Rapport n° 700 (2017-2018) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 31 juillet 2018

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N° 700

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 juillet 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE , pour une immigration maîtrisée , un droit d' asile effectif et une intégration réussie ,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

Première lecture : 714 , 815 , 821 , 857 et T.A. 112

Commission mixte paritaire : 1140

Nouvelle lecture : 1106 , 1173 et T.A. 162

Sénat :

Première lecture : 464 , 527 , 552 , 553 et T.A. 128 (2017-2018)

Commission mixte paritaire : 636 et 637 (2017-2018)

Nouvelle lecture : 697 et 701 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mardi 31 juillet 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas , président, la commission des lois a examiné, en nouvelle lecture, le rapport de M. François-Noël Buffet sur le projet de loi n° 697 (2017-2018), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour une immigration maîtrisée , un droit d' asile effectif et une intégration réussie .

Le rapporteur a rappelé qu'en première lecture , le Sénat avait largement réécrit ce texte en élaborant un contre-projet plus cohérent, plus ferme et plus réaliste pour notre politique migratoire, et qui tendait notamment à :

- renforcer les peines complémentaires d'interdiction du territoire ;

- réduire le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs qui font échec aux procédures d'éloignement de leurs ressortissants en refusant de délivrer les laissez-passer consulaires ;

- réintroduire la visite médicale des étudiants étrangers , afin de répondre à un grave enjeu de santé publique ;

- réorganiser la durée de la rétention administrative , interdire le placement en rétention des mineurs isolés et encadrer rigoureusement celui des mineurs accompagnant leur famille.

La réduction de trente à quinze jours du délai de recours devant le Cour nationale du droit d'asile (CNDA), prévue par le Gouvernement mais attentatoire aux droits des demandeurs d'asile et inefficace, avait été supprimée.

En outre, un effort particulier avait été consenti en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière, avec un investissement renforcé dans les cours de français et l'appui de Pôle emploi pour améliorer les dispositifs d'insertion sur le marché de l'emploi.

Enfin, le Sénat avait souhaité soutenir et accompagner les collectivités territoriales , avec l'insertion des places d'hébergement des demandeurs d'asile dans le décompte des logements sociaux de la loi « SRU » et la création d'un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l'issue de leur évaluation par un département.

Malgré un dialogue constructif engagé avec l'Assemblée nationale , la commission mixte paritaire , qui s'est réunie le 4 juillet 2018, n'est pas parvenue à un accord , les concessions nécessaires pour trouver un compromis semblant trop importantes.

De surcroît, le rapporteur a regretté que le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne prenne que très marginalement en compte les préoccupations majeures exprimées par le Sénat .

Présentant les quelques points d'accord entre les deux chambres , il a insisté sur le maintien à trente jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et l' adaptation du droit du sol à Mayotte . De même, il s'est félicité de la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés , même si cette initiative ne constitue qu'une première étape.

Le rapporteur a souligné que les désaccords entre l'Assemblée nationale et le Sénat restaient toutefois très nombreux .

Il a constaté que le texte transmis au Sénat constituait ainsi une véritable occasion manquée en matière de lutte contre l'immigration irrégulière : il ne prévoit ni stratégie migratoire, ni aucune des mesures de rigueur proposées par le Sénat (meilleur encadrement de l'immigration familiale, plus grande efficacité des procédures « Dublin », etc. ).

De même, les politiques d'intégration demeurent le parent pauvre de ce texte, alors que l'Assemblée nationale aurait pu utilement s'inspirer des mesures de bon sens proposées par le Sénat (certification du niveau de langue des étrangers primo-arrivants, meilleure insertion dans l'emploi, etc .).

Des désaccords majeurs persistent également sur les modalités d'organisation de la rétention .

Le séquençage adopté par l'Assemblée nationale est à la fois peu protecteur pour les étrangers et trop contraignant pour l'autorité administrative et les tribunaux.

Surtout, le texte permettrait à l'administration de placer en rétention un mineur accompagnant pendant quatre-vingt-dix jours , ce qui constituerait une atteinte intolérable aux droits fondamentaux des personnes les plus fragiles.

Le rapporteur a également relevé un certain manque de considération pour l'action des collectivités territoriales en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile , alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir (inclusion des dispositifs d'hébergement des demandeurs d'asile dans le décompte de logements sociaux de la loi « SRU » et introduction de représentants des collectivités territoriales au sein du conseil d'administration de l'Office français de l'immigration et l'intégration).

Enfin, l'Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture deux mesures clairement contraires à la règle de « l'entonnoir » (article 45 de la Constitution) : la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement en matière d'intégration des réfugiés et une habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA.

À l'issue de ses travaux, la commission des lois a décidé de déposer une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable. En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat, la commission des lois souhaite que cette motion soit examinée, à l'issue de la discussion générale, avant la discussion des articles.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera donc en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Après l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 4 juillet 2018, le Sénat est saisi, en nouvelle lecture, du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (n° 697, 2017-2018).

Ce texte vise à répondre aux défis migratoires de la France : hausse de 17 % de la demande d'asile entre 2016 et 2017, insuffisance des places d'hébergement, multiplication des campements insalubres, sous-financement chronique de la lutte contre l'immigration irrégulière, etc .

Le projet de loi initial puis le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture accumulaient une succession de mesures techniques, complexifiant les procédures byzantines du droit des étrangers. À l'inverse, ils restaient muets sur des sujets aussi essentiels que la gestion de l'immigration économique, la prise en charge des mineurs non accompagnés, les relations avec les États les moins coopératifs et l'accompagnement des collectivités territoriales dans l'accueil des demandeurs d'asile.

En première lecture, le Sénat avait donc choisi de procéder à une large réécriture des dispositions qui lui avaient été transmises en élaborant un contre-projet plus cohérent, plus ferme et plus réaliste pour notre politique migratoire. Il avait notamment resserré les conditions du regroupement familial, réformé l'aide médicale d'État (AME) pour garantir sa soutenabilité budgétaire, renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire et créé un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures pour lutter contre la fraude au dispositif de protection de l'enfance.

Le Sénat avait également conforté le parent pauvre du texte élaboré par le Gouvernement : l'intégration des étrangers en situation régulière, notamment en redonnant du sens au contrat d'intégration républicaine (CIR) et en renforçant les dispositifs d'accueil des réfugiés, des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides.

Enfin, le Sénat, fidèle à sa mission traditionnelle de gardien des libertés, avait veillé au respect des droits fondamentaux de chacun en maintenant à trente jours le délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et en encadrant plus strictement les conditions de rétention des mineurs accompagnants.

Malgré un dialogue constructif engagé avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à un accord, les concessions nécessaires pour parvenir à un compromis étant manifestement trop importantes.

Comme l'a résumé notre collègue Philippe Bas, président de votre commission des lois, « le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale souhaitent un texte en deçà des attentes du Sénat » 1 ( * ) , alors que la crise migratoire persiste et met sous tension nos dispositifs d'accueil et d'intégration.

À l'issue de la première lecture, sur les 99 articles examinés par le Sénat, seuls 11 avaient été votés conformes. Votre rapporteur regrette à cet égard l'engagement de la procédure accélérée, qui n'a pas facilité le rapprochement des points de vue sur un sujet aussi important.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, rétabli son texte de première lecture, les divergences avec le Sénat restant très nombreuses. À titre d'exemple, le texte adopté par nos collègues députés permettrait de maintenir en rétention pendant quatre-vingt-dix jours des mineurs accompagnant leur famille, atteinte intolérable aux droits fondamentaux des personnes les plus vulnérables.

