Rapport n° 715 (2017-2018) de M. Michel RAISON et Mme Anne-Catherine LOISIER , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 septembre 2018

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N° 715

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 septembre 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE , pour l' équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine , durable et accessible à tous ,

Par M. Michel RAISON et Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, M. Robert Navarro, Mme Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

Première lecture : 627 , 838 , 902 et T.A. 121

Commission mixte paritaire : 1147

Nouvelle lecture : 1135 rect. , 1175 et T.A. 171

Sénat :

Première lecture : 525 , 563 , 570 , 571 et T.A. 132 (2017-2018)

Commission mixte paritaire : 647 et 648 (2017-2018)

Nouvelle lecture : 714 , 716 et 719 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Après l'échec inédit de la commission mixte paritaire sur un alinéa pourtant voté à l'identique dans les deux chambres, l'Assemblée nationale a confirmé, en nouvelle lecture, son intransigeance à l'égard des propositions du Sénat.

En première lecture, le Sénat s'était pourtant montré constructif, tentant d'améliorer le projet de loi afin qu'il traduise mieux les attentes exprimées au sortir des États généraux de l'alimentation.

En balayant d'un revers de main ses principaux apports, l'Assemblée nationale a traité le travail sénatorial par le mépris .

Même la création du fonds d'indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques, mesure de justice votée à l'unanimité au Sénat qui transcende les clivages partisans, n'aura pas trouvé grâce à ses yeux.

Loin de rapprocher les points de vue, la nouvelle lecture à l'Assemblée a été l'occasion, pour la majorité gouvernementale, d'aggraver encore le déséquilibre d'un texte qui échouera non seulement à relever le prix payé aux agriculteurs, mais aura même l'effet inverse sur leurs revenus, par l'addition des charges nouvelles qu'il instaure.

Sans l'intervention de l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires pour proposer ou valider des indicateurs en cas de défaut de l'interprofession, les producteurs seront à la merci d'indicateurs élaborés de toutes pièces par la grande distribution, qui y travaille déjà.

En plus de peser sur les charges des paysans, ces contraintes supplémentaires vont considérablement alourdir celles des collectivités territoriales.

Pourront-elles financer, dans le même temps, l'amélioration de la qualité des repas servis dans les cantines et le renouvellement à marche forcée de tout leur matériel pour répondre à l'interdiction, dès 2020, des boîtes ou plateaux-repas en plastique ?

Sur la forme, nombre de dispositions pourtant substantielles n'ont fait l'objet d'aucune étude d'impact, voire ont été adoptées en nouvelle lecture en méconnaissant la Constitution.

La constitutionnalité d'autres dispositions est aussi contestable sur le fond : ainsi, le fait de réserver l'usage des drones pour l'épandage sur les terrains en pente à une certaine catégorie d'agriculteurs constitue une atteinte claire au principe d'égalité, sans lien avec l'objectif poursuivi qui ne vise qu'à renforcer la sécurité des personnes.

Dès lors, le Sénat ne saurait cautionner par son vote un projet de loi qui, en multipliant les contraintes sans augmenter les revenus, trahit l'esprit des États généraux de l'alimentation et ruine les espoirs des agriculteurs.

Au vu de l'ensemble de ces désaccords, sur la méthode comme sur le fond, votre commission vous propose d'adopter la présente motion.

Tout démontre en effet, dans l'attitude du Gouvernement et de sa majorité, que le Sénat ne gagnera rien à amender à nouveau le texte - sauf à donner l'impression d'en endosser la logique et d'en assumer les défauts - puisqu'aucune de ses propositions ne sera reprise.

À l'inverse, l'adoption de la question préalable se veut un signe fort adressé à l'exécutif et à sa majorité : il est temps d'entendre les agriculteurs, de répondre à leur mal-être non par un surcroît de normes et de charges, mais par des protections renforcées et un partage équitable de la valeur qui soient à la hauteur de leurs efforts et du service qu'ils rendent à la société .

Au cours de sa réunion du 19 septembre 2018, votre commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte sur le projet de loi.

I. UN REVIREMENT INACCEPTABLE DE LA MAJORITÉ GOUVERNEMENTALE SUR LA CONSTRUCTION DES PRIX AGRICOLES ET LA FERMETURE À TOUTE TENTATIVE DE COMPROMIS

A. UNE LECTURE INQUIÉTANTE DE LA CONSTITUTION : FAIRE ÉCHOUER UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE SUR UN POINT D'ACCORD ENTRE LES ASSEMBLÉES

En première lecture, les deux chambres avaient amendé, en des termes strictement identiques, un alinéa de l' article 1 er très attendu par le monde agricole : celui portant sur la construction des indicateurs qui formeront la base des formules de prix des nouveaux contrats entre les acteurs .

La rédaction initiale du projet de loi était en effet insatisfaisante. Elle revenait à laisser aux parties la liberté de construire leur propre indicateur, exposant ainsi la partie la plus faible, c'est-à-dire le producteur, à se voir imposer un indicateur construit par l'acheteur.

Au terme des débats en première lecture à l'Assemblée nationale, une proposition plus mesurée et adaptée aux réalités agricoles avait été adoptée en séance publique, malgré les avis défavorables du rapporteur et du Gouvernement, le sujet dépassant les clivages politiques.

Cette version du texte donnait aux organisations interprofessionnelles pour mission de diffuser des indicateurs. Leur décision étant prise à l'unanimité, un indicateur interprofessionnel faisait donc figure d'indicateur de référence recueillant l'assentiment de l'ensemble des parties prenantes, parfois même jusqu'au distributeur.

À défaut d'accord interprofessionnel, les indicateurs pouvaient être proposés soit par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) ou FranceAgriMer, soit par toute autre partie, par exemple une organisation de producteurs, à la condition que l'indicateur proposé soit validé par l'OFPM ou FranceAgriMer.

En première lecture, le Sénat avait retenu, au mot près, la même rédaction, les intervenants de tous bords politiques la jugeant satisfaisante et soulignant son importance dans la discussion générale.

Malgré cet accord, le rapporteur de l'Assemblée nationale devait s'opposer, à la surprise générale, au maintien de cette rédaction en commission mixte paritaire, conduisant à son échec.

Bien qu'elle fut certes juridiquement recevable - l'article 1 er n'ayant pas été adopté conforme dans son entièreté -, une telle remise en cause d'un alinéa conforme heurte gravement le fonctionnement de la navette parlementaire tel que défini dans la Constitution.

D'une part, le rapporteur d'une assemblée en commission mixte paritaire est censé défendre les positions adoptées par sa chambre, y compris contre son propre avis.

D'autre part, l'esprit d'une commission mixte paritaire est de chercher à régler des points de désaccord, non d'en ajouter de nouveaux.

De manière sans doute inédite, la commission mixte paritaire a donc échoué à raison d'une disposition sur laquelle les majorités des deux chambres étaient... d'accord .

B. LA MARCHE ARRIÈRE DES DÉPUTÉS EN NOUVELLE LECTURE SUR LE TITRE PREMIER : LES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'ALIMENTATION N'AURONT-ILS SERVI À RIEN ?

1. La construction des prix agricoles : tout ça pour ça ?

En nouvelle lecture, au stade de la commission, le Gouvernement, recueillant l'avis favorable du rapporteur, a cette fois sans surprise supprimé la rédaction adoptée en première lecture par les deux assemblées sur la construction des indicateurs , revenant ainsi sur le principal apport parlementaire au texte.

La rédaction de l' article 1 er retenue à ce stade par les députés prévoyait que les organisations interprofessionnelles « peuvent » élaborer des indicateurs qui « peuvent » à leur tour servir d'indicateurs de référence. Pour cette mission, elles « peuvent », « le cas échéant », s'appuyer sur l'OFPM.

La normativité de cette formulation était très douteuse. En multipliant les « possibilités » tout en conservant quelques mots clés manifestement destinés à rassurer les acteurs agricoles - « organisations interprofessionnelles », « Observatoire de la formation des prix et des marges », « indicateurs de référence » -, le Gouvernement cherchait à dissimuler son objectif réel : en revenir à son dispositif initial.

Ultime surprise et preuve d'une inconstance étonnante sur un sujet pourtant essentiel : en séance publique, le Gouvernement et le rapporteur devaient à nouveau retoucher le dispositif, modification qu'ils présentèrent comme un « compromis ».

La rédaction finalement adoptée précise que les organisations interprofessionnelles auront l'obligation d'élaborer et de diffuser des indicateurs qui « servent d'indicateurs de référence ». L' article 5 ajoute cette obligation à la liste des missions des interprofessions visées à l'article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime, tandis que l' article 5 quater prévoit que les interprofessions pourront demander un avis technique à l'OFPM sur le sujet ; l'observatoire sera également chargé d'examiner la prise en compte de ces indicateurs dans chaque filière.

Si la formulation de l'alinéa apparaît plus contraignante, concrètement, la rédaction retenue ne change rien par rapport au projet de loi initial .

Juridiquement, il est étonnant que le Gouvernement soutienne subitement une solution dont la conventionnalité apparaît contestable, argument pourtant opposé par lui tout au long des débats aux initiatives parlementaires qui allaient dans ce sens.

L'article 157 du règlement européen du 17 décembre 2013 1 ( * ) mentionne en effet que les interprofessions peuvent être reconnues si elles « poursuivent un but précis » qui « peut » inclure certains objectifs, dont celui de réaliser des indicateurs. Des interprofessions peuvent donc être reconnues mêmes si elles ne se préoccupent pas de la question des prix, par exemple si elles poursuivent le seul but d'entreprendre des actions visant à protéger ou promouvoir l'agriculture biologique ou les appellations d'origine. Ainsi, certaines entités désirant se faire reconnaître comme interprofession pourront y être éligibles au titre du droit européen et non au titre du droit national. Cette situation crée une véritable insécurité juridique.

Sur un plan plus pratique, rien ne garantit que les interprofessions parviennent à trouver un accord unanime sur l'élaboration d'un tel indicateur. La meilleure preuve réside dans l'absence de sanction si les interprofessions ne s'entendent pas.

Dans ce cas, la rédaction issue de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale exclut la principale garantie pour les producteurs agricoles : le recours, à défaut d'indicateurs interprofessionnels, aux indicateurs diffusés par l'Observatoire de la formation des prix et des marges .

Ainsi, à défaut d'accords interprofessionnels, les parties demeureront libres d'élaborer leur propre indicateur : comme dans le dispositif initial, les parties les plus faibles au contrat que sont les producteurs pourront donc se voir imposer, dans la négociation, des indicateurs défavorables.

La nouvelle contractualisation proposée à l'article 1 er prend ainsi le risque d'accroître encore le déséquilibre du rapport de force entre distributeurs et producteurs, au détriment du revenu agricole .

A contrario , le texte adopté en première lecture par les deux assemblées avait levé ce risque en prévoyant que les indicateurs mobilisables ne pourraient être, à défaut d'accords interprofessionnels, que les indicateurs « proposés » par l'OFPM ou « validés » par ce dernier.

Alors que la protection des agriculteurs dans l'élaboration des prix devait être la traduction majeure des conclusions des États généraux de l'alimentation dans la loi, le Gouvernement et sa majorité ont vidé cette disposition de sa substance. Les agriculteurs, qui la souhaitaient ardemment, en seront pour leurs frais.

Votre rapporteur ne peut que le déplorer.

2. Une médiation déstabilisée par la réintroduction du « nommer et dénoncer »

La rédaction retenue par les députés de l' article 4 sur la médiation est une autre illustration de cette dynamique inédite consistant à revenir sur des points d'accord entre les deux assemblées pour aboutir, in fine , à une solution plus défavorable au monde agricole, à rebours de l'objectif du projet de loi.

Votre rapporteur rappelle que la médiation en cas de litige entre les cocontractants effectuée par le Médiateur des relations commerciales agricoles est un outil robuste qui a fait la preuve de son efficacité . En témoigne le taux exceptionnel de 75 % de réussite de ses conciliations.

En aucun cas cet outil efficace, qui repose sur l'indépendance et la qualité du travail du médiateur, ne doit être remis en cause. C'est pourtant ce que la rédaction proposée en première lecture par l'Assemblée nationale, modifiée par le Sénat mais rétablie en nouvelle lecture, s'apprête à faire.

Le onzième alinéa remplace ainsi le mécanisme de « nommer et féliciter » 2 ( * ) , consistant à valoriser les parties ayant facilité la réussite de la médiation, c'est-à-dire un mécanisme très incitatif retenu par le Sénat sur proposition de l'Assemblée nationale, par un mécanisme de « nommer et dénoncer » 3 ( * ) beaucoup plus stigmatisant.

Ainsi, le médiateur pourra, à tout moment, rendre publiques les conclusions de ses travaux de médiation même sans l'accord des parties, juste après les en avoir informées.

Comme votre rapporteur l'avait déjà souligné en première lecture, cette rédaction fait courir un risque non négligeable : celui que les parties les moins exemplaires ne recourent plus à la médiation, ce qui aurait l'effet inverse de ce que le projet de loi tend à favoriser.

C'était d'ailleurs exactement la position du rapporteur de l'Assemblée nationale en première lecture, qui avait eu la sagesse d'écarter en séance la procédure de « nommer et dénoncer » pourtant introduite par lui en commission : « Il est vrai que j'avais d'abord déposé un amendement permettant le name and shame pour l'ensemble des actions du médiateur. Mais, après avoir échangé avec ses services et les différentes parties prenantes, j'ai pris conscience qu'il fallait le modifier un peu : en autorisant un usage systématique du name and shame, nous risquions tout simplement de détruire l'ensemble de la médiation.

« En effet, si les parties prenantes au contrat n'ont plus confiance dans la médiation, elles risquent de ne plus y avoir recours. Et, étant donné le rapport de forces, les fournisseurs n'intenteront pas de procès à la grande distribution, ni le producteur à son premier acheteur, par crainte d'un déréférencement, d'une rupture de contrat. In fine, il n'y aura ni médiation, ni procédure civile, ce qui laissera les producteurs dans une situation pire que celle qu'ils connaissent actuellement. »

Il est regrettable qu'il ait à nouveau changé d'avis en nouvelle lecture.

Sur ces articles 1 er et 4, l'Assemblée nationale est donc revenue sur deux dispositions qui avaient fait consensus en première lecture entre les deux assemblées.

Votre rapporteur déplore l'introduction de ces deux nouveaux désaccords de fond et dénonce ces revirements de position incessants. Au-delà de la remise en cause du principe même de la navette parlementaire, qui consiste à engranger des accords à chaque lecture dans l'objectif de parvenir à un texte commun, l'inconstance du Gouvernement et de sa majorité parlementaire inquiètent sur l'absence de cap donné à la politique agricole . Malgré les nombreux mois consacrés aux États généraux de l'alimentation d'abord, à leur traduction législative ensuite, il semble que l' on navigue toujours à vue ...

