B. UN RELÂCHEMENT MARQUÉ DE L'EFFORT BUDGÉTAIRE AU NIVEAU DE L'ÉTAT, MALGRÉ DE NOUVELLES ÉCONOMIES DE CONSTATATION

Le budget de l'État, sur lequel le Gouvernement a le contrôle le plus direct, traduit en 2016 l'absence de réformes structurelles sur la durée du quinquennat : les « coups de rabot » et les économies « automatiques », comme la baisse de la charge de la dette ou la révision du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, touchent leurs limites.

Le déficit de l'État se dégrade donc de 2,5 milliards d'euros en comptabilité nationale, alourdissant d'autant le déficit public, malgré un montant de recettes perçues globalement en ligne avec les prévisions. La détérioration de la situation budgétaire mais aussi financière de l'État fait peser des risques sur l'exécution du budget 2017 et au-delà.

1. Une dégradation des finances de l'État qui ralentit le redressement du déficit public

L'appréciation de la situation des finances de l'État et de son évolution peut être conduite à partir de trois principaux indicateurs, qui correspondent chacun à un référentiel comptable différent : le solde budgétaire (comptabilité de caisse), le déficit dit maastrichtien (comptabilité nationale) et la situation nette (c'est-à-dire la différence entre les actifs et les passifs, mesurés en comptabilité générale).

Comptabilités budgétaire, générale et nationale

La comptabilité budgétaire est une comptabilité de caisse : les dépenses sont comptabilisées lorsqu'elles sont effectuées et les recettes lorsqu'elles sont perçues. Ce mode de comptabilisation permet de savoir ce que l'État a dans ses caisses à un instant donné.

La comptabilité générale et la comptabilité nationale sont des comptabilités d'engagement (dites aussi « en droits constatés ») : un engagement à dépenser est comptabilisé au moment où il est créé, même si la dépense effective n'intervient que plus tard. De même, une recette est rattachée à l'exercice durant lequel l'acte de perception (ou

l'équivalent) a été émis, même si le recouvrement n'est pas immédiat. Les opérations financières font l'objet d'un traitement spécifique , tandis qu'en comptabilité budgétaire, dépenser pour payer le salaire des fonctionnaires ou dépenser pour acheter des titres financiers ne fait aucune différence.

La comptabilité générale de l'État, inspirée de celle des entreprises, permet de mieux appréhender la situation à moyen et long terme des finances publiques , car elle offre un panorama sur les biens de l'État, ses dettes, et les engagements qu'il peut être amené à honorer (engagements hors bilan).

La comptabilité nationale vise quant à elle à représenter l'activité économique de tout un pays , ce qui explique quelques différences avec la comptabilité générale qui, par exemple, ne connaît pas la notion de production non marchande. Au niveau européen, c'est la comptabilité nationale qui constitue le cadre comptable de référence et l'organisme européen de statistiques Eurostat veille à ce que tous les États membres suivent des règles identiques.

L'analyse de ces trois agrégats en 2016 fait ressortir une dégradation réelle des finances de l'État : le déficit maastrichtien augmente, le passif de l'État croît plus vite que son actif et l'amélioration apparente du déficit budgétaire est imputable à la hausse du solde des comptes spéciaux grâce à des annulations sur des programmes destinés au désendettement de l'État.

a) Une amélioration du déficit budgétaire en trompe-l'oeil

À première vue, le déficit budgétaire connaît en 2016 une légère amélioration de 1,5 milliard d'euros par rapport à l'exécution 2015 et de 3,2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2016.

Cependant, cette évolution favorable ne traduit aucunement un effort budgétaire réel de la part de l'État : la baisse modérée du déficit résulte exclusivement d'économies de constatation relatives aux prélèvements sur recettes et à la charge de la dette, d'annulations sur les programmes liés au désendettement de l'État et de recettes exceptionnelles dont la perception a été avancée en 2016 alors que ces recettes auraient dû être recouvrées en 2017.