Ce projet de loi constitue ainsi une nouvelle occasion manquée pour lutter contre l'immigration irrégulière et mieux intégrer les étrangers en situation régulière.

Votre commission a donc décidé de déposer une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable ; en conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

I. DES POINTS D'ACCORD TRÈS PONCTUELS : LES MAIGRES CONCESSIONS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Les points d'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat restent peu nombreux. Outre l'approbation de dispositions techniques, l'Assemblée nationale a repris deux mesures essentielles du Sénat : le maintien à trente jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et l'adaptation du droit du sol à Mayotte.

A. UN ACCORD PARTIEL SUR LA PROCÉDURE DE DEMANDE D'ASILE

L'Assemblée nationale n'a pas remis en cause le maintien à trente jours du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (article 6) , alors que le projet de loi initial tendait à le réduire à quinze jours. En effet, comme votre rapporteur l'a souligné en première lecture, « l'urgence n'est pas de réduire les délais de recours, mais bien de poursuivre les efforts de modernisation de la CNDA » 2 ( * ) .

En revanche, nos collègues députés n'ont pas repris la mesure de simplification adoptée par le Sénat à l'initiative de notre collègue Alain Richard, qui consistait à rendre obligatoirement simultanées la demande d'aide juridictionnelle et l'introduction du recours devant la CNDA.

L'Assemblée nationale a, au contraire, pris le contre-pied de cette mesure en imposant que la demande d'aide juridictionnelle soit formulée dans les quinze jours suivant la notification de la décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), tandis que le recours devant la CNDA doit lui être formé dans les trente jours suivant cette même notification. La complexité de la computation des différents délais qui en résulte 3 ( * ) n'est pas gage de la plus grande célérité 4 ( * ) . Il est donc regrettable que nos collègues députés aient rejeté cette mesure d'efficacité proposée par le Sénat.

Reprenant la position du Sénat, l'Assemblée nationale a reconnu que les aspects liés au sexe pouvaient constituer un critère de persécution et justifier l'octroi d'une protection internationale (article 4 A) . Elle a également accepté de consacrer dans la loi les missions de réinstallation 5 ( * ) de l'OFPRA, ce qui garantirait leur pérennité (article 5 bis ) .

À l'inverse, nos collègues députés n'ont pas souhaité durcir les conditions de retrait et de refus de la protection internationale, notamment en présence de menaces à la sécurité publique (article 4) . Ils ont toutefois conservé l'obligation (« compétence liée ») pour l'OFPRA de refuser ou de retirer le statut de réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux de sécurité. Le même principe est également conservé pour les clauses de cessation du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire.

De même, nos collègues députés ont maintenu l'obligation pour l'OFPRA de statuer en procédure accélérée lorsqu'un demandeur d'asile représente une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État (article 5) .

En outre, l'Assemblée nationale et le Sénat s'accordent largement sur les conditions d'enregistrement de la demande d'asile , en particulier sur la nécessité, pour un demandeur, de choisir la langue de la procédure dès son passage en préfecture (article 7) . Votre rapporteur regrette toutefois que les députés n'aient pas inscrit dans la loi le délai de deux mois dans lequel un demandeur d'asile peut solliciter son admission au séjour sur un autre motif, privilégiant un renvoi injustifié au pouvoir règlementaire (article 23) .

L'Assemblée nationale a repris certaines propositions du Sénat pour améliorer le dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile (article 9) . Les schémas régionaux d'accueil des demandeurs seraient désormais soumis à l'avis d'une commission de concertation composée de représentants des collectivités territoriales, de gestionnaires des lieux d'hébergement et d'associations. De même, les gestionnaires seraient autorisés à saisir le juge des référés à l'encontre des déboutés du droit d'asile occupant indûment des places d'hébergement 6 ( * ) .

Votre rapporteur s'inquiète toutefois de la mise en oeuvre de l'article 9 du projet de loi : le texte adopté par l'Assemblée nationale permettrait à l'administration d'orienter un demandeur d'asile vers une région donnée, sans lui garantir une place en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Ce dispositif, qui avait été rejeté par le Sénat, pourrait renforcer la précarité des demandeurs d'asile et compliquer grandement leur accueil dans les territoires.

Enfin, l'Assemblée nationale a fait sienne la volonté du Sénat de sécuriser le droit au séjour des victimes de traite des êtres humains, de violences conjugales ou d'un mariage forcé ( articles 32 et 33) . Elle a également repris le dispositif facultatif d'admission exceptionnelle au séjour des compagnons d' Emmaüs après trois années d'engagement au sein de cette structure (article 33 ter ) .

B. L'ADAPTATION DU DROIT DU SOL À MAYOTTE

Le projet de loi initial passait sous silence la situation du département de Mayotte, pourtant soumis à une très forte pression migratoire : en 2016, 74 % des enfants nés à Mayotte sont de mère étrangère, le plus souvent comorienne ; 41 % des résidents à Mayotte sont de nationalité étrangère, dont la moitié en situation irrégulière. Votre rapporteur a pu apprécier l'ampleur des difficultés rencontrées lorsqu'il a entendu les représentants de la préfecture de Mayotte le 22 mai dernier.

Comme l'a souligné notre collègue Philippe Bas, président de votre commission des lois, en première lecture : « il y a urgence à agir » , Mayotte étant « un département en grande souffrance », notamment en ce qui concerne la qualité de ses services publics et la sécurité de ses habitants 7 ( * ) .

Dès lors, votre commission a simplifié les procédures « étrangers malades » à Mayotte (article 35) 8 ( * ) et a prolongé jusqu'en mai 2024 une expérimentation relative à l'organisation de la rétention dans ce même département (article 38) 9 ( * ) .

Surtout, des amendements de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, adoptés en séance avec le soutien de votre commission, tendent à adapter le droit du sol dans ce seul département d'outre-mer : un enfant né à Mayotte obtiendrait la nationalité française dès lors que l'un de ses parents réside régulièrement en France depuis au moins trois mois. Pour garantir la bonne application de cette mesure, l'officier de l'état civil devrait préciser, sur l'acte de naissance de l'enfant né à Mayotte, si l'un de ses deux parents respecte cette condition (articles 9 ter et 9 quater ) .

Saisi d'une proposition de loi identique par le président du Sénat 10 ( * ) , le Conseil d'État a considéré que ces dispositions n'étaient contraires ni à la Constitution ni aux engagements internationaux de la France. En outre, elles apportent une « adaptation limitée, adaptée et proportionnée à la situation particulière de Mayotte et présentent un lien direct avec les caractéristiques et contraintes qui les justifient » 11 ( * ) .

De surcroît, les articles 9 ter et 9 quater ont un lien indirect avec le projet de loi initial . En premier lieu, ils peuvent être mis en relation avec l'article 30, qui modifie le code civil pour sécuriser les procédures de reconnaissance de filiation. En deuxième lieu, ils sont motivés par les particularités de la situation migratoire à Mayotte (voir supra ). En dernier lieu, leur mise en oeuvre est conditionnée à la régularité du séjour des parents ; or, la réforme du droit au séjour constitue l'un des principaux axes du projet de loi.

En nouvelle lecture, nos collègues députés ont adopté plusieurs amendements de leur rapporteure et du Gouvernement pour préciser, sans les remettre en cause, les articles 9 ter et 9 quater .

Ils ont notamment introduit une mesure transitoire pour les enfants nés à Mayotte avant l'entrée en vigueur de la loi : les parents devraient démontrer qu'ils ont résidé régulièrement à Mayotte au moins cinq ans avant la déclaration ou l'acquisition de la nationalité française de leur enfant 12 ( * ) . De même, les députés ont souhaité que la mention de la situation régulière des parents soit apposée sur l'acte de naissance de l'enfant à la demande des parents (non de l'administration) et sur présentation par ces derniers de justificatifs pertinents.

