D. UN RISQUE MAJEUR POUR LES FINANCES PUBLIQUES EN CAS DE REMONTÉE DES TAUX D'INTÉRÊT

1. Une dette qui ne cesse de croître et qui devrait atteindre près de 1 690 milliards d'euros en 2017

La décorrélation exceptionnelle entre la charge d'intérêts et le niveau d'endettement ne doit pas conduire à oublier que l'encours de dette française continue de croître et atteint des niveaux particulièrement préoccupants . En 2017, il devrait s'élever à 1 689,2 milliards d'euros , soit une hausse de plus de 65 milliards d'euros (+4,1 %) par rapport à la prévision révisée pour 2016 (1 624 millions d'euros). Après deux années de décélération - toute relative - de l'augmentation de l'encours de dette, celle-ci devrait donc repartir de plus belle à partir de 2017.

Évolution comparée de l'encours de la dette de l'État et de la charge de la dette de 2008 à 2017

(en milliards d'euros)

Note de lecture : la charge de la dette se lit par rapport à l'ordonnée de gauche, l'encours par rapport à celle de droite. Les données pour 2016 et 2017 sont prévisionnelles.

Source : commission des finances du Sénat

La France se trouve donc dans une situation inverse de celle de l'Allemagne et ne parvient pas à renouer avec un excédent budgétaire et à maîtriser l'évolution de son endettement.

Si la dette publique allemande reste, au total, supérieure à celle de la France (elle s'élevait ainsi à 2153,9 milliards d'euros en Allemagne à la fin de l'année 2015, contre 2097,4 milliards d'euros pour la France à la même période), la dette par actif est revanche bien inférieure outre-Rhin et s'élevait à moins de 48 000 euros en 2015 contre plus de 73 000 euros en France, soit une différence de plus de 52 %.

Dette par actif en France et en Allemagne

(en euros)

Note de lecture : au sens de l'Insee, la population active regroupe la population active occupée (appelée aussi « population active ayant un emploi ») et les chômeurs.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'Agence France Trésor questionnaire du rapporteur spécial

2. Une baisse des taux d'intérêt qui n'est pas réellement liée à la qualité de la signature de la dette française

La baisse du taux d'intérêt sur la dette française n'est aucunement liée à la qualité de la gestion budgétaire du Gouvernement, qui n'a toujours pas tenu son engagement de ramener le déficit public en-dessous du seuil de 3 % du PIB mais à des facteurs exogènes, notamment la politique menée par la Banque centrale européenne (BCE) .

a) Le programme d'achats de titres du secteur public de la Banque centrale européenne (BCE) : 90 milliards d'euros de dette française achetés en un peu plus d'un an

Face aux conséquences des crises économiques et financières qui ont touché la zone euro à la fin des années 2000, la Banque centrale européenne a été amenée à mettre en place des outils dits « non conventionnels » de politique monétaire dans le but de soutenir les marchés financiers et l'inflation.

Outre ses programmes de refinancement et d'apport de liquidités (LTRO) en direction des actifs privés, lancés dès décembre 2011, elle a annoncé un programme d'assouplissement quantitatif en janvier 2015 et l'a mis en oeuvre à partir de mars 2015. Ce programme prévoyait initialement l'achat de 60 milliards d'euros de titres publics chaque mois jusqu'en septembre 2016. Les titres publics pouvaient être émis par des États de la zone euro et par des institutions publiques comme la Banque européenne d'investissement (BEI), par exemple. En décembre 2015, a été annoncée la prolongation du programme jusqu'en mars 2017 . L'éventail de titres éligibles au programme de rachat d'actifs a également été élargi et inclut certaines obligations émises par des collectivités locales et régionales. Le programme devrait s'achever quand l'inflation dans la zone euro se rapprochera de la cible de 2 % fixée par la BCE.

Les achats sont notamment effectués par les banques centrales des États de la zone euro pour le compte de la Banque centrale européenne. La Banque de France, qui fait évidemment partie des résidents français, est chargée de l'essentiel du programme d'achats en France.

D'après les informations transmises à votre rapporteur spécial, on estime que l'Eurosystème a acquis du 9 mars 2015 au 31 mars 2016 près de 90 milliards d'euros de titres d'État français (en valeur faciale), soit près de 6 % de l'encours de dette français (hors titres de court terme, qui ne sont pas inclus dans le programme).

Ces achats massifs ont donc largement contribué à tirer les taux d'intérêt sur les dettes souveraines vers le bas, sans lien réel avec la demande des investisseurs privés ni avec la qualité intrinsèque de la signature française.

b) Une croissance encore hésitante dans la zone euro et une inflation à la traîne

En outre, d'autres facteurs ont contribué à ce que les taux d'intérêt demeurent faibles.

Tout d'abord, la reprise au sein de la zone euro est restée modérée et l'inflation peine à se redresser (+0,3 % attendu en 2016) tandis que le taux de chômage est resté élevé (10,2 % attendu en 2016).

D'après l'Agence France Trésor, « l'activité a suffisamment redémarré pour atténuer les inquiétudes sur les pays les plus en difficulté de la zone euro tout en se montrant insuffisante pour justifier un resserrement de la politique monétaire ».

Par ailleurs, le contexte international suscite de nombreuses incertitudes depuis 2015 : après les craintes relatives à la Grèce à l'été 2015, puis la dévaluation inattendue de la devise chinoise en août de la même année, la rechute des prix du pétrole à la fin de l'année 2015 et le retour des craintes sur la vigueur de la croissance mondiale ont conduit les investisseurs à privilégier les actifs les plus sûrs, parmi lesquels se situent les obligations souveraines. Ce mouvement de « fuite vers la qualité » a été amplifié par le ralentissement de l'économie américaine et le référendum britannique sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne en 2016.