Ainsi, le Gouvernement a procédé à l'annulation de 2 milliards d'euros sur le programme « Contribution au désendettement de l'État » du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». En outre, le versement à EDF pour réduire la dette contractée entre 2009 et 2014 au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), porté par le nouveau compte spécial « Transition énergétique », a été diminué de 367 millions d'euros par rapport à la budgétisation initiale.

Dans les deux cas, ces annulations ne traduisent pas un effort budgétaire effectif de l'État : celui-ci a choisi de privilégier une réduction de ses dépenses budgétaires au détriment de l'amélioration de sa situation financière. Si ces annulations améliorent nominalement le déficit budgétaire, elles dégradent le besoin de financement présent ou futur de l'État.

De même, la baisse de 844 millions d'euros du prélèvement sur recettes destiné aux collectivités territoriales ne reflète pas un effort du Gouvernement, mais bien du secteur local.

Une partie du reversement de la Coface prévu pour 2017, à hauteur de 422 millions d'euros, a été avancée en 2016 , ce qui contribue à diminuer le déficit budgétaire de 2016 mais diminuera d'autant les recettes non fiscales en 2017.

Doivent également être prises en compte les désormais habituelles économies de constatation sur la charge de la dette , inférieure de 3,1 milliards d'euros à la prévision initiale, et l e prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne , sous-exécuté de 1,3 milliard d'euros en raison de retards dans la mise en oeuvre du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2014-2020.

Décomposition des facteurs d'évolution du solde budgétaire en 2016 entre la loi de finances initiale et l'exécution

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Au total, si les différents facteurs d'évolution énumérés ci-dessus, qui ne correspondent aucunement à un effort de maîtrise budgétaire, sont neutralisés, le déficit est dégradé de 4,8 milliards d'euros .

Il est intéressant de noter que le Gouvernement n'a pas hésité, par le passé, à signaler des éléments « exceptionnels » , comme le deuxième plan d'investissements d'avenir, la recapitalisation de Dexia ou la contribution française au Mécanisme européen de stabilité (MES) afin que ceux-ci soient retraités du solde budgétaire.

En revanche, le caractère « exceptionnel » des annulations sur les programmes liés au désendettement de l'État ou l'avance du versement de la Coface en 2016 ne sont pas explicités , ce qui ne permet pas une juste appréciation de l'évolution du déficit budgétaire de l'État.

De façon générale, l'analyse des budgets exécutés pendant la dernière décennie fait ressortir l'importance des éléments présentés comme « exceptionnels » par le Gouvernement , qui ont représenté, en moyenne, 20 milliards d'euros de 2006 à 2016. Depuis 2007 41 ( * ) , aucun Gouvernement n'a signalé comme « exceptionnelle » la baisse d'une dépense ou l'augmentation d'une recette, c'est-à-dire un facteur d'amélioration du solde budgétaire.

Ce chiffre élevé s'explique certes, pour partie, par la crise financière de 2007-2008, qui a nécessité des mesures de relance d'une ampleur significative en 2009 et 2010, mais alors qu'aucun évènement d'ampleur similaire n'est intervenu entre 2012 à 2016, les éléments « exceptionnels » se sont élevés à près de 13 milliards d'euros en moyenne durant le dernier quinquennat (dont 11 milliards d'euros en dépenses et 2 milliards d'euros en recettes).

Des dépenses « exceptionnelles » une année étaient parfois « oubliées » l'année suivante , ce qui permettait opportunément d'afficher une importante réduction du déficit budgétaire par rapport à l'année antérieure. Ainsi, en 2015, le Gouvernement annonçait une amélioration du solde budgétaire de 15,0 milliards d'euros entre 2014 et 2015, ramenée à 3 milliards d'euros après retraitement de l'impact exceptionnel du programme d'investissement d'avenir (PIA) de 2014, sans préciser que la neutralisation de la contribution française au mécanisme européen de stabilité (MES) versée en 2014, pour 3,3 milliards d'euros, et l'inclusion des décaissements des opérateurs dans le cadre du PIA en 2015, conduisaient à retenir une amélioration réelle de 300 millions d'euros, soit dix fois moins importante.

