II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Des conditions de financement qui demeurent globalement favorables, mais des signaux faibles à ne pas négliger

Les conditions de financement de la France sont restées favorables en 2017 , ce qui a permis une stabilisation de la charge de la dette malgré une hausse de l'encours, à l'instar des années précédentes : au total, la France a payé 40,7 milliards d'euros au titre de la charge de la dette, contre 40,4 milliards d'euros en 2016 (+ 0,7 %), alors que le stock de dette est passé de 1 621 milliards d'euros à 1 686 milliards d'euros sur la même période (+ 4 %).

Ainsi, l'accroissement de la charge d'intérêts lié aux émissions nettes, à hauteur de 0,6 milliard d'euros, est plus que compensé par l'amortissement des titres arrivés à échéance et leur remplacement par des titres dont le coupon moyen est inférieur, pour 2,3 milliard d'euros. Le taux à l'émission des OAT à 10 ans s'est élevé à 0,65 % en 2017 (moyenne annuelle), soit un taux en hausse par rapport au « point bas » de 2016 (0,48 %), mais qui demeure inférieur aux taux constatés les exercices précédents (1,87 % en 2014 et 0,93 % en 2015).

Cependant, l'effet anesthésiant du contexte de taux actuel, marqué par une diminution des primes de risque et une réduction de l'écart entre les taux de court terme et ceux de long terme, ne doit pas conduire à négliger les « signaux faibles » de 2017 qui, derrière l'apparente stabilité de la charge de la dette, témoignent de vents contraires.

Il faut d'abord souligner que pour la première fois depuis 2012, la charge de la dette a crû par rapport à l'année précédente . Cette hausse après cinq années consécutives de baisse résulte essentiellement d'hypothèses de budgétisation moins conservatrices en 2017 117 ( * ) ainsi que de la reprise de l'inflation : la remontée des prix a été légèrement supérieure à celle attendue en loi de finances initiale, ce qui a conduit à une augmentation de la charge budgétaire d'indexation du capital de 700 millions d'euros par rapport à la budgétisation initiale et de 2,3 milliards d'euros par rapport à l'exécution 2016 . En effet, à l'inverse d'une remontée des taux d'intérêt, qui ne se transmet que progressivement à l'encours, au fur et à mesure des tombées de dette, une hausse de l'inflation a un effet immédiat sur la totalité des titres indexés.

Ensuite, les conditions d'émission se sont significativement tendues à l'approche des élections présidentielles , en lien avec le risque politique perçu par les marchés financiers en cas de victoire d'un candidat dont le programme n'aurait pas été compatible avec le maintien de la France dans la zone euro. Ainsi, le taux pour une maturité de 10 ans a culminé à 1,2 % à la mi-mars, l'écart de taux (« spread ») avec l'Allemagne s'étant dilaté jusqu'à 80 points de base. La sensibilité des marchés financiers au risque politique ne peut désormais plus être éludée , comme l'a encore récemment montré l'exemple italien. Si, à court terme, la France peut bénéficier des tensions sur la dette d'autres pays de la zone euro (grâce au phénomène de « fuite vers la qualité » des investisseurs), à moyen ou long terme, les doutes sur la solidité de l'union monétaire minent la crédibilité de la politique de la Banque centrale européenne et, par ricochet, celle de tous les pays de la zone euro.

En outre, si les annonces de la BCE restent très prudentes quant aux inflexions qui seront apportées au programme de rachats de titres, l'enveloppe en a cependant été réduite en avril 2017, passant de 80 milliards d'euros à 60 milliards d'euros, ce qui pourrait conduire à une remontée progressive des taux d'intérêt sur la dette souveraine . Par ailleurs, le maintien d'un contexte économique plus dynamique que par le passé pourrait plaider pour un resserrement graduel de la politique non conventionnelle de la BCE , d'autant plus que l'inflation, qui est le principal (et légalement, le seul) objectif de la BCE a redémarré au sein de la zone euro en 2017. La décision de la Réserve fédérale américaine d'opérer une remontée de ses taux directeurs devrait également exercer un effet d'entraînement sur le taux d'intérêt au niveau mondial. D'après les informations transmises à votre rapporteur, les modulations des taux souverains américains se répercutent en général dans une fourchette de 60 % à 70 % en Europe.