C. UNE FERMETURE À TOUTE TENTATIVE DE CONCILIATION EN COMMISSION MIXTE PARITAIRE

1. L'impossibilité pour le Sénat de présenter ses propositions en commission mixte paritaire

Dès avant la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le déroulement de la commission mixte paritaire a témoigné de l'absence totale de volonté de dialogue des députés de la majorité.

En dépit des demandes répétées des sénateurs membres de la commission, aucune des propositions de rédaction préparées par les rapporteurs pour le Sénat afin de rechercher un compromis n'a ainsi pu être discutée, ni même présentée 4 ( * ) ou distribuée aux membres de la commission mixte paritaire.

À titre d'exemple, les rapporteurs pour le Sénat avaient proposé de mieux cibler le champ de l'article 14 interdisant le recours aux remises, rabais et ristournes , la différenciation des conditions générales et particulières de vente et la remise d'unités gratuites lors de la vente de produits phytopharmaceutiques.

Alors que cette mesure ne repose sur aucune étude d'impact , ce que le Conseil d'État regrettait déjà dans l'avis rendu sur le projet de loi en janvier 2018, l'argument des partisans de la disposition n'a jamais varié : une mesure analogue mise en place pour les médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques aurait conduit au recul observé de la consommation de ces produits.

Or, l'ensemble des professionnels auditionnés par votre rapporteure ont rappelé que la baisse de la consommation des antibiotiques vétérinaires était visible dès 2006, soit bien avant la mise en place de l'interdiction des remises, rabais et ristournes, et sont convenus qu'elle s'inscrivait dans une dynamique plus profonde de réforme des modalités d'élevage en France, portée par les éleveurs eux-mêmes et non imposée d'en haut par l'État. En outre, il était loin d'être évident que la simple transposition d'une mesure d'un domaine à un autre produirait les mêmes effets, à supposer qu'un lien de causalité puisse être établi.

À défaut d'avoir obtenu du Gouvernement des éléments permettant d'en évaluer l'impact, votre rapporteure avait donc recommandé, en première lecture, la suppression d'une mesure dont le seul effet certain serait d'occasionner une hausse des charges pour les agriculteurs , alors même que ce projet de loi visait à augmenter leur revenu.

Pour les mêmes motifs, le Sénat avait également supprimé, en première lecture, l' article 14 bis interdisant les mêmes pratiques commerciales sur les produits biocides.

Bien qu'aucun élément nouveau n'ait été apporté entre temps pour éclairer la représentation nationale sur les effets de ces dispositions , les rapporteurs pour le Sénat avaient malgré tout proposé en commission mixte paritaire, en vue de la recherche d'un compromis, de rétablir l'esprit de la mesure en la ciblant sur les seules remises, rabais et ristournes assises sur les quantités de ventes .

En revanche, si le nombre de points de livraison était optimisé, si l'acheteur proposait des formations aux utilisateurs ou si les conditions de stockage étaient améliorées, ces pratiques commerciales auraient été maintenues.

En substituant une logique qualitative à une logique quantitative , la rédaction proposée par vos rapporteurs avait le mérite d'inciter les acheteurs en place à « monter en gamme » tout en supprimant les pratiques commerciales incitant à l'achat. Elle n'a malheureusement pu être discutée en commission mixte paritaire.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a finalement rétabli sa rédaction initiale des articles 14 et 14 bis , soit l'interdiction pure et simple de tous remises, rabais et ristournes sur les produits phytopharmaceutiques et les produits biocides.

2. La seule proposition du Sénat ayant pu être évoquée a pourtant été reprise dans le texte final pour mieux délimiter le champ de l'ordonnance sur les coopératives

Étonnamment, la seule proposition que les rapporteurs pour le Sénat sont parvenus à présenter en commission mixte paritaire, malgré les remontrances répétées du président de la commission mixte paritaire, a été reprise, presque mot pour mot, par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Elle consiste à mieux définir le champ de l'habilitation à légiférer par ordonnances prévue à l' article 8 pour modifier le régime des coopératives agricoles .

En première lecture, le Sénat avait estimé à la quasi-unanimité que la rédaction proposée, excessivement large, revenait à signer un « chèque en blanc » au Gouvernement , lui permettant de détricoter le modèle coopératif agricole sans contrôle du Parlement autre qu'une simple association, promise par le ministre en séance, des parlementaires à la rédaction de l'ordonnance. Sur la proposition de votre rapporteur, le Sénat avait donc restreint le champ de l'habilitation demandée par le Gouvernement aux seuls éléments précis dont il disposait alors, à savoir la réforme du Haut Conseil de la coopération agricole et la révision des modalités d'intervention du médiateur de la coopération agricole.

En commission mixte paritaire, les rapporteurs pour le Sénat ont proposé une rédaction de compromis circonscrivant précisément la réforme de la partie législative du code rural relative aux coopératives aux seules annonces faites par le Gouvernement à ce stade, soit :

- le renforcement de la lisibilité et la transparence des informations contenues dans les documents transmis aux associés coopérateurs ;

- l'amélioration de la lisibilité et la transparence des modalités de détermination du prix et de la répartition des résultats de la coopérative au travers de l'élaboration des documents appropriés ;

- la mise en place d'une meilleure coordination temporelle entre le contrat d'apport et le bulletin d'adhésion ;

- l'établissement d'une proportionnalité entre les indemnités financières induites par le départ anticipé d'un associé coopérateur et le préjudice subi à la suite de ce départ par les autres associés coopérateurs.

En nouvelle lecture, le rapporteur de l'Assemblée nationale a donc repris cette proposition de rédaction d'origine sénatoriale, en précisant que les indemnités financières en cas de départ anticipé devraient prendre en compte « le cas où le départ est motivé par une modification du mode de production », par cohérence avec la rédaction retenue à l'article 1 er en nouvelle lecture par les députés sur le volet « coopératives ».

Votre rapporteur rappelle simplement que la loi d'avenir pour l'agriculture 5 ( * ) avait déjà modifié le cadre existant pour répondre aux mêmes objectifs et que la parution de ses derniers textes d'application ne date que de la fin d'année 2017. Il est par conséquent difficile d'en faire le bilan.

Même si les arguments de fond évoqués au Sénat en première lecture pour s'opposer à cette habilitation demeurent valables, votre rapporteur se félicite malgré tout, sur la forme, de la meilleure délimitation du champ de l'ordonnance , qui permettra tant aux coopératives d'être rassurées sur l'ampleur de la réforme qu'aux parlementaires de ne pas se voir priver d'un débat de fond sur l'avenir d'acteurs essentiels à la survie des territoires ruraux.

II. UN REFUS CATÉGORIQUE DE REPRENDRE LES PRINCIPALES AVANCÉES PERMISES EN PREMIÈRE LECTURE AU SÉNAT : C'ÉTAIT LE TEXTE DE L'ASSEMBLÉE OU RIEN

Alors que le Sénat recherchait des compromis favorables au monde agricole, l'intransigeance dont ont fait preuve le Gouvernement et sa majorité parlementaire s'est déclinée de diverses manières : refus des avancées substantielles adoptées par le Sénat, fermeture à toute position médiane, rétablissement par principe du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, y compris lorsque le dispositif retenu pose d'indéniables difficultés juridiques, sur le fond ou sur le plan du respect de la procédure parlementaire.

En d'autres termes, c'était le texte de l'Assemblée nationale, tout le texte de l'Assemblée nationale et rien que le texte de l'Assemblée nationale .

Or, si le caractère inégalitaire du bicamérisme de la V e République et l'existence du fait majoritaire n'ont bien entendu pas échappé à vos rapporteurs, l'examen de ce projet de loi marque à leurs yeux, comme du reste celui d'autres textes depuis le début de la présente législature, une dégradation inédite de la considération portée par la chambre basse aux travaux de la chambre haute .

Tout se passe comme si, désormais, la navette parlementaire ne fonctionnait plus que dans un sens, les sénateurs n'ayant plus qu'à se conformer au texte nécessairement sans faille adopté par leurs collègues députés . Combiné à l'accélération souhaitée de la procédure législative, une telle attitude, si elle devait perdurer, ne manquerait pas de nuire gravement à la qualité de la loi.

A. UNE POSITION DE PRINCIPE : LE REFUS DE PLUSIEURS AVANCÉES SUBSTANTIELLES ADOPTÉES AU SÉNAT

1. Une opposition très regrettable à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques

L'exemple le plus flagrant est à trouver dans le refus de créer , à l' article 14 sexies A , un fonds d'indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques , proposé par Mme Nicole Bonnefoy et les membres du groupe socialiste et républicain et adopté à l'unanimité au Sénat.

Le dispositif proposé reprenait l'essentiel de la proposition de loi de Mme Bonnefoy adoptée au Sénat le 1 er février 2018 qui appelait à la création d'un fonds d'indemnisation spécifique pour aider à la prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Le fonds était abondé par une fraction de la taxe prévue à l'article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime sur les produits phytopharmaceutiques, laquelle repose sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé sur lesdits produits par les fabricants.

Dans un souci de compromis et de recherche de la plus large majorité politique possible, ce dont doit se féliciter le Sénat, l'auteure de la proposition de loi, en collaboration avec votre rapporteure, avait proposé de recentrer l'objet du fonds sur les seules victimes de maladies professionnelles liées à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques , ce qui devait effectivement aboutir à l'adoption unanime de l'article en séance publique.

Bien que cette mesure soit à l'évidence très attendue des agriculteurs , qui sont les premières cibles de ces produits, et des victimes , représentées notamment par l'association Phyto-Victimes, et qu'elle dépasse les clivages partisans, le Gouvernement en a proposé la suppression en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, au seul motif que le fonds n'incluait que les maladies professionnelles.

Quelques mois plus tôt seulement, à l'occasion du débat sur la proposition de loi, la ministre des solidarités et de la santé avait précisément justifié l'opposition du Gouvernement par l'argument inverse, considérant alors que l'inclusion des maladies non professionnelles n'était pas souhaitable dans la mesure où « le champ des indemnisations s'étendrait aux victimes environnementales, et ce de façon difficilement contrôlable » .

En lieu et place du fonds, les députés ont finalement adopté une simple demande de rapport sur « le financement et les modalités de la création, avant le 1 er janvier 2020 » de ce fonds , à présenter dans un délai de six mois.

Ce faisant, votre rapporteure observe que le Gouvernement recourt à la même manoeuvre dilatoire que son prédécesseur : juste après le dépôt de la proposition de loi, ce dernier diligentait une mission commune de l'Inspection générale des finances (IGF), du Conseil général de l`alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Or, cette mission a déjà rendu son rapport en janvier 2018, qui conclut justement à la pertinence de la création d'un tel fonds compte tenu des difficultés pour les victimes d'établir un lien de causalité entre leur maladie et l'usage des produits phytopharmaceutiques. Le rapport concluait ainsi : « Devant cette difficulté de démonstration du lien de causalité pour un nombre de victimes important, l'amélioration du régime accidents du travail-maladies professionnelles par extension du périmètre des maladies prises en charge pour le rendre cohérent avec l'évolution des connaissances scientifiques pourrait être une option possible. La création d'un fonds d'indemnisation pourrait également être envisagée, en complément des évolutions du régime AT-MP ». L'article adopté au Sénat revenait à mettre en place cette recommandation.

En recourant à une tactique de « l'ancien monde » avec lequel ils affirmaient avoir rompu - demander un énième rapport pour enterrer un sujet -, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ne sont pas à la hauteur de l'urgence induite par la souffrance des victimes des produits phytopharmaceutiques, au premier rang desquelles les agriculteurs, qui n'autorise plus aucune tergiversation .

Sauf à rejeter une bonne idée simplement parce qu'elle viendrait du Sénat, il est temps d'agir, surtout lorsque les uns et les autres sont très prompts à saluer, dans le même temps, une récente décision de la justice américaine favorable aux victimes.

2. Un refus sans argument de fond des principales avancées proposées au Sénat pour renforcer l'équilibre des relations commerciales

Outre la création du fonds d'indemnisation, d'autres avancées essentielles attendues par les acteurs ont été balayées d'un revers de main par les députés de la majorité .

Constatant la faible applicabilité de la clause de renégociation des prix des contrats entre un agriculteur, un industriel et un distributeur compte tenu du rapport de force asymétrique régentant le contrat, le Sénat avait prévu, sur proposition de votre rapporteur, la mise en place, pour certains produits très spécifiques, d'une clause de révision des prix à l' article 6 .

Cette clause tendait à répondre à un phénomène connu dans l'agroalimentaire : la hausse de la matière première sur les marchés agricoles sans effet sur le prix de vente. Le prix de la coquillette est ainsi resté stable sur dix ans à environ 0,75 euro alors même que le cours du blé dur, ingrédient représentant près de 60 % des pâtes, augmentait dans le même temps de plus de 50 %. Il en a résulté une perte de rentabilité majeure de nos industries aboutissant à un chiffre effarant : le nombre de fabricants de pâtes alimentaires en France est passé de 200 à 7 en cinquante ans. Notre pays est devenu importateur net dans ce secteur, et c'est un drame pour nos territoires.

La clause reposait sur un mécanisme simple. Pour les produits composés à plus de 50 % d'un produit agricole dont le cours est reflété par un indice public, c'est-à-dire les produits les plus sensibles à la conjoncture, la clause de renégociation se transformait en clause de révision automatique du prix si le prix du produit agricole dépassait un seuil défini par décret. La hausse du prix de la matière première modifiait ainsi directement le prix de vente du produit fini. Ce mécanisme fonctionnait à la hausse, à des fins de protection des industries agroalimentaires, mais aussi à la baisse une fois que la clause avait été déclenchée. Ainsi, si le cours de la matière première retrouvait son niveau initial après une forte hausse, le prix du produit fini était automatiquement révisé à la baisse. L'article assurait donc un équilibre entre la sauvegarde de nos industries et la protection des intérêts des consommateurs.

En nouvelle lecture et sur proposition du rapporteur, les députés ont rejeté le mécanisme au motif qu'il risquait de durcir les négociations . Votre rapporteur fait remarquer que, par construction , tout mécanisme de protection des producteurs ou des transformateurs est de nature à durcir les négociations 6 ( * ) . Il observe, surtout, que le périmètre du dispositif adopté au Sénat était très encadré. Un tel instrument constitue une garantie supplémentaire, et directement effective , attendue par le secteur agroalimentaire.