Il serait donc particulièrement utile, pour le quinquennat à venir, que le Gouvernement précise les critères qui le conduiront à arrêter le caractère exceptionnel d'une dépense ou d'une recette - une telle définition pouvant par exemple s'inspirer de celle mise en oeuvre par la commission européenne dans le cadre de la procédure de déficit excessif 42 ( * ) .

En contrepartie de la neutralisation du versement intégral des PIA en 2010 et en 2014, il serait également utile de retraiter le solde budgétaire des décaissements effectués chaque année dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir .

Deux soldes budgétaires seraient ainsi présentés dans les documents budgétaires : le déficit nominal d'une part, et le déficit retraité des éléments exceptionnels et des décaissements du PIA d'autre part, associé à une définition précise du caractère « exceptionnel » d'une dépense ou d'une recette, permettant d'apprécier de façon plus fine l'effort budgétaire réel de la part de l'État et d'assurer la continuité de la présentation du déficit budgétaire de l'État d'une année l'autre .

Une telle démarche se rapprocherait de la « charte de budgétisation » présentée chaque année par le Gouvernement et qui permet à la représentation nationale d'apprécier la transparence de l'évaluation des dépenses par rapport à l'année antérieure, mais porterait sur un champ plus large (en dépenses et en recettes).

b) Une dégradation du déficit de l'État en comptabilité maastrichtienne

Si, en comptabilité budgétaire, les éléments précités peuvent conduire à une amélioration artificielle du solde de l'État, en comptabilité nationale, le constat est sans appel : le déficit s'est dégradé de 2,5 milliards d'euros entre 2015 et 2016.

Évolution des soldes budgétaire et maastrichtien de l'État de 2006 à 2016

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

Bien que des différences plus importantes qu'en 2016 aient pu être constatées, en valeur absolue, entre le déficit budgétaire et le déficit maastrichtien de l'État, c'est la première fois, sur la dernière décennie , que l'un diminue tandis que l'autre augmente.

L'écart entre ces deux agrégats résulte de trois principaux effets comptables : le traitement de certaines opérations budgétaires en opérations financières, la correction des droits constatés et les opérations non budgétaires qui affectent le besoin de financement.

En 2016, le principal facteur de divergence entre le solde budgétaire et le solde maastrichtien résulte de la correction de droits constatés (-10,2 milliards d'euros) , c'est-à-dire de la prise en compte d'engagements de l'État de réaliser certaines dépenses, même si celles-ci ne se sont pas matérialisées en 2016. Il s'agit en particulier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi dû par l'État aux entreprises (- 5,6 milliards d'euros), du décalage du paiement des budgets rectificatifs de l'Union européenne (- 1,3 milliard d'euros), du matériel militaire livré en 2016 et qui n'avait pas, au 31 décembre 2016, donné lieu à paiement (- 0,9 milliard d'euros) ou encore du report de charges sur la compensation des charges de service public de l'électricité (- 0,6 milliard d'euros).

Décomposition des facteurs de divergence entre solde budgétaire et solde maastrichtien en 2016

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee, des documents budgétaires et du compte général de l'État pour 2016)

Les opérations budgétaires traitées en opérations financières créent un écart négatif de 1,9 milliard d'euros entre le solde budgétaire et le solde en comptabilité nationale, qui résulte essentiellement de la neutralisation du produit des cessions de participations financières de l'État : bien que ces recettes améliorent le déficit budgétaire de l'État, elles n'ont pas d'impact sur le solde en comptabilité nationale - et, de façon symétrique, les prises de participations ne dégradent pas, en principe, le solde public.

Enfin, les opérations non budgétaires affectant le besoin de financement conduisent à améliorer le déficit maastrichtien de 6,8 milliards d'euros par rapport au solde budgétaire. Elles recouvrent essentiellement l'étalement des primes et décotes à l'émission (+ 6,2 milliards d'euros) et la neutralisation du versement de dividendes sous forme de titres par EDF (+ 1,7 milliard d'euros).

