II. APRES LES DEBATS À L'ASSEMBLÉE NATIONALE, LA LOI AGRICOLE S'EST MUÉE EN UN TEXTE ALIMENTAIRE QUI DISSIMULE CERTAINES AVANCÉES OU INTERROGATIONS

A. UN MENU ALIMENTAIRE DEVENU RELATIVEMENT INDIGESTE

L'Assemblée nationale a considérablement enrichi le volet alimentaire du projet de loi, au point de rendre le menu assez indigeste .

En matière de restauration collective d'abord, les obligations nouvelles faites aux gestionnaires des établissements publics ont été précisées , par exemple en termes de cibles à atteindre (50 % de produits de qualité, durables ou locaux dont 20 % de bio) ou de prise en compte du caractère local des achats (à travers le concept d'« externalités environnementales ») et alourdies , notamment par l'exclusion de certains signes de qualité ou mentions valorisantes et l'ajout de nouvelles prescriptions (développer l'achat de produits du commerce équitable, élaborer un plan de diversification des protéines, etc.) (article 11).

Une obligation d'information et de consultation régulière des usagers a été ajoutée à l'article 11 quater , de même qu'est envisagée l'extension des dispositions de l'article 11 à la restauration collective privée sous la forme d'un rapport (article 11 quinquie s).

Deux expérimentations sont par ailleurs prévues pour autoriser les collectivités territoriales à faire ce qu'elles pouvaient déjà parfaitement décider : rendre obligatoire l'affichage de la composition des menus (article 11 bis A) et interdire l'utilisation de certains contenants en plastique (article 11 ter ) dans leurs cantines ; une interdiction de l'utilisation des bouteilles d'eau plate est par ailleurs prévue en 2020 par ce même article.

Enfin, un apport bienvenu a consisté à étendre à la restauration collective la possibilité d'utiliser l'appellation « fait maison » (article 11 bis ).

Le texte comporte désormais de nombreuses mesures disparates touchant à l'alimentation , certaines utiles et d'autres moins heureuses.

L'utilisation de dénominations associées aux produits d'origine animale pour la commercialisation de produits d'origine végétale (« steak de soja » par exemple) sera désormais interdite (article 11 sexies ). De même, l'utilisation du terme « équitable » sera mieux encadrée (article 11 nonies ), tandis que l'article 11 septies cherche à renforcer l'information sur les denrées alimentaires vendues en ligne .

Plusieurs mesures concernent l'étiquetage de certaines denrées alimentaires : les fromagers fermiers dont l'étiquette devra préciser, le cas échéant, qu'ils ont été affinés hors de la ferme (article 11 octies ) ; le miel , dont les pays d'origine devront être indiqués en cas de mélange issu de plus d'un pays (article 11 decies ) ; et le vin , dont le pays d'origine devra figurer « en évidence » sur la bouteille (article 11 nonies A).

D'autres sujets très ponctuels relatifs aux activités vitivinicoles ont été abordés : l'encadrement des activités de conditionnement (article 11 nonies C), l'abrogation d'une loi de 1957 sur la « Clairette de Die » (article 11 nonies D) et la mention de l'origine géographique des vins sur les cartes des restaurateurs (article 11 nonies E).

Deux dispositions plus substantielles entendent renforcer la prise en compte de critères environnementaux dans l'alimentation : l'article 11 septies A prévoit, à compter du 1 er janvier 2023, une obligation d'affichage environnemental des denrées alimentaires dont l'étiquetage devra préciser si elles sont issues d'animaux « nourris aux OGM », le mode d'élevage des animaux ou l'origine géographique pour les produits d'origine animale, ainsi que le nombre de traitements phytosanitaires pour les fruits et légumes frais. L'article 11 terdecies A prévoit quant à lui l'inclusion d'exigences environnementales dans les cahiers des charges des signes de qualité , d'ici à 2030.

Certaines dispositions, à la portée normative très incertaine, relèvent avant tout de l'affichage ou de la déclaration d'intention : outre les articles déjà cités prévoyant des expérimentations, entrent dans cette catégorie l'article 11 nonies B sur la promotion des produits n'ayant pas contribué à la déforestation importée , l'article 11 duodecies qui prévoit que la certification environnementale « concourt de façon majeure à la valorisation de la démarche agroécologique », l'article 11 sexdecies sur la suspension de la mise sur le marché du dioxyde de titane , que le Gouvernement pouvait d'ores et déjà décider sans qu'il faille le rappeler dans la loi, ainsi que l'article 11 unvicies qui entend ajouter une dimension agroalimentaire à la politique de développement .

Au titre des mesures non normatives, les missions de la politique de l'agriculture et de l'alimentation ont encore été élargies à l'article 11 undecies, cette fois à l'indépendance alimentaire et à l'acquisition d'une culture générale de l'alimentation dès le plus jeune âge. L'article L. 1 contient désormais un objectif d'affectation de la surface agricole utile à l'agriculture biologique de 15 % à horizon 2022 .

Plusieurs articles modifient, de façon très accessoire, la gouvernance de la politique de l'alimentation : l'article 11 septdecies recentre l'Observatoire de l'alimentation sur les questions nutritionnelles, l'article 11 octodecies élargit encore le rapportage extra-financier des entreprises en matière d'alimentation, l'article 11 vicies ajoute des représentants d'associations environnementales dans les comités nationaux de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) et l'article 11 unvicies A permet à l'État d'externaliser la collecte et le traitement de certaines données épidémiologiques.