À l' article 9 , le Sénat avait également considéré qu'il n'y avait pas lieu de déposséder le Parlement du droit de relever le seuil de revente à perte ou d'encadrer les promotions en autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Il avait ainsi inscrit directement ces mesures dans le projet de loi en maintenant le principe d'une expérimentation de deux ans et de l'augmentation de 10 % du seuil de revente à perte ainsi que l'objectif d'un encadrement des promotions à 34 % en valeur et 25 % en volume annuel, conformément aux annonces effectuées au sortir des EGA.

En nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'y est opposé, arguant de raisons d'ordre purement technique - qu'il eût été pourtant facile de prendre en compte en amendant la rédaction du Sénat - et de la nécessité de mettre en place une concertation sur le contenu de l'ordonnance - alors que le texte est prêt et que rien n'empêchait donc de l'inscrire directement dans la loi...

Au surplus, le rétablissement de l'habilitation supprime un apport essentiel du Sénat qui visait à l'établissement d'un rapport avant l'expiration de l'expérimentation sur les effets de ces mesures , notamment sur les revenus des agriculteurs, tant le risque de captation de la rente par les distributeurs existe.

Le Sénat avait enfin considérablement enrichi les articles relatifs à la modification du code de commerce figurant dans le projet de loi, dans le but de rééquilibrer réellement les relations industriels/distributeurs .

Le Sénat a considéré que renforcer les protections accordées dans la loi française alors même que l'essentiel des négociations se déroulent au sein de centrales d'achat internationales était inutile si les mesures du code de commerce n'étaient pas pleinement applicables à ces conventions particulières de plus en plus fréquentes. C'est pourquoi il avait inséré un article 10 bis A prévoyant que les dispositions relatives à la convention unique et aux pratiques restrictives de concurrence prohibées définies dans le code de commerce s'appliqueraient également aux négociations internationales et aux contrats conclus à l'étranger. Il avait, pour ce faire, précisé que les dispositions les plus protectrices du titre IV du livre IV du code de commerce devaient être considérées comme des lois de police au sens du droit européen 7 ( * ) .

Cette mesure, adoptée au Sénat, permettait de lutter efficacement contre ce phénomène de contournement du droit français qui ne vise qu'à accroître encore la force des distributeurs dans les négociations avec leurs fournisseurs.

Les députés ont pourtant supprimé cette disposition essentielle en nouvelle lecture, à l'invitation du Gouvernement, au seul motif que le « ministre de l'économie a déjà réussi à obtenir la condamnation d'entreprises étrangères, dès lors que la des pratiques illicites avaient été commises en France ». Votre rapporteur ne résiste pas à la tentation de rappeler que nombre de pratiques très contestables n'ont de facto pas été sanctionnées par le ministre chargé de l'économie et que, partant, l'inscription dans la loi de l'article 10 bis A constituait une réelle avancée en faveur de la protection des producteurs et industriels.

De même, l' article 10 bis AA , introduit au Sénat, entendait interdire le recours à des clauses de pénalités pour retard de livraison sans prise en compte des contraintes d'approvisionnement liées à la qualité et à l'origine de certaines productions. Concrètement, l'article protégeait les producteurs des pénalités de retard de livraison qui ne prendraient pas en considération les contraintes d'approvisionnement, liées au cahier des charges et aux aléas de production, de certains produits, notamment ceux sous signe officiel d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO).

Là encore, le Gouvernement a reconnu les difficultés soulevées par cette pratique mais, en toute incohérence, a préféré supprimer la mesure et repousser le débat en s'engageant à saisir la Commission d'examen des pratiques commerciales, laissant ainsi les producteurs de produits de qualité sans solution pour quelque temps encore.

B. UN RETOUR QUASI SYSTÉMATIQUE AU TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE

Dans de très nombreux cas, les députés de la majorité sont revenus à leur texte initial, le plus souvent sans le moindre effort de justification.

Ainsi, sur le volet alimentaire :

- l'article 11 bis AB introduit au Sénat pour inclure le « rythme alimentaire » dans les domaines d'action du programme national pour l'alimentation (PNA) a été supprimé ;

- les articles 11 quater A et 11 quater B , ajoutés au Sénat et relatifs respectivement à la saisine parlementaire de l' Anses ainsi qu'à la coordination de son action avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments, ont été supprimés ;

- l'article 11 quater relatif à l'information et à la consultation des usagers de la restauration scolaire sur la qualité des repas servis, que le Sénat avait supprimé pour en réintroduire le principe à l'article 11, a été rétabli dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée en première lecture, maintenant ainsi une incohérence entre les publics cibles de ces deux articles ( cf. infra ) ;

- alors que le Sénat avait renforcé l'encadrement du recours à la dénomination « équitable » des produits prévue par l' article 11 nonies en visant l'ensemble des critères définis par la loi, l'Assemblée nationale a rétabli le texte issu de ses travaux en première lecture qui n'en vise que certains, sans plus d'explications ;

- à l'article 11 duodecies A , les députés ont rétabli la présence de parlementaires au Conseil national de l'alimentation (CNA) que le Sénat avait supprimé au motif que l'objectif d'information de la représentation nationale sur les travaux du CNA pouvait être atteint par d'autres moyens et que le Sénat cherche à réduire le nombre des organismes extraparlementaires au strict nécessaire ;

- l'article 11 octodecies , que le Sénat avait supprimé au motif qu'il alourdissait les obligations de reporting extra-financier des grandes entreprises , a été rétabli par les députés ;

- de même, le Sénat avait supprimé l'article 11 vicies élargissant la composition des comités nationaux de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) à des représentants d'associations environnementales, considérant notamment que la gouvernance de l'Inao est déjà suffisamment complexe (plus d'une cinquantaine de personnes par comité national). Les députés ont rétabli cette disposition ;

- l'article 11 tervicies introduit par le Sénat et destiné à renforcer le contrôle administratif des ventes au déballage , a été supprimé ;

- enfin, l' article 12 bis AA introduit par le Sénat pour prévoir la mise en place par les gestionnaires de services de restauration collective, avant septembre 2020, d'un plan d'action pour lutter contre le gaspillage alimentaire , a été supprimé par les députés au motif qu'il sera intégré dans l'ordonnance relative au gaspillage alimentaire prévue à l'article 15.

En matière de bien-être animal , le Sénat, adhérant à la philosophie générale du texte adopté en première lecture à l'Assemblée et recherchant l'apaisement sur des sujets très passionnels, n'avait que très peu modifié les dispositions du projet de loi.

Malgré tout, les députés sont revenus sur la totalité des quelques apports du Sénat :

- à l' article 13 bis A a été rétablie l'interdiction de tout réaménagement d'un bâtiment existant d' élevage de poules pondeuses en cage , que le Sénat avait supprimée pour s'assurer que les réaménagements ou réparations mineurs, le cas échéant bénéfiques aux animaux eux-mêmes, resteraient possibles ; le ministre ayant depuis confirmé dans un courrier à la filière que le décret d'application exclurait bien ces cas, un tel rétablissement ne pose plus de difficultés ;

- les députés ont par ailleurs rétabli l' article 13 bis relatif à la remise d'un rapport sur les effets des plans de filière en matière de bien-être animal dans la rédaction issue de leurs travaux en première lecture, que le Sénat avait seulement modifiée sur la forme par souci d'intelligibilité ;

- enfin, l'évaluation des conséquences de l'expérimentation d' abattoirs mobiles sur le réseau d'abattoirs existant a été supprimée au motif qu'elle serait « une contrainte supplémentaire à la mise en place de l'expérimentation » ( article 13 quinquies ).

Tout en reconnaissant que le lien avec le texte était très indirect, votre rapporteure regrette sur le fond la suppression de l'article 15 quater qui aurait permis aux agriculteurs de bénéficier d'un droit de priorité dans les cas d'acquisition d'une parcelle boisée contigüe à leur exploitation.

Enfin, l' article 16 CA que le Sénat avait introduit pour affirmer la possibilité de valorisation des résidus de transformation agricole à des fins non alimentaires a été supprimé par les députés au motif que cette valorisation est déjà possible sans cette disposition. Votre rapporteure en convient mais appelle le Gouvernement à favoriser la valorisation de la mélasse de betterave ou des amidons résiduels en biocarburants.

Même sur des articles sans enjeu majeur, tels que les demandes de rapport, les députés ont, sauf rares exceptions, maintenu ou rétabli les demandes de rapport introduites par l'Assemblée nationale et supprimé celles dont le Sénat avait été à l'initiative :

- le rapport portant sur la pérennisation des aides et dispositifs spécifiques à l' agriculture de montagne ( article 10 sexies ) a été réintroduit dans le texte en nouvelle lecture par les députés ;

- le rapport sur les impacts de la fin des quotas betteraviers dans l'Union européenne supprimé par le Sénat a été rétabli à l' article 10 octies en nouvelle lecture par les députés ;

- à l' article 10 nonies , le rapport annuel proposé par le Sénat sur l'évaluation des engagements de la France dans le cadre européen sur les finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation a été supprimé en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Le caractère régulier de ce rapport aurait pourtant permis d'améliorer le contrôle de l'action européenne du Gouvernement par le Parlement ;

- le rapport sur le classement en « zone intermédiaire piémont » des territoires des communes sortant de la carte des zones défavorisées simples à l' article 10 undecies a également été supprimé ;

- le rapport sur la définition de la déforestation importée prévu à l' article 11 quaterdecies , supprimé par le Sénat car doublonnant avec la stratégie nationale de lutte contre la déforestation nationale mise en consultation publique par le Gouvernement en juillet, a pourtant été rétabli en nouvelle lecture.

Un autre exemple archétypal du refus de tout apport, même mineur, est à trouver dans les modifications apportées en nouvelle lecture à l' article 14 nonies qui complète les missions des chambres d'agriculture pour mentionner explicitement la nécessaire contribution de ces organismes à la réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Le Sénat avait simplement précisé que les chambres ne devaient pas se contenter de promouvoir la réduction de l'usage de tels produits mais bien de promouvoir « des solutions » tendant à la réduction de l'utilisation de ces produits, les associant ainsi à une véritable démarche active.

Malgré son caractère limité, les députés ont refusé cette modification, sans plus de justification que celle consistant à vouloir « rétablir l'article 14 nonies dans sa rédaction issue du vote de l'Assemblée nationale en première lecture ».

Cette attitude caricaturale prêterait à sourire si elle n'excluait pas, dans le lot, des sujets majeurs pour la profession agricole.

C'est le cas notamment de la nécessaire prise en compte des particularités des départements et régions d'outre-mer , l'Assemblée nationale supprimant à la fois le rapport demandé par le Sénat sur la pérennisation des aides et dispositifs spécifiques à l'agriculture dans ces territoires ( article 10 septies A ) et la prise en compte de ces particularités dans l'élaboration des normes agricoles qui leur sont applicables, que le Sénat avait introduit dans le code rural et de la pêche maritime (article 15 quinquies ).

C. LE RÉTABLISSEMENT OU L'AJOUT DE DISPOSITIONS DONT LA CONSTITUTIONNALITÉ N'EST PAS ÉTABLIE

1. L'atteinte au principe d'égalité
a) Les sanctions spécifiques aux entreprises du secteur agroalimentaire ne déposant pas leurs comptes

En nouvelle lecture, les députés ont rétabli la rédaction issue de leurs travaux de première lecture de l' article 5 quinquies en lui adjoignant un apport du Sénat, à savoir la possibilité pour l'OFPM de publier par voie électronique, s'il l'estime nécessaire, la liste des établissements refusant de lui communiquer les données nécessaires à l'exercice de ses missions. La transmission se faisant sur une base volontaire, la publication ne saurait être automatique, au risque que cette mesure se révèle contreproductive au détriment de la qualité des travaux de l'observatoire.

La rédaction de l'article résultant de la nouvelle lecture des députés reprend en grande partie le sixième alinéa de l'actuel article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime tel qu'issu de la loi dite « Sapin 2 ».

Cet alinéa établit, si le président de l'OFPM en saisit le président du tribunal de commerce, une sanction pour les entreprises transformant ou commercialisant des produits agricoles qui n'ont pas procédé au dépôt de leurs comptes dans les conditions prévues par le code de commerce. Le président du tribunal de commerce peut alors adresser une injonction à le faire sous astreinte, dont le montant ne peut excéder 2 % du chiffre d'affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par jour de retard.

Constatant que l'intervention du président de l'OFPM était inutile - l'OFPM n'ayant pas besoin des comptes sociaux mais de données issues de la comptabilité analytique transmises de manière volontaire par les entreprises du secteur agroalimentaire -, les auteurs de l'amendement initial à l'Assemblée nationale avaient procédé à la suppression de cette étape inutile et confié la faculté au président du tribunal de commerce de s'autosaisir de ce défaut de dépôt des comptes. Puis les débats à l'Assemblée nationale en première lecture avaient étendu le champ d'application de l'article aux sociétés distribuant des produits agricoles et alimentaires.

Or, comme le Sénat l'avait fait valoir en première lecture pour justifier sa suppression, le dispositif revient à répéter les pouvoirs déjà existants du président du tribunal de commerce.

En cas de non dépôt des comptes annuels, ce dernier dispose déjà d'un pouvoir général d'injonction applicable à toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d'activité.

Aux termes de l'article L. 123-5-1 du code de commerce, le président du tribunal de commerce, saisi par tout intéressé ou par le ministère public, peut enjoindre sous astreinte toute société au dépôt de ses comptes en statuant en référé. L'astreinte n'est alors pas plafonnée.

Aux termes de l'article L. 611-2 du code de commerce, il peut même se saisir d'office de ce non dépôt des comptes. Le greffier, lorsqu'il constate l'inexécution du dépôt, informe le président du tribunal de commerce pour qu'il puisse s'autosaisir et faire usage de son pouvoir d'injonction sous astreinte.

En nouvelle lecture, les députés ont pourtant repris l'esprit de leur dispositif, en l'intégrant cette fois au sein d'un nouvel article du code de commerce et en rappelant le pouvoir d'alerte du greffier.

Par volonté d'affichage , l'article prévoit spécifiquement, pour le secteur agroalimentaire, que le montant de l'astreinte prononcée par le président du tribunal de commerce en cas de non dépôt des comptes sera plafonné à 2 % du chiffre d'affaires journalier hors taxes, alors que le code de commerce ne vise pas le même objectif de sanction pour les autres secteurs. Or, si une entreprise automobile ne dépose pas ses comptes, il apparaît difficilement justifiable qu'elle soit moins sanctionnée qu'une entreprise agroalimentaire au seul motif qu'elle fabriquerait des véhicules et non des denrées alimentaires.

La disposition se heurte ainsi manifestement au principe d'égalité qui impose de traiter de la même manière des personnes placées dans une même situation .

