EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 8 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Outre-mer ».

M. Vincent Éblé , président . - Nous sommes heureux d'accueillir Michel Magras, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - Je rapporte la mission « Outre-mer » avec Nuihau Laurey, qui m'a demandé de l'excuser auprès de vous pour son absence ; je vous transmettrai également ses principales observations. Cette mission, qui ne rassemble que 13 % des crédits de l'État en faveur des outre-mer, constitue le « bras » budgétaire de l'intervention de l'État dans ces territoires. Elle en est donc aussi le « bras » le plus visible.

Les crédits de la mission « Outre-mer » sont, à bien des égards, indispensables pour ces territoires qui, faut-il le rappeler, souffrent d'importants handicaps structurels liés à leur éloignement de l'hexagone, à la faiblesse de leurs marchés locaux et à leur tissu économique composé pour l'essentiel de très petites entreprises. Les données socio-économiques des outre-mer sont pour le moins inquiétantes : PIB par habitant inférieur de près de 40 % à celui de la métropole, persistance d'un fort taux de chômage, notamment chez les jeunes, augmentation de la mortalité infantile dans certains territoires, traduisant de graves difficultés sanitaires, retard dans le domaine de l'éducation, etc.

L'année 2017 est, à mon sens, particulièrement révélatrice de ces fragilités : je pense au mouvement social survenu en Guyane, qui n'est qu'un symptôme des difficultés de ces territoires, mais également à l'ouragan Irma, qui nous rappelle la prégnance des risques naturels auxquels sont confrontées ces collectivités.

Le travail accompli est certes considérable, mais beaucoup reste à faire. C'est pourquoi les ultramarins sont particulièrement attentifs aux évolutions des crédits de cette mission. Il faut souligner d'emblée que les crédits sont maintenus au-dessus du seuil des 2 milliards d'euros, puisqu'ils s'élèveront à 2 104 milliards d'euros en AE et 2 068 milliards d'euros en CP. À périmètre constant, il est en hausse de 3,6 % en AE et de 4,3 % en CP par rapport à 2017. On ne peut que s'en réjouir.

En tout état de cause, il convient d'insister sur le fait que ce budget, le premier du quinquennat, constitue un « budget de transition » ne présageant qu'en partie des priorités futures. Pour les prochains projets de loi de finances, le Gouvernement s'est en effet engagé à s'appuyer sur le Livre bleu Outre-mer, qui résultera des Assises des outre-mer, lancées par le Gouvernement 4 octobre 2017, afin d'ouvrir un temps d'échange et de réflexion avec l'ensemble des ultra-marins.

Cette « transition » entraine nécessairement quelques doutes.

La compensation des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale spécifiques outre-mer représentera cette année une dépense de 1,079 milliard d'euros en AE, soit plus de la moitié des crédits prévus au sein de la mission « Outre-mer » en 2018 et 81,2 % des crédits du programme 138 « Emploi outre-mer ». Ces exonérations ont connu de multiples recentrages depuis 2014, ce qui a entraîné une baisse importante de la dépense associée ; de plus de 36 % entre 2014 et la prévision de dépenses pour 2018. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne prévoit, cette année, aucun recentrage des exonérations. Selon le Gouvernement, elle devrait toutefois faire l'objet d'un « réexamen » à l'automne 2019. Nous serons particulièrement vigilants quant à ce que cette réforme soit favorable à l'emploi outre-mer, le chômage culminant encore aujourd'hui à 20 % en moyenne dans ces territoires.

Ce budget présente également, reconnaissons-le, plusieurs motifs de satisfaction.

Les crédits destinés au financement des opérations contractualisées entre l'État et les collectivités d'outre-mer sont en hausse et s'élèvent à 152 millions d'euros en AE et 157 millions d'euros en CP (contre 136 millions d'euros en AE et 148 millions d'euros en CP en 2017), soit une hausse de 12 % en AE et de 6 % en CP. Cette hausse est particulièrement bienvenue, alors que de nombreux contrats ont fait l'objet d'un important sous-financement les années passées.

Le fonds exceptionnel d'investissement sera maintenu sur l'ensemble du quinquennat. Ses crédits sont en augmentation de 3 % en AE et stables en CP. Surtout, le Gouvernement s'est engagé à un maintien de sa dotation au niveau de 2018 sur l'ensemble du quinquennat. Nous avions souligné, dans le rapport d'information que nous lui avons dédié l'an dernier, l'utilité de cet instrument. Nous serons donc particulièrement vigilants quant au respect de la promesse du Gouvernement.