Aussi, votre rapporteur se réjouit-il que le Sénat, rejoint par l'Assemblée nationale, ait pu apporter une réponse concrète aux difficultés migratoires rencontrées par le département de Mayotte .

C. UNE PREMIÈRE RÉPONSE POUR LA GESTION DES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS

Le projet de loi initial ignorait les difficultés rencontrées par les départements dans la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) , ne proposant aucune mesure sur ce sujet, comme l'avait d'ailleurs reconnu M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale 13 ( * ) .

Or, le nombre de mineurs non accompagnés accueillis par le dispositif de protection de l'enfance a triplé entre 2014 et 2017 ; en 2017, presque 15 000 nouveaux mineurs ont été confiés aux départements sur décision judiciaire. De même, les négociations financières entre le Gouvernement et les départements s'enlisent, ce qui remet en cause la soutenabilité de l'ensemble du dispositif.

En première lecture, le Sénat a adopté plusieurs mesures pour répondre aux principales difficultés rencontrées sur le terrain. Il a notamment généralisé l'attribution d'un tuteur à tout mineur non accompagné (article 26 quater B) et élargi les conditions d'accès au séjour des MNA pour prendre en compte ceux ayant bénéficié du dispositif du « contrat jeune majeur », piloté par les départements (article 26 quinquies ) .

Surtout, le Sénat a souhaité créer un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l'issue de leur évaluation par un département, pour lutter contre la fraude au dispositif de protection de l'enfance. L'objectif est simple : empêcher une personne reconnue majeure par un premier département de solliciter l'aide sociale à l'enfance dans un second département et éviter ainsi tout détournement du système.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a supprimé la plupart des apports du Sénat, ce que votre rapporteur déplore. Elle a toutefois conservé la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés et sollicitant la protection de l'enfance (article 26 sexies ) . Un décret en Conseil d'État préciserait la durée de conservation de ces données et les personnes habilitées à les consulter.

Ce dispositif constitue une première étape pour une meilleure prise en charge des mineurs non accompagnés. Des interrogations subsistent toutefois sur sa capacité à répondre réellement aux difficultés que rencontrent les départements dans la prise en charge des MNA et à prévenir les tentatives de fraude.

En effet, le dispositif de l'Assemblée nationale concerne l'ensemble des étrangers qui sollicitent la protection de l'enfance en se présentant comme MNA, mais il ne prévoit pas expressément le recensement de ceux qui auront été déclarés majeurs par un premier département. Or, votre rapporteur insiste sur le fait que cette information est essentielle au bon fonctionnement du dispositif.

D. UN ACCORD TROUVÉ SUR DES MESURES TECHNIQUES

Enfin, l'Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés sur certaines mesures techniques comme le renforcement de l'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement (article 17) ou l'extension de 16 à 24 heures de la durée maximale de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour (article 19) .

Les accords trouvés sur des mesures techniques

Mesures

Articles du PJL

Apports du Sénat

Remarques

Élargissement des critères de recrutement des présidents de formation de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)

6 bis

-

Conformes en première lecture

Droit au maintien sur le territoire français pendant l'examen de la demande d'asile

8

-

Conditions d'octroi aux réfugiés de leurs droits sociaux

9 bis A

-

Prise en compte de la vulnérabilité des personnes lors de leur admission en centre provisoire d'hébergement

9 bis

Améliorations rédactionnelles

-

Durée de maintien à la disposition de la justice en zone d'attente

10 bis

Augmentation de 6 à 10 heures de cette durée de maintien à la disposition de la justice

-

Régime des obligations de quitter le territoire français (OQTF) en détention

12

Article additionnel ajouté par le Sénat

-

Contrainte de résidence pendant le délai de départ volontaire d'un étranger

14

-

Conformes en première lecture

Interdiction de circulation prononcée lors des « remises Schengen »

15

-

Mise en accessibilité des lieux de rétention

16 bis

Améliorations rédactionnelles

-

Régime de l'assignation à résidence

18

-

Simplification de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour

19

Extension de la sanction pénale de fraude documentaire aux titres de séjour temporaire et de circulation

-

Sécurisation des sanctions pénales applicables aux étrangers méconnaissant une mesure d'éloignement

19 bis A

Améliorations rédactionnelles

-

Création d'un délit d'établissement de fausses attestations en droit des étrangers

19 quater

Articles additionnels ajoutés par le Sénat

-

Autorisation pour les médecins titulaires d'un diplôme hors Union européenne de poursuivre leurs fonctions jusqu'au 31 décembre 2020

21 ter

-

Sécurisation du séjour des jeunes au pair

22

Précisions sur les devoirs des familles d'accueil

-

Réforme des documents de circulation des étrangers mineurs

24

Améliorations rédactionnelles

-

Suppression de l'obligation de signature des visas d'entrée en France

25

-

-

Sécurisation de la carte de séjour temporaire « visiteur »

28

-

Lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité

30

Précisions sur les informations à transmettre à la personne concernée par une opposition de reconnaissance de filiation

-

Sécurisation du droit au séjour des légionnaires

34 ter

Article additionnel ajouté par le Sénat

-

Source : commission des lois du Sénat

II. DE TROP NOMBREUX POINTS DE DÉSACCORD : LE RÉTABLISSEMENT PUR ET SIMPLE DE L'ESSENTIEL DE LEUR TEXTE PAR LES DÉPUTÉS

Si certaines dispositions ont fait l'objet d'un accord entre les deux chambres, les points de désaccord restent nombreux , les députés ayant rétabli l'essentiel de leur texte en nouvelle lecture.

A. L'ABSENCE DE STRATÉGIE MIGRATOIRE

Nos collègues députés ont rejeté l'ensemble des mesures proposées par le Sénat qui visaient à définir une véritable stratégie migratoire , au-delà des mesures techniques incluses dans le texte du Gouvernement.

À titre d'exemple, ils n'ont pas approuvé l'organisation d'un débat annuel sur les orientations de la politique d'immigration et d'intégration (article 1 er A) , alors que ce débat aurait permis de fixer des objectifs cohérents d'accueil des étrangers en France.

L'Assemblée nationale a également refusé d'aborder la délicate question de l'aide médicale d'État (AME) , que le Sénat avait proposé de concentrer sur les maladies les plus graves (article 10 AA) . L'AME soulève en effet des difficultés indéniables, qu'il conviendrait de résoudre pour assurer sa soutenabilité : le montant du budget alloué à cette aide a ainsi été porté de 815 à 923 millions d'euros (+13,3 %) par la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Symptôme, s'il en est, de cette absence de toute stratégie migratoire, l'Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture, au mépris de la règle dite de « l'entonnoir » (article 45 de la Constitution), un amendement du Gouvernement l'habilitant à légiférer par ordonnances pour organiser les recours des étrangers devant les juridictions administratives ainsi que des procédures d'urgence devant la CNDA (article 27) 14 ( * ) . Lors de la première lecture au Sénat, le Gouvernement avait déposé un amendement comparable, qui avait été rejeté 15 ( * ) .

Notre collègue Jean-Yves Leconte a d'ailleurs déclaré au Gouvernement en première lecture : « cet amendement, présenté tardivement, à la fin de l'examen du projet de loi, est tout de même assez étonnant : on dirait que le Gouvernement est soudain saisi de remords [...] On a l'impression que vous vous rendez compte, à la fin de la première lecture au Sénat, que votre projet de loi est bâclé et qu'il faudra tout modifier de nouveau. Or c'est bien ce que, sur plusieurs travées, nous vous avons répété tout au long de cette discussion ! [...] Franchement, à ce moment de la discussion, ce n'est pas sérieux » 16 ( * ) .