C'était d'ailleurs la position qu'avait exprimé le Gouvernement lors de l'examen d'un amendement identique au projet de loi pour un État au service d'une société de confiance : « un risque d'inconstitutionnalité est à craindre, sur le fondement de la rupture de l'égalité devant la loi , puisque votre amendement tend à créer pour les seules sociétés transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits une obligation plus rigoureuse que pour les autres sociétés commerciales soumises à l'obligation de dépôt de comptes ».

Le Sénat avait dès lors proposé un régime différent en prévoyant des sanctions accrues pour toutes les entreprises qui ne procéderaient pas au dépôt de leurs comptes de « manière répétée », quel que soit leur secteur d'activité. Dans la mesure où ces cas concernaient historiquement quelques entreprises agroalimentaires, le dispositif retenu permettait de contourner les difficultés juridiques potentielles tout en répondant à la nécessité d'une sanction exemplaire pour les entreprises habituées à ne pas déposer leurs comptes.

b) L'expérimentation de l'épandage dans des zones agricoles dangereuses réservée aux utilisateurs de certains produits

L' article 14 sexies met en place une expérimentation de l'épandage de produits phytopharmaceutiques par des drones sur des terrains agricoles présentant des pentes supérieures à 30%, c'est-à-dire sur les zones de culture les plus dangereuses.

La rédaction retenue n'ouvre cette expérimentation qu' aux seuls produits « autorisés en agriculture biologique » ou aux exploitations « faisant l'objet d'une certification du plus haut niveau d'exigence environnementale mentionnée à l'article L. 611-6 » du code rural et de la pêche maritime. Elle n'est donc réservée qu'à certains utilisateurs ou à des certaines exploitations en fonction de critères environnementaux.

Or, la dérogation à l'interdiction générale d'épandage aérien de produits phytopharmaceutiques se justifie avant tout par la dangerosité pour les agriculteurs d'une pulvérisation manuelle ou mécanique sur des surfaces agricoles très pentues . Chaque année, en effet, de nombreux agriculteurs sont victimes d'accidents compte tenu de ces conditions particulières.

C'est d'ailleurs ce que précise l'exposé des motifs de l'amendement à l'origine de l'article : « L'interdiction de la pulvérisation aérienne prévue par l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est problématique dans certains territoires (vignobles en forte pente, bananeraies, rizières, parcelles agricoles peu accessibles, etc.), au regard notamment du risque élevé pour les opérateurs en cas de traitement par voie terrestre (risque physique d'accident lié à la pente, risque chimique lié à l'exposition aux produits ou encore traitements terrestres rendus impossible en raison d'une portance des sols insuffisante. »

C'est pourquoi le Sénat avait considéré, sur proposition de votre rapporteure, que cette dérogation devrait s'appliquer à tous les agriculteurs et visait tous les produits et toutes les exploitations .

Le ministre chargé de l'agriculture s'était du reste rangé à cette position en séance publique, au Sénat, le 2 juillet dernier : « Je privilégie la version qui a été retenue par la commission des affaires économiques du Sénat. Nous souhaitons en effet que cette expérimentation soit riche de tous les enseignements et permette l'utilisation de tous les produits dûment autorisés. L'objectif est la sécurité de l'utilisateur, quel que soit le produit. ».

Quinze jours plus tard, il devait pourtant changé complètement d'avis devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, déclarant : « Je souhaite que nous revenions au texte voté en première lecture à l'Assemblée. »

La rédaction actuelle revient à protéger les seuls agriculteurs utilisant des produits autorisés dans l'agriculture biologique ou travaillant dans des exploitations à haute valeur environnementale . Les autres agriculteurs exerçant sur les mêmes pentes demeureront quant à eux exposés au risque d'un accident grave, sans possibilité de recours aux nouvelles technologies.

En traitant différemment des personnes pourtant placées dans une même situation de danger sans motif d'intérêt général en rapport avec l'objectif poursuivi - améliorer la sécurité des agriculteurs -, cet article apparaît manifestement contraire au principe d'égalité devant la loi .

2. L'atteinte à la liberté d'entreprendre
a) L'interdiction de produire en France des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non autorisées au niveau européen

L' article 14 septies a été enrichi, en nouvelle lecture, d'un IV, interdisant, à compter du 1 er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées dans l'Union européenne « pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement ».

La mesure revient à interdire l'exportation de certains produits fabriqués mais non utilisables en France et menace, à court terme, plusieurs centaines d'emplois dans différentes usines françaises.

Elle pose tant des problèmes de fond que de forme.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître d'un cas similaire en 2015 concernant l'export de plastique français contenant du bisphénol A 8 ( * ) .

L'article 1 er de la loi du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol, tel qu'adopté au terme de la navette parlementaire, interdisait « la fabrication, l'importation, l'exportation et le miser sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout conditionnement, contenant ou ustensile comportant du bisphénol A  et destiné à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires pour les nourrissons et enfants en bas âge. »

Dans la mesure où la commercialisation de tels produits est autorisée dans de nombreux pays et, qu'ainsi, « la suspension de la fabrication et de l'exportation de ces produits sur le territoire de la République ou à partir de ce territoire est sans effet sur la commercialisation de ces produits dans les produits étrangers », le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur avait « apporté à la liberté d'entreprendre des restrictions qui ne sont pas en lien avec l'objectif poursuivi » et a, par conséquent, censuré les interdictions portant sur la « fabrication » et « l'exportation ».

Les mêmes arguments peuvent être opposés ici.

Sur la forme, la disposition a été introduite en nouvelle lecture à l'article 14 septies après avoir été refusée en première lecture tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Elle méconnaît donc la règle de l'entonnoir découlant de l'article 45 de la Constitution puisqu'elle n'est pas en relation directe avec une disposition restant en discussion.

b) L'interdiction des ustensiles en plastique non compostables ou constitués de matières biosourcées

À l'article 11 ter , les députés ont considérablement étendu , en nouvelle lecture, la liste des produits en matière plastique dont la mise à disposition est interdite , à compter du 1 er janvier 2020, par le premier alinéa du III de l'article L. 541-10-5 du code de l'environnement.

Introduit par la loi « Transition énergétique » du 17 août 2015 9 ( * ) pour lutter contre les produits en plastique à usage unique 10 ( * ) , l'article L. 541-10-5 ne vise aujourd'hui que les « gobelets, verres et assiettes jetables de cuisine pour la table en matière plastique », à l'exclusion de « ceux compostables en compostage domestique et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées ».

D'abord complétée, en première lecture au Sénat, par les « pailles et bâtonnets mélangeurs pour boissons », la liste a ensuite été élargie , en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, au motif de lutter « contre le plastique jetable » 11 ( * ) , à toute une série d'ustensiles en plastique, certains à usage unique - couverts, piques à steak, couvercles à verre jetables - mais d'autres à usage multiple, en contradiction avec l'objectif affiché : plateaux-repas, pots à glace, saladiers et boîtes .

Outre l'examen de leur recevabilité sur le plan de la procédure parlementaire ( cf. infra ), la constitutionnalité de tels ajouts peut être questionnée :

- d'une part, au regard du respect de l'objectif de valeur constitutionnel de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, à raison de l'imprécision de la formulation retenue pour décrire certains des produits visés : par saladiers et boîtes, faut-il entendre tout contenant plastique, muni ou non d'un dispositif de fermeture, si oui étanche ? Une bouteille en plastique ne peut-elle être considérée comme une boîte ? Faut-il distinguer parmi les contenants selon leur dimension, leur composition ou le nombre moyen d'utilisations possibles ? etc. ; de même, l'articulation de cette disposition avec une autre interdiction figurant au même article 11 ter et portant sur les contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe et de service en matière plastique dans certains services de restauration collective, effective à une date différente, n'est pas évidente ;

- d'autre part, à raison de l'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ou de l'absence de lien avec l'objectif poursuivi :

• la disproportion de l'atteinte ne doit-elle pas s'apprécier, aussi, au regard du délai particulièrement court dont disposeront les industriels pour s'adapter ou fermer leurs usines, de même que les utilisateurs de ces produits (restauration commerciale et collective, livraison de repas, distribution alimentaire et non alimentaire, etc.) pour modifier leur organisation et renouveler leurs matériels - quinze mois au mieux si l'on retient comme point de départ l'adoption par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, le 14 septembre 2018, et même moins si l'on considère la date de promulgation de la loi 12 ( * ) - ?

• l'objectif étant de lutter contre le plastique jetable, les produits à usage multiple ne devraient-ils pas en être exclus ?

3. L'adoption de cavaliers législatifs méconnaissant l'article 45 de la Constitution
a) L'absence de lien même indirect avec le texte initial de dispositions adoptées en première lecture

Dès avant la nouvelle lecture , et comme vos rapporteurs l'avaient souligné dans leur rapport de première lecture 13 ( * ) , les députés avaient méconnu l'article 45 de la Constitution en adoptant, en première lecture, bon nombre de dispositions sans lien, même indirect, avec le texte initial 14 ( * ) - permettant au passage au Gouvernement, lorsqu'il en était à l'initiative, de s'affranchir d'un certain nombre d'obligations ou de consultations exigées pour les dispositions du texte initial (étude d'impact, examen par le Conseil d'État ou consultations obligatoires diverses).

Il en était ainsi, en particulier, de :

- l'ensemble du titre II bis consacré, selon son intitulé, à des « mesures de simplification dans le domaine agricole » mais composé alors de dispositions relatives à l'énergie (articles 16 A et 16 C) ou aux déchets (article 16 B) ;

- de l' article 11 unvicies relatif à la dimension agroalimentaire de la politique de développement ;

- de l' article 14 bis restreignant l'utilisation des produits biocides qui ne sont pas utilisés à des fins agricoles . Ils permettent par exemple de désinfecter les surfaces ou l'eau portable, de prévenir le développement microbien ou de lutter contre les rongeurs ou les moustiques ;

- de l' article 15 ter permettant l' entreposage de produits consigné s, à défaut de local commercial du détenteur des produits, dans un local désigné par des agents habilités .

Il est à cet égard regrettable que l'Assemblée nationale ne fasse pas preuve de la même rigueur que le Sénat en matière de contrôle des irrecevabilités , au titre de l'article 45 ou d'autres dispositions constitutionnelles. Cette divergence « jurisprudentielle » apparaît d'autant plus dommageable lorsque, saisi d'un texte après l'Assemblée nationale, le Sénat n'a parfois pas d'autre choix, pour préserver son droit d'amendement, que d'amender des dispositions qu'il devrait pourtant supprimer à raison de leur irrecevabilité, mais dont il est probable qu'à défaut, les députés les rétabliraient sans modification dans la suite de la navette.

b) L'absence de relation directe avec une disposition restant en discussion au stade de la nouvelle lecture

En nouvelle lecture, plusieurs dispositions ont à nouveau méconnu l'article 45 de la Constitution et la règle dite « de l'entonnoir » qui en découle, cette dernière exigeant qu'après la première lecture, seules les dispositions nouvelles en relation directe avec des dispositions restant en discussion soient recevables.

La règle de l'entonnoir

Cette règle, qui résulte de l'article 45 de la Constitution peut être définie de la manière suivante : « Devant chaque chambre, le débat se restreint, au fur et à mesure des lectures successives d'un texte, sur les points de désaccord, tandis que ceux des articles adoptés en termes identiques sont exclus de la navette » 15 ( * ) .

Elle conduit le Conseil constitutionnel à considérer « qu'il ressort également de l'économie de l'article 45 de la Constitution (...) que (...) les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ; que, toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle » 16 ( * ) .

Les cahiers du Conseil constitutionnel éclairent la décision précitée en soulignant que « les amendements tardifs (...) conduisent à encombrer les textes législatifs de dispositions défectueuses qui, faute de temps, ne peuvent ni être dûment examinées par le Parlement, ni, par conséquent, être corrigées » 17 ( * ) .

Outre que l'introduction de ces dispositions atteste, lorsqu'elles émanent du Gouvernement, de l'impréparation d'un texte initial qu'il retouche ou complète tout au long de la navette, elle nuit plus généralement à la qualité des débats parlementaires comme à celle de la loi .

• À l' article 11 relatif à l'approvisionnement de la restauration collective publique, l'obligation de proposer au moins un menu végétarien par semaine dans la restauration scolaire a été adoptée en nouvelle lecture alors qu'elle avait été rejetée en première lecture, à l'Assemblée nationale comme au Sénat sous des formes très diverses, et qu'elle ne figurait donc dans aucun des deux textes adoptés en première lecture : dès lors, l'absence de relation directe avec une disposition restant en discussion aurait dû être constatée, et son irrecevabilité prononcée.

• Aux articles 11 ter et 11 septies A , l'existence d'une relation directe pour certaines dispositions nouvelles n'est pas attestée :

- dans le premier cas, le fait que les députés aient, en nouvelle lecture, considérablement élargi la liste des produits visés par rapport au texte alors en discussion - de l'interdiction ponctuelle de produits à usage unique à l'interdiction généralisée de tous les ustensiles en plastique - n'excède-t-il pas le champ de la relation directe ?

- dans le second cas, les députés ont à l'inverse profité du support d'un dispositif très général d'« affichage environnemental des denrées alimentaires », qui figurait dans le texte de l'Assemblée nationale mais avait été supprimé au Sénat, pour introduire une obligation limitée à la seule mention de la provenance du naissain sur l'étiquetage des huîtres , dont l'Assemblée nationale n'avait jamais discuté et que le Sénat avait rejetée.

• Sur proposition du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement modifiant radicalement le champ de l'article 14 septies , initialement circonscrit à la seule interdiction des substances actives ayant des modes d'action identiques aux néonicotinoïdes , pour traiter de la question des zones d'interdiction de traitements à base de produits phytopharmaceutiques à proximité de toutes les habitations (dites « zones de non traitement ») .

Par l'ajout d'un nouveau III modifiant l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime 18 ( * ) , l'utilisation des produits phytopharmaceutiques 19 ( * ) à proximité des habitations devient subordonnée à la formalisation d'une charte d'engagements obligatoire prise après concertation des résidents concernés et matérialisant des mesures de protection spécifiques à l'échelon départemental, dont nécessairement des techniques et des matériels d'application adaptés au contexte.

En l'absence de telles chartes, l'autorité administrative pourra restreindre ou interdire l'utilisation de ces produits dans les zones à proximité des habitations.

Sans même aborder les débats de fond sur ce sujet 20 ( * ) , votre rapporteure dénonce la forme retenue par le Gouvernement pour faire adopter cette modification du code rural.

D'une part, un tel sujet mérite un véritable débat de fond éclairé , appuyé sur une étude d'impact détaillée de la mesure. À l'opposé, l'insertion par voie d'amendement en nouvelle lecture pose de réelles interrogations sur l'intérêt porté par le Gouvernement à la qualité du débat parlementaire.

