EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Victorin Lurel, rapporteur spécial, sur le compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État ».

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » . - Vous avez devant vous un sénateur béotien qui découvre le fonctionnement de ce compte d'affectation spéciale. Ce compte constitue le support budgétaire des opérations conduites par l'État en tant qu'actionnaire via l'Agence des participations de l'État (APE).

J'ai le sentiment qu'il est demandé au Parlement de donner un blanc-seing à l'État : l'exécution budgétaire n'est en effet jamais conforme aux autorisations que nous votons.

Pour préserver la confidentialité des opérations de cession qui pourraient intervenir au cours de l'exercice, la programmation initiale est conventionnellement fixée à cinq milliards d'euros tant en recettes qu'en dépenses. Certes, un déficit de 1,5 milliard d'euros avait été prévu l'an dernier pour tenir compte de l'effort engagé pour restructurer la filière nucléaire, qui correspond au versement du budget général vers le compte opéré par le décret d'avance du 12 juillet 2017. Il faut d'ailleurs rendre hommage à l'action du précédent Gouvernement à cet égard.

Une nouvelle vague de cessions a été annoncée par le Gouvernement, pour un montant de 10 milliards d'euros. On laisse entendre en creux que l'État ne saurait rester actionnaire dans le secteur concurrentiel et qu'il doit se concentrer sur les secteurs stratégiques.

En intégrant les dividendes versés au budget général depuis la création du compte, le solde cumulé du compte spécial atteindrait 73 milliards d'euros. Les versements du budget général ont été de 31 milliards d'euros, ce qui signifie que la participation de ce compte au budget de l'État a été de 42 milliards d'euros - 25 milliards d'euros rien que pour les cinq dernières années !

Les participations de l'État s'élèvent à 140 milliards d'euros et se répartissent entre trois acteurs : l'Agence des participations de l'État, qui gère 100 milliards d'euros, Bpifrance, qui gère 15 milliards d'euros et la Caisse des dépôts et consignations qui gère 24,4 milliards d'euros.

Le Gouvernement nous annonce une cession imminente de participations pour un montant de 10 milliards d'euros. Mais compte tenu des incertitudes et de l'obligation de confidentialité pour ne pas dévoiler d'informations aux marchés, les parlementaires n'ont pas accès aux données et la programmation du compte est fixée conventionnellement à 5 milliards en recettes comme en dépenses. Nous ne savons pas non plus quelles cessions sont envisagées, même si la presse évoque la Française des Jeux ou Aéroports de Paris (ADP).

En outre, l'État a une pratique curieuse : par exemple, il a cédé des actions à Bpifrance, comme celles de Peugeot récemment, mais c'est l'EPIC Bpifrance qui en recevra les dividendes. Ce régime déroge en partie à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances qui prévoit que les dividendes payés en numéraire doivent être versés au budget général, tandis que les dividendes payés en titres sont versés au compte d'affectation spéciale.

Un fonds pour l'innovation de 10 milliards d'euros ? Pourquoi pas, mais cela suppose de redéfinir la politique des participations de l'État. On a rarement réalisé un tel volume de cessions ; en moyenne ces dernières années, elles s'élèvent à 2 milliards ou 3 milliards d'euros par an.

L'argent serait placé, de sorte que le fonds rapporterait 200 millions d'euros chaque année pour financer les innovations de rupture. À l'origine, il s'agit d'une idée de Bpifrance pour compenser la baisse des crédits du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ».

Je ne comprends pas le mécanisme : comment ces recettes pourraient-elles ne pas alimenter le budget général ? Est-ce une forme de débudgétisation ? Il aurait été plus simple, comme la Cour des comptes l'a évoqué, de modifier le statut de l'Agence des participations de l'État pour l'autoriser à percevoir les dividendes en numéraire en s'accordant sur un dividende annuel que l'Agence devrait verser à l'État. Ensuite, libre à l'État d'utiliser ces ressources pour financer l'innovation.

Surtout, comment vendre 10 milliards d'euros rapidement sans risquer de brader nos participations ni sans remettre en cause la confidentialité des opérations ? Vinci vient d'ailleurs de déclarer qu'il serait candidat au rachat de tous les aéroports.

Je vous ai précisé que l'Agence des participations de l'État gérait un portefeuille de participations évalué à 100 milliards d'euros. Mais elle ne peut pas céder ses participations régaliennes ni celles dans l'énergie ou le nucléaire, vu la restructuration en cours d'Areva. Le montant des participations considérées comme cessibles s'élève en fait à 30 milliards d'euros : on envisage donc d'en céder le tiers.