Enfin, une pression supplémentaire à la hausse sur les taux d'intérêt de la dette souveraine française provient du refinancement des dettes contractées durant la crise économique , qui contribue à augmenter le programme de refinancement de l'État et ainsi accentuer la remontée prévue . En 2017, les émissions brutes de l'État se sont élevées à 213 milliards d'euros (dont 28 milliards d'euros de rachats de titres proches de l'échéance), soit un montant supérieur de plus de 50 milliards d'euros aux émissions brutes de l'Allemagne 118 ( * ) . Les montants de dette à amortir sont particulièrement importants pour les prochains exercices : ils devraient atteindre 159 milliards d'euros en 2018, 155 milliards d'euros en 2019 avant un pic en 2020 avec 169 milliards d'euros. En d'autres termes, même si la France était à l'équilibre budgétaire en 2020, elle devrait quand même faire appel au marché pour 170 milliards d'euros, soit un montant supérieur aux émissions de l'Allemagne en 2017, alors même que le resserrement de la politique monétaire de la BCE pourrait dégrader les conditions dans lesquelles la dette souveraine arrivant à échéance est refinancée.

Ainsi, la hausse de l'encours de dette souveraine finira inévitablement par conduire à une augmentation de la charge d'intérêts payée par l'État à ses créanciers. Outre une politique résolue de maîtrise des déficits, il s'agit également de mettre en oeuvre des mesures de désendettement non conventionnelles au niveau européen , par exemple à travers la création de fonds sectoriels dédiés au financement de politiques publiques dont les externalités au niveau communautaire sont positives - comme la politique de défense.

2. La création de l'OAT « verte » en 2017 : démarche vertueuse ou poudre aux yeux ?

Le 24 janvier 2017, l'Agence France Trésor a lancé sa première obligation souveraine verte, l'OAT verte 1,75 % (qui arrivera à échéance le 25 juin 2039) pour un montant de 7 milliards d'euros. D'autres pays avaient déjà procédé à des émissions de nature similaire, mais pour des montants inférieurs. Cette émission fait suite à l'annonce du président de la République François Hollande, le 25 avril 2016, à l'occasion de la quatrième conférence environnementale, selon lequel la France serait « le premier pays au monde » à émettre des « obligations vertes » en précisant que l'État demanderait aux banques publiques (Caisse des dépôts et consignations, Banque publique d'investissement, Agence française de développement) de procéder à de telles émissions.

L'obligation verte de la France est en principe ciblée sur des « dépenses vertes éligibles » , qui peuvent être des dépenses du budget général ou des programmes d'investissements d'avenir.

Cependant, cette « éligibilité » est très abstraite , comme l'ont montré les échanges lors de l'audition conjointe relative au programme d'émission de dette par l'État qui s'est tenue à la commission des finances le 21 février 2017.

En effet, aucune affectation directe n'est prévue au sein du budget de l'État . L'allocation des fonds levés à des dépenses « vertes » est donc théorique et ne relève pas d'une « tuyauterie budgétaire » spécifique.

En pratique, le caractère « vert » de l'obligation signifie donc seulement que les montants levés ne peuvent être supérieurs aux dépenses identifiées comme « vertes » par l'État et certifiées comme telle par un tiers indépendant dans les documents de présentation du titre émis.

L'absence de connexion directe entre les fonds levés et les « dépenses vertes » est d'ailleurs démontrée par le fait que jusqu'à 50 % des fonds levés peuvent être « affectés » à des dépenses qui ont déjà été réalisées avant l'émission des titres par l'État .

Il convient de noter que, si le montant d'OAT vertes émis par la France est faible au regard du montant total de dette souveraine française (environ 1 550 milliards d'euros de dette à moyen et long termes), il est très significatif pour le marché des obligations vertes, qui demeure encore peu développé : au total, le marché annuel mondial était estimé à 37 milliards de dollars en 2014, avec une croissance soutenue depuis le début des années 2010.

En définitive, si la création de l'OAT verte a permis de diversifier la base d'investisseurs de l'État, force est de constater que son effet additif sur les dépenses « vertes » est extrêmement limité et qu'il s'agit davantage, pour la France, d'envoyer un signal sur ce segment de marché que de mettre en oeuvre une politique particulièrement innovante sur le plan écologique.

3. Le report de la restitution des intérêts perçus en 2017 sur les titres grecs pèsera à hauteur de 239 millions d'euros sur l'exercice 2018

Les dépenses du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » ont été nulles en 2017 pour la troisième année consécutive . En effet, le dispositif de rétrocession a été suspendu en lien avec l'arrêt du deuxième programme d'assistance financière à la Grèce, à la suite de la décision de l'Eurogroupe du 27 juin 2015. En d'autres termes, la Banque de France continue de reverser les intérêts sur les titres grecs mais ceux-ci ne sont plus décaissés à destination de la Grèce.

Cependant, ce programme devrait être réactivé : une telle possibilité était déjà envisagée en 2016 (communiqué de l'Eurogroupe du 25 mai 2016) - ce qui explique que les fonds aient été budgétés en loi de finances initiale pour 2017 - et a été confirmée en 2017 (communiqué du 15 juin 2017).