D'autre part, cet amendement adopté en nouvelle lecture s'apparente à une disposition nouvelle sans relation directe avec une disposition restant en discussion et méconnaît donc la règle de l'entonnoir .

Votre rapporteure rappelle du reste, qu'en première lecture devant l'Assemblée nationale, le Gouvernement avait proposé un amendement tout à fait différent puisqu'il donnait simplement à l'autorité administrative, à l'article L. 253-7, un nouveau pouvoir de police spéciale d'interdiction d'utiliser des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones à proximité des habitations si la décision était prise « dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement ». Face au scepticisme des députés, même issus de la majorité, le Gouvernement avait retiré son amendement qui ne figurait pas, par conséquent, dans le texte transmis au Sénat, pas plus qu'une quelconque référence au débat sur les « zones de non traitement ».

En séance publique au Sénat, le Gouvernement avait ensuite proposé un amendement qui, cette fois, incitait au recours obligatoires à des « chartes de bonne conduite » entre agriculteurs et riverains. Aucun pouvoir coercitif n'était prévu en cas d'absence de mise en oeuvre de telles chartes 21 ( * ) . L'amendement ne prévoyait pas, non plus, d'étendre les pouvoirs de l'autorité administrative pour interdire l'utilisation de ces produits dans des zones déterminées. Le Sénat avait rejeté cet amendement , comme tous les autres sur le même sujet, qui n'avait donc été adopté en première lecture par aucune des deux assemblées.

4. L'adoption de nombreuses dispositions dont le caractère normatif est loin d'être avéré

Dans de nombreux cas, il semble que l'Assemblée nationale et le Gouvernement considèrent la loi comme un simple outil de communication ou d'affichage, dénué d'effets juridiques et dont le seul but serait d'envoyer des « signaux » à destination, dans les cas d'espèce présentés ci-après, des élus locaux - pour les inciter à communiquer sur les menus servis dans leurs cantines -, des consommateurs - pour améliorer prétendument l'information sur leurs achats alimentaires en ligne -, des viticulteurs - pour les rassurer à peu de frais face à des pratiques commerciales trompeuses - ou des partisans de l'agroécologie ou de l'agriculture de groupe - en multipliant les références à ces termes dans le code rural et de la pêche maritime.

Or, comme le rappelle Bernard Matthieu, professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne Paris I et directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel : « Non seulement, la loi doit relever de la contrainte et non de l'invitation, mais ce degré de contrainte ne doit pas être laissé dans l'indétermination. C'est l'existence d'une telle charge normative qui conditionne la constitutionnalité de la loi, sans qu'il soit nécessaire de se référer directement à telle ou telle conception théorique de la normativité » 22 ( * ) .

• En nouvelle lecture, les députés ont ainsi rétabli l' article 11 bis A qui entend autoriser, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, les collectivités territoriales qui le souhaitent à rendre obligatoire l'affichage de la composition des menus dans leurs services de restauration collective.

Cet article avait été supprimé par le Sénat non par opposition sur le fond mais à raison de son absence totale de normativité : en effet, les collectivités territoriales peuvent d'ores et déjà décider d'un tel affichage sans qu'il faille qu'elles « le demandent », que « l'État [les y] autorise » et sans qu'il soit besoin de prévoir une expérimentation législative en la matière, puisqu'il n'est dérogé à aucune dispositions législative ou réglementaire. Le dispositif ainsi adopté n'a donc aucun effet juridique , sauf à imaginer que le renvoi prévu par l'article à un texte réglementaire pour son application viendrait contraindre les collectivités sur la façon dont elles entendent exercer cette compétence. Au surplus, on notera qu'à la demande du Gouvernement, les députés ont supprimé la transmission au Parlement d'un rapport pour évaluer les résultats de l'expérimentation à son issue.

• De la même façon, les députés ont rétabli l'article 11 septies relatif à l' information des consommateurs sur les denrées alimentaires vendues en ligne . Si la rédaction retenue diffère du texte transmis en première lecture, sa portée normative est toujours aussi nulle, l'article se contentant de renvoyer explicitement au droit existant : « le professionnel communique au consommateur, en application de l'article L. 221-5 [du code de la consommation], les informations exigées par le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ».

La seule précision apportée, qui ne relève sans doute pas du domaine de la loi, a trait aux modalités de cette communication : l'information pourra figurer sur le support de vente à distance ou être communiquée sans frais par tout autre moyen approprié.

L'absence d'effet juridique de ces dispositions aura par ailleurs certainement justifié la suppression de l'exception prévue en première lecture pour en écarter l'application aux plateformes en ligne de livraison de repas par coursier...

• Autre rétablissement voté par l'Assemblée nationale : celui de l'article 11 nonies A censé renforcer l' obligation d'affichage du pays d'origine sur l'étiquette des vins . Si l'objectif de protection de nos terroirs et de notre savoir-faire viticole est bien entendu louable et partagé par vos rapporteurs, le Sénat n'avait là encore supprimé les précisions envisagées que parce qu'elles sont déjà totalement satisfaites par le droit existant 23 ( * ) , l'enjeu étant bien davantage de contrôler et de sanctionner les pratiques commerciales abusives rencontrées sur le terrain que de changer le droit.

Ainsi l'article, qui ne comporte du reste aucune sanction nouvelle , se borne-t-il à rappeler que la provenance du vin doit figurer « en évidence » sur l'étiquette et à préciser que le fait d'« induire en erreur le consommateur [...] est notamment apprécié au regard du nom et de l'imagerie utilisés sur le contenant », formulation dont la normativité ne saute pas aux yeux. On notera enfin que dans la version adoptée par les députés en commission, la disposition ne s'appliquait qu'aux seuls « vins embouteillés en France », malfaçon heureusement corrigée ensuite par un amendement du Gouvernement voté en séance.

• En prévoyant que la certification environnementale « concourt de façon majeure à la valorisation de la démarche agroécologique », l'article 11 duodecies est, à l'évidence, dénué de toute portée normative, raison pour laquelle le Sénat l'avait supprimé. Les députés l'ont néanmoins rétabli.

• De même, l' article 10 quinquies procède à une définition de « l'agriculture de groupe » fort peu normative. La rédaction, légèrement modifiée en nouvelle lecture pour restreindre les collectifs aux seules « personnes morales » poursuivant un but d'utilité sociale ou d'intérêt général, n'y change au fond pas grand chose.

• On signalera aussi le cas de l' article 5 ter , rétabli en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, pour préciser à l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime que les groupements constitués par des organisations de producteurs (OP) ou des associations d'organisations de producteurs (AOP) peuvent faire partie des organisations interprofessionnelles .

Juridiquement, cette précision est inutile puisque de tels organismes entrent déjà dans la définition des « organisations professionnelles représentant la production agricole », déjà habilitées par l'article L. 632-1, à être membre des interprofessions. Ainsi, l'adjonction de la mention « y compris les groupements constitués par des organisations de producteurs ou des associations d'organisations de producteurs » n'apporte aucune précision nouvelle et son caractère normatif est donc contestable. Au reste, en pratique, certaines OP et AOP sont d'ailleurs déjà membres des interprofessions, notamment dans les filières viande et fruits et légumes frais.

• Un dernier exemple, certes anecdotique, apparaît pourtant symptomatique de la dérive dénoncée ici, consistant à privilégier la communication sur la rigueur juridique : à l' article 11 decies relatif à la composition des mélanges de miels, les députés ont jugé bon de préciser que « tous » les pays d'origine sont indiqués sur l'étiquette, là où l'article défini « les » obligeait déjà à l'exhaustivité...

III. DANS CE CONTEXTE INSTITUTIONNEL INÉDIT, QUELQUES POINTS D'ACCORD SE SONT MALGRÉ TOUT DÉGAGÉS, LE PLUS SOUVENT À L'INITIATIVE DU SÉNAT

A. EN PREMIÈRE LECTURE, LE SÉNAT A ADOPTÉ 28 ARTICLES CONFORMES, SOIT PLUS D'UN TIERS DU TEXTE TRANSMIS

En première lecture, le Sénat a fait la preuve de son ouverture en adoptant 28 articles conformes, soit plus du tiers du texte qui lui avait été transmis :

- l' article 10 bis qui assure une coordination pour assurer la mise en oeuvre du régime dérogatoire au dispositif de prix abusivement bas en outre-mer ;

- l' article 10 quater A instaurant une procédure de bilan concurrentiel opérée par l'Autorité de la concurrence sur les accords d'achat ou de référencement entre distributeurs ;

- l' article 10 quater qui impose la publication systématique des mesures de sanctions contre les pratiques commerciales trompeuses et agressives ;

- l' article 11 bis permettant à la restauration collective de faire état de la mention « fait maison » ;

- l' article 11 septies B demandant au Gouvernement la remise d'un rapport sur la définition de la durée de vie d'un produit alimentaire et la répartition des durées afférentes à cette durée de vie ;

- l' article 11 octies autorisant l'affinage en dehors de la ferme des fromages fermiers sous réserve que le consommateur en soit informé sur l'étiquette ;

- l' article 11 nonies B ajoutant la promotion des produits n'ayant pas contribué à la déforestation importée à la liste des objectifs de la politique conduite dans le domaine de la qualité et de l'origine des produits agricoles forestiers ou alimentaires et des produits de la mer ;

- l' article 11 nonies C relatif à la clarification des obligations des conditionneurs de vins sous indication géographique protégée ;

- l' article 11 nonies D abrogeant la loi de 1957 protégeant l'appellation « Clairette de Die » ;

- l' article 11 sexdecies A qui rend obligatoire une accréditation ou la participation à un processus d'essais de comparaison inter-laboratoires pour les laboratoires réalisant des analyses d'autocontrôles dans le secteur alimentaire ;

- l' article 11 septdecies qui recentre la mission de l'Observatoire de l'alimentation sur le seul suivi global de la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire ;

- l' article 11 unvicies A permettant au Gouvernement d'externaliser à des opérateurs privés la collecte et le traitement des données et informations d'ordre épidémiologique concernant les dangers sanitaires ;

- l' article 11 unvicies B qui prévoit la remise d'un rapport au Parlement récapitulant département par département les aides du premier pilier de la PAC versées en 2017 ;

- l' article 11 unvicies intégrant une dimension agroalimentaire à la politique de développement ;

- l' article 12 bis qui dispose que les grandes et moyennes surfaces doivent s'assurer de la qualité de leurs dons alimentaires ;

- l' article 12 ter qui introduit la lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire parmi les objectifs des projets alimentaires territoriaux ;

- l' article 12 quater qui ajoute la lutte contre la précarité alimentaire parmi les objectifs du programme national relatif à la nutrition et à la santé ;

- l' article 12 quinquies prévoyant la remise d'un rapport au Parlement sur la gestion du gaspillage alimentaire ;

- l' article 13 qui étend le droit reconnu aux associations de défense et de protection des animaux de se porter partie civile à certaines infractions de maltraitance animale réprimées par le code rural et de la pêche maritime et qui élargit le délit de mauvais traitement au transport et à l'abattage, tout en doublant les sanctions relatives à ce même délit ;

- l' article 13 ter qui généralise à tous les abattoirs, sans considération de taille, l'obligation de désigner un responsable de la protection animale ainsi que le cadre protégeant les lanceurs d'alerte ;

- l' article 13 quater A qui prévoit d'expérimenter sur la base du volontariat la mise en place d'un vidéocontrôle des postes de saignée et de mise à mort des animaux dans les abattoirs ;

- l' article 13 quater qui ajoute la sensibilisation au bien-être animal parmi les missions de l'enseignement et de la formation professionnelles aux métiers agricoles ;

- l' article 14 octies introduisant dans les formations Certiphytos un module de formation à la sobriété des usages des produits phytopharmaceutiques ;

- l' article 14 decies précisant que l'enseignement agricole inclut un volet sur la préservation de la biodiversité et des sols ;

- l' article 14 undecies relatif à l'autorisation de la publicité pour les vaccins vétérinaires auprès des éleveurs ;

- l'article 15 bis qui étend la mission d'éducation des établissements scolaires à la lutte contre le gaspillage alimentaire ;

- l' article 15 ter permettant l' entreposage de produits consignés , à défaut de local commercial du détenteur des produits, dans un local désigné par des agents habilités ;

- l' article 16 B qui exclut les sous-produits animaux et les produits dérivés des règles prévues par le code de l'environnement en matière de prévention et de gestion des déchets.

B. EN NOUVELLE LECTURE, L'ASSEMBLÉE NATIONALE A ADOPTÉ 14 ARTICLES CONFORMES ET CONSERVÉ QUELQUES APPORTS DU SÉNAT DANS DES ARTICLES AMENDÉS

1. 14 articles ont été adoptés ou supprimés conformes

Sur les 93 articles restant en discussion qui lui étaient transmis, l'Assemblée nationale n'a adopté ou supprimé conformes que 14 d'entre eux .

Ont ainsi été adoptés dans les mêmes termes :

- l' article 8 bis relatif à l' affectation des subventions publiques au compte de résultat des coopératives agricoles ;

- l' article 11 quinquies demandant la remise d'un rapport sur l'opportunité d'étendre à la restauration collective purement privée les obligations nouvelles posées par l'article 11, dont le Sénat a élargi l'objet à l'examen des difficultés juridiques, potentiellement constitutionnelles, que le sujet peut faire naître ;

- l' article 11 sexdecies permettant de suspendre la mise sur le marché du dioxyde de titane , dont la rédaction a été revue au Sénat afin d'éviter qu'il ne s'apparente à une injonction faite au Gouvernement ;

- l' article 11 duovicies prévoyant la remise d'un rapport sur les projets alimentaires territoriaux, que le Sénat a complété d'un volet « propositions », qui pourront en particulier comporter un renforcement de l'accompagnement financier de ces dispositifs pour en favoriser le déploiement sur l'ensemble du territoire ;

- l' article 12 portant sur la lutte contre la précarité alimentaire ;

- l' article 14 bis A , introduit au Sénat, qui précise dans le code rural et de la pêche maritime que les agents de la DGCCRF sont habilités à constater les manquements liés à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ;

- l' article 14 ter , qui maintient une évaluation simplifiée de la dangerosité de l'utilisation des substances naturelles à usage biostimulant issues de parties consommables de plantes ;

- l' article 14 quater relatif à l' encadrement de la publicité sur les produits phytopharmaceutiques, où le Sénat a notamment supprimé l'avis préalable de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité ;

- l' article 15 ter A , introduit au Sénat et qui précise, pour éviter toute interprétation extensive, que les agents de la DGCCRF sont bien habilités à effectuer des contrôles sur les denrées alimentaires importées contenant des ingrédients d'origine animale ;

- l' article 17 de coordination d'une disposition à Wallis-et-Futuna ;

- l' article 17 bis , introduit au Sénat pour permettre d'adapter les seuils fixés en matière d'approvisionnement de la restauration collective publique aux spécificités des territoires d'outre-mer .