Ce budget conforte le service militaire adapté, qui a atteint en 2017 l'objectif fixé : former 6 000 jeunes ultramarins et leur permettre une insertion dans le monde professionnel. Ses crédits sont en augmentation de 4,16 % en AE et 4,25 % en CP, et le ratio d'encadrement a été amélioré.

Mon collègue Nuihau Laurey souhaitait toutefois appeler notre vigilance sur certains points. Si les crédits de paiement dédiés à la construction neuve seront en augmentation, il faut reconnaître que les crédits affectés au logement, dans leur ensemble, sont en baisse (de 8,13 % en AE et de 1,57 % en CP). En 2018, le Gouvernement prévoit la construction de 5 870 logements locatifs sociaux et très sociaux et 3 550 réhabilitations de logements. Cette prévision reste inférieure au nombre de réhabilitation et de constructions annuelles nécessaires pour atteindre l'objectif fixé par la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer de 2017. Cette baisse de crédit est donc préoccupante, étant donné l'ampleur des besoins en logements et l'augmentation des coûts de construction.

Les crédits destinés à la continuité territoriale sont en baisse de 1,3 % en AE et en CP. Cette poursuite de la baisse des crédits traduit le retrait de l'État dans l'effort de désenclavement des collectivités ultramarines, alors même que le financement de la continuité territoriale faisait partie des promesses de campagne.

Enfin, le dernier motif de préoccupation porte sur la programmation triennale 2018-2020, qui prévoit une augmentation des crédits de 0,5 % en valeur (contre une augmentation de 3 % en moyenne pour les missions du budget général), ce qui équivaut à une baisse en volume de 2 %.

Cette programmation pourrait être insuffisante pour donner les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires. Par ailleurs, il serait justifié que la pertinence de cette programmation puisse être réévaluée après la tenue des Assises des outre-mer.

Aussi, c'est bien conscients des carences de ce budget, mais également du fait qu'il s'agisse d'une « transition » que nous vous proposons d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer » sans modification.

M. Michel Magras , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Je succède à Serge Larcher en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur ce budget, que nous examinerons la semaine prochaine. À ce stade, il m'est donc difficile d'exprimer un commentaire général. Je puis toutefois vous faire part de quelques observations, puisque c'est la dixième fois que je dois me prononcer, comme parlementaire, sur le budget de l'État et sur celui de la mission « Outre-mer ». Pendant ces dix ans, c'est la seule mission qui n'a jamais diminué. Le rapporteur spécial a justement observé que ce budget n'est pas le seul des outre-mer : c'est une mission à périmètre variable. Il suffit de jouer sur ce périmètre pour la rééquilibrer : telle est l'impression que j'ai eue.

Dans certains secteurs, les crédits diminuent, comme l'a noté le rapporteur spécial, notamment la continuité territoriale ou le logement, où les engagements pris dans le cadre de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer ne sont pas respectés.

Je m'interroge, à propos des Assises des outre-mer dont on parle beaucoup, sur le fait de savoir s'il ne s'agit pas d'une année perdue, au sens budgétaire, à l'exception de quelques crédits concernant la Guyane. C'est un avis provisoire. Sur le CICE et la CSG, je suis également inquiet, surtout pour les collectivités, comme la mienne, qui n'ont pas d'autre ressource fiscale : l'État semble revenir sur cette compétence transférée.

Aucun crédit supplémentaire nécessaire pour la reconstruction post-cyclonique n'apparaît à ce budget. Sont-ils ailleurs, ces crédits correspondant aux annonces médiatiques ? je pose cette question davantage pour la collectivité voisine de Saint-Martin, puisque Saint-Barthélemy assume sa responsabilité conformément à son statut.

Je ne peux donc pas donner d'avis. Je présenterai mon rapport le 15 novembre. Il est difficile de ne pas voter un budget en augmentation.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Oui, c'est un budget à périmètre variable, qui prend une tournure particulière cette année, en raison des événements climatiques. Il est vrai que des annonces importantes ont eu lieu. On sait qu'à Saint-Martin, le taux d'assurance est peu élevé et que certaines constructions ont été réalisées sans permis de construire. Le fonds de secours prévu dans la mission « Outre-mer » ne s'élève qu'à 10 millions d'euros et sera rapidement épuisé. Nous interrogerons donc le Gouvernement. Reconstruire vite, comme il l'a annoncé, nécessitera des moyens que les assurances seules ne pourront assumer au regard des règles actuelles.