Le projet de loi contient également un volet sécurité alimentaire qui contraint les exploitants à transmettre à l'autorité administrative tout résultat d'autocontrôles positif, même s'il est réalisé dans l'environnement de production ainsi que les mesures correctives qu'il a mises en place (article 11 quindecies ). Les laboratoires d'analyse seront tenus de communiquer tout résultat d'analyse à la demande de l'autorité administrative. Ils seront désormais accrédités selon les normes en vigueur ou devront participer a minima à leurs frais à des processus d'essais de comparaison inter-laboratoires (article 11 sexdecies A).

Enfin, les députés ont ajouté de nombreuses demandes de rapport : en plus de l'article 11 quinquies déjà mentionné, des rapports sont attendus sur la définition de la durée de vie des produits alimentaires (article 11 septies B), sur la définition de la déforestation importée (article 11 quaterdecies ), sur les aides versées au titre du premier pilier de la politique agricole commune département par département (article 11 unvicies B), sur les projets alimentaires territoriaux (article 11 duovicies ) et sur la gestion du gaspillage dans la restauration collective et la grande distribution (article 12 quinquies ).

Outre ce dernier rapport, la partie consacrée à la lutte contre la précarité et le gaspillage alimentaire , déléguée au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, s'est aussi étoffée de quelques articles, dont l'article 12 bis A rendant la mise à disposition de doggy bag obligatoire dans la restauration au 1 er juillet 2021.

Si la partie consacrée au respect du bien-être animal a fait beaucoup parler, les apports de l'Assemblée nationale ont été, par comparaison avec l'inflation de la partie dédiée à l'alimentation, relativement limités en nombre , bien que parfois substantiels sur le fond.

Une interdiction de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevages de poules en cage a été décidée (article 13 bis A). La désignation d'un responsable de la protection animale et la protection spécifique des lanceurs d'alerte sont généralisés à tous les abattoirs (article 13 ter ) et la sensibilisation au bien-être animal est explicitement ajoutée aux missions de l'enseignement agricole (article 13 quater ).

Deux expérimentations sont par ailleurs prévues : l'une pour tester l'installation de la vidéosurveillance dans les abattoirs sur la base du volontariat, qui comprend l'avis conforme des représentants du personnel (article 13 quater A), l'autre pour juger des difficultés éventuelles d'application de la réglementation européenne liées à la mise en place d' abattoirs mobiles (article 13 quinquies ).

Enfin, un rapport est prévu pour évaluer les engagements et les réalisations concrètes des filières en faveur du bien-être animal (article 13 bis ).

La partie sur les produits phytopharmaceutiques a également nourri de nombreux débats.

Les députés ont notamment aligné le cadre applicable aux produits biocides avec celui des produits phytopharmaceutiques (article 14 bis ), simplifié la reconnaissance des préoccupations naturelles peu préoccupantes (article 14 ter ) et cherché à promouvoir le développement des produits de biocontrôle , qui feront l'objet d'une stratégie nationale incluse dans le plan Écophyto (article 14 quinquies ).

Concernant spécifiquement certains produits, dans la lignée de l'interdiction des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, les députés ont étendu cette interdiction aux substances actives ayant des modes d'action identiques à ceux des néonicotinoïdes (article 14 septies ).

Les députés ont également tiré les conséquences de l'évolution des technologies en matière de pulvérisation aérienne en autorisant à titre expérimental le recours aux drones pour épandre des produits autorisés en agriculture biologique sur les terrains des exploitations agricoles les plus dangereux (article 14 sexies ).

Le volet relatif aux pratiques commerciales liées aux produits phytopharmaceutiques a quant à lui peu évolué, la séparation des activités de conseil et de vente devant assurer l'indépendance des personnes physiques exerçant ces activités.

Le texte s'est enrichi d'un volet « prévention » qui mentionne l' objectif de réduction des usages dans les missions de l'enseignement agricole (article 14 decies ), de la formation (article 14 octies ) et des chambres d'agriculture (article 14 nonies ) et autorise la publicité des vaccins vétérinaires auprès des éleveurs (article 14 undecies ).

Est par ailleurs reconnu le droit de céder à titre onéreux des variétés de semences non inscrites au catalogue à des utilisateurs non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de cette variété (article 14 quater A).

D'autres articles ont enfin été intégrés au projet de loi sans qu'un lien, même indirect, avec ce dernier soit aisé à déterminer. L'article 15 ter prévoit ainsi qu'un produit pourra être consigné au besoin dans un local désigné par les agents habilités et non obligatoirement chez son propriétaire. L'article 15 quater octroie un droit de priorité en faveur des agriculteurs souhaitant acquérir une parcelle boisée contiguë à leur exploitation.

Concernant, enfin, le titre II bis dit de « simplification » , celui comporte in fine deux mesures relatives à l'énergie (articles 16 A et 16 C) et une mesure pouvant être présentée comme une simplification (article 16 B).

L'article 16 A vise à instaurer un tarif préférentiel de rachat de l'électricité renouvelable pour les projets collectifs sur sites agricoles , tandis que l'article 16 C crée un « droit à l'injection » du biogaz pour les installations de production situées à proximité d'un réseau.

L'article 16 B, délégué au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, revient sur une surtransposition du droit européen en excluant les sous-produits animaux ou dérivés de la réglementation applicable aux déchets .

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