Les députés ont aussi confirmé la suppression de trois dispositions pourtant introduites par eux en première lecture mais rejetées par le Sénat à raison de leur absence de caractère opérationnel :

• l' article 5 bis , en ce qu'il faisait naître une ambiguïté revenant à restreindre, dans le droit national, les apports de l'arrêt dit « Cartel des Endives » de la Cour de justice de l'Union européenne. En permettant uniquement aux organisations de producteurs commerciales de procéder à des échanges d'informations stratégiques entre producteurs d'une même organisation de producteurs ou d'une même association d'organisation de producteurs, l'article entrait en contradiction avec l'arrêt susmentionné, qui laisse cette possibilité aux organisations de productions non commerciales. Opposé par principe à toute surtransposition , a fortiori lorsque qu'elle se révèle plus restrictive pour les producteurs français, le Sénat avait préféré en rester au cadre actuel régi par la jurisprudence européenne ;

• l' article 10 septies , qui prévoyait la remise d'un rapport à l'objet très original car consistant à demander au Gouvernement de présenter l'ensemble des contournements à venir du projet de loi en cours d'examen, et qui en disait long sur la confiance de la majorité en l'efficacité de ce dernier ;

• enfin, l' article 16 A , qui prévoyait l'instauration d'un tarif préférentiel de rachat de l'électricité renouvelable produite par des agriculteurs dans le cadre de démarches collectives. Un tel dispositif comportait de nombreux défauts , à commencer par son caractère discriminatoire et son incompatibilité avec le droit communautaire qui en aurait empêché la mise en oeuvre. Votre rapporteure avait rappelé que d'autres mécanismes apparaissent plus pertinents pour promouvoir le développement de la production d'énergie renouvelable sur sites agricoles, à l'image de la réfaction tarifaire déjà mise en place pour réduire les coûts de raccordement et qui profite à plein aux agriculteurs, souvent plus éloignés du réseau, ou du droit à l'injection du biogaz dans les réseaux de gaz naturel, instauré par le présent texte et conforté par le Sénat.

2. Certains apports du Sénat ont perduré dans des articles modifiés

Bien qu'ils n'aient pas été adoptés en des termes strictement identiques ou que seule une partie d'entre eux sur tel ou tel article aient été retenue, d'autres apports du Sénat ont perduré dans l'esprit au moins.

On citera, parmi les plus significatifs , la possibilité de saisir le juge pour statuer en la forme des référés en cas d'échec de la médiation (article 4), la défense des productions françaises contre la concurrence déloyale de produits étrangers qui ne respectent pas les mêmes normes (article 11 undecies A) ou l'extension du droit à l'injection du biogaz aux installations situées à proximité d'un réseau mais hors du périmètre d'une concession (article 16 C). Dans le détail :

• Sur le titre I er

Les articles 3, 7 et 10 24 ( * ) n'ont été modifiés en nouvelle lecture que sur le plan rédactionnel et sont donc consensuels entre les deux assemblées.

À l' article 4 relatif au médiateur des relations commerciales agricoles , les députés ont conservé la possibilité offerte à toute partie au litige de saisir, en cas d'échec de la médiation, le président du tribunal compétent pour qu'il statue sur le litige en la forme des référés, telle qu'introduite au Sénat sur proposition de votre rapporteur. Alors que les parties sont aujourd'hui souvent démunies après l'échec d'une médiation, cette procédure permettra de résoudre le litige au fond dans des délais très brefs, tout en préservant l'indépendance du médiateur.

Votre rapporteur se félicite du maintien de cet apport dans le texte mais regrette que les députés aient jugé nécessaire de préciser, en nouvelle lecture, que le juge devra statuer « sur la base des recommandations du médiateur ». Une telle précision est au mieux inutile si elle n'a pour but que de rappeler l'évidence, à savoir que le juge se prononce à la lumière des éléments du dossier, dont font nécessairement partie les recommandations du médiateur ; mais elle est au pire de nature à porter atteinte à l'indépendance du juge et pourrait être contestée comme telle devant le Conseil constitutionnel s'il s'agit par-là d'inviter le juge, sans le dire, à se conformer à la recommandation du médiateur.

L' article 5 , qui actualise les missions des interprofessions dans le code rural et de la pêche maritime n'a été modifié en nouvelle lecture par les députés que pour reprendre la terminologie du droit européen 25 ( * ) .

Par souci de clarification, le Sénat y avait précisé, en première lecture, qu'il était impossible, à l'heure actuelle, de procéder à l'extension d'accords interprofessionnels portant sur les indicateurs, en application de la réglementation européenne.

En nouvelle lecture, les députés ont supprimé cette précision. Cela n'enlève rien à l'applicabilité de l'interdiction prévue par le droit en vigueur. Au détriment, sans doute, de la lisibilité du droit national, le fait de ne pas mentionner explicitement ce point dans la loi permet simplement une souplesse supplémentaire en cas de changement du droit européen à l'avenir.

Si l' article 5 bis A , introduit par le Sénat pour mieux définir l'appréciation par l'administration du caractère abusif des délais de paiement dérogatoires accordés aux organisations vitivinicoles , a été supprimé en nouvelle lecture par les députés, le Gouvernement s'est engagé à traiter le fond du problème en « précisant les contours de l'examen, réalisé par les administrations, des demandes de dérogation des interprofessions [vitivinicoles sur les délais de paiement] en complétant l'instruction technique conjointe des ministères de l'économie et de l'agriculture, travail qui est d'ores et déjà engagé ». Votre rapporteur ne manquera pas de contrôler les avancées de ces travaux.

Enfin, les députés ont finalement maintenu, après l'avoir d'abord supprimée au stade de la commission, la demande de rapport sur l'opportunité de mettre en place une prestation pour services environnementaux afin de valoriser les externalités positives de notre agriculture, telle qu'introduite par le Sénat à l' article 8 bis AA . Une année supplémentaire a cependant été accordée au Gouvernement (du 1 er janvier 2019 au 1 er janvier 2020) pour rendre ce rapport au Parlement. Votre rapporteur s'en félicite tant ce rapport interviendra à un moment clé, en pleine réforme de la PAC.

• Sur la restauration collective

Si le volet dédié à la restauration collective a surtout été l'occasion pour l'Assemblée nationale de rétablir en bloc le texte issu de ses travaux en première lecture, voire de considérablement durcir les obligations faites aux gestionnaires ( cf. infra ), quelques-unes des préoccupations exprimées au Sénat ont été reprises.

À l' article 11 portant sur l'amélioration de la qualité des repas servis dans la restauration collective publique , trois apports du Sénat dont votre rapporteure est à l'origine ont été conservés, bien qu'amendés :

- l'ajout, dans la liste des produits entrant dans le calcul des 50 % de produits de qualité, des produits bénéficiant du logo des régions ultrapériphériques (RUP), ce qui permettra de promouvoir nos productions ultramarines ; les députés ont toutefois réduit la portée de cet ajout en ne visant que les produits respectant des règles « destinées à favoriser la qualité des produits ou la préservation de l'environnement » - règles dont le contenu est inconnu et alors même que les produits labellisés RUP sont déjà soumis à de nombreuses prescriptions ;

- la création, sans frais ni structure nouvelle, d'une instance de concertation régionale pour accompagner la mise en oeuvre de ces dispositions sur le terrain et aider à la structuration des filières locales, en favorisant le dialogue entre toutes les parties prenantes ; à l'initiative du Gouvernement, les députés en ont élargi le périmètre - outre la concertation sur la mise en place de l'article 11, elle sera chargée de la mise en oeuvre du PNA au niveau régional et dénommée « comité régional pour l'alimentation » -, l'ont placée sous la présidence du préfet de région , plutôt que du président du conseil régional, et ont renvoyé sa composition et ses modalités de fonctionnement à un décret ; dans le même objectif d'accompagnement de la réforme, les députés ont aussi prévu que le Gouvernement mette à disposition des gestionnaires, d'ici un an, des « outils d'aide à la décision , à la structuration des filières [...], à la formulation des marchés publics [et] à la formation des personnels concernés » ;

- enfin, comme votre rapporteure l'avait souligné, une harmonisation du périmètre des gestionnaires auxquels s'appliqueront les différentes obligations nouvelles imposées par l'article 11 (objectifs d'approvisionnement de qualité, information des usagers sur l'atteinte de ces objectifs et plan de diversification des protéines) a dû être effectuée : seront bien concernés les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit publics ont la charge, ainsi que les établissements mentionnés à l'article L. 230-5 du code rural et de la pêche maritime ont la charge (établissements scolaires, universitaires, d'accueil de la petite enfance, de santé, sociaux et médico-sociaux et pénitentiaires). On notera simplement que cette harmonisation n'est pas totale puisque l'obligation d'information et de consultation régulière des usagers prévue à l'article 11 quater ne vaudra, elle, que pour les gestionnaires publics et privés des restaurants scolaires, universitaires ou accueillant des enfants de moins de six ans.

À l'article 11 bis AA , les députés ont également retenu le rapport demandé par le Sénat sur proposition de votre rapporteure pour évaluer les conséquences financières de l'article 11 sur les gestionnaires et sur les usagers, en procédant simplement à une modification d'ordre sémantique et en reportant la première échéance de remise du rapport de janvier à septembre 2019 - avec une actualisation maintenue à janvier 2023 pour mesurer les effets de l'article.

• Sur les autres sujets alimentaires

À l'article 11 sexies protégeant l'usage de certaines dénominations associées aux produits d'origine animale , l'Assemblée nationale a conservé les apports adoptés par le Sénat, en particulier sa codification dans le code de la consommation et son extension à la publicité faite autour de ces produits, ajoutée sur proposition de votre rapporteur ; les sanctions applicables en cas de manquement - une contravention de cinquième classe - sont par ailleurs réintroduites dans la loi, plutôt que renvoyées au décret d'application.

À l' article 11 nonies E , les députés ont maintenu les avancées votées par le Sénat pour renforcer l'obligation d'information sur l'origine des vins mis à la vente dans la restauration : extension aux débits de boissons (et non aux seuls restaurateurs), à la consommation sur place ou à emporter et à tous les supports de vente (et pas seulement aux cartes), insertion dans le code de la consommation permettant un contrôle des agents de la DGCCRF. Seule l'extension de ces dispositions aux spiritueux a été supprimée, au motif que leur étiquetage n'est pas encadré par le droit européen et que la mention de leur origine n'est aujourd'hui pas obligatoire.

Le Sénat a également obtenu gain de cause à l' article 11 nonies F introduit par lui pour maintenir et consacrer au niveau législatif le caractère obligatoire de la déclaration de récolte des raisins , dans la mesure où elle permet d'assurer une meilleure traçabilité des vins. Malgré une nouvelle tentative du Gouvernement pour la supprimer à compter de 2022, les députés en ont préservé le principe dans une rédaction plus opérante sur le plan juridique.

À l'initiative de votre rapporteure, le Sénat avait réaffirmé avec force la nécessité de protéger les productions françaises contre la concurrence déloyale de certaines productions étrangères qui, bien que commercialisées en France, ne respectent pas les normes imposées à nos agriculteurs, à la fois en termes de traitements et de modes de production :

- l'article 11 undecies mentionne désormais explicitement, parmi les missions de la politique agricole, l'objectif de « veiller dans tout nouvel accord de libre-échange au respect du principe de réciprocité et à une exigence de conditions de production comparables pour ce qui concerne l'accès au marché » 26 ( * ) ;

- l'article 11 undecies A définit, dans la loi, un principe clair d'interdiction de commercialisation , en France, de denrées alimentaires ou produits agricoles qui ne répondraient au même degré d'exigence, c'est-à-dire aux mêmes normes, que les productions françaises. Il s'agit, par ce biais, d'interpeller le Gouvernement sur la nécessité de renforcer les contrôles en France, voire à l'étranger dans le cadre de clauses idoines prévues dans chaque accord de libre-échange, et de mettre en oeuvre le cas échéant des clauses de sauvegarde pour suspendre l'importation de tel ou tel produit.

Si les députés en ont conservé le principe, ils en ont toutefois restreint la portée en ne visant plus que la seule conformité à la réglementation européenne : cette rédaction prémunira certes la France d'un risque de contentieux européen mais omet l'existence d'une concurrence déloyale au sein même, parfois, de l'Union européenne.

Il faut désormais espérer que le Gouvernement saura tirer parti de ce point d'appui législatif, à la fois dans ses négociations commerciales avec les pays tiers et dans les moyens mobilisés pour en contrôler le respect, sur le terrain.

Enfin, on notera que les députés ont, dans le même temps, supprimé l' article 14 septies A qui demandait un rapport faisant le point sur les produits issus de l'agriculture biologique importés de pays non soumis aux mêmes exigences de normes mais bénéficiant, malgré tout, du label « agriculture biologique ».

Ces reculs réduisent la portée des rédactions adoptées au Sénat.

• Sur le volet sécurité sanitaire

Sur une proposition du Gouvernement répondant aux recommandations formulées dans le rapport d'information du Sénat sur les procédures de retrait et de rappel des produits alimentaires présentant un risque sanitaire 27 ( * ) , le Sénat avait adopté, à l' article 11 sexdecies AA , un dispositif contraignant les producteurs et les distributeurs à tenir un état chiffré des produits retirés et rappelés tout au long de la procédure, qu'ils devront tenir à disposition des agents habilités, sous peine d'encourir des sanctions administratives.

Les députés ont conservé cet apport de nature à renforcer l'efficacité des procédures de retrait et de rappel.

Ils ont en renforcé la portée de l'article en précisant que l'autorité administrative comme les professionnels ordonnant un retrait ou un rappel devront publier immédiatement et déclarer sur un site internet unique leur décision .

• Sur les autres volets des titres II, II bis et III

À l' article 12 bis A , l' obligation d'utilisation dans la vente à emporter de contenants réutilisables ou recyclables ajoutée au Sénat a été maintenue par les députés. Le principe de gratuité de la mise à disposition de doggy bag dans les restaurants , qui n'avait pas été modifié au Sénat, a par ailleurs été supprimé par les députés à l'initiative du Gouvernement ; le choix de faire payer ou non les clients sera donc laissé aux restaurateurs.

Des dispositions des articles 14 quinquies et 15 bis A modifiant le même article du code rural ont été fusionnées en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale pour modifier la composition de l' instance de suivi du plan d'action national sur les produits phytopharmaceutiques .

