne âgée et à l'élaboration d'un plan d'aide personnalisé. Enfin, le niveau 3 habilite à la mise en oeuvre de ces plans, notamment en organisant des interventions de Saad ou de Ssiad.

On note ainsi que les Clic de niveau 3 peuvent constituer un acteur intéressant du décloisonnement entre secteurs .

b) Le choix du département à consolider

La loi ASV a apporté quelques clarifications quant à l'échelon territorial chef de file en matière de prévention de la perte d'autonomie, en l'occurrence le département , sans pour autant dissiper toutes les obscurités en la matière.

Le droit à l'information des personnes âgées a vu ses acteurs définis par l'introduction de l'article L. 113-1-2 du Casf - ce sont la CNSA, mais surtout les départements et les Clic. Les modifications importantes apportées à l'article L. 113-2 confèrent au département le rôle de mise en oeuvre et de coordination des acteurs sociaux et médico-sociaux, mais conditionnent son intervention dans le secteur sanitaire à la signature de « conventions avec l'ARS, les organismes de sécurité sociale ou tout autre intervenant en faveur des personnes âgées ». Or, la nouvelle architecture régionale, avec la réduction du nombre d'ARS, change considérablement le rapport de force entre régions et départements et risque de réduire, en raison d'un déséquilibre croissant, le nombre de ces « conventions ».

Confirmant cette atténuation, l'article L. 113-3, qui évoque les « professionnels de santé intervenant dans le secteur social, médico-social et sanitaire » tenus de « [coordonner] leurs activités en suivant la méthode d'action pour l'intégration des services d'aide et de soins dans le champ de l'autonomie », ne fait aucune mention d'un échelon territorial compétent et laisse donc cette coordination souhaitable sans contrôle, donc sans effectivité .

Ainsi, le primat des départements en matière de prévention de la perte d'autonomie, qui n'est affirmée que pour la part médico-sociale de la prise en charge, se trouve singulièrement fragilisé par cette absence de tutelle exercée sur la coordination du secteur sanitaire et du secteur médico-social. La construction d'un parcours globalisé autour de la personne âgée est par conséquent mise en difficulté. La CNSA et l'Association nationale des centres régionaux d'études, d'actions et d'informations (Ancreai) ont collaboré à la promotion de la notion de « diagnostic territorial partagé » entre ARS et conseils départementaux et ont produit à cet égard un guide 43 ( * ) dont votre rapporteur encourage vivement la diffusion .

Votre rapporteur regrette d'autant plus le maintien de cette ambiguïté que la loi ASV a permis l'introduction d'une instance originale et fort utile (pour peu que des moyens lui soient donnés), la conférence des financeurs créée par l'article L. 233-1. En définissant un « programme coordonné de financement des actions individuelles et collectives de prévention », cette conférence des financeurs devrait être, dans l'esprit du législateur, de facto compétente en matière sanitaire et médico-sociale.


* 39 Cour des comptes, Rapport public thématique, « Le maintien à domicile des personnes âgées en perte d'autonomie », juillet 2016.

* 40 Cour des comptes, « L'hospitalisation à domicile, Évolutions récentes », décembre 2015.

* 41 École des hautes études en santé publique, « L'expérimentation Paerpa : accompagner les personnes âgées en risque de perte d'autonomie par la structuration d'un parcours coordonné de santé », 2015.

* 42 Estimation donnée par le répertoire de formations de l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC).

* 43 CNSA et Ancreai, Guide méthodologique pour construire un diagnostic territorial partagé, avril 2016.

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