M. Jean-Claude Requier . - Je salue les efforts de l'État. Comment sont ressenties sur place les Assises des outre-mer, qui devraient aboutir à un livre bleu outre-mer ? La population est-elle impliquée ?

M. Éric Bocquet . - Un plan d'urgence a été décidé au printemps, de 1,086 milliard d'euros. De nombreuses propositions ont été faites par le collectif guyanais « Pou La Gwiyann dékolé ». Un groupe de suivi devait être mis en place. Y a-t-il déjà un début de mise en place concrète de ces mesures ? Où en est-on ?

M. Victorin Lurel . - Merci à Georges Patient, dont le rapport est plus sincère et plus vrai que ceux que j'ai pu lire à l'Assemblée nationale. Je partage ce qu'a dit Michel Magras, sauf la conclusion. Je ne pourrai voter ces crédits. Je ne partage pas votre optimisme. Depuis Christian Paul, on avait déjà atteint près de 2 milliards d'euros. Cette mission stagne, or il faut des moyens autres pour répondre aux besoins.

Je ne suis pas sûr que ce soit un budget de transition, je parlerais plutôt de pérennisation de la stagnation. Le périmètre m'étonne. L'exécution budgétaire diminue de 90 millions d'euros sur les lycées, collèges et autres écoles. On nous présente un budget initial qui n'est presque jamais exécuté comme le Parlement l'a voté. Sauf erreur, il y a une vraie baisse de la mission.

On a pris une loi sur le logement outre-mer. Dans ce budget, ce n'est pas une transition à cet égard, mais un désengagement, en dépit des urgences mobilisatrices. Prenons l'article 52 du présent projet de loi. Les aides personnalisées au logement (APL) ne s'appliquent pas outre-mer, or ces territoires les financent. Certes, notre plafond est plus faible qu'en métropole, mais dès que nous dépassons, de 20 %, nous finançons le fonds national des aides à la pierre, dont nous ne bénéficions pas. On nous l'a refusé lors de la discussion de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer. C'est difficile à accepter.

Quelle est la véracité des chiffres ? Quant au fonds exceptionnel d'investissement, pour lequel François Hollande s'était engagé à hauteur de 500 millions (tout en n'atteignant que 250 millions d'euros), nous sommes à 250 millions... soit très loin du compte : l'effet de levier ne jouera pas !

Le Président de la République, alors candidat, s'est engagé à hauteur d'un milliard pour les outre-mer, et au total pour 2,5 milliards d'euros ; plus la Guyane, cela fait 4,6 milliards d'euros, sans compter le financement d'Irma et de Maria. Or il n'y a rien sur les autres missions. Georges Patient, qui est guyanais, connaît les insuffisances. Je ne peux donc pas voter cette mission. Ce n'est pas un budget de transition. Le Gouvernement n'a pas encore intégré dans son logiciel le fait qu'appliquer à des situations différentes des règles identiques constitue une discrimination. Lorsqu'on nous dit « Père Noël », « fainéants », l'on n'a pas pris la mesure de la situation vécue dans tous les outre-mer.

M. Sébastien Meurant . - Dans quelle mission sont inscrits les crédits dévolus à la reconstruction ? Je souligne la diversité des territoires, notamment en matière de sécurité. Les budgets dans ce domaine sont-ils dans cette mission ? Ces territoires souffrent d'une discrimination à cet égard par rapport à Paris en particulier. C'est scandaleux.

Rapporteur de la mission « Immigration, asile et intégration », je voulais savoir ce qui est prévu, pour Mayotte et la Guyane en particulier. Autre question sur le développement de ces territoires : Quid des recherches pétrolières en Guyane, qui pourraient être une chance inouïe pour ce territoire et la franque ?

M. Marc Laménie . - Le montant des crédits exprime la légitime solidarité de la Nation à l'égard des outre-mer. Je note une augmentation significative des crédits relatifs à la circulation routière et au stationnement, de 35,6 %, à hauteur de 241 millions d'euros. Sans doute a-t-elle une explication.

