B. LES INJURES ET LES VIOLENCES DANS L'ESPACE PUBLIC, UNE RÉALITÉ BANALISÉE

Dans l'espace public, que ce soit dans la rue ou sur Internet, les femmes sont les premières victimes des comportements de violences ou de harcèlement sexiste.

1. Les violences sexistes dans l'espace public

Les comportements sexistes ou sexuels subis par les femmes et les hommes dans l'espace public sont pour la plupart d'entre eux susceptibles de revêtir une qualification pénale : celle d'injure sexiste, d'agression sexuelle ou encore de harcèlement sexuel.

a) Les injures sexistes « de rue »

Selon l'enquête « CVS » de 2016 14 ( * ) , 2,6 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes d'injures jugées sexistes, au cours de l'année précédente. 49 % des injures sexistes ont lieu dans la rue et 8 % dans les transports en commun .

Les femmes les plus jeunes sont davantage exposées à ces comportements : le taux de victimation des femmes est de 4,7 % en 2016 (0,4 % pour les hommes) et même de 9 % pour les femmes de moins de 30 ans .

Les injures sexistes de rue ont tendance à viser l'apparence physique (43 % d'entre elles, contre 35 % pour les injures sexistes ayant lieu hors de la voie publique), à être le fait d'un ou plusieurs hommes (90 %) et à se dérouler de nuit ou le week-end. Seulement 1,1 % des victimes portent plainte pour une injure sexiste de rue, soit un taux moindre que pour les autres injures sexistes (1,8 %).

Caractéristiques des injures sexistes de rue

Source : enquêtes « Cadre de vie et sécurité », Insee-ONDRP-SSMSI, 2007-2017.
Champ : personnes âgées de 14 ans ou plus et résidant en France métropolitaine.

D'après les enquêtes, les injures sexistes de rue mobilisent principalement des termes anatomiques, renvoyant au physique, ou des synonymes de prostituées, associés à des verbes désignant des actes sexuels. Entrent également dans cette catégorie les compliments dits astreignants, supposément élogieux (« belle, bonne ») mais qui appellent en retour une obligation pour la victime (un remerciement, un sourire, etc. ) sous peine d'une interpellation virulente. Le champ terminologique des injures évolue avec l'âge de la victime, tout en ayant toujours trait au physique ou à la sexualité de la personne.

Vocabulaire caractéristique des injures selon l'âge de la victime

Source : enquêtes « Cadre de vie et sécurité », Insee-ONDRP-SSMSI, 2007-2017.
Champ : personnes âgées de 14 ans ou plus et résidant en France métropolitaine.

Le cadre répressif actuel

L' injure publique est un délit défini à l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse , selon lequel « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure », puni de 12 000 euros d'amende.

Sont publics les informations, propos ou idées mis à disposition d'un groupe indéterminé de personnes. L'article 23 de la loi de 1881 énumère l'ensemble des moyens de cette publicité : « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, [...] des écrits, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, [...] tout moyen de communication au public par voie électronique ».

L'injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe est une contravention de cinquième classe prévue par l'article R. 625-8-1 du code pénal. Outre l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, cette infraction peut également être sanctionnée par l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général ou un stage de citoyenneté.

b) Le « harcèlement de rue »

Si le phénomène est ancien, le terme de « harcèlement de rue » est apparu dans les années 2010, notamment grâce au documentaire de Mme Sofie Peteers.

Il désigne l'ensemble des interpellations ou des comportements non sollicités adressés à des personnes, majoritairement des femmes, dans l'espace public. Plus généralement, ce sont l'ensemble des propos et des comportements qui empêchent les femmes et les hommes de circuler librement dans l'espace public : des regards insistants, des sifflements, des commentaires sur l'apparence physique, etc. Imposés et non consentis, ils se distinguent ainsi de la « drague », qui suppose une interaction mutuellement acceptée.

Ces comportements, qui ne sont pas nouveaux, sont trop souvent banalisés, tolérés, voire intégrés par les femmes elles-mêmes, qui ont tendance à adapter leurs comportements et leurs déplacements en fonction de ce risque.

Exemples de législations étrangères en matière de harcèlement de rue

En Belgique, depuis la loi du 22 mai 2014, toute personne qui exprime par son comportement « un mépris à l'égard d'une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou [la considère] comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle [entraînant] une atteinte grave à sa dignité » est punie d'une peine d'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 50 à 1 000 euros.

Depuis 2015, au Portugal, tout « comportement non désiré à connotation sexuelle, sous forme verbale, non-verbale ou physique, avec pour but ou pour effet de violer la dignité d'une personne, en particulier lorsqu'il crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » est passible d'une peine d'emprisonnement d'un à trois ans.

2. Les violences sexistes et le harcèlement sexiste en ligne

Les violences sur Internet ne sont pas virtuelles. Bien que peu médiatisées, elles n'en restent pas moins réelles et aux conséquences psychiques et physiques tout aussi dramatiques.

Selon l'avis du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes 15 ( * ) » , les violences faites aux femmes en ligne sont des comportements connus , qui s'inscrivent dans le « continuum des violences faites aux femmes » (dévalorisation, humiliation, intimidation, sollicitation, etc.). Néanmoins, ces violences en ligne présentent des spécificités propres : la possibilité d'anonymat sur Internet, qui renforce le sentiment d'impunité des « agresseurs », peut souvent conduire à la désinhibition de ceux-ci. De plus, la « capacité de dissémination d'un contenu » est susceptible de décupler les effets négatifs sur les victimes.

Ces comportements de violences en ligne confèrent parfois au véritable harcèlement d'une personne : les affaires récentes concernant Marion Séclin ou Nadia Daam ont illustré cette problématique et ont mis en lumière la faible réactivité des intermédiaires techniques (éditeurs, hébergeurs, etc.) pour contrer la propagation de ces stratégies de harcèlement.

Marion Séclin, « championne de France du cyber-harcèlement 16 ( * ) »

En mai 2016, Marion Séclin, scénariste, comédienne et vidéaste, publie sur Youtube une vidéo dénonçant le harcèlement de rue intitulée « #TasÉtéHarceléeMais... t'as vu comment t'étais habillée ? ».

En réaction à sa vidéo, plus de 40 000 commentaires insultants ou menaçants lui seront adressés, et notamment des appels au viol, au suicide. Au fil des mois, toutes ses vidéos font l'objet de tels commentaires.

Une campagne de dénigrement de tous ses contenus est ainsi organisée par plusieurs dizaines d'internautes à partir d'autres plateformes que Youtube.

Aucune procédure judiciaire n'a été engagée au regard de la complexité à engager une action contre chaque commentaire individuel.

Après ce « raid numérique » visant Marion Séclin, Youtube a mis en ligne de nouveaux outils de modération des commentaires, notamment en permettant des filtres par mots-clés ou en permettant, à titre expérimental, une détection automatique, par algorithme, des commentaires « inappropriés ».


* 14 Les développements ci-dessous sont extraits de la revue « Grand angle » de l'ONDRP, n° 47, mars 2018 : « Les injures sexistes, exploitation des enquêtes Cadre de vie et sécurité ».

* 15 Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, rapport n° 2017-11-16-VIO-030 publié le 16 novembre 2017, « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes ». Le rapport est consultable à cette adresse :

http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_violences_faites_aux_femmes_en_ligne_2018_02_07.pdf

* 16 Intervention de Marion Seclin à la soirée Equalicity organisée par TED x Champs Elysées Women.

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