Je reste persuadé qu'au-delà de nos philosophies et de nos options politiques, chacun reconnaîtra que posséder un matelas de participations de 100 milliards d'euros constitue un puissant levier d'action économique et stratégique. En janvier 2014, une doctrine d'intervention a été établie afin de préciser les principes justifiant les interventions de l'État selon quatre objectifs : la souveraineté, les infrastructures et opérateurs de service public, l'accompagnement de secteurs stratégiques pour la croissance et le sauvetage.

Par ailleurs, l'État a fait deux choix différents au cours de ces derniers mois. S'il a exercé son droit de préemption sur STX France afin de négocier un accord plus équilibré avec l'État italien, il a renoncé, en parallèle du rapprochement entre Alstom et Siemens, à acquérir les titres Alstom prêtés par Bouygues. Nous aurions pourtant pu facilement procéder de la même manière qu'avec Fincantieri pour les titres STX France, avec une location de titres à Siemens. Ainsi, l'État aurait ainsi pu peser davantage sur la stratégie future du nouvel ensemble.

Cela signifie non seulement que la doctrine est à géométrie variable, mais qu'elle est en train de bouger et le Parlement n'est pas informé ! On nous demande de voter pour donner un blanc-seing alors que l'on sait très bien que les prévisions sont formelles et ne seront pas respectées. C'est seulement à l'occasion de la loi de règlement que ne serons informés de ce qui s'est passé. Aussi, je m'en remets à la sagesse de notre commission pour le vote sur ce compte d'affectation spéciale.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'avis de Victorin Lurel nous met dans l'embarras. Il est de tradition que la commission suive l'avis éclairé du rapporteur spécial mais ce sujet est à la limite du politique et du technique. Il y a plusieurs mois, nous avions reçu Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, qui nous avait livré sa doctrine sur les participations de l'État. Selon lui, l'État devait se recentrer sur le régalien et les secteurs stratégiques. Toutefois la frontière est ténue : ainsi aux États-Unis les aéroports ne sont pas privés et appartiennent aux États fédérés et aux municipalités.

La doctrine de 2014 que vous évoquiez est-elle toujours d'actualité ? Le Gouvernement a-t-il une autre stratégie ? Faut-il faire évoluer la doctrine pour que nos entreprises publiques demeurent une source de profits, non un coût pour les finances publiques ? Quand je vois Areva, je suis inquiet...

M. Marc Laménie . - Quelles sont les 81 entités dans le portefeuille de l'APE ? Par ailleurs, on prévoit 10 milliards d'euros de cessions pour financer les « innovations de rupture ». Mais que signifie ce terme ?

M. Philippe Dominati . - Vous avez évoqué la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP). En tant qu'élu parisien, j'évoquerai un sujet que je suis avec attention depuis des années : la création d'une ligne express entre Paris et Roissy. Initialement cette liaison devait être réalisée par un opérateur privé, mais à l'époque Vinci a jugé que le projet n'était pas rentable économiquement. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy est née l'idée du Grand Paris. Beaucoup d'élus ont alors insisté pour inscrire dans le projet la ligne Charles-de-Gaulle-Express. Le Gouvernement a été réticent vu l'ampleur du projet. Puis, en 2008, une ouverture du capital « heureuse » est intervenue et Vinci est entré au capital d'ADP au terme d'une négociation de gré à gré, sans appel au marché. En 2016, avec la loi Macron, on a considéré que la liaison directe entre le centre de Paris et Roissy était nécessaire pour la capitale et on a engagé la puissance publique ; il fallait aussi s'inscrire dans la perspective des Jeux Olympiques. On a institué une taxe sur les billets d'avion pour financer cette liaison. Je constate simplement que depuis un an l'action d'ADP a bondi en bourse passant de 86 euros à 150 euros !

Aujourd'hui il est question de privatiser ADP. J'aimerais être certain que cette opération ne se fera pas dans les mêmes conditions que l'ouverture de capital il y a quelques années. Je suis un libéral, mais la concurrence doit être transparente. Je suis surpris qu'ADP soit déjà identifié comme une cible d'une prochaine privatisation. Cette opération me semble très problématique : elle aboutit à faire payer par des fonds publics et par une taxe exceptionnelle un projet qui n'était pas jugé rentable il y a plusieurs années par ceux-là mêmes qui vont bénéficier de la privatisation.

