C. LE COÛT D'OPPORTUNITÉ DU PROJET DE FONDS POUR L'INNOVATION DOIT CONDUIRE À PRIVILÉGIER D'AUTRES SOLUTIONS

1. Les participations de l'État apportent une contribution importante au budget général

Au-delà du risque de débudgétisation sous-tendu par ce projet , son intérêt budgétaire même peut être mis en doute.

Quoique procédant d'une gestion « en bon père de famille » selon les termes du ministre de l'économie et des finances, le portefeuille géré par l'Agence des participations de l'État contribue chaque année au budget de l'État. Les dividendes versés en numéraire sont portés en recettes du budget général parmi les recettes non fiscales.

Entre 2012 et 2016, le budget général a ainsi bénéficié de 3,26 milliards d'euros par an en moyenne , soit :

- un montant proche des crédits proposés par le projet de loi de finances pour 2018 pour la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (3,66 milliards d'euros en crédits de paiement) ;

- un montant supérieur à la contribution additionnelle de 3 % au titre des montants distribués 62 ( * ) , dite « taxe à 3 % sur les dividendes », dont le produit annuel moyen était de 2 milliards d'euros.

Depuis 2010, ce sont ainsi 26,6 milliards d'euros de dividendes en numéraire qui ont été versés au budget général (voir tableau infra ).

À ce titre, votre rapporteur spécial critique le versement des dividendes de Bpifrance à l'EPIC Bpifrance, à rebours des règles de la loi organique relative aux lois de finances 63 ( * ) .

Évolution des dividendes versés depuis 2010

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017 (p)

Total

Dividendes en numéraire

4,3

4,4

3,2

4,2

4,1

3

1,8

1,6

26,6

Dividendes en actions

0,1

-

1,4

0,2

-

0,9

1,7

1,2

5,5

Total

4,4

4,4

4,6

4,4

4,1

3,9

3,5

2,8

32,1

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires).

Le projet annuel de performances du compte indique que « les prévisions du taux de rendement de l'actionnaire se fondent sur la poursuite d'un rendement des dividendes de l'ordre de 3,5 %, en ligne avec ceux observés les années passées sur le portefeuille de participations publiques cotées » 64 ( * ) . Or il est espéré du fonds un rendement 60 % plus faible, à hauteur de 2 % par an.

Le graphique ci-dessous illustre l'écart entre les dividendes moyens versés en numéraire entre 2012 et 2016 et la contribution du fonds pour l'innovation espérée au terme de sa dotation à hauteur de dix milliards d'euros.

Comparaison du montant moyen des dividendes annuels versés en numéraire entre 2012 et 2016 et de la contribution annuelle attendue
du fonds pour l'innovation 65 ( * )

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Encore cette comparaison ne prend-elle pas en compte le rendement complémentaire associé à une action, à savoir l'éventuelle plus-value de cession. L'indicateur 1.3 du compte, portant sur le taux de rendement de l'actionnaire, porte ainsi sur une prévision actualisée de 8 % en 2017, puis une cible de 5 % par an jusqu'en 2020.

La mise en oeuvre du programme de cessions annoncé par le Gouvernement sanctionnerait donc un double affaiblissement de l'État : une neutralisation de sa capacité de réaction aux difficultés sectorielles temporaires et une diminution de ses ressources.

2. D'autres solutions, préservant les intérêts patrimoniaux de l'État, existent et doivent être étudiées

Le mécanisme envisagé par le Gouvernement pourrait être concrétisé autrement, sans remettre en cause de façon radicale le portefeuille de participations de l'État.

Il convient de rapprocher ce projet des réflexions entourant le statut de l'Agence des participations de l'État depuis plusieurs années ainsi que la politique de dividendes de l'État actionnaire 66 ( * ) .

Ces analyses découlent du traitement distinct des dividendes selon leur nature :

- les dividendes en action, compte tenu de leur nature mobilière, sont versés au compte d'affectation spéciale ;

- les dividendes en numéraire sont affectés au budget général ; ils contribuent donc à l'amélioration du solde budgétaire. N'étant pas retracés au sein du compte d'affectation spécial, ils ne peuvent pas être réinvestis par l'Agence des participations de l'État.

La comparaison entre la contribution au budget général des dividendes en numéraire et les versements du budget général au compte depuis 2006 fait état d'une contribution nette de près de 42 milliards d'euros. Une affectation des dividendes au compte spécial, sans versement du budget général, aurait ainsi eu pour effet d'améliorer le solde du compte de 42 milliards d'euros, montant qui aurait pu alimenter d'autres prises de participation.

Ce montant aurait également pu concourir au soutien à l'innovation, tout en préservant les intérêts patrimoniaux de l'État actionnaire.

Dans son rapport consacré à l'État actionnaire, la Cour des comptes recommande ainsi une évolution du statut de l'Agence vers une société publique de gestion des participations, intégralement détenue par l'État. « L'Agence des participations de l'État verserait chaque année au budget de l'État un dividende, fruit des produits de cession et des dividendes qu'elle aura elle-même reçus, et qui alimenterait le budget général sous la forme de recettes non fiscales » 67 ( * ) .

Votre rapporteur spécial soutient une évolution conduisant à permettre à l'Agence des participations de l'État de disposer des dividendes versés en numéraire.

À cet égard, la mesure transitoire retenue par le Gouvernement dans l'attente de la capitalisation totale du fonds illustre parfaitement la pertinence d'une telle alternative . De facto , l'essentiel du soutien à l'innovation apporté par le fonds dans les prochaines années résultera des dividendes versés par les participations publiques qui seront affectées au fonds.

Il importe donc que le Gouvernement fasse montre de pragmatisme en étudiant toutes les possibilités et en déterminant la solution permettant de concilier la volonté louable de soutenir l'innovation de rupture et les intérêts patrimoniaux de l'État.

À défaut, la mise en oeuvre d'une vague de cession de grande ampleur répondrait davantage d'une conception idéologique que d'une impulsion de politique publique en faveur de l'innovation.


* 62 Article 235 ter ZCA du code général des impôts.

* 63 Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances.

* 64 Projet annuel de performances du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », page 20.

* 65 Sous l'hypothèse d'un capital de dix milliards d'euros.

* 66 Voir « La politique de dividendes de l'État actionnaire », rapport d'information n° 355 (2016-2017) de M. Maurice Vincent, fait au nom de la commission des finances du Sénat, 25 janvier 2017.

* 67 « L'État actionnaire », Rapport public thématique, Cour des comptes, janvier 2017, page 122.

Page mise à jour le

Partager cette page