Au total, le déficit maastrichtien est supérieur de 5,1 milliards d'euros au déficit budgétaire et de 2,5 milliards d'euros au déficit maastrichtien constaté en 2015.

L'État est le seul sous-secteur des administrations publiques dont le solde se dégrade entre 2015 et 2016 . Aussi, bien que la participation accrue des administrations locales et sociales au pilotage des dépenses et des recettes publiques paraisse souhaitable et nécessaire afin d'assurer la soutenabilité, sur le moyen terme, des finances publiques, force est de constater que dans un premier temps, des efforts doivent avant tout être réalisés sur le budget de l'État , ce qui implique des réformes de structure courageuses sur les dépenses de personnel et une redéfinition du périmètre d'intervention de l'État.

c) Une détérioration de la situation financière nette de l'État

Le compte général de l'État, joint au projet de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget, permet de compléter le constat dressé à partir des données budgétaires et de la comptabilité nationale en offrant un point de vue sur la situation nette de l'État, c'est-à-dire sur la différence entre l'actif et le passif .

Les particularités du bilan de l'État et de sa situation patrimoniale

Depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le compte général de l'État comporte une présentation de son bilan comptable . Le bilan de l'État présente son actif, constitué de l'ensemble de son patrimoine, et son passif, qui correspond à l'ensemble des engagements financiers de l'État à l'égard des tiers - pour l'essentiel des dettes financières.

Cependant, le bilan de l'État se différencie du bilan des entreprises privées en raison des spécificités de son action , qui trouvent leur traduction dans ses états financiers. Il ne possède notamment pas, à son passif, de capital social (le capital social étant l'apport des actionnaires à une société). Sa capacité à lever l'impôt ne peut constituer un actif incorporel, certains de ses monuments historiques ne sont valorisés, à l'actif de l'État, qu'à l'euro symbolique. Si, pour une entreprise, un résultat net négatif traduit une destruction de richesse, le déséquilibre entre actif et passif de l'État est quant à lui structurel.

Ainsi, le bilan de l'État n'est pas équilibré , à la différence d'un acteur privé. Il est présenté sous la forme d'un tableau de situation nette, correspondant à la différence entre son actif et son passif.

C'est donc l'évolution du résultat de l'État qui peut être interprétée et non sa valeur.

En 2016, la situation nette continue de se dégrader ce qui traduit un appauvrissement durable de l'État : elle passe de - 1 124 milliards d'euros à - 1 202 milliards d'euros, soit une détérioration de 79,1 milliards d'euros .

La dégradation de la situation nette est liée à une augmentation du passif beaucoup plus rapide que celle de l'actif : celle-ci s'élève à 978 milliards d'euros, en hausse de 5 milliards d'euros par rapport à 2015, tandis que le passif représente 2 097,2 milliards d'euros, un montant supérieur de 84 milliards d'euros à celui de 2015. Comme à l'accoutumée, plus de la moitié de l'augmentation du passif provient de la dette financière de l'État , qui progresse de 45,1 milliards d'euros.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur le budget de l'État en 2016, la situation nette de l'État représente désormais « un peu plus de quatre années de produits régaliens nets , contre trois en 2010 et deux en 2008 ».

Le constat est donc clair : hors effets d'écritures budgétaires, les finances de l'État connaissent en 2016 une nouvelle dégradation . Celle-ci résulte principalement d'un effort en dépenses insuffisant.

2. Une progression des dépenses des ministères compensée par des économies de constatation

La double norme de dépenses, en valeur et en volume, a été respectée grâce à des économies de constatation et des contournements de la charte de budgétisation.

Les normes de dépenses en valeur et en volume
encadrant l'évolution des dépenses de l'État

L'exécution du budget de l'État doit garantir le respect, sur certains périmètres précisément définis, de plafonds de dépenses. Ces plafonds s'appellent des normes de dépenses.

