IV. COMPTE TENU DE L'INTRANSIGEANCE DES DÉPUTÉS, LES DÉSACCORDS DE FOND ENTRE LES DEUX ASSEMBLÉES NE POURRONT ÊTRE LEVÉS EN NOUVELLE LECTURE

A. AU-DELÀ DE LA QUESTION DES INDICATEURS, DES POINTS DE VUE DIFFICILEMENT CONCILIABLES SUR LE TITRE PREMIER

Même si les longs débats sur le titre II ont rencontré un large écho médiatique, ils n'ont pas éclipsé, pour la profession agricole, les échanges capitaux autour de l' article 1 er du projet de loi relatif à la rénovation du cadre contractuel entre les producteurs et leurs acheteurs .

Si la philosophie du dispositif visant à renforcer le poids des producteurs dans leur négociation contractuelle a rassemblé tous les groupes politiques dans les deux assemblées, plusieurs désaccords demeurent sur la rédaction de l'article.

Au-delà bien entendu du désaccord majeur sur la construction des indicateurs ( cf. supra ), plusieurs amendements portés par le rapporteur de l'Assemblée nationale ont considérablement transformé l'esprit de l'article, passant de l'incitation au regroupement entre producteurs à l'accumulation de contraintes pesant sur ces derniers . L'article 1 er s'éloigne ainsi de son objectif initial.

Un amendement adopté en première lecture obligeait par exemple les producteurs membres d'une organisation de producteurs (OP) à lui confier leur mandat de facturation . Pour le Sénat, cette obligation posait une difficulté pratique : elle exposait ces structures à une charge qu'elles ne peuvent pas toutes assumer aujourd'hui, notamment les organisations de producteurs non commerciales.

En nouvelle lecture, les députés ont adopté une rédaction certes différente sur la forme mais très voisine dans l'esprit. L'article 1 er prévoit désormais que les membres d'une organisation de producteurs commerciale auront l'obligation de déléguer à cette structure leur facturation mais que les producteurs pourront se délier de cette obligation en assemblée générale , en prévoyant que cette facturation sera déléguée à un tiers ou à un acheteur.

Tout en notant la souplesse nouvelle ainsi accordée, votre rapporteur regrette toujours cette nouvelle complexité mise à la charge des producteurs qui avaient déjà la liberté de confier leur facturation à leur organisation de producteurs si celle-ci avait la capacité d'absorber cette charge supplémentaire.

Un autre point, à l'apparence anodine, témoigne d' une vraie ligne de fracture entre les députés et les sénateurs sur les sociétés coopératives agricoles .

L'article 1 er , en créant un article L. 631-24-3 au sein du code rural et de la pêche maritime, exonère les sociétés coopératives agricoles de la contractualisation obligatoire à la condition que leur règlement intérieur ou leurs statuts contiennent a minima des dispositions produisant les mêmes effets que les clauses obligatoires devant figurer dans les contrats prévus à l'article L. 631-24. Or, parmi ces clauses figure une clause de « sortie » assouplie pour les producteurs modifiant leur mode de production , avec un délai de préavis et des indemnités réduites.

Cette rédaction, au détour d'un article qui ne traite pas du sujet coopératif, remet fondamentalement en cause tout le statut coopératif qui repose sur un engagement ferme des associés coopérateurs sur une durée d'engagement, le plus souvent de cinq ans. Le Sénat avait donc supprimé la nécessité pour les coopératives de se conformer à cette clause , tout en maintenant l'exigence de se conformer à toutes les autres.

En nouvelle lecture, les députés ont rétabli leur rédaction sur proposition du Gouvernement. Votre rapporteur s'inquiète des conséquences d'une telle décision sur le modèle coopératif et craint en particulier qu'un assouplissement des conditions de sortie des associés-coopérateurs ne mette en péril les modèles économiques des coopératives.

Outre l'article 1 er , d'autres points de désaccord émaillent le titre I er , notamment en raison de :

- la suppression par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture de certaines avancées permises par le Sénat :

o celle de l' article 1 er bis qui offrait une protection supplémentaire aux producteurs de lait dans l'arsenal législatif contre le chantage à la collecte ;

o à l' article 2, celle visant la mise en place de sanctions si un contrat entre un producteur et son acheteur contenait une clause de retard de livraison supérieure à 2 % de la valeur des produits livrés ;

o à l'article 4 , celle portant sur l'information des parties en cas de saisine par le médiateur du ministre de l'économie, qui aurait permis de mettre sous pression les administrations concernées pour qu'elles investiguent réellement les dossiers avant de les transmettre au tribunal compétent ;

- et du rétablissement de certains articles supprimés au Sénat comme :

o l' article 8 bis A qui donne un fondement législatif aux conventions tripartites qui ont pourtant fait preuve de leur efficacité sans qu'il soit nécessaire de rigidifier un cadre justement apprécié pour sa souplesse. Au lieu d'encourager la conclusion de telles conventions, la mesure risque, au contraire, d'y désinciter. Le meilleur exemple est que la rédaction retenue exclut de ce dispositif les associations d'organisations de producteurs ou prévoit une reconnaissance de ces contrats par l'autorité publique via une labellisation ;

o l' article 9 bis lequel interdit l'emploi du terme « gratuit » dans les promotions marketing des produits alimentaires. Le Sénat avait estimé que cette interdiction était purement déclaratoire tant les contournements sont aisés.

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