L' article 14 quater AB , introduit au Sénat, appelait à une autorisation de la commercialisation de mélanges de semences , notamment pour les semences de céréales, une telle commercialisation étant déjà effective pour les semences de plantes fourragères. Depuis l'adoption du texte au Sénat, le Gouvernement a pris un arrêté permettant la commercialisation de mélanges de semences céréalières, rendant superflu l'article que les députés ont donc supprimé en nouvelle lecture.

En première lecture, le Sénat avait largement renforcé le droit à l'injection instauré à l' article 16 C pour les installations de biogaz situées à proximité d'un réseau de gaz naturel : inscription des prévisions d'injection dans les plans décennaux de développement des réseaux, consécration du droit d'accès aux réseaux des producteurs de biogaz, mutualisation des coûts entre les producteurs appelés à se raccorder, réalisation des investissements en fonction de la pertinence technico-économique des investissements et, surtout, extension de ce droit à l'injection aux installations situées à proximité d'un réseau mais hors du périmètre d'une concession . Dans ce dernier cas, il était prévu que la propriété des canalisations ou parties de canalisations situées hors périmètre revienne au gestionnaire de réseau qui les aurait réalisées, avec possibilité de transfert de propriété à la commune traversée en cas de création ultérieure d'un réseau.

À l'exception d'une précision sémantique non retenue 28 ( * ) , l'Assemblée nationale a conservé l'ensemble de ces apports , dont l'extension aux installations implantées en dehors d'une zone de desserte mais en optant simplement pour une autre solution juridique qui préserve le principe de la propriété publique des réseaux : les canalisations hors concessions intègreront le réseau public auquel elles seront raccordées - et seront de ce fait la propriété de la collectivité concédante dudit réseau - sous réserve de l'accord des communes traversées.

Les députés ont également adopté quasi conforme, à une simple modification rédactionnelle près, l' article 16 D introduit par le Sénat pour organiser la sortie du statut de déchet de l'ensemble des matières fertilisantes et supports de culture fabriqués à partir de déchets, comme les digestats des méthaniseurs, à l'exception des boues d'épuration seules ou en mélange avec d'autres matières. Cette sortie du statut de déchet figurait parmi les recommandations des ateliers des États généraux de l'alimentation et du groupe de travail sur la méthanisation.

Enfin, si l'article 16 établissant les dates d'entrée en vigueur des différents dispositifs prévus par la loi a été modifié en nouvelle lecture pour l'adopter aux évolutions adoptées par les députés, il prévoit désormais une souplesse pour certaines filières pour la mise en oeuvre de l'article 1 er . Avant la mise en conformité du contrat type avec le nouveau cadre législatif en vigueur, tous les contrats établis sur la base de ce contrat type interprofessionnel pourront être renouvelés ou prolongés, dans la limite d'une année à compter de la publication de la loi. Cette souplesse avait été suggérée par le Sénat, certes de manière plus ambitieuse, à l'article 1 er , notamment pour la filière vitivinicole.

IV. COMPTE TENU DE L'INTRANSIGEANCE DES DÉPUTÉS, LES DÉSACCORDS DE FOND ENTRE LES DEUX ASSEMBLÉES NE POURRONT ÊTRE LEVÉS EN NOUVELLE LECTURE

A. AU-DELÀ DE LA QUESTION DES INDICATEURS, DES POINTS DE VUE DIFFICILEMENT CONCILIABLES SUR LE TITRE PREMIER

Même si les longs débats sur le titre II ont rencontré un large écho médiatique, ils n'ont pas éclipsé, pour la profession agricole, les échanges capitaux autour de l' article 1 er du projet de loi relatif à la rénovation du cadre contractuel entre les producteurs et leurs acheteurs .

Si la philosophie du dispositif visant à renforcer le poids des producteurs dans leur négociation contractuelle a rassemblé tous les groupes politiques dans les deux assemblées, plusieurs désaccords demeurent sur la rédaction de l'article.

Au-delà bien entendu du désaccord majeur sur la construction des indicateurs ( cf. supra ), plusieurs amendements portés par le rapporteur de l'Assemblée nationale ont considérablement transformé l'esprit de l'article, passant de l'incitation au regroupement entre producteurs à l'accumulation de contraintes pesant sur ces derniers . L'article 1 er s'éloigne ainsi de son objectif initial.

Un amendement adopté en première lecture obligeait par exemple les producteurs membres d'une organisation de producteurs (OP) à lui confier leur mandat de facturation . Pour le Sénat, cette obligation posait une difficulté pratique : elle exposait ces structures à une charge qu'elles ne peuvent pas toutes assumer aujourd'hui, notamment les organisations de producteurs non commerciales.

En nouvelle lecture, les députés ont adopté une rédaction certes différente sur la forme mais très voisine dans l'esprit. L'article 1 er prévoit désormais que les membres d'une organisation de producteurs commerciale auront l'obligation de déléguer à cette structure leur facturation mais que les producteurs pourront se délier de cette obligation en assemblée générale , en prévoyant que cette facturation sera déléguée à un tiers ou à un acheteur.

Tout en notant la souplesse nouvelle ainsi accordée, votre rapporteur regrette toujours cette nouvelle complexité mise à la charge des producteurs qui avaient déjà la liberté de confier leur facturation à leur organisation de producteurs si celle-ci avait la capacité d'absorber cette charge supplémentaire.

Un autre point, à l'apparence anodine, témoigne d' une vraie ligne de fracture entre les députés et les sénateurs sur les sociétés coopératives agricoles .

L'article 1 er , en créant un article L. 631-24-3 au sein du code rural et de la pêche maritime, exonère les sociétés coopératives agricoles de la contractualisation obligatoire à la condition que leur règlement intérieur ou leurs statuts contiennent a minima des dispositions produisant les mêmes effets que les clauses obligatoires devant figurer dans les contrats prévus à l'article L. 631-24. Or, parmi ces clauses figure une clause de « sortie » assouplie pour les producteurs modifiant leur mode de production , avec un délai de préavis et des indemnités réduites.

Cette rédaction, au détour d'un article qui ne traite pas du sujet coopératif, remet fondamentalement en cause tout le statut coopératif qui repose sur un engagement ferme des associés coopérateurs sur une durée d'engagement, le plus souvent de cinq ans. Le Sénat avait donc supprimé la nécessité pour les coopératives de se conformer à cette clause , tout en maintenant l'exigence de se conformer à toutes les autres.

En nouvelle lecture, les députés ont rétabli leur rédaction sur proposition du Gouvernement. Votre rapporteur s'inquiète des conséquences d'une telle décision sur le modèle coopératif et craint en particulier qu'un assouplissement des conditions de sortie des associés-coopérateurs ne mette en péril les modèles économiques des coopératives.

Outre l'article 1 er , d'autres points de désaccord émaillent le titre I er , notamment en raison de :

- la suppression par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture de certaines avancées permises par le Sénat :

o celle de l' article 1 er bis qui offrait une protection supplémentaire aux producteurs de lait dans l'arsenal législatif contre le chantage à la collecte ;

o à l' article 2, celle visant la mise en place de sanctions si un contrat entre un producteur et son acheteur contenait une clause de retard de livraison supérieure à 2 % de la valeur des produits livrés ;

o à l'article 4 , celle portant sur l'information des parties en cas de saisine par le médiateur du ministre de l'économie, qui aurait permis de mettre sous pression les administrations concernées pour qu'elles investiguent réellement les dossiers avant de les transmettre au tribunal compétent ;

- et du rétablissement de certains articles supprimés au Sénat comme :

o l' article 8 bis A qui donne un fondement législatif aux conventions tripartites qui ont pourtant fait preuve de leur efficacité sans qu'il soit nécessaire de rigidifier un cadre justement apprécié pour sa souplesse. Au lieu d'encourager la conclusion de telles conventions, la mesure risque, au contraire, d'y désinciter. Le meilleur exemple est que la rédaction retenue exclut de ce dispositif les associations d'organisations de producteurs ou prévoit une reconnaissance de ces contrats par l'autorité publique via une labellisation ;

o l' article 9 bis lequel interdit l'emploi du terme « gratuit » dans les promotions marketing des produits alimentaires. Le Sénat avait estimé que cette interdiction était purement déclaratoire tant les contournements sont aisés.

B. DES DÉSACCORDS ACCENTUÉS PAR LA NOUVELLE LECTURE SUR LE TITRE II

1. Des contraintes nouvelles qui s'additionnent sur le volet alimentaire

En première lecture, vos rapporteurs avaient déploré que le « volet alimentaire » du projet de loi ait servi de réceptacle aux sujets les plus divers , parfois sans lien avec l'objet du texte et conduisant en tous les cas à oublier l'essentiel : les préoccupations de nos agriculteurs et les réponses à y apporter.

Par souci d'ouverture, le Sénat en avait néanmoins préservé les principales dispositions , à commencer par l'objectif d'atteindre les 20 % de produits biologiques dans la restauration collective publique , malgré les inquiétudes exprimées par les uns et les autres sur le coût pour les collectivités et pour les familles, ou sur la capacité des filières locales à répondre rapidement à ce surcroît de demande. D'autres dispositifs introduits à l'Assemblée nationale, qui permettaient de mieux protéger et promouvoir les productions françaises , avaient été confortés , qu'il s'agisse par exemple de l'information sur l'origine des vins dans la restauration, de l'affichage de l'origine des récoltes sur les mélanges de miel, de l'encadrement du terme « équitable » ou de l'usage des dénominations associées à des productions animales.

Le Sénat avait cependant fait valoir plusieurs objections de fond . Or, non seulement les députés n'en ont-ils tenu aucun compte en nouvelle lecture mais encore ont-ils ajouté de nouveaux désaccords en durcissant leurs positions.

C'est particulièrement vrai en matière de restauration collective .

À l' article 11 , les obligations faites aux gestionnaires ont été triplement aggravées :

- d'abord en limitant, à compter de 2030 , les produits entrant dans le décompte des 50 % de produits de qualité au titre de leur certification environnementale aux seuls produits certifiés « haute valeur environnementale » ; dans le même temps, l'Assemblée nationale a rétabli le tri, selon des critères inconnus à définir par décret, entre ceux des produits bénéficiant d'un signe d'identification de la qualité ou de l'origine (SIQO) ou d'une mention valorisante qui entreront dans les 50 %, et ceux qui en seront exclus ;

- ensuite, en imposant la forme de l'information délivrée aux usagers sur l'atteinte des objectifs , que les gestionnaires devront communiquer par voie d'affichage et par voie électronique ;

- enfin et surtout, en obligeant à proposer , « à titre expérimental », d'ici un an et pour une durée de deux ans avant évaluation, au moins un menu végétarien par semaine, mais en ne visant ici que la restauration scolaire .

Sur ce dernier point, votre rapporteure observe qu' il est singulier de procéder à une expérimentation en la généralisant dès avant son évaluation et rappelle que les cantines qui le souhaitaient pouvaient déjà proposer de tels menus sur une base volontaire.

L'article 11 ter a aussi été l'occasion d' un net durcissement des obligations faites aux gestionnaires de restauration collective :

- c'est d'abord l'interdiction de l'utilisation des bouteilles d'eau plate en plastique en 2020 , supprimée en Sénat, qui a été réintroduite ; elle sera toutefois limitée à la restauration collective scolaire - qui n'en distribue pas dans l'écrasante majorité des cas - et deux exceptions seront faites, l'une pour les communes non desservies en eau potable, l'autre lorsqu'une restriction d'usage de l'eau du robinet à des fins alimentaires est décrétée par le préfet ;

- c'est aussi l'interdiction généralisée, en 2025 et en 2028 dans les collectivités de moins de 2 000 habitants, de l'utilisation de contenants en matière plastique pour la cuisson, la réchauffe et le service dans la restauration scolaire, universitaire ou pour la petite enfance. Alors que le Sénat l'avait remplacée par une évaluation scientifique de l'Anses pour en mesurer les risques réels, l'interdiction ainsi décidée va même beaucoup plus loin que l'expérimentation sur une base uniquement volontaire votée par les députés en première lecture . Votre rapporteure déplore une telle décision, qui n'aura été précédée d' aucune évaluation de la dangerosité réelle des contenants incriminés ou de ceux qui les remplaceront, ni du coût ou de la faisabilité pour les gestionnaires ;

- c'est enfin l'interdiction, dès 2020, des ustensiles en plastique les plus divers , et pas seulement à usage unique - en particulier les boîtes et plateaux-repas.

Cette interdiction touchera non seulement la restauration collective mais aussi la restauration commerciale, les plateformes de livraison de repas ou le portage des repas organisé par les collectivités territoriales, ainsi que la distribution alimentaire ou même non alimentaire s'agissant des contenants plastiques, sans parler des industriels français qui les produisent.

Sur les autres sujets alimentaires , il est en particulier très regrettable qu'alors que l'affichage par ordre d'importance des pays entrant dans la composition des mélanges de miels , introduit au Sénat à l' article 11 decies , avait été maintenu par les députés en commission avec le soutien expresse du rapporteur 29 ( * ) , il ait été supprimé à l'initiative du même rapporteur en séance publique, au seul motif que cela compliquerait le dispositif ; ainsi libellée, la nouvelle disposition n'apportera donc aucune garantie aux consommateurs , qui pourront toujours être abusés sur la part réelle représentée par chaque pays dans les mélanges de miel, mais avec l'illusion d'avoir été correctement éclairés...

À l' article 11 terdecies A , les députés ont aussi rétabli l'obligation de certification environnementale des produits sous SIQO d'ici 2030 supprimée au Sénat. On observera, d'une part, que le niveau de certification visé - 1, 2 ou 3 (dit aussi « haute valeur environnementale (HVE) ») - n'est pas précisé et qu'il pourrait donc s'avérer particulièrement contraignant pour les producteurs, et, d'autre part, qu'il n'y aura plus lieu de faire le tri entre les produits sous SIQO, comme c'est pourtant prévu à l'article 11, dès lors que tous les cahiers des charges intègreront de telles exigences à cet horizon. Enfin, et bien qu'il ne soit pas possible de l'y contraindre par la loi 30 ( * ) , il importera que le Gouvernement tienne son engagement de faire paraître le décret d'application avant le 1 er janvier 2021 afin de donner un temps suffisant aux organismes de défense et de gestion pour adapter leurs cahiers des charges.

En matière de sécurité alimentaire, les députés ont aussi amendé, en nouvelle lecture, l 'article 11 quindecies pour supprimer le recours préalable à une contre-expertise réalisée dans les plus brefs délais avant toute information obligatoire de l'autorité administrative, tel qu'inséré au Sénat, dans les cas où les exploitants alimentaires ont connaissance d'un autocontrôle positif dans leur environnement de production.

