AVANT PROPOS

Mesdames, Messieurs,

À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire réunie au Sénat le jeudi 4 avril 2018, la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance s'est réunie le mercredi 11 juillet 2018, sous la présidence de M. Jean-François Husson, président, pour examiner le rapport de Mme Pascale Gruny et M. Jean-Claude Luche et élaborer le texte de la commission en nouvelle lecture.

De manière globale, la commission a émis une appréciation très mitigée 1 ( * ) sur les conditions de l'examen du projet de loi et du déroulement de la navette parlementaire.

Elle a regretté en premier lieu la durée excessive de la procédure d'examen - qui n'est pas imputable aux assemblées - et ses contradictions. Le projet de loi a été déposé le 27 novembre 2017 sur le bureau de l'Assemblée nationale et a fait immédiatement l'objet d'une procédure accélérée à la demande du Gouvernement. Du fait des choix d'inscription à l'ordre du jour par le même Gouvernement, il ne sera adopté définitivement qu'à la fin du mois de juillet 2018. L'adoption de ce texte aura donc pris huit mois auxquels s'ajouteront les délais de publication des textes réglementaires - six mois supplémentaires en théorie mais souvent bien plus en pratique - ou la rédaction des ordonnances pour lesquelles le Gouvernement a inscrit des délais allant jusqu'à dix-huit mois. Cette lenteur n'est pas justifiable devant nos concitoyens au regard de la modestie des mesures prévues par le texte. Elle n'est en rien synonyme de meilleur examen par le Parlement.

Le caractère « attrape-tout » du projet de loi et l' application différente des règles constitutionnelles de recevabilité des amendements entre les deux assemblées ont nui à la qualité de leur dialogue. Votre commission spéciale et le Sénat se sont attachés à faire respecter les règles de l'article 41 (irrecevabilité d'un amendement qui ne relève manifestement pas du domaine de la loi) et de l'article 45 de la Constitution (« cavaliers législatifs » et « règle de l'entonnoir »). Sur ces deux  irrecevabilités, la position beaucoup plus souple de l'Assemblée l'a autorisée à voter des amendements parlementaires et gouvernementaux que le Sénat ne pouvait retenir. De fait, un nombre important des suppressions votées par le Sénat concernaient des dispositions de nature non législative ou heurtant, selon son analyse, des principes constitutionnels.

Tout en admettant que sur certains articles (comme l'article 2 bis A étendant le bénéfice du droit à l'erreur aux collectivités locales dans leurs rapports d'administré face à l'État), il pouvait être difficile de faire converger les positions des deux assemblées, votre commission spéciale a toujours essayé de faire prévaloir l'esprit d'ouverture et la recherche de consensus au cours de la navette. Cette attitude a conduit les sénateurs membres de la commission mixte paritaire à tenter d'ouvrir un dialogue avec leurs homologues députés, qui s'est heurté à une fin de non-recevoir fondée sur une apparence de liste très évolutive de « points bloquants » et surtout sur la réalité d'une négociation en cours entre les titulaires des contrats de concession d'éoliennes maritimes et le ministre de l'économie. Celui-ci n'ayant pas finalisé la rédaction d'une disposition qu'il souhaitait que la commission mixte paritaire introduise dans ses conclusions, consigne avait été donnée de la faire échouer.

Enfin, le débat a été obscurci par les changements d'arbitrage du Gouvernement sur certaines dispositions importantes.

Après avoir fourni une étude d'impact dont le Conseil d'Etat avait estimé qu'elle restait « en deçà de ce qu'elle devrait être » 2 ( * ) et multiplié les versions du projet de loi entre la saisine du Conseil d'Etat et son adoption en Conseil des ministres 3 ( * ) , le Gouvernement a continué, au cours des débats parlementaires, à évoluer voire à modifier complètement son appréciation sur plusieurs articles y compris lorsqu'ils figuraient dans le projet de loi initial déposé sur le bureau des assemblées.

Trois sujets, en particulier, illustrent cet état d'impréparation des textes proposés à la délibération du Parlement :

- l'article 10, relatif aux rescrits a évolué à l'initiative du Gouvernement, entre une généralisation non ciblée des « prises de position formelle » au cours de la première lecture, et une liste précise et limitative de rescrits nouveaux créés pour certaines dispositions des codes de l'urbanisme, de l'environnement, du patrimoine, de l'éducation, du travail, du commerce et de la consommation, à l'occasion de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ;

- le sujet de la médiation dans le champ social a donné lieu à plusieurs initiatives créant de nouvelles institutions non coordonnées entre elles et sans prise en compte des mécanismes de médiation existants (articles 17, 17 bis A, 17 bis B et 17 bis ) ;

- l'article 38, enfin, comportait dans la version initiale du projet plusieurs « mesures de clarification et de modernisation du statut des cultes » 4 ( * ) dont le Gouvernement s'est progressivement désolidarisé au point de n'en reconnaître qu'avec réticence la paternité 5 ( * ) .

Pour autant, le bilan de la navette parlementaire n'est pas négatif et démontre que les objectifs du projet de loi visant à renforcer l'efficacité de l'administration et à établir et conforter une relation de confiance avec le public ont bien été partagés et soutenus par les deux assemblées.

Cette attitude s'exprime d'abord en termes « quantitatifs » : en première lecture le Sénat avait adopté conformes 10 articles du projet de loi. En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a retenu 21 articles dans le texte issu de vos délibérations 6 ( * ) .