Si des normes d'évolution des dépenses de l'État ont été introduites dès le début des années 2000, c'est la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 qui a mis en place la double norme de dépenses aujourd'hui appliquée :

- d'une part, les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant : c'est la norme « zéro valeur » ;

- d'autre part, la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charge de la dette et dépenses de pension, doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'inflation (évolution prévisionnelle des prix à la consommation) : c'est la norme « zéro volume ».

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a fixé le niveau des normes de dépenses de l'État pour les années à venir : en vertu de son article 8, les dépenses sous norme « zéro volume » ne doivent pas progresser plus vite que l'inflation et les dépenses sous norme « zéro valeur » doivent diminuer d'environ 7 milliards d'euros de 2015 à 2017, passant de 282,81 milliards d'euros en 2015 à 280,65 milliards d'euros en 2016, puis à 275,48 milliards d'euros en 2017.

a) Des normes respectées grâce à des contournements et des économies « automatiques » sur la charge de la dette et les prélèvements sur recettes

À périmètre constant et hors prélèvements sur le fonds de roulement des opérateurs, les dépenses du budget général hors dette et pensions ont crû de 2,6 milliards d'euros entre 2015 et 2016 .

Évolution des dépenses sous norme de l'État et des opérateurs, de 2015 à 2016

(en milliards d'euros)

Exéc. 2015

(format 2016)

LFI 2016

Exéc. 2016

Exéc. 2016-

LFI 2016

Exéc. 2016-

exéc. 2015

Dépenses nettes BG (hors dette et pensions)

218,8

219,2

220,8

1,6

2

PSR collectivités territoriales

50,6

47,3

46,5

-0,8

-4,1

PSR UE

19,7

20,2

19,0

-1,2

-0,7

Taxes affectées et prélèvements exceptionnels

8,4

8,5

8,5

0,0

0,1

Norme hors dette et pensions

297,5

295,2

294,8

-0,4

-2,7

Charge de la dette

42,1

44,5

41,4

-3,0

-0,7

Contributions CAS pensions (État et opérateurs)

45,5

46,2

46,0

-0,2

0,5

Norme y.c. dette et pensions

385,1

385,9

382,3

-3,6

-2,8

Source : Cour des comptes (à partir des données de la direction du budget)

Cette hausse est cependant compensée, sur le périmètre de la norme « en valeur », par la diminution des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne (- 700 millions d'euros entre 2015 et 2016) et des collectivités territoriales (- 4,1 milliards d'euros d'exécution à exécution) ainsi que par des ponctions sur la trésorerie des opérateurs (- 500 millions d'euros) soit une diminution totale apparente des dépenses sous norme « zéro valeur » de 2,7 milliards d'euros.

De même, sur le périmètre de la norme « en volume », la baisse de la charge de la dette de 3,1 milliards d'euros par rapport aux estimations de la loi de finances initiale et de 700 millions d'euros par rapport à 2015 permet d'afficher une diminution globale des dépenses.

Outre le bénéfice de ces économies « passives » qui ne pèsent pas réellement sur les moyens des ministères et ne traduisent pas une amélioration de l'efficience de l'action de l'État, le Gouvernement a procédé à de nombreux contournements de la charte de budgétisation , en substituant des taxes affectées à des dépenses budgétaires ou en surévaluant des mesures de périmètre, dont le total atteint, selon les calculs de la Cour des comptes, 1,9 milliard d'euros sur le budget général.

D'après la Cour des comptes, « la dynamique réelle des dépenses du budget général, hors charge de la dette, pensions et mission « Relations avec les collectivités territoriales », est proche de 2 % en valeur, soit presque le double de l'évolution affichée en comptabilité budgétaire ».