Cette absence de stratégie cohérente concerne l'ensemble des flux migratoires, qu'il s'agisse de l'immigration familiale, de l'immigration économique ou de l'immigration étudiante.

Ainsi, l'Assemblée nationale a rejeté l'ensemble des mesures visant à mieux contrôler l'immigration familiale . Elle a notamment supprimé le durcissement des conditions d'accès au regroupement familial (article 10 quater ) et a confirmé sa volonté d'étendre la réunification familiale aux frères, soeurs, demi-frères et demi-soeurs des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire (article 3) .

Concernant l'immigration économique , nos collègues députés ont supprimé l'obligation de réexaminer tous les deux ans « la situation de l'emploi » 17 ( * ) , préférant renvoyer à une ordonnance la réforme des cartes de séjour « salarié » et « travailleur temporaire » (article 27) .

Ils ont également rétabli la possibilité pour un demandeur d'asile d'accéder au marché du travail dans un délai de six mois (contre neuf mois aujourd'hui), le silence gardé par l'administration pendant deux mois valant accord (article 26 bis ) . Votre commission avait pourtant démontré les difficultés opérationnelles de ce dispositif, notamment lorsqu'une autorisation provisoire de travail est accordée à un étranger ensuite débouté de sa demande d'asile 18 ( * ) .

En ce qui concerne les étudiants étrangers , l'Assemblée nationale a supprimé l'obligation pour l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'organiser leur visite médicale (article 21 bis ) . Cette mesure, issue d'un amendement de votre rapporteur, répondait pourtant à un véritable enjeu de santé publique, la médecine universitaire 19 ( * ) n'ayant pas les moyens d'assurer cette mission 20 ( * ) .

De même, nos collègues députés n'ont pas conservé les dispositions du Sénat visant à renforcer la lisibilité et la rigueur des dispositifs de mobilité européenne des étudiants et des chercheurs (articles 20 et 21) . Ils ont notamment supprimé l'obligation pour ces personnes de disposer d'une assurance maladie en France, obligation pourtant prévue par la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 21 ( * ) .

B. DES EFFORTS LARGEMENT INSUFFISANTS EN MATIÈRE D'INTÉGRATION

L'intégration des étrangers en situation régulière était le parent pauvre du projet de loi initial , le Gouvernement souhaitant renvoyer cette discussion au projet de loi de finances et aux travaux du comité interministériel à l'intégration.

Le Sénat a toutefois proposé plusieurs mesures de bon sens, que l'Assemblée nationale a supprimées en nouvelle lecture :

- l'élévation du niveau de langue requis pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle ou la nationalité française (article 26 bis B) ;

- l'obligation, pour les préfectures, de délivrer dans un délai d'un mois les cartes de séjour des réfugiés, des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides, dans l'objectif d'accélérer leur intégration à la société française (articles 1 er bis , 1 er ter et 2) ;

- la signature, par les bénéficiaires d'une protection internationale, d'une charte d'engagement à respecter les valeurs de la République (article 5 ter ) et la transmission systématique d'informations pour les aider à organiser l'arrivée en France des membres de leur famille (article 3) ;

- l'accès facilité au service civique pour les apatrides, en s'inspirant du droit applicable aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire (article 37) .

De même, nos collègues députés ont rendu facultatifs le conseil en orientation professionnelle dispensé aux étrangers primo-arrivants ainsi que la certification de leur niveau de langue (article 26 bis A) , ce qui représente un recul majeur par rapport au texte du Sénat.

En outre, l'Assemblée nationale n'a pas fait sienne la volonté du Sénat de soutenir les territoires accueillant des demandeurs d'asile. Elle a par exemple refusé que l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) et les centres provisoires d'hébergement (CPH) soient inclus dans le décompte des logements sociaux de la loi « SRU » 22 ( * ) (article 9 bis AA) ; elle a également supprimé la représentation des collectivités territoriales au sein du conseil d'administration de l'OFII (article 8 bis ) .

Enfin, nos collègues députés ont adopté en nouvelle lecture un amendement du Gouvernement supprimant, au bénéfice des schémas régionaux d'accueil des demandeurs d'asile, le rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement en matière d'intégration des bénéficiaires d'une protection internationale (article 9 bis ) . Une telle insertion, dans un article relatif aux conditions d'admission dans les CPH, semble contraire à la règle dite de « l'entonnoir » (article 45 de la Constitution) 23 ( * ) .

En matière d'intégration, le projet de loi adopté par nos collègues députés regroupe ainsi des dispositions d'affichage, parfois dépourvues de toute portée normative . À titre d'exemple, l'article 26 bis A précise que la formation linguistique dispensée par l'OFII « comprend un nombre d'heures d'enseignement [...] suffisant pour permettre à l'étranger primo-arrivant d'occuper un emploi et de s'intégrer dans la société française », sans toutefois en tirer les conséquences en termes d'organisation des cours ou de moyens alloués.

C. LES MODALITÉS D'ORGANISATION DE LA RÉTENTION ADMINISTRATIVE ET LA SITUATION PARTICULIÈRE DES MINEURS

Les modalités d'organisation de la rétention administrative et la situation particulière des mineurs constituent également des sujets de désaccord profond avec l'Assemblée nationale, qui n'a pas souhaité reprendre les mesures d'efficacité et de responsabilité du Sénat.

1. L'organisation de la rétention : un dispositif moins efficace que celui du Sénat

Regrettant que le Gouvernement n'ait en rien démontré l'utilité concrète de l'allongement de la durée maximale de rétention proposé par le projet de loi ( article 16 ), le Sénat avait refusé de se contenter d'une mesure d'affichage qui ne s'attaquait pas à la cause profonde des taux dérisoires d'éloignement (la mauvaise volonté des pays tiers pour accueillir leurs ressortissants et leur délivrer des laissez-passer consulaires) et qui risquait d'être extrêmement coûteuse humainement et financièrement (en raison des nouvelles places à créer et des aménagements à effectuer dans des centres totalement inadaptés à de longs séjours) ; il avait donc souhaité en première lecture simplifier le séquençage de la rétention (intervention du juge des libertés et de la détention - JLD - au 5 e jour, puis au 45 e jour en cas d'étrangers se livrant à des manoeuvres dilatoires, tout en conservant le régime dérogatoire plus long pour ceux liés à des activités terroristes).

Séquençage de la rétention administrative (en jours)

Source : commission des lois du Sénat

Les députés ont rétabli leur texte de première lecture pour cet article, en maintenant la durée actuelle de la première phase administrative de rétention à 48 heures (délai pourtant bien trop court pour permettre aux services concernés de traiter dans de bonnes conditions les procédures dont ils ont la charge) et en multipliant et en complexifiant désormais les interventions du JLD (qui pourra être appelé à statuer jusqu'à quatre reprises sur la situation d'un même retenu). Ils ont également supprimé la possibilité de placer en rétention un étranger sous statut « Dublin » qui refuserait une prise d'empreintes digitales , altèrerait volontairement ces dernières ou dissimulerait des éléments de son parcours ou de sa situation.

Plus globalement, votre rapporteur rappelle que le Gouvernement n'a pas tiré les conséquences budgétaires de l'augmentation de la durée de rétention. À titre d'exemple, le budget de fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative prévu pour l'année 2018 (26,30 millions d'euros) est plus faible que l'exécution constatée en 2016 (27,09 millions d'euros) 24 ( * ) .