Articles votés conformes par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture

Article 3 bis

Non-application en cas de première infraction de l'amende prévue en cas de défaut de souscription, inexactitudes dans les documents propres aux bénéfices industriels et commerciaux et à l'impôt sur les sociétés

Article 4 quater

Réduction des intérêts de retard en cas de régularisation pour les droits et taxes prévus par le code des douanes

Article 5

Droit à l'erreur en matière de contributions indirectes perçues sur le fondement du code général des impôts

Article 6

Droit à l'erreur en matière de contributions indirectes perçues sur le fondement du code des douanes et de droits douaniers

Article 8

Possibilité pour l'autorité administrative d'adresser un avertissement en cas de manquement à certaines dispositions du code du travail

Article 13

Création de comités afin de favoriser le recours aux transactions

Article 15 A

Interdiction, pour les administrations de l'État, de recourir à un numéro surtaxé dans leurs relations avec le public

Article 15

Expérimentation de la mise en place d'un référent unique

Article 15 ter

Expérimentation d'un dépôt unique dématérialisé de leurs demandes et d'un référent unique pour les porteurs de projets dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville

Article 18

Habilitation à légiférer par ordonnance en vue de préciser et harmoniser la rectification des déclarations en matière de prestations sociales

Article 21

Introduction, à titre expérimental, d'une faculté, pour les entreprises, de ne pas communiquer à une administration des informations déjà détenues par celle-ci dans le cadre d'un traitement automatisé

Article 22 bis

Report de l'entrée en vigueur de la déclaration sociale nominative pour la fonction publique

Article 23 bis

Expérimentation de l'attestation de résidence comme justificatif de domicile pour les Français établis hors de France

Article 24

Habilitation à prendre par ordonnance diverses mesures permettant une expérimentation de la dématérialisation des actes d'état civil établis par le ministère des affaires étrangères

Article 33 bis

Information du public, par voie de publication locale, de l'ouverture d'une concertation préalable ou d'une consultation par voie électronique

Article 34 bis

Assouplissement des modalités de contrôle a priori des ouvrages de transport et de distribution d'électricité et droit pour un consommateur de faire réaliser ses travaux de raccordement électrique en maîtrise d'ouvrage déléguée

Article 34 ter

Dispense d'autorisation environnementale pour les activités hydroélectriques accessoires d'une activité principale régulièrement autorisée (suppression conforme)

Article 36

Simplification et modernisation du régime de l'activité d'entrepreneur de spectacles vivants

Article 38 bis

Assouplissement des modalités de transmission des déclarations d'intérêt et patrimoniales des dirigeants d'entreprises publiques

Article 39

Habilitation à prendre par ordonnance des mesures de simplification du régime juridique de la géothermie

Article 45

Engagement du Gouvernement à mettre en place les moyens d'une évaluation rigoureuse de la présente loi (suppression conforme)

Lors de sa réunion du 11 juillet 2018, votre commission spéciale a adopté sans modification 39 articles en nouvelle lecture, dont 16 articles pour lesquels la suppression par l'Assemblée nationale a été maintenue.

De ce fait, plusieurs dispositions introduites par le Sénat 7 ( * ) et qui n'avaient fait l'objet que de modifications mineures ou partielles seront définitivement adoptées :

- droit à l'erreur auprès des organismes des branches famille, vieillesse et maladie (article 2 bis B) ;

- dispense de l'obligation de télédéclaration et de télépaiement de l'impôt sur le revenu pour les contribuables qui résident dans les « zones blanches » (article 3 bis AAA) ;

- mention expresse des points considérés comme validés par l'administration à l'issue d'un contrôle fiscal (article 4 bis A) ;

- élargissement de la compétence des commissions des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (article 13 bis ) ;

- communication des points examinés lors d'un contrôle douanier (article 14 bis ) ;

- limitation à trois mois de la durée des contrôles Urssaf dans les entreprises de moins de vingt salariés (article 16 bis ).

Si elle a parfois rétabli le texte adopté par le Sénat en première lecture notamment lorsque les arguments présentés par le Sénat en première lecture ne semblaient pas avoir été examinés, votre commission a poursuivi sa recherche de solutions équilibrées et de compromis susceptibles d'être retenus en dernière lecture par l'Assemblée nationale.

Elle a ainsi adopté des amendements en ce sens concernant, par exemple, l'article 2 bis A relatif au droit à régularisation en cas d'erreur des collectivités territoriales dans leurs relations avec l'État et les organismes de sécurité sociale, l'article 4 ter sur l'accessibilité des données de l'administration fiscale relatives aux valeurs foncières déclarées à l'occasion des mutations, l'article 15 bis sur l'expérimentation d'un référent unique doté d'un pouvoir de décision dans les maisons de services au public et l'article 31 relatif à l'expérimentation du rescrit juridictionnel visant à sécuriser les grands projets et opérations complexes.

La commission spéciale a adopté le projet de loi ainsi modifié .


* 1 Pour reprendre les termes du rapport de nouvelle lecture de l'Assemblée nationale selon lequel en première lecture « la position du Sénat a été, au sens propre, mitigée ».

* 2 Avis du Conseil d'Etat en date du 23 novembre 2017 sur le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance.

* 3 Le même avis dénombre quatre versions rectificatives du texte du projet de loi.

* 4 Étude d'impact annexée au projet de loi.

* 5 Sénat, Séance du 14 mars 2018 (compte rendu intégral des débats) : « M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Madame la rapporteur, qu'il n'y ait aucune ambiguïté : vous avez raison, ces dispositions figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Toutefois, les discussions menées sur cette question avec les députés ont conduit le Gouvernement à revoir sa position et, comme je l'ai indiqué, à accompagner les initiatives parlementaires, pour aboutir à la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale. ».

* 6 Sur 89 articles restant en discussion après l'échec de la commission mixte paritaire.

* 7 Portées par les rapporteurs de votre commission et des sénateurs de divers groupes.

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