Le respect apparent des normes ne permet donc pas de conclure à la qualité de la gestion budgétaire du Gouvernement, ni même au respect de l'autorisation parlementaire, d'autant moins que le périmètre de la norme en valeur est inadapté .

b) La nécessaire exclusion du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne et des ponctions sur la trésorerie des opérateurs dans le calcul de la norme en valeur

Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ne devrait pas être intégré à la norme en valeur dans la mesure où son montant n'est pas du tout pilotable par l'État . Que le prélèvement sur recettes soit inférieur aux prévisions, comme cela fut le cas ces dernières années, ou supérieur, ne permet de tirer aucune conclusion sur la qualité de la gestion budgétaire du Gouvernement.

En outre, il est tout à fait contraire au principe de non-contraction des recettes et des dépenses fixé par la loi organique relative aux lois de finances 43 ( * ) que le Gouvernement assimile à une moindre dépense les prélèvements effectués sur la trésorerie des opérateurs , qui se sont élevés à près de 560 millions d'euros en 2016, soit un montant inférieur au pic constaté en 2015 mais qui reste important au regard de l'exécution des années 2011 à 2014.

La ponction de la trésorerie de certains opérateurs peut tout à fait être légitime quand les fonds de roulement ont atteint des niveaux manifestement excessifs, sans lien avec les missions incombant aux établissements considérés. Cependant, les prélèvements sur la trésorerie constituent bien davantage des recettes supplémentaires que de moindres dépenses et, à ce titre, ils ne devraient pas permettre d'afficher une diminution des dépenses mais être comptabilisés comme des recettes non fiscales.

Au surplus, ce procédé, par définition ponctuel et non-pérenne, ne doit pas se substituer à la mise en oeuvre de réelles mesures d'économies qui permettent de dégager des marges de manoeuvre dans le futur . Or, de 2012 à 2016, ce sont 2,3 milliards d'euros qui ont été prélevés sur le fonds de roulement des opérateurs.

Montant des prélèvements sur le fonds de roulement
des opérateurs de l'État de 2011 à 2016

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

Le reflux du montant des prélèvements sur les opérateurs et divers organismes parapublics témoigne de l'essoufflement d'une stratégie d'économie « au coup par coup » , sans vision d'ensemble et fondée presque exclusivement sur le « ratissage des fonds de tiroirs ».

3. Des recettes nettes en hausse de 7,1 milliards d'euros par rapport à 2015

Hors prélèvements sur recettes, les recettes nettes de l'État augmentent par rapport à 2015 mais sont inférieures d'environ 3,2 milliards d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale , ce qui résulte principalement de la baisse des recettes fiscales, en particulier de l'impôt sur les sociétés, par rapport aux estimations initiales.

a) Des recettes fiscales plus élevées qu'en 2015 mais inférieures de 3,8 milliards d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale

Les recettes fiscales nettes, qui représentent environ 95 % du total des recettes de l'État, ont crû de 4 milliards d'euros (+ 1,4 %) entre 2015 et 2016 mais diminué de 3,8 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale.

La moins-value constatée par rapport aux prévisions s'explique principalement par l'optimisme des estimations retenues pour la construction du budget 2016. La commission des finances du Sénat avait d'ailleurs noté lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 que « les anticipations du Gouvernement [en matière de recettes] contrastent fortement avec l'exécution réalisée les années passées ».

En revanche, le rebond de l'élasticité des recettes fiscales nettes prévu en loi de finances initiale se confirme , bien que celle-ci soit légèrement inférieure à la prévision (élasticité de 1,2 contre une prévision initiale de 1,3).

Élasticité des recettes fiscales nettes prévue et exécutée de 2011 à 2016

Source : commission des finances du Sénat

Par rapport à l'exécution 2015, les facteurs de hausse recouvrent principalement l'évolution spontanée des recettes fiscales (+ 5,2 milliards d'euros) et les mesures de périmètre et de transfert (+ 4,1 milliards d'euros), c'est-à-dire la suppression de la prime d'activité (+ 2 milliards d'euros) et le reversement à l'État d'une partie de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) pour 2,1 milliards d'euros.