Comme le souligne l'Agence France Trésor dans ses réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial, « les réactions des banques centrales à ces incertitudes ont également profité aux obligations souveraines » dans la mesure où la Banque du Japon a poursuivi ses achats d'actifs et abaissé son taux directeur en territoire négatif en janvier 2016 et que la Banque fédérale américaine n'a procédé qu'à une unique hausse de son taux directeur, en décembre 2015. De même, au Royaume-Uni, la Banque d'Angleterre a baissé son taux directeur au début du mois d'août 2016.

Enfin, il faut noter que les nouvelles réglementations financières européennes , qui imposent aux banques et à la plupart des acteurs financiers de détenir d'importantes réserves d'actifs liquides dits « sûrs », dont font partie les titres souverains, sont très avantageuses pour les États endettés : en effet, la dette souveraine est largement considérée dans la réglementation financière comme un actif à faible risque ou sans risque . Comme le notait Danièle Nouy, alors secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel dans une note d'analyse en 2012 12 ( * ) , « tout en créant incontestablement des normes plus robustes, Bâle III ne traite pas en tant que tel le problème de la dette souveraine . En effet, le traitement réglementaire du risque souverain dans le portefeuille bancaire ne change pas et permet toujours d'attribuer, notamment, une pondération en risque nulle à la dette souveraine libellée en monnaie nationale . Le statut de la dette souveraine en tant qu'actif assorti du risque le plus faible a été maintenu ».

3. Des conséquences potentiellement désastreuses en cas de remontée des taux d'intérêt

La plupart des facteurs qui expliquent la faiblesse actuelle des taux d'intérêt sont de nature conjoncturelle et ne devraient pas durer éternellement . Ni la Fed ni la BCE ne pourront maintenir pendant des dizaines d'années leur programme d'assouplissement quantitatif.

Il est également à craindre qu'en l'absence de véritable réduction des dépenses et de réforme structurelle, la hausse de l'encours de dette et la dégradation des fondamentaux économiques de la France conduisent les investisseurs à se détourner de la dette française , obligeant l'État à se financer dans des conditions moins avantageuses.

En effet, une corrélation claire existe au sein des États de la zone euro entre l'encours de dette, le déficit budgétaire et le niveau des taux d'intérêt , comme le montrent les graphiques ci-dessous. Si la France continue de mener une politique laxiste en matière de finances publiques, il faut s'attendre à ce que les taux d'intérêt sur la dette souveraine finissent par s'adapter.

Corrélation entre le poids du déficit budgétaire dans le PIB et les taux d'intérêt sur la dette souveraine

Note : les données utilisées sont les plus récentes disponibles.

Source : commission des finances, d'après des données BCE et Eurostat

Corrélation entre le poids de la dette dans le PIB et les taux d'intérêt
sur la dette souveraine

Note : les données utilisées sont les plus récentes disponibles.

Source : commission des finances du Sénat, d'après des données BCE et Eurostat

Les conséquences budgétaires d'une hausse des taux d'intérêt seraient catastrophiques , comme le montrent les simulations réalisées par l'Agence France Trésor : une hausse des taux de l'ordre de 100 points de base à partir de 2017 conduirait à ce que la charge de la dette augmente de près de 9 milliards d'euros à horizon 2020 et de 16 milliards d'euros en 2026. Sur dix ans, l'augmentation de la charge de la dette en raison de cette seule augmentation de 100 points de base serait de 25 % par an !

Impact d'un choc de taux de 100 points de base sur la charge
de la dette maastrichtienne

(en milliards d'euros)

Note de lecture : la courbe et le taux correspondent à la croissance composée entre 2017 et 2026.

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

Cette augmentation serait d'autant plus dangereuse pour les finances publiques qu'elle nourrirait un effet « boule de neige » : en l'absence d'excédent budgétaire, la charge de la dette alourdit encore davantage le déficit et contribue donc, par ricochet, à augmenter encore l'encours de dette souveraine.

La situation pourrait être particulièrement grave si se creusaient des différences importantes , sur le plan de la notation ou sur celui des taux d'intérêt, entre la France et les pays voisins .

Certes, une augmentation des taux d'intérêt associée à une reprise de la croissance pourrait n'avoir des effets que modérés : en principe, les théories économiques prévoient qu'un contexte de croissance plus favorable devrait se traduire par de moindres dépenses publiques, en particulier dans le domaine social. Cependant, l'histoire française montre que les dépenses publiques n'ont pas connu de réduction drastique, bien au contraire, même en période de croissance .

En outre, une augmentation des taux d'intérêt associée à une croissance stationnaire est tout à fait envisageable en cas de dégradation de la signature de la dette française.

Malgré ces risques graves, aucune politique sérieuse de réduction des dépenses n'est mise en oeuvre et la dette continue d'augmenter . Ce n'est pas une stabilisation de la dette qu'il faut viser, mais une diminution de son encours à travers un désendettement massif .

Votre rapporteur spécial considère donc que seule une politique de baisse des dépenses publiques résolue et ambitieuse, à rebours de celle que mène actuellement le Gouvernement, permettrait de faire diminuer durablement le fardeau de la dette de l'État .


* 12 Désormais présidente du conseil de supervision au sein de la Banque centrale européenne (BCE).

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