M. Jean-François Rapin . - Je préside l'Association nationale des élus du littoral et rencontre à ce titre les élus locaux. Je reviens d'une mission à La Réunion. On est sans doute plus dans la réaction que dans l'anticipation, face aux enjeux considérables de ces territoires. Ainsi, à La Réunion, le chantier gigantesque de la route du littoral répond aux problèmes d'érosion. Le Conservatoire du Littoral a réalisé des expertises sur les risques à long terme de submersion du littoral en Guadeloupe ou en Martinique, qu'il faut aussi anticiper dans ces budgets.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - Nous pourrions ouvrir un débat général sur les problèmes des outre-mer, mais concentrons-nous sur ce budget, qui, je l'ai dit, représente 13 % des crédits alloués aux outre-mer. En dehors de ces deux programmes, il faut aller chercher un peu partout l'ensemble des crédits de l'État, qui s'élèvent à 21 milliards d'euros, y compris les 4 milliards d'euros de dépenses fiscales.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un budget de transition. Le Président de la République, en Guyane, a laissé entendre que les priorités de la politique outre-mer surgiraient des Assises, ce qui a été diversement perçu. Ainsi, dans mon territoire d'origine, ceux qui ont signé les accords sont contre ces Assises, préférant travailler dans le cadre d'états généraux qu'ils ont déjà lancés. D'autres mêmes ont laissé entendre que ces Assises seraient une façon de gagner du temps pour le Gouvernement. Celui-ci a déclaré que les deux milliards d'euros supplémentaires, en sus du plan d'urgence d'un milliard, devraient être étudiés dans le cadre de ces assises, priorité du Gouvernement. À Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire de la ministre, ces assises n'ont pas été mises en place. En Guadeloupe, en Martinique, je ne sais ce qu'il en est au juste. À La Réunion, elles ont démarré (Michel Magras était réservé sur ces assises).

Un calendrier a été établi par le Gouvernement, de telle sorte que les projets présentés cette année soient actés dans la loi de finances pour 2019. Le Président de la République a même évoqué la possibilité d'une loi.

Je n'entre pas dans le détail de l'analyse de Victorin Lurel, qui a été ministre. Pour le fonds exceptionnel d'investissement (FEI), on peut considérer qu'il augmente par rapport aux sommes effectivement mises à disposition lors du quinquennat précédent. Pour le logement, des crédits seront encore ajoutés dans le courant de l'année. La ligne budgétaire unique est très critiquée : les engagements seront maintenus, wait and see !

Quant à la sécurité et à l'immigration, ces crédits ne figurent pas dans cette mission. Pour la Guyane, les engagements du plan d'urgence ont été pris. Des mesures fortes ont été annoncées par le Président de la République lors de sa visite en Guyane : le RSA serait repris, avec un temps de présence de quinze ans, au lieu de cinq ans, et les paiements seront effectués par carte, et non pas en espèces ou par virement, ce qui a paru satisfaire la population guyanaise.

Nous demandons l'approbation de ces crédits.

M. Michel Magras , rapporteur pour avis . - Je ne jette pas la pierre au ministère des outre-mer, qui connait bien les réalités ultramarines, et est confronté tous les ans aux arbitrages budgétaires. Il ne peut faire inscrire au budget tout ce qui correspond aux besoins réels. Souvent, nous, parlementaires, devons arbitrer des différends entre son approche et celle de Bercy.

Il est vrai que l'on s'intéresse de plus en plus à l'outre-mer, si l'on prend en considération le nombre de lois votées, peut-être que les délégations y sont pour quelque chose... Sur les Assises, je considère simplement qu'il y a une année budgétaire perdue. Les deux territoires cyclonés, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, en ont été exclus.

Enfin, je dois remercier nos amis guadeloupéens et martiniquais, qui ont réagi très vite, mais aussi toutes les collectivités et départements de France, qui ont agi, ainsi que la Fondation de France, l'agence française de la biodiversité et la Croix-Rouge.

M. Vincent Éblé , président . - Ce que vous dites des rapports entre le ministère et Bercy n'est pas vrai que de l'outre-mer et touche bien d'autres domaines !

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, les crédits de la mission « Outre-mer ».

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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, et après pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits de la mission « Outre-mer », ainsi que les articles 57 quater , 57 quinquies , 57 sexies et 57 septies .

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