Décomposition des facteurs d'évolution des recettes fiscales nettes
entre l'exécution 2015 et l'exécution 2016

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Cour des comptes)

La convergence des fiscalités entre l'essence et le gazole et la montée en puissance de la contribution climat-énergie participent également de la hausse des recettes à hauteur de 1,5 milliard d'euros.

Du côté des facteurs de diminution des recettes fiscales entre 2015 et 2016, plusieurs mesures législatives réduisent le produit des impôts de 4,7 milliards d'euros : il s'agit en particulier de la réduction d'impôt sur le revenu au profit des ménages modestes inscrite en loi de finances initiale pour 2016 (- 2 milliards d'euros), de la suppression de la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises (- 1,7 milliard d'euros) ainsi que la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE, - 1,0 milliard d'euros).

2,8 milliards d'euros de baisse des recettes fiscales nettes par rapport à 2015 ne s'expliquent ni par leur évolution spontanée, ni par des mesures de périmètre ni, à proprement parler, par des mesures nouvelles : il s'agit, pour 1,7 milliard d'euros, de la non-reconduction du versement exceptionnel d'EDF en 2015 (- 1,4 milliard d'euros) et des recouvrements liés au contentieux dit « Steria » (- 0,3 milliard d'euros). La baisse des recouvrements liés aux contrôles fiscaux explique également 1,1 milliard d'euros de baisse des recettes fiscales nettes par rapport à l'exécution 2015.

Une analyse impôt par impôt fait ressortir une diminution marquée du produit de l'impôt sur les sociétés entre 2015 et 2016 , tandis que les autres impôts augmentent d'un montant compris entre 2 et 2,5 milliards d'euros (IR, TICPE, TVA) ou se maintiennent (ISF, autres recettes fiscales).

Évolution du produit des principaux impôts entre l'exécution 2015, la loi de finances initiale pour 2016 et l'exécution 2016

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données du projet de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget)

La baisse de l'IS est également significative par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2016 (- 2,8 milliards d'euros) en raison d'un bénéfice fiscal 2015 des entreprises inférieur à la prévision .

b) Des recettes non fiscales en hausse par rapport aux estimations initiales grâce à un montant élevé de recettes exceptionnelles

Les recettes non fiscales s'élèvent à 16,2 milliards d'euros en 2016 , en hausse de 600 millions d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2016 et de 1,8 milliard d'euros en comparaison de l'exécution 2015.

La hausse par rapport à 2015 est principalement portée par le versement de la Coface de 2,4 milliards d'euros dont 422 millions d'avance en 2016 d'une recette dont la perception était prévue sur 2017 et de l'augmentation de 1,3 milliard d'euros des recettes liées aux redevances des fréquences radioélectriques : alors que les fréquences de la bande 700 Mhz ont été attribuées aux enchères en novembre 2015 pour un montant total de 2,8 milliards d'euros, payable en quatre annuités, le versement de l'annuité 2015 n'est intervenu qu'en 2016. Comme le souligne la Cour des comptes, les recettes encaissées en 2016 résultent donc du versement de 2015 (reçu en janvier 2016) et de celui de 2016 (reçu en décembre 2016).

Décomposition des facteurs d'évolution des recettes non fiscales entre l'exécution 2015 et l'exécution 2016

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Cour des comptes)

Du côté des facteurs de diminution, doivent être cités le versement du dividende EDF sous forme de titres (- 1,7 milliard d'euros) et la baisse des amendes prononcées par l'Autorité de la concurrence qui, bien que se maintenant à un niveau élevé (1 milliard d'euros), supérieur de 600 millions aux prévisions de la loi de finances initiale, demeurent inférieures au pic constaté en 2015 (1,6 milliard d'euros).

c) Des dépenses fiscales qui continuent de croître et dont l'évaluation est inexistante

Les 451 dépenses fiscales recensées en 2016 réduisent les recettes fiscales de l'État de 85,8 milliards d'euros, en hausse de 1,3 milliard d'euros par rapport à 2015 .