Enfin, l'Assemblée nationale n'a pas souhaité faciliter les enquêtes administratives concernant les personnes extérieures accédant aux centres de rétention administrative (article 16 ter ) , considérant même que cette disposition était dénuée « d'intérêt manifeste » 25 ( * ) . Ces lieux sont pourtant particulièrement sensibles sur le plan de la sécurité et mériteraient la plus grande vigilance.

2. La rétention des mineurs : un dispositif beaucoup moins protecteur que celui du Sénat

En première lecture, le Sénat a strictement encadré la rétention des mineurs afin d'éviter toute dérive. Comme l'a déclaré votre rapporteur à la tribune, « ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité à l'Assemblée nationale n'ont eu le courage de traiter la situation des mineurs placés en centre de rétention avec leur famille, ouvrant même la possibilité de les retenir trois mois, dans des lieux totalement inadaptés » 26 ( * ) .

Aussi, le Sénat a-t-il adopté deux mesures protectrices concernant la rétention des mineurs, qui permettraient de :

- rappeler plus clairement l'interdiction du placement en rétention des mineurs non accompagnés (article 15 ter ) ;

- limiter à cinq jours la durée maximale de rétention des mineurs accompagnant leur famille (article 15 quater ) , contre quarante-cinq jours aujourd'hui et quatre-vingt-dix jours dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.

À l'initiative de Mme Élise Fajgeles, rapporteure, et de M. Erwan Balanant (MODEM), nos collègues députés ont toutefois supprimé cette seconde mesure. L'article adopté par le Sénat constituerait selon eux une « fausse bonne idée » et devrait être « travaillé plus précisément, notamment en tenant compte des avancées permises dans le présent projet de loi, à Mayotte comme sur le reste du territoire national » 27 ( * ) .

Ce faisant, nos collègues députés ont autorisé l'administration à maintenir des mineurs accompagnants en rétention pendant quatre-vingt-dix jours , alors même que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a mis en exergue les difficultés rencontrées 28 ( * ) .

Certes, le groupe majoritaire de l'Assemblée nationale a annoncé le dépôt, dans les prochains mois, d'une proposition de loi relative à l'encadrement de la rétention des mineurs.

Néanmoins, rien n'indique que ce texte sera effectivement inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Dans l'attente, avec le texte tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, l'administration serait autorisée à multiplier le placement en rétention de mineurs accompagnants et à en augmenter la durée.

D. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 29 ( * ) , votre rapporteur s'était sérieusement inquiété des crédits alloués à la lutte contre l'immigration irrégulière , qui s'établissaient à 82,6 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une baisse de 7,2 % par rapport à la loi de finances pour 2017 et de 6,5 % par rapport à l'exécution 2016 30 ( * ) .

Près d'un an plus tard, votre rapporteur s'interroge cette fois-ci sur les moyens juridiques mis en oeuvre pour éloigner les étrangers en situation irrégulière. Nos collègues députés ont en effet refusé de donner de nouveaux outils à l'administration, alors que le Sénat proposait des mesures à la fois fermes et cohérentes comprenant notamment :

- la réduction du nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays les moins coopératifs, qui font échec aux procédures d'éloignement en refusant de transmettre les laissez-passer consulaires (article 11 A) ;

- la possibilité de relever les empreintes digitales des personnes faisant l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français ( article 10 ter ) ;

- le renforcement de l'effectivité des obligations de quitter le territoire français ( OQTF ), en réduisant de 30 à 7 jours le délai de départ volontaire (article 11 bis ) et en ajoutant comme critère d'éloignement la volonté délibérée d'empêcher l'enregistrement de ses empreintes digitales (article 11) ;

- l'accroissement de trois à cinq ans de la durée maximale de l'interdiction administrative de retour sur le territoire français , conformément au droit européen 31 ( * ) (même article 11) ;

- la lutte contre les mariages frauduleux (ou « mariages gris »), qui constituent un véritable détournement de notre droit au séjour ( articles 30 bis et 30 ter ).

Le Conseil constitutionnel ayant, par une récente décision 32 ( * ) , partiellement censuré, avec effet différé dans le temps, certaines dispositions relatives au délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger, les députés ont, pour y répondre, rétabli leur texte de première lecture au bénéfice d'une précision rédactionnelle introduite en séance ( article 19 ter ) .

En outre, l'Assemblée nationale est revenue sur l'ensemble des apports du Sénat à la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen , quatre mois seulement après sa promulgation (articles 7 bis , 16 et 17 ter ) .

Comme en première lecture, votre rapporteur regrette cette posture de nos collègues députés et rappelle les difficultés rencontrées dans l'application du règlement européen « Dublin III » du 26 juin 2013 33 ( * ) : sur 25 963 procédures engagées en 2016, seules 1 320 ont abouti à un transfert effectif des intéressés vers l'État responsable de leur demande d'asile.

L'Assemblée nationale a également supprimé l'article 15 bis , tendant à garantir que les caisses de sécurité sociale soient informées des mesures d'éloignement prononcées par les préfets. De fait, les caisses de sécurité sociale ne sont actuellement pas en mesure d'appliquer l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonne le versement des prestations sociales à la régularité du séjour des intéressés.

De même, nos collègues députés n'ont pas conditionné la réduction tarifaire dans les transports publics à la régularité du séjour (article 10 AB) , renvoyant ce débat au prochain projet de loi relatif aux mobilités.

Enfin, votre rapporteur regrette que l'Assemblée nationale ait supprimé l'élargissement du champ d'application de la peine d'interdiction judiciaire du territoire français et la systématisation de son prononcé 34 ( * ) (article 19 bis ) , en contradiction flagrante avec les engagements du Président de la République 35 ( * ) . Nos collègues députés n'ont pas non plus conservé l'obligation pour le préfet de retirer la carte de séjour des individus constituant une menace pour l'ordre public (article 28 A) .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE NE PRENANT PAS EN COMPTE LES PRÉOCCUPATIONS MAJEURES DU SÉNAT

Au regard des éléments précédemment exposés, votre commission a procédé à quatre constats , qui l'ont conduite à décider de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi en vue de son examen en séance publique.

En premier lieu, le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne prend que marginalement en compte les préoccupations majeures exprimées par le Sénat .

Notre collègue députée Élise Fajgeles, rapporteure, l'a d'ailleurs reconnu en déclarant devant la commission des lois de l'Assemblée nationale : « il ne s'agit pas pour nous, en nouvelle lecture, de refaire le débat que nous avons très largement eu en première lecture. Nous voulons confirmer les options que nous avons retenues, en les complétant, quand cela est souhaitable, de quelques avancées de nos collègues sénateurs, qui ne remettent pas en cause l'équilibre général du texte » 36 ( * ) .

En deuxième lieu, le texte transmis au Sénat constitue une véritable occasion manquée en matière de lutte contre l'immigration irrégulière : dénué de toute stratégie migratoire, il ne comprend aucune des mesures de rigueur proposées par le Sénat (meilleur encadrement de l'immigration familiale, réduction du nombre de visas délivrés aux pays les moins coopératifs, plus grande efficacité des procédures « Dublin », etc .).

Un constat identique peut être dressé concernant les politiques d'intégration , qui demeurent le parent pauvre de ce texte faute de prise en compte des mesures de bon sens proposées par le Sénat (certification du niveau de langue des étrangers primo-arrivants, meilleure insertion dans l'emploi, etc .).

En troisième lieu, l'Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture deux mesures clairement contraires à la règle de « l'entonnoir » (article 45 de la Constitution) : la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement en matière d'intégration des réfugiés (article 9 bis du projet de loi) et une habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA (article 27) .