M. Thierry Carcenac . - La gestion du compte d'affectation spéciale sur les participations financières de l'État obéit aux deux principes de confidentialité et d'opportunité. On aimerait savoir si la doctrine de 2014 est toujours d'actualité. De même, on parle de confidentialité mais il semble bien que la privatisation des aéroports soit en cours. Pourtant, à Toulouse, les Chinois, qui ont pris une participation dans l'aéroport, souhaitent se désengager et les collectivités territoriales semblent prêtes à racheter leurs parts. Enfin, le programme des investissements d'avenir n'avait-il pas déjà vocation à financer les innovations de rupture ? Il serait opportun d'entendre à nouveau Martin Vial !

M. Michel Canevet . - Notre rapporteur a exprimé ses interrogations. Le niveau des dividendes versés à l'État est significatif et intéressant pour le budget de l'État. Le rapporteur indique avoir eu des difficultés à obtenir des informations sur l'ensemble des participations publiques. Est-ce dû au partage des rôles entre l'Agence des participations de l'État, Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations ? Enfin, dans le portefeuille de l'État, certaines entités devront-elles être recapitalisées à l'avenir ?

M. Bernard Lalande . - Chaque année on se pose la même question : l'État actionnaire doit-il être stratège ou agir de manière opportuniste ? Le compte d'affectation spéciale présente une approche comptable mais ne dit rien sur la stratégie. Pourtant si l'État prend des participations, cela ne doit pas être simplement pour réaliser des opérations financières et toucher des dividendes mais bien pour peser sur la stratégie des entreprises et orienter les investissements du pays ! D'où ma question : où est l'État-stratège ?

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - L'Agence des participations de l'État gère des participations dans 81 entités, contre 700 pour Bpifrance, et 1 014 pour la Caisse des dépôts. La liste des entités relevant du périmètre de l'Agence des participations de l'État est précisée en annexe d'un décret de 2004 et a été réactualisée par décret le 26 octobre dernier.

Comme vous, je ne sais pas ce qu'est une innovation de rupture... mais il faut sans doute y voir les innovations dans les nouvelles technologies. Le financement de l'innovation est soutenu par de nombreuses lignes budgétaires, comme le programme 192. Pour compenser la baisse des crédits de ce programme, Bpifrance a émis l'idée d'un fonds pour l'innovation. L'idée a ensuite été reprise par le Gouvernement. Il semble toutefois difficile de parvenir à trouver 10 milliards d'euros en une seule année sans porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de l'État et des entreprises dans lesquelles il détient des participations. Soyons francs : les innovations de rupture, c'est tout et n'importe quoi !

L'idée d'une privatisation d'ADP figure dans la presse. Il est probable que ce qui s'est passé en Grèce avec des privatisations massives d'aéroports se fera aussi en France. C'est en tout cas conforme aux déclarations du Président de la République.

La doctrine de 2014 reste en vigueur mais l'État stratège n'interviendra que de manière très pragmatique, avec opportunisme dans sa gestion. Même si ce n'est pas dit aussi nettement, il faut bien comprendre qu'à terme l'État a vocation à conserver uniquement ses participations dans le domaine régalien. L'État actionnaire n'est plus d'actualité. Les économistes, comme Jean Tirole par exemple, considèrent que ce n'est pas le rôle de l'État de gérer des entreprises et qu'il doit plutôt privilégier la régulation, quitte à prendre des participations minoritaires pour conserver des leviers d'influence si besoin.

Cependant, dans la période actuelle, la France a besoin de disposer de champions nationaux. Je ne comprends pas que l'État reste inerte dans l'affaire Alstom-Siemens au prétexte qu'il s'agit de constituer un groupe européen et au nom d'une lecture quasi-fétichiste des traités européens... Je ne suis pourtant pas un héritier de Colbert, en raison de son action outre-mer, mais je crois encore à un État interventionniste à bon escient.

Dans tous les cas son action restera à géométrie variable : quels que soient les crédits que nous votions en dépense ou en recette, l'État restera libre de faire ce qu'il veut. C'est seulement en loi de règlement que l'on pourra constater sa politique. On aura beau définir une doctrine, cela restera de la théorie. Dans la pratique le Gouvernement, via l'Agence des participations de l'État, gère 100 milliards d'euros de participations comme il l'entend. La seule exception a été la restructuration d'Areva puisque l'État a mieux anticipé, inscrivant dès la programmation un déficit de 1,5 milliard dans le compte d'affectation spécial.

