II. VERS LA MISE EN oeUVRE DE MESURES DE DÉSENDETTEMENT NON CONVENTIONNELLES

A. DES RISQUES D'AUTANT PLUS DIFFICILES À MAÎTRISER QUE L'ENCOURS DE DETTE PUBLIQUE EST ÉLEVÉ

Si les pays de l'OCDE et de la zone euro ont globalement suivi des évolutions similaires durant la crise économique, avec une accélération des émissions de dette souveraine et une forte hausse de l'encours de dette publique, la France se distingue par une difficulté à stabiliser puis diminuer le poids de la dette publique dans le PIB à l'instar de ses principaux voisins.

Le poids de la dette publique dans le PIB de la France reste parmi les plus élevés de la zone euro. La dette publique française a ainsi commencé à s'écarter, à compter de 2012-2013, de la trajectoire constatée dans la zone euro et, plus généralement, dans l'Union européenne. En effet, un écart est alors apparu entre le ratio d'endettement de la France et le ratio moyen constaté dans la zone euro. Celui-ci n'a eu de cesse de se creuser jusqu'à présent, d'autant que la part de la dette dans le PIB a commencé à reculer dans la zone euro à partir de 2015, la dette française continuant, elle, à progresser. Ainsi, en 2016, la dette publique de la France était supérieure de 7,1 points de PIB à la moyenne de la zone euro - alors qu'elle l'égalait encore en 2012 - et de 12,8 points de PIB à la moyenne de l'Union européenne.

La France n'a donc plus beaucoup de marge de manoeuvre : son niveau d'endettement, proche de 100 % du PIB et supérieur à celui de ses principaux voisins, amplifie les risques identifiés dans la mesure où, si le besoin de financement de l'État venait à progresser dans des proportions trop importantes, il n'est pas certain que les marchés financiers pourraient absorber ce surplus dans de bonnes conditions - d'autant moins si la Banque centrale européenne réduit à plus ou moins brève échéance, comme l'on peut s'y attendre, son programme de rachats.

En outre, le niveau de la dette publique française est un problème évident pour la France, mais c'est aussi un problème pour l'Europe : la France ne respecte pas les critères de Maastricht, qui devaient permettre aux économies européennes de ne pas connaître de divergence trop marquée. Une telle différence d'endettement entre les principales économies de la zone euro n'est pas tenable.

B. UNE APPROCHE EUROPÉENNE, INNOVANTE ET NON CONVENTIONNELLE S'IMPOSE

Le Gouvernement annonce une légère baisse du poids de la dette dans le PIB , avec une diminution prévisionnelle de cinq points de PIB sur le quinquennat. À ce rythme, trente ans seront nécessaires pour rejoindre le niveau de dette de l'Allemagne, alors même que le niveau d'endettement par rapport au PIB était comparable en France et en Allemagne en 2010, soit il y a moins de dix ans.

Face aux enjeux tant nationaux qu'européens liés à la dette souveraine, et notamment dans la perspective d'une prochaine remontée des taux d'intérêt, un effort doit être mené sur plusieurs fronts .

Or le temps est compté : il faut profiter au plus vite des faibles taux d'intérêt et surtout agir avant qu'un nouveau choc macroéconomique ne contraigne les États et l'Union européenne à inventer des solutions dans l'urgence.

Le déficit budgétaire, qui détermine largement l'évolution du besoin de financement de l'État, doit évidemment être maîtrisé.

Mais la consolidation budgétaire ne suffira pas : il faut réfléchir dès maintenant à des solutions innovantes, non conventionnelles, permettant un désendettement plus rapide des États européens les plus endettés. Le cadre européen paraît constituer le bon échelon de décision et de mise en oeuvre de telles mesures dans la mesure où les économies européennes sont d'ores et déjà liées par le marché commun et, pour certaines d'entre elles, par une monnaie commune.

Trois principales pistes paraissent devoir être creusées.

Tout d'abord, pourrait être envisagée la création d'un ou de plusieurs fonds sectoriels (en matière de défense, d'énergie, d'agriculture...), abondés par les États membres, qui refinanceraient certaines dettes de façon mutualisée, par exemple la dette de défense - c'est notamment la proposition mise en avant par Thierry Breton lors de son audition à la commission des affaires étrangères du Sénat lors de son audition du 9 mars 2016.

Un tel fonds permettrait à la fois d'augmenter la capacité de financement du secteur de la défense , à l'heure où l'Europe est confrontée à des enjeux fondamentaux en ce domaine, et d'opérer un remboursement des dettes des États membres par leur mutualisation en profitant de la demande actuelle pour des titres sûrs et des taux d'intérêt bas.

Une autre possibilité réside dans la création d'emprunts qui permettraient de mutualiser le risque au niveau de la zone euro, par exemple à travers des titres synthétiques adossés à un portefeuille de titres souverains de différents États membres - ces sovereign bond-backed securities (SBBS), à l'étude par le conseil européen des risques systémiques, permettraient d'améliorer la diversification du risque au sein des bilans bancaires sans mutualisation directe de la dette entre les États-membres.

Enfin, il serait intéressant de réfléchir aux modalités selon lesquelles le mécanisme européen de stabilité (MES) pourrait participer au paiement des intérêts des dettes des États les plus fortement endettés, en contrepartie d'un engagement durable et crédible dans un processus de redressement de ses finances publiques. Par exemple, comme le proposait France Stratégie dans une note d'octobre 2017 14 ( * ) , il serait possible de permettre au MES de rentrer dans un contrat de swap d'intérêts avec un État fortement endetté. Le MES recevrait (de l'État endetté) un intérêt indexé sur la croissance du pays soutenu et il paierait le coupon à taux fixe que l'État s'est engagé à verser à ses créanciers. Plus précisément, il recevrait de la part du pays un intérêt égal à ce même coupon mais corrigé de l'écart entre croissance réalisée et croissance initialement projetée. Ce faisant, la trajectoire de réduction de dette sur laquelle l'État trop endetté s'est engagé via des efforts budgétaires durables se trouverait crédibilisée, car son respect deviendrait moins dépendant de la conjoncture économique future .

Il ne s'agit pas de sous-estimer les questions techniques et les enjeux politiques que ces propositions soulèvent.

Mais il paraît urgent d'ouvrir le débat : pour protéger tant les finances publiques françaises que la solidité de la zone euro, la dette publique doit devenir un enjeu européen de premier plan .


* 14 France Stratégie, « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ? », note d'analyse n° 62, octobre 2017, p. 7.

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