En dernier lieu, des désaccords majeurs persistent sur les modalités d'organisation de la rétention administrative :

- le séquençage adopté par l'Assemblée nationale présente le double inconvénient d'être à la fois peu protecteur pour les étrangers mais également trop contraignant pour l'autorité administrative ;

- le texte adopté par nos collègues députés permet à l'administration de placer en rétention un mineur accompagnant sa famille pendant quatre-vingt-dix jours, ce qui constituerait une atteinte intolérable aux droits fondamentaux des personnes les plus fragiles.

*

* *

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a décidé de déposer une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable. En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat, votre commission souhaite que cette motion soit examinée, à l'issue de la discussion générale, avant la discussion des articles.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera donc en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

EXAMEN EN COMMISSION

_______

MARDI 31 JUILLET 2018

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - En première lecture, le Sénat a largement réécrit ce texte en élaborant un contre-projet plus cohérent, et en abordant l'ensemble des sujets migratoires que sont l'asile, les politiques d'intégration et la lutte contre l'immigration irrégulière.

Ainsi, en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, nous avons renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire, réduit le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs qui refusent de délivrer les laissez-passer consulaires, réorganisé la durée de la rétention administrative, interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille.

S'agissant du droit d'asile, nous avons maintenu à 30 jours le délai de recours contre une décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

S'agissant de l'immigration étudiante, nous avons aussi réintroduit la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.

En matière d'intégration, nous avons prévu un investissement renforcé dans les cours de français et amélioré les dispositifs d'insertion sur le marché de l'emploi des étrangers en situation régulière.

Enfin, nous avons souhaité soutenir les collectivités territoriales, en proposant d'insérer les places d'hébergement des demandeurs d'asile dans le décompte des logements sociaux de la loi « solidarité et renouvellement urbains » (SRU), et en créant un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l'issue de leur évaluation par un département.

Malgré le dialogue constructif que nous avions engagé avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire du 4 juillet dernier n'a pas pu parvenir à un accord.

Je regrette néanmoins que le texte adopté par les députés en nouvelle lecture ne prenne que très peu en compte les préoccupations majeures exprimées par le Sénat.

Malgré tout, il y a quelques points d'accord : le maintien à 30 jours du délai de recours devant la CNDA et l'adaptation du droit du sol à Mayotte, deux mesures introduites par le Sénat ; ainsi que la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés.

Néanmoins, le texte transmis au Sénat en nouvelle lecture constitue, à mon sens, une véritable occasion manquée pour la politique migratoire de notre pays.

Des désaccords majeurs persistent notamment sur les modalités d'organisation de la rétention administrative. Le séquençage adopté par l'Assemblée nationale est en effet à la fois peu protecteur pour les étrangers et très contraignant pour l'autorité administrative et les tribunaux. En outre, le texte adopté par l'Assemblée nationale permettrait de placer en rétention un mineur accompagnant sa famille pendant 90 jours, alors que nous avions, au Sénat, instauré un « plafond » de 5 jours.

De même, nous avons pu constater un certain manque de considération pour l'action des collectivités territoriales en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile, alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir.

Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux mesures clairement contraires à la règle de « l'entonnoir », résultant de l'article 45 de la Constitution : il s'agit de la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement (CPH) en matière d'intégration des réfugiés, à l'article 9 bis du projet de loi, et d'une habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer le contentieux du droit d'asile devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA, à l'article 27.

Par conséquent, je vous propose de déposer au nom de la commission une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable, ce qui conduirait le Sénat à rejeter le texte transmis par l'Assemblée nationale, afin que celle-ci porte l'entière responsabilité de son contenu et sachant que rien ne permet d'augurer la moindre perspective d'amélioration.

M. Jean-Yves Leconte . - Nous comprenons les contraintes d'agenda et d'organisation du travail parlementaire, mais nous ne partageons pas cette volonté de ne pas débattre du fond des désaccords qui existent entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Certaines dispositions adoptées par notre assemblée mériteraient d'être de nouveau soutenues !

De même, il ne faut pas théâtraliser les désaccords entre chacune des majorités des deux chambres : l'esprit du texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale n'est pas très différent de celui que lui avait transmis le Sénat. Ainsi, je constate que les avancées obtenues grâce au groupe Socialiste et républicain ont été supprimées, tout comme les marqueurs habituels du groupe Les Républicains en matière de quotas migratoires. Sur le fond, je pense, qu'en l'absence de désaccord entre la majorité sénatoriale et celle de l'Assemblée nationale sur la politique d'asile et d'immigration, cela ne doit pas beaucoup vous déranger de laisser le dernier mot à l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas , président . - Il me semblait pourtant, cher collègue, que votre groupe avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable en première lecture...

M. Jean-Yves Leconte . - En juin dernier, nous avons débattu de l'opportunité de ce projet de loi, sachant que les négociations européennes en cours nous conduiraient certainement à adopter des mesures de transposition.

À l'époque, nous avions considéré qu'il n'y avait pas lieu de modifier la loi, la question étant avant tout celle des moyens de la politique migratoire.

Dès lors qu'une nouvelle loi est en passe d'être adoptée, il faut en discuter jusqu'au bout, et en particulier de ses aspects les plus néfastes.

En outre, la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 juillet dernier sur le principe de fraternité doit être prise en compte au regard de la suppression du délit de solidarité. Il serait regrettable que le Sénat ne participe pas à cette réflexion...

M. Alain Richard . - Notre groupe ne partage pas tout à fait la position du rapporteur sur la prise en compte par l'Assemblée nationale des améliorations apportées par le Sénat : en particulier, les mesures en matière de gestion des procédures d'immigration ont été reprises.

Nous comprenons qu'il soit recouru à la procédure de la question préalable, afin d'éviter une « lecture pour rien », chacun ayant réfléchi à sa position. L'Assemblée nationale n'aurait en effet guère de raisons de retenir davantage de mesures adoptées par le Sénat.

S'agissant de la procédure, la demande d'habilitation à légiférer par ordonnances pour revoir les règles contentieuses devant la CNDA ayant été longuement débattue en séance publique, la règle de « l'entonnoir » pourrait ne pas s'appliquer, même si, finalement, le Sénat a refusé cette habilitation.

M. Philippe Bonnecarrère . - Notre groupe comprend la préoccupation du rapporteur. En revanche, cette question préalable nous attriste pour deux raisons : d'une part, le texte améliore le droit existant ; d'autre part, nous étions dans l'idée non pas de présenter un contre-projet, mais de faire aboutir une réforme du droit d'asile et de la politique d'immigration compréhensible par nos concitoyens et permettant un meilleur fonctionnement de nos institutions. Nous avons également souligné les aspects européens de cette question.

L'échec de la commission mixte paritaire rend plus complexe la lecture des dispositions prévues dans ce projet de loi et seuls les extrêmes y trouveront satisfaction.

Notre groupe, à l'exception d'une dizaine d'entre nous, sera majoritairement défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable. Néanmoins, je pense qu'aucun des groupes de notre assemblée n'est prêt à assumer une nouvelle lecture et n'a préparé tous les amendements utiles à cette fin.

M. Philippe Bas , président . - Vous souhaitiez vivement, M. Philippe Bonnecarrère, un accord en commission mixte paritaire, espérant que le vote par votre groupe d'un certain nombre de dispositions aurait permis à la négociation d'avoir lieu dans de bonnes conditions pour le Sénat, ce qu'ont empêché les décisions politiques qui ont été prises. J'entends également que vous ne souhaitez pas faire obstacle à la question préalable, même si votre groupe y est majoritairement défavorable...