L'État sera certainement obligé de rester présent dans les transports. La dette de la SNCF constitue ainsi un vrai risque pour l'État même si elle n'entre pas dans le calcul de la dette maastrichtienne. L'intégration de la dette de la SNCF dans la dette maastrichtienne représenterait un vrai risque pour le budget de l'État.

Une autre question est celle de la valorisation des participations de l'État. J'ai demandé à l'APE et à Bpifrance quelles étaient leurs méthodes de valorisation ; on me répond que, comme il ne s'agit pas d'un groupe, la comptabilité consolidée n'est pas appliquée. Il est seulement procédé à une présentation combinée selon la méthode de l'intégration ou des équivalences... Je peux vous le dire : c'est au doigt mouillé !

Concernant ADP, nous assistons à une marche vers la privatisation comme ailleurs en Europe. La programmation pour 2018 compte 100 millions d'euros de crédits pour les prestations de services, à savoir le recours à des conseils externes pour procéder aux cessions d'actifs. Je ne connaissais pas cette histoire de liaison privée entre Paris et Roissy...

M. Philippe Dallier . - C'est un serpent de mer !

M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - C'est finalement le contribuable qui payera, et le voyageur, à travers des taxes sur les billets d'avion.

Concernant Toulouse-Blagnac et les autres aéroports régionaux, le précédent Gouvernement avait décidé de les constituer en sociétés privées ; ce fut le cas en Guadeloupe comme en Guyane. En Guadeloupe, nous avons décidé de créer une société au capital de 160 000 euros au détriment des chambres de commerce et d'industrie, en plafonnant les interventions des collectivités. L'actif est naturellement bien supérieur.

Le Parlement devra se montrer vigilant pour que l'État devienne un stratège. Il nous faudra tracer une doctrine : quel périmètre doit avoir un État moderne pour rester suffisamment influent sans toutefois tomber dans le secteur concurrentiel ? À travers l'EPIC Bpifrance, l'État ne percevra pas de dividendes de Peugeot !

Une doctrine a été fixée, elle peut être revue, mais elle me paraît suffisamment actuelle, suffisamment souple, même si le périmètre peut évoluer. Avec une économie aussi fluctuante, un État doit savoir utiliser son levier de 100 milliards d'euros de participations via l'Agence des participations de l'État comme un État stratège. Or ce n'est pas toujours le cas, ainsi que le récent dossier Alstom l'a montré. Nous, parlementaires, devons être plus vigilants et ne pas attendre la loi de règlement pour constater la sous ou la sur-exécution.

Quant à l'avis, si j'écoutais le fond de mon coeur, je m'abstiendrais...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Moi aussi !

M. Vincent Éblé , président . - Il serait peut-être un peu délicat que la commission ne recommande rien au Sénat. Mais il est toujours possible de s'en remettre à sa sagesse.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Avec un examen moins approfondi que le rapporteur spécial, j'ai moi aussi quelques réserves sur la privatisation des aéroports ; je considère qu'une clarification est nécessaire sur la doctrine d'emploi. Tout cela m'empêche de recommander une approbation sans réserves, mais il n'y a pas non plus de raison pour rejeter. Je serais donc sur une position de m'en remettre à la sagesse du Sénat.

Il ne faudrait pas que les participations de l'État deviennent une source de coût. Le cas d'Areva montre que l'État n'est pas toujours un bon actionnaire. Il poursuit fréquemment des intérêts qui divergent de ceux de l'entreprise. L'intérêt d'EDF est d'obtenir les meilleurs tarifs possibles, mais l'État bloque toute augmentation.

M. Bernard Lalande . - Cette proposition est une alerte bienvenue au Gouvernement sur la nécessité de répondre aux questions posées par le rapporteur spécial.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le dialogue avec le Gouvernement peut nous amener à adopter finalement une position en séance. Nous avons beaucoup de questions à poser au Gouvernement sur ce sujet complexe.

M. Vincent Éblé , président . - Cette partie de notre autorisation budgétaire, portant sur les cessions de participations, présente des caractéristiques particulières. Rappelons-nous aussi qu'il pourrait être, dans ce domaine, un peu délicat de rendre publique, à l'avance par le vote budgétaire, une stratégie explicite.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de s'en remettre, à l'unanimité, à la sagesse du Sénat sur l'adoption du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur l'adoption du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » et d'émettre un avis favorable à l'adoption des articles 68 et 69.

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