E. UNE MISE EN APPLICATION À PLUSIEURS VITESSES

Ce texte de 123 articles demande pour sa mise en oeuvre un nombre conséquent de décrets : environ 140 mesures d'application sont nécessaires selon le tableau figurant sur le site Légifrance. A ce jour, 60 restent à prendre et l'objectif de 80 % que le Gouvernement s'était fixé pour la fin de l'année devrait être atteint. Celui-ci vise maintenant une application totale de la loi à la fin du premier trimestre 2017 .

Dans un premier temps, le ministère du travail a donné la priorité aux aspects les plus contestables du texte , afin de mettre en oeuvre avec diligence les dispositions de l'article 8 qui réforme les règles en matière de durée du travail , à travers la publication de deux décrets le 18 novembre 18 ( * ) (cf. infra ).

Le même jour, le Gouvernement publiait trois décrets pour mettre en oeuvre les dispositions relatives aux congés spécifiques 19 ( * ) .

Il est donc clair que le Gouvernement s'est hâté de donner aux employeurs les outils pour tirer profit des reculs sociaux portés par la loi, en particulier de l'inversion de la hiérarchie des normes.

F. DES DOUTES SÉRIEUX SUR LA COMPATIBILITÉ DE LA LOI AVEC LA CONSTITUTION ET NOS ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX

Dans sa décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a censuré diverses dispositions du projet de loi « Travail », soit parce qu'elles étaient incompatibles avec des principes de valeur constitutionnelle comme la liberté contractuelle ou celle d'entreprendre, soit pour des raisons de forme en raison du non-respect de la règle dite de « l'entonnoir » 20 ( * ) , elle aussi de valeur constitutionnelle.

Toutefois , le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé d'office sur la conformité à la Constitution des dispositions de la loi dont il n'était pas saisi . Elles pourront donc, le cas échéant, faire l'objet de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) 21 ( * ) .

Or, de nombreux syndicats de salariés, à l'instar de FO, envisagent de soulever des QPC sur différentes dispositions de la loi.
A titre d'illustration, les seuils d'effectifs retenus pour apprécier la durée de la baisse significative du chiffre d'affaires ou du carnet de commandes justifiant un licenciement économique pourraient être contraires au principe d'égalité devant la loi (cf. infra ).

En outre, le juge judiciaire ou administratif pourra être amené à exercer un contrôle de conventionnalité des dispositions de la loi « Travail » à l'occasion des litiges qu'il aura à connaître ou à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne 22 ( * ) , car le Conseil constitutionnel n'est pas chargé d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux et européens de la France 23 ( * ) .

Il existe ainsi par exemple un doute sérieux sur la compatibilité des règles régissant les accords de préservation ou de développement de l'emploi créés par la loi « Travail » avec les dispositions de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (cf. infra ).

Selon les informations recueillies par votre rapporteur lors de ses auditions, la CGT et FO réfléchissent conjointement aux argumentaires qui pourraient être présentés, dans le cadre de recours formulés par des salariés, afin de faire examiner par les juges du fond la conventionalité de plusieurs dispositifs emblématiques de la loi « Travail ».


* 18 Décrets n° 2016-1551 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et n° 2016-1553 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés.

* 19 Il s'agit des décrets n° 2016-1552 du 18 novembre 2016 relatif aux congés autres que les congés payés, n° 2016-1554 du 18 novembre 2016 relatif au congé de proche aidant et n° 2016-1555 du 18 novembre 2016 relatif aux congés autres que les congés payés.

* 20 En application de l'article 45 de la Constitution, un amendement est recevable en première lecture s'il présente un lien, même indirect, avec le texte transmis ou déposé. Après la première lecture, les amendements doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion, sauf s'il s'agit d'assurer le respect de la Constitution, d'une coordination avec des textes en cours de discussion ou de corriger une erreur matérielle.

* 21 L'article 61-1 de la Constitution dispose que « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur le renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

* 22 Il revient en effet au juge de faire appliquer les dispositions de l'article 55 de la Constitution, qui prévoit que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

* 23 Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence
et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, considérant n° 16.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page