M. Jean-Pierre Sueur . - Je souscris aux propos de M. Jean-Yves Leconte. Au nom de mon groupe, j'avais défendu en première lecture une motion tendant à opposer la question préalable parce que ce texte ne nous semblait pas utile, ce qu'a d'ailleurs souligné le Conseil d'État, précisant qu'aucune des lois précédemment adoptées en 2015 et en 2016 n'avait été évaluée. En outre, ce projet de loi ne prend pas en compte les questions européennes, d'intégration, etc.

Nous avons là affaire à une « question préalable de confort ». Tous ceux qui la voteront ne partagent pas forcément les mêmes idées sur le sujet. Par ailleurs, je m'inquiète de l'évolution du rôle institutionnel du Sénat. Sur des textes comme celui-ci, il est recouru constamment à la procédure accélérée, alors que, voilà quelques années, le Sénat y aurait consacré deux semaines en première lecture, avec ensuite deux lectures avant la réunion de la commission mixte paritaire. Pour notre part, nous avons déposé 29 amendements pour cette nouvelle lecture et pensons qu'il est utile de poursuivre le débat.

Si nous avions un mode de fonctionnement plus apaisé, l'Assemblée nationale pourrait reprendre les amendements adoptés par le Sénat en nouvelle lecture. Nous nous privons ainsi de la possibilité de faire valoir nos positions après la commission mixte paritaire. C'est pourquoi, dans le cadre de la révision constitutionnelle, nous sommes très attentifs à la procédure qui sera prévue après la commission mixte paritaire.

M. Philippe Bas , président . - Il est prévu que la session extraordinaire se termine demain.

En inscrivant l'examen de ce texte à notre ordre du jour de cet après-midi, le Gouvernement ne nous laisse guère de choix. Cet ordre du jour prioritaire nous contraint à des procédures exagérément rapides.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je le réprouve !

M. Philippe Bas , président . - Je rappelle que la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a aussi été examinée sous le régime de la procédure accélérée. On peut donc toujours changer de point de vue d'une année à l'autre !

M. Jean-Pierre Sueur . - Je veux être objectif : la dérive tendant à une quasi-généralisation de la procédure accélérée ne date pas de ce Gouvernement, elle a largement pris corps lors du quinquennat précédent, pour devenir systématique. Auparavant, il y a 10, 15 ou 20 ans, elle était beaucoup plus rare. Ainsi, le projet de loi constitutionnelle est le seul, depuis une année, à être examiné selon la procédure normale ! Et en inscrivant ce texte l'avant-dernier jour de la session extraordinaire, le Gouvernement présuppose le dépôt d'une motion de procédure. Mais nous pourrions faire le choix de mener le débat, auquel cas ce texte ne serait pas adopté au cours de cette session.

M. Alain Richard . - Je précise que nous comprenons les raisons pratiques et de cohérence qui guident le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, mais que nous nous abstiendrons.

EXAMEN DE LA MOTION TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE
ET DES AMENDEMENTS

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Nous avons tous regretté l'engagement de la procédure accélérée sur ce texte très important. En outre, les débats à l'Assemblée nationale et les choix retenus par nos collègues députés ont montré les divergences entre nos deux assemblées. Tout espoir d'accord ultime paraît vain et, compte tenu de ces désaccords profonds, il ne nous paraît pas utile d'aller plus loin. Ainsi, à titre d'illustrations, notre souhait de transformer l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence n'a pas été retenu ; de même que n'a pas été retenue notre proposition de systématiser la peine d'interdiction judiciaire du territoire, sauf décision contraire du juge.

Par ailleurs, la règle de « l'entonnoir » ne s'applique pas si les dispositions proposées sont en relation directe avec des dispositions intégrées au texte de première lecture et restant en discussion. Tel n'est pas le cas pour les deux dispositions litigieuses aux articles 9 bis et 27 du projet de loi que nous considérons avoir été adoptées en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution. S'agissant de l'habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux de l'asile, si ces dispositions ont bien été débattues en première lecture, elles n'ont pas été adoptées et donc a fortiori pas été intégrées au texte de première lecture. Aucune disposition restant en discussion ne permettait donc de les réintroduire en nouvelle lecture. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable.

La motion est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi ; les amendements deviennent satisfaits ou sans objet.

Le sort des amendements examinés par la commission des lois est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 2
Accès à la carte de résident pour les personnes protégées et leur famille

M. LECONTE

14

Conditions d'octroi de la carte de résident des réfugiés

Satisfait
ou sans objet

Article 3
Réunification familiale des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire -
Protection des mineures contre les mutilations sexuelles

M. LECONTE

24

Information des membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

25

Contenu de l'examen médical diligenté par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

Satisfait
ou sans objet

Article 5
Procédure d'examen des demandes d'asile devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides

M. LECONTE

17

Inclusion dans le rapport annuel de l'OFPRA de données quantitatives et qualitatives par pays d'origine et langue d'instruction des demandes d'asile

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

16

Précision sur la définition des pays d'origine sûrs pour garantir qu'un pays ne puisse y figurer s'il y est recouru à la persécution, la torture ou des traitements inhumains contre les personnes transgenres

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

15

Extension aux associations de défense des personnes homosexuelles et des personnes transgenres du droit de saisir le conseil d'administration de l'OFPRA d'une demande tendant à l'inscription ou la radiation d'un État sur la liste des pays sûrs

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

1

Maintien du droit en vigueur s'agissant des demandes d'asile tardive

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

26

Possibilité pour un demandeur d'asile privé d'entretien personnel pour raisons médicales de fournir à l'OFPRA les éléments utiles à l'instruction de sa demande, dans un délai fixé par décret en Conseil d'État

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

18

Possibilité pour un demandeur d'asile d'être accompagné lors de son entretien à l'OFPRA par le représentant d'une association de lutte contre les persécutions fondées sur le sexe ou de défense des droits des personnes transgenres

Satisfait
ou sans objet

Article 6
Procédure devant la Cour nationale du droit d'asile

M. LECONTE

2

Suppression des dispositions relatives à la vidéo-audience devant la Cour nationale du droit d'asile

Satisfait
ou sans objet

Article 9
Orientation directive des demandeurs d'asile

M. LECONTE

19

Modalités d'octroi des conditions matérielles d'accueil

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

22

Révision triennale du schéma national d'accueil des demandeurs d'asile

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

3

Modalités de mise en oeuvre de l'hébergement directif

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

23

Renvoi à un décret en Conseil d'État pour définir des normes minimales en matière d'hébergement

Satisfait
ou sans objet

Article 9 ter
Droit du sol à Mayotte conditionné à la résidence régulière d'un des parents à la naissance

M. LECONTE

4

Suppression de l'article

Satisfait
ou sans objet

Article 9 quater
Mention de la résidence régulière d'un des parents dans l'acte de naissance à Mayotte

M. LECONTE

5

Suppression de l'article

Satisfait
ou sans objet

Article 10 B
Périmètre de non-admission sur le territoire national

M. LECONTE

6

Suppression de l'article

Satisfait
ou sans objet

Article 12
Procédure administrative et contentieuse de l'éloignement

M. LECONTE

13

Modalités d'éloignement des personnes détenues

Satisfait
ou sans objet

Article 15 ter
Interdiction du placement en rétention des mineurs isolés

M. LECONTE

7

Interdiction de tout placement en rétention d'un mineur, y compris lorsqu'il accompagne sa famille

Satisfait
ou sans objet

Article 16
Modalités et régime juridique de la rétention administrative

M. LECONTE

8

Suppression de l'allongement de la durée de la rétention administrative

Satisfait
ou sans objet

Article 19 ter
Délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers

M. LECONTE

9

Abrogation du « délit de solidarité »