Ainsi, les reversements devraient reprendre au titre des années 2017 et suivantes . En revanche, les exercices 2015 et 2016 ne donneront pas lieu à un « rattrapage » et les intérêts perçus au cours de ces deux années ne seront pas rétrocédés 119 ( * ) .

Tableau récapitulatif de la situation au 31 décembre 2017 concernant les intérêts sur les titres grecs détenus par la Banque de France

(en millions d'euros)

Montant restitué à la Grèce par la France au 31 décembre 2017 au titre des exercices 2012 à 2014

1 298,5

Montant qui devrait être restitué à la Grèce en 2018 au titre des exercices 2017 et 2018

406,3

Montant des intérêts qui ne seront finalement pas restitués à la Grèce (exercices 2015 et 2016)

758,1

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les dépenses prévues en 2017, à hauteur de 239 millions d'euros, sont donc reportées en 2018 et pèseront d'autant sur le déficit budgétaire .

Le décaissement par la France des intérêts perçus en 2017 et 2018 sur les titres grecs devrait ainsi intervenir au cours de l'exercice 2018, pour un total de plus de 400 millions d'euros 120 ( * ) .

4. Des dépenses fiscales sur l'épargne et les placements financiers des particuliers dont le coût n'est pas correctement évalué

31 dépenses fiscales sont rattachées au programme 145 « Épargne » de la mission « Engagements financiers de l'État » dont 30 à titre principal et une à titre subsidiaire, pour un total évalué à 5,8 milliards d'euros en 2017 . Elles portent majoritairement sur l'impôt sur le revenu (IR) et visent à encourager les placements dans certains produits, par exemple les plans d'épargne salariale (dépense fiscale n° 120108, dont le coût en 2017 serait de 1,6 milliard d'euros) ou l'assurance-vie (dépense fiscale n° 140119, pour 1,5 milliard d'euros).

L'enjeu budgétaire est donc considérable, de même que les problématiques de politique publique - d'autant plus dans un contexte de réforme profonde de la fiscalité du capital, avec l'adoption du prélèvement forfaitaire unique (PFU) en loi de finances initiale pour 2018 et le projet de loi dit « PACTE » qui devrait également rénover la fiscalité de l'assurance-vie.

Ces dispositifs fiscaux dérogatoires ne peuvent faire l'objet d'un suivi approprié dès lors que leur coût pour les finances publiques n'est pas correctement évalué.

Or, d'après le rapport annuel de performances, le chiffrage des dépenses fiscales relatives à l'épargne des ménages présente des carences significatives .

Ainsi, dix dépenses fiscales ne sont pas chiffrées du tout . Sur le reliquat, c'est-à-dire les 21 dépenses fiscales qui sont chiffrées, la fiabilité de l'évaluation est indiquée comme « très bonne » dans un seul cas ! Sept autres dépenses fiscales sont estimées avec une fiabilité satisfaisante (jugée « bonne » par l'administration fiscale). Pour toutes les autres (soit treize dépenses fiscales), l'estimation présentée relève d'un « ordre de grandeur » : en d'autres termes, les données présentées ne sont pas fiables et le chiffrage est fait « au doigt mouillé ».

Ce problème n'est pas propre à la mission « Engagements financiers de l'État » : au total, sur 457 dépenses fiscales recensées dans le tome II de l'annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances pour 2018, 183 font l'objet d'une estimation qui est un ordre de grandeur et 53 ne sont pas chiffrées du tout. Or la mise en oeuvre de crédits et de réductions d'impôt dont le chiffrage est impossible paraît problématique en ce qu'elle ne permet pas d'évaluer leur efficience, c'est-à-dire le rapport entre leur coût et leurs bénéfices.

Ce constat appelle la mise en oeuvre d'une double démarche : d'une part, en aval de la création du dispositif, le chiffrage des dispositifs fiscaux dérogatoires doit être affiné par l'administration fiscale ; d'autre part, en amont, lors de la création d'une dépense fiscale, la méthodologie de chiffrage du Gouvernement devrait être précisée dans l'étude d'impact, afin que le législateur, avant d'adopter un dispositif donné, soit en mesure d'évaluer la capacité du Gouvernement à effectuer un suivi de qualité sur la réforme proposée.


* 117 Pour la première fois au cours de la précédente mandature, la charge de la dette prévue en 2017 était proche de la charge constatée en exécution en 2016.

* 118 Qui se sont élevées à 160 milliards d'euros environ d'après les données transmises par le Gouvernement.

* 119 Soit un montant total d'intérêts non rétrocédés de 758,1 millions d'euros : 532 millions d'euros au titre de l'année 2015 et 226,1 millions d'euros au titre de l'année 2016.

* 120 239 millions d'euros au titre de l'exercice 2017 et 167,3 millions d'euros au titre de l'exercice 2018.

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