Le montant des dépenses fiscales progresse en 2016 plus rapidement que ne le prévoyait la loi de programmation des finances publiques, dont les dispositions relatives à l'évaluation des dépenses fiscales ne sont, du reste, pas mises en oeuvre : le Gouvernement indique, en réponse au questionnaire de votre rapporteur général, que « quatre dépenses fiscales ont fait l'objet d'une évaluation préalable en loi de finances pour 2017 ou en loi de finances rectificative pour 2016 » et que le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) « a fait l'objet d'une évaluation dans le cadre du rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) relatif à l'aide à la rénovation énergétique des logements, publié en avril 2017 ».

En incluant les évaluations préalables des lois de finances - ce qui est, sur le fond, très contestable - le taux de dépenses fiscales évaluées dans l'année s'élèverait donc à 1,1 %. Une analyse plus honnête conduit à retenir la seule évaluation du CITE, soit un taux de revue des niches fiscales de 0,2 %.

L'évaluation des dépenses fiscales est donc, pour l'heure, quasiment inexistante et ne permet ni à la représentation nationale, ni au Gouvernement de disposer d'une vision cohérente et documentée des centaines de dispositifs fiscaux dérogatoires qui diminuent le montant des recettes perçues par l'État pour une efficacité parfois incertaine.

4. Des reports de charges importants qui font peser un risque sur l'exécution du budget 2017

Les reports de charge sont difficiles à évaluer : une analyse détaillée des dépenses est souvent nécessaire pour distinguer entre un reste à payer « de bonne gestion », qui relève simplement du décalage parfois normal entre l'engagement des AE et le décaissement des CP - par exemple dans le cadre d'investissements immobiliers - et des reports qui n'ont d'autre objet que de diminuer artificiellement l'exécution d'une année donnée.

Ceux-ci correspondent aux reports dits « bloqués » ou « arbitrés » , dont le montant est arbitré dans le cadre du schéma de fin de gestion afin de respecter la cible d'exécution. Ils s'ajoutent donc aux reports dits « frictionnels », liés à des facteurs techniques.

Si les montants de reports bloqués ne figurent pas, en tant que tels, dans les documents budgétaires, l'évolution des restes à payer et des charges à payer permet d'apprécier l'ampleur des dépenses que l'État devra tôt ou tard décaisser.

Le montant des charges à payer (CAP) est particulièrement révélateur puisqu'il correspond aux sommes pour lesquelles le service fait a été constaté (et les AE engagées) sans que le paiement ne soit encore intervenu, se rapprochant ainsi de la notion de facture impayée .

Or les restes à payer comme les charges à payer ont fortement crû de 2014 à 2016 : en deux ans, les RAP ont progressé de 16 % et les CAP de 18 % pour atteindre respectivement 106,8 milliards d'euros et 5 milliards d'euros.

Évolution des restes à payer et des charges à payer de 2014 à 2016

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat (à partir du compte général de l'État)

L'ampleur des charges à payer fragilise l'exécution 2017 et les risques sont d'autant plus importants que les marges de manoeuvre budgétaires sont réduites par la très forte hausse de la masse salariale de l'État prévue en 2017.

En outre, les économies de constatation à attendre , pour les années à venir, de la charge de la dette et du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne , seront beaucoup moins significatives qu'elles ne l'ont été ces dernières années : la remontée progressive des taux d'intérêt va limiter les « bonnes nouvelles » et un rattrapage de la mise en oeuvre des budgets européens est prévisible au regard du retard pris en 2016.


* 41 En 2007, le Gouvernement indiquait que le solde budgétaire devait être retraité du produit de la cession de titres EDF, ce qui conduisait à dégrader le déficit d'un montant de près de 4 milliards d'euros.

* 42 Commission européenne, Les finances publiques dans le cadre de la procédure pour déficit excessif (Public Finance in EMU), Bruxelles, 2015, pp. 52-64.

* 43 Article 6 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances : « Le budget décrit, pour une année, l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'État. Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. »

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