Satisfait
ou sans objet

Article additionnel après l'article 19 ter

M. LECONTE

10

Création d'un délit d'entrave à l'exercice du droit d'asile

Satisfait
ou sans objet

Article 20
Modifications de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent »

M. LECONTE

20

Extension du périmètre du passeport talent

Satisfait
ou sans objet

Article 23
Articulation de la procédure d'asile et des demandes d'admission au séjour pour un autre motif

M. LECONTE

11

Suppression des dispositions tendant à ce que le demandeur d'asile présente concomitamment sa demande d'admission au séjour et sa demande d'obtention d'un autre titre de séjour

Satisfait
ou sans objet

Article 26 bis
Régime de l'autorisation de travail des demandeurs d'asile majeurs - Articulation entre le dépôt
d'une demande d'asile et la poursuite d'un contrat d'apprentissage pour les mineurs étrangers

M. LECONTE

12

Réforme de l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile

Satisfait
ou sans objet

Article 33 bis A (Supprimé)
Conditions d'octroi des cartes de séjour « salarié » et « travailleur temporaire »

M. LECONTE

21

Accès facilité à la carte de séjour pluriannuelle

Satisfait
ou sans objet

Article 33 bis
Rapport annuel sur la situation des étrangers en France

M. LECONTE

27

Mise à disposition de données relatives aux flux migratoires en outre-mer

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

28

Mise à disposition de données relatives aux autorisations de travail accordées ou refusées à des étrangers

Satisfait
ou sans objet

M. LECONTE

29

Mise à disposition de données relatives au placement en rétention de mineurs

Satisfait
ou sans objet


* 1 Rapport n° 636 (2017-2018) de M. François-Noël Buffet, sénateur, et Mme Élise Fajgeles, députée, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi, p. 9. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l17-636/l17-6361.pdf .

* 2 Rapport n° 552 (2017-2018) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi, p. 115. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l17-552-1/l17-552-11.pdf .

* 3 Ibid , p. 110.

* 4 Un amendement du Gouvernement adopté en séance publique a, en outre, modifié les conséquences juridiques de la demande d'aide juridictionnelle sur le délai de recours. Interruptive du délai de recours dans le droit en vigueur et la version adoptée par l'Assemblée nationale (un nouveau délai identique au délai de recours recommence à courir à compter de la notification de la décision relative à l'admission à l'aide juridictionnelle), elle serait désormais suspensive (seuls les jours correspondant à la durée non consommée du délai de recours global recommenceraient à courir dans les mêmes conditions).

* 5 Les opérations de réinstallation consistant à examiner la demande d'asile d'un étranger depuis son pays d'origine pour ensuite faciliter son entrée en France.

* 6 L'Assemblée nationale a, en outre, adopté en séance publique, à l'initiative du Gouvernement, des dispositions tendant à articuler les nouvelles conditions dans lesquelles le droit au maintien sur le territoire prend fin pour un demandeur d'asile dont la demande a été rejetée par l'OFPRA (article 8), avec la cessation des conditions matérielles d'accueil, d'une part, et les mesures d'assignation à résidence ou de placement en rétention si la personne intéressée fait l'objet d'une mesure d'éloignement, d'autre part.

* 7 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 21 juin 2018.

* 8 Pour faire face à la pénurie de médecins à Mayotte, les dossiers « étrangers malades » seraient désormais instruits par des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), sans qu'il soit nécessaire de faire appel à un médecin mahorais.

* 9 Cette expérimentation permet notamment de réunir, dans le département de Mayotte et par dérogation au droit applicable en métropole, les locaux affectés à la rétention administrative et ceux dédiés au maintien en zone d'attente.

* 10 Saisine du Conseil d'État autorisée, avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi, par le dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution.

* 11 Conseil d'État, avis n° 394925 du 5 juin 2018.

* 12 L'administration n'étant, avant l'entrée en vigueur de la loi, pas en mesure de statuer sur la régularité du séjour des parents au moment de la naissance de l'enfant (il y a plus d'une dizaine d'années).

* 13 « Ce texte ne traite pas des mineurs non accompagnés ». Rapport n° 857 fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi, p. 70. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0857.pdf .

* 14 Alors que l'article 27 du projet de loi traitait d'un tout autre sujet en première lecture : l'immigration économique.

* 15 Amendement n° 150 du Gouvernement, consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/amendements/2017-2018/553/Amdt_150.html .

* 16 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 25 juin 2018.

* 17 Dans les territoires présentant un taux de chômage peu élevé, l'homologation des titres de séjour des étrangers est facilitée, au regard de la « situation de l'emploi ». Cette dernière est définie par un arrêté qui n'a pas été actualisé depuis le 18 janvier 2008 et qui ne correspond donc pas aux réalités économiques d'aujourd'hui.

* 18 Voir, pour plus de précisions, le rapport n° 552 (2017-2018) précité, p. 290.

* 19 Et plus précisément aux services interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SIUMPPS).

* 20 Voir, pour plus de précisions, l'avis budgétaire n° 114 (2017-2018) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2018. Cet avis est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/a17-114-2/a17-114-21.pdf .

* 21 Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair.

* 22 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

* 23 Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en application de l'article 45 de la Constitution, les amendements adoptés après la commission mixte paritaire doivent être en relation directe avec une disposition du texte encore en discussion ou justifiés par la nécessité de coordonner des dispositions avec d'autres textes en discussion au Parlement, permettre le respect de la Constitution ou corriger une erreur matérielle (Conseil constitutionnel, 25 juin 1998, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier , décision n° 98-402 DC).

* 24 Voir, pour plus de précisions, l'avis budgétaire n° 114 (2017-2018) précité, p. 41.

* 25 Source : objet de l'amendement de notre collègue députée Élise Fajgeles, adopté en nouvelle lecture par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

* 26 Compte rendu intégral de la séance du 19 juin 2018.

* 27 Source : objet de l'amendement de notre collègue députée Élise Fajgeles, adopté en nouvelle lecture par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

* 28 Avis relatif à l'enfermement des enfants en centres de rétention administrative, 14 juin 2018. Cet avis est consultable à l'adresse suivante :

www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2018/06/joe_20180614_0135_0057.pdf .

* 29 Devenu la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 30 Voir, pour plus de précisions, l'avis budgétaire n° 114 (2017-2018) précité, p. 30.

* 31 Article 11 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

* 32 Par sa décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre [Délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger], le Conseil constitutionnel a :

- reconnu pour la première fois valeur constitutionnelle au principe de fraternité ( il en découle « la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ») ;

- jugé en conséquence que les exemptions humanitaires, qui existent déjà concernant le délit d'aide au séjour irrégulier, doivent être étendues à l'aide à la circulation (mais restent exclues concernant l'aide à l'entrée) ;

- et estimé que ces exemptions humanitaires ne peuvent être limitées aux seuls actes énumérés par le droit en vigueur, mais doivent s'étendre à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire.

* 33 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 34 Concrètement, le texte adopté par le Sénat prévoyait de systématiser la peine d'interdiction judiciaire du territoire, sauf décision spéciale et motivée de la juridiction de jugement, pour les délits commis en état de récidive légale et pour les crimes.

* 35 Le Président de la République ayant notamment marqué sa volonté d'expulser l'ensemble des étrangers en situation irrégulière ayant commis un délit (intervention télévisée du 15 octobre 2017).

* 36 Rapport n° 1173 fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi (nouvelle lecture), p. 15. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r1173.pdf .

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