Alors que l'esprit de la réglementation européenne est de faire du producteur et de l'industriel le premier responsable de la sécurité de ses produits, la transmission automatique de tout résultat d'autocontrôle positif à l'État reviendra à transférer cette responsabilité vers les autorités administratives, au détriment d'un meilleur contrôle de la sécurité sanitaire alimentaire .

2. Deux conceptions diamétralement opposées de l'agriculture
a) Une stigmatisation des agriculteurs qui n'a qu'un effet certain : la hausse de leurs charges d'exploitation

Avant tout, votre rapporteure rappelle que les agriculteurs n'utilisent pas des produits phytopharmaceutiques de gaieté de coeur ! Ces produits représentent non seulement un coût important mais encore les agriculteurs sont-ils les premières victimes de leur toxicité . En outre, dans un marché de plus en plus sensible à l'utilisation de ces produits, ils ont tout intérêt à en réduire l'usage pour augmenter la valeur de leur production. En pratique, les produits phytopharmaceutiques sont utilisés pour garantir la survie des espèces cultivées, notamment en cas d'apparition de ravageurs ou adventices.

C'est pourquoi toute mesure qui repose sur l'idée qu'une hausse des prix des produits phytopharmaceutiques se traduira mécaniquement par une baisse des utilisations est très hypothétique. Une seule certitude : la hausse des charges sera réelle et directe .

Tout au long de l'examen du texte, le Sénat a alerté sur le déséquilibre d'une loi qui promet une hausse plus qu'incertaine des revenus des agriculteurs, alors qu'elle imposera en réalité dès sa promulgation une hausse directe de leurs charges d'exploitation. Dans un contexte international très compétitif, ces mesures inquiètent à raison la profession.

C'est dans cette optique que le Sénat avait proposé que la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques soit maintenue mais allégée à l' article 15 .

Plutôt qu'une séparation visant tous les types de conseils, au risque de voir disparaître le conseil tout court, les sénateurs avaient choisi de séparer le conseil individuel stratégique de la vente , permettant ainsi à un acteur indépendant d'émerger pour définir une tactique à moyen-terme, adaptée à l'exploitation tout en permettant de réduire l'usage des produits. Cette activité doit en effet, par nature, être séparée de la vente.

Pour permettre l'émergence d'un conseil stratégique réellement efficace et à peu de frais pour les agriculteurs, la rédaction retenue au Sénat préférait un conseil pluriannuel à un conseil annuel, qui aurait eu l'inconvénient d'être plus répétitif que réellement stratégique.

Afin de ne pas déstabiliser le secteur et notamment les coopératives , le Sénat avait enfin acté le principe d'une séparation des structures et des personnes physiques mais n'avaient pas retenu le principe d'une séparation capitalistique , cette mesure étant de toute manière trop facilement contournable.

Cette solution permettait à la fois de conserver le principe d'une séparation entre deux activités parfois antinomiques, de limiter la hausse des charges pour les agriculteurs et de sauvegarder le dispositif des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui paraît en pratique difficilement compatible avec une séparation stricte et capitalistique des activités.

Les députés sont restés sourds aux remarques de bon sens du Sénat pour s'en tenir à la version initiale du texte, engagement présidentiel oblige. Rappelant que la mesure du programme présidentiel était ainsi formulée : « Dès le début du quinquennat, nous séparerons les activités de conseil aux agriculteurs et de vente des pesticides qui peuvent susciter des conflits d'intérêt », votre rapporteure ne voit pas en quoi la proposition sénatoriale la rendait inopérante.

Le risque d'une séparation stricte de toutes les activités de conseil et des activités de vente est celui d' exposer directement les agriculteurs aux multinationales fabriquant des produits phytopharmaceutiques, notamment par les outils numériques, et in fine , de faire disparaître le conseil . Or, aucune trajectoire de réduction des produits phytopharmaceutiques n'est possible sans mettre le conseil aux agriculteurs au coeur du dispositif.

b) Un refus des députés de lutter contre l'accumulation de normes

Cette tendance à ajouter des charges et à compliquer la vie des producteurs trouve sa meilleure démonstration dans la suppression de plusieurs articles adoptés au Sénat pour lutter contre le phénomène d'accumulation de normes pénalisant la compétitivité de l'agriculture française :

- L' article 16 E par exemple, adopté au Sénat, consacrait l'existence du comité de rénovation des normes en agriculture (Corena) en définissant ses missions au sein du code rural et de la pêche maritime. La simplification des normes agricoles et la lutte contre les surtranspositions sont en effet des objectifs prioritaires qui nécessitent un suivi précis par une entité dédiée. Cette consécration législative du Corena aurait du reste permis aux parlementaires d'exercer un contrôle sur les activités de cette entité, d'autant plus nécessaire qu'elle n'avait pas été réunie depuis plus d'un an jusqu'à juillet 2018 ;

- Les députés ont également supprimé l' article 10 decies , introduit au Sénat en première lecture, qui fixait à la politique agricole un objectif de non-surtransposition « au-delà de ce qui est strictement nécessaire ».

- Le même sort a été réservé à l' article 16 F qui demandait au Gouvernement, sur la base des travaux du Corena, d'établir un rapport sur la transposition des normes européennes en matière agricole.

c) Une vision passéiste de l'innovation agricole

Votre rapporteure s'étonne également du décalage entre le discours et les actes de la majorité gouvernementale en matière d'innovation .

Il est ainsi regrettable que l' expérimentation de l'épandage de produits phytopharmaceutiques par des drones, permise par l' article 14 sexies , soit strictement limitée aux terrains agricoles présentant des pentes supérieures à 30 %, c'est-à-dire sur les zones de culture les plus dangereuses ainsi qu'aux seuls utilisateurs de certains produits .

Alors que les drones sont le vecteur le plus prometteur pour réduire considérablement l'usage des produits phytopharmaceutiques, en permettant un ciblage très précis des zones concernées et un dosage approprié, on se prive d'une telle opportunité. Bien que tous les pays du monde s'y convertissent, il semble que perdure, en France, l'image d'Épinal des hélicoptères épandant des quantités astronomiques de produits phytopharmaceutiques sur les champs. C'est à croire que les députés du « nouveau monde » ont du mal à se détacher d' une vision surannée de l'agriculture ... Le pas vers l'agriculture de demain est donc très timide.

d) Le parlementaire n'est pas un expert scientifique

Tout au long des débats, votre rapporteure s'est enfin attachée à rappeler que la loi n'a pas vocation à trancher des querelles scientifiques et que les parlementaires n'ont pas à se substituer aux experts.

Le Sénat avait fait droit à ces arguments en maintenant certes l'interdiction des substances actives ayant des modes d'action identiques aux substances de la famille des néonicotinoïdes, compte tenu de l'interdiction déjà en vigueur de telles substances figurant à l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime depuis 2016, mais en précisant qu'une telle extension des substances interdites devait figurer dans un décret pris après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

En nouvelle lecture, les députés de la majorité ont supprimé cet avis préalable obligatoire des experts , s'érigeant en spécialiste scientifique et remettant en cause, indirectement, la qualité du travail de l'Anses. Votre rapporteure ne peut que le déplorer.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 septembre 2018, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je suis heureuse de vous retrouver à l'occasion de cette rentrée. Je salue notre nouvelle collègue, Sylviane Noël, qui intègre notre commission. En notre nom à tous, je lui souhaite la bienvenue.

Nous sommes réunis pour examiner le rapport conjoint de Michel Raison et Anne-Catherine Loisier sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

M. Michel Raison , rapporteur . - En première lecture, j'avais estimé que ce projet de loi ne changerait pas grand-chose pour nos agriculteurs. Or, je dois bien l'admettre, les travaux de nos collègues députés en nouvelle lecture m'ont fait changer d'avis : ce projet de loi va au contraire peser sur les agriculteurs, en particulier son titre II.

Pourtant, la grande qualité des débats, au Sénat, m'avait permis d'espérer mieux, tant par la sérénité de nos échanges sur des sujets habituellement clivants que par l'équilibre du texte qui en avait résulté. Au sortir de notre assemblée, le projet de loi, malgré ses limites, était indéniablement plus favorable aux agriculteurs qu'en y entrant ; nous avions porté la voix de nos agriculteurs et de nos territoires. Si le message fut bien entendu dans nos campagnes, il n'est pas arrivé jusqu'à la rue de Varenne ou au Palais Bourbon et j'ai parfois même cru à une fusion !

L'échec de la commission mixte paritaire (CMP) fut la première illustration de cette surdité de la majorité gouvernementale. Alors que vos rapporteurs tentaient de présenter des compromis sur les quelques lignes rouges restant en discussion, le rapporteur de l'Assemblée nationale, bien aidé par son président de commission, refusait d'entendre la moindre de nos propositions pour centrer les débats sur un nouveau front créé de toute pièce par la majorité : les modalités d'élaboration des indicateurs.

Je rappelle que les deux assemblées avaient adopté le même alinéa, au mot près, au sein de l'article 1 er modifié. Dans cette rédaction, les interprofessions devaient avoir un rôle d'élaboration et de diffusion des indicateurs ; à défaut d'accord interprofessionnel, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) avait la faculté de proposer ou de valider des indicateurs. Dans ces conditions, aucun indicateur non validé par une interprofession ou l'OFPM n'était envisageable, ce qui avait la vertu de ne pas laisser les parties les plus faibles, c'est-à-dire les producteurs, se voir imposer des indicateurs par leurs acheteurs.

J'étais sceptique sur la pertinence de la solution retenue, en particulier parce que le fait de retenir un indicateur de prix de revient affaiblit automatiquement les producteurs et revient à donner de nouvelles armes au distributeur au cours de la négociation commerciale. Les distributeurs ne sont pas forcément le premier acheteur mais ils auraient pu se servir de ces indicateurs pour peser sur les prix. Je craignais - et je n'étais pas le seul - que l'on aille vers un Smic agricole. À mon sens, il aurait été préférable de fixer des indicateurs concernant les principaux postes de charges par produit. C'est d'ailleurs exactement en ce sens que s'est exprimé le président de l'interprofession des fruits et légumes il y a quelques jours.

Dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, l'intervention de l'Observatoire avait toutefois le mérite de garantir la fiabilité des indicateurs, ce qui avait convaincu l'ensemble des sénateurs de conserver telle quelle la rédaction de l'alinéa. Mais l'attitude du rapporteur de l'Assemblée nationale en CMP devait en décider autrement : en faisant prévaloir son avis sur le vote de sa propre assemblée, en balayant d'un revers de main l'adoption conforme de cette disposition par les deux chambres, bref, en méconnaissant clairement l'esprit de la navette parlementaire et de nos institutions, il a fait le choix de conditionner tout succès de la CMP à un retour sur ce point. Dès lors, l'échec était inévitable. Par un paradoxe sans doute inédit dans la V ème République, une CMP en venait donc à échouer ... sur un point d'accord !

Après cet épisode fâcheux, la majorité est, sans surprise, revenue sur la rédaction adoptée en première lecture. Bien qu'il ait ensuite été modifié en séance, je ne peux résister à l'envie de vous lire le dispositif retenu au stade de la commission par nos collègues députés : « Les organisations interprofessionnelles peuvent élaborer ou diffuser ces indicateurs, qui peuvent servir d'indicateurs de référence. Elles peuvent, le cas échéant, s'appuyer sur l'OFPM ». Doit-on écrire une loi pour dire aux acteurs qu'ils peuvent ?

Comme d'autres l'ont dit avant moi : « quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup ». Derrière la très faible normativité de la formulation, l'objectif du Gouvernement était en effet très clair : en revenir à son texte initial en écartant l'Observatoire. Cet objectif n'a pas varié en séance publique malgré l'adoption d'un nouveau dispositif consistant à rendre obligatoire l'élaboration d'indicateurs par les interprofessions. Mais là encore, il y a un « loup ». D'une part, la rédaction retenue pose de réels problèmes de compatibilité avec le droit européen. D'autre part, elle ne règle rien. Il y a certes une obligation pour les interprofessions, mais aucune sanction. Le risque est donc toujours le même : sans indicateur interprofessionnel, que feront les producteurs ? Seront-ils contraints d'accepter des indicateurs créés de toutes pièces par des acheteurs ultra-concentrés ? La grande distribution nous a confirmé travailler à l'élaboration de ses propres indicateurs... Avec une telle rédaction, il est à craindre que la loi renforce encore le déséquilibre du rapport de force en faveur de l'aval et au détriment de nos agriculteurs. La seule solution, à défaut d'accord interprofessionnel, est le recours à l'Observatoire. C'est la seule garantie fiable et indépendante pour les producteurs de pouvoir s'appuyer sur des indicateurs pertinents et incontestables.

De manière plus insidieuse, le rapporteur de l'Assemblée a même sévi une seconde fois en revenant sur un autre alinéa conforme. Concernant le rôle du médiateur, un amendement a ainsi instauré une procédure de « nommer ou dénoncer ». Le médiateur pourra rendre publiques ses conclusions aux litiges même sans l'accord des parties. Mais le médiateur n'est pas un juge et la médiation exige une forme de discrétion pour que les parties y recourent ; en supprimant toute la confidentialité requise, il existe un risque que les parties renoncent à la médiation.

Au-delà de ces nouveaux sujets de clivage, la majorité gouvernementale s'est montrée fermée à tout dialogue. Elle n'a repris aucun, ou presque, de nos apports substantiels sur le titre 1 er . Le Sénat avait ainsi considéré qu'alors que l'essentiel des négociations se déroulent au sein de centrales d'achat internationales, le fait de renforcer les protections accordées aux producteurs et aux transformateurs dans la loi française était inutile si les mesures du code de commerce n'étaient pas pleinement applicables à ces conventions particulières, de plus en plus fréquentes. C'est pourquoi nous avions adopté un article 10 bis A pour prévoir que les dispositions relatives à la convention unique et aux pratiques restrictives de concurrence prohibées, définies dans le code de commerce, s'appliqueraient aussi aux négociations internationales et aux contrats conclus à l'étranger. Cette mesure de bon sens permettait de lutter efficacement contre le contournement du droit français, qui ne vise qu'à accroître encore la force des distributeurs dans les négociations avec leurs fournisseurs. À l'invitation du Gouvernement, les députés ont pourtant supprimé cette disposition essentielle en nouvelle lecture, au seul motif que le « ministre de l'économie a déjà réussi à obtenir la condamnation d'entreprises étrangères, dès lors que des pratiques illicites avaient été commises en France ». Or, nombre de pratiques très contestables n'ont jamais été sanctionnées par le ministre chargé de l'économie, et il est à craindre qu'elles ne le soient pas plus cette année, alors même que les négociations annuelles s'annoncent particulièrement tendues.

Le Sénat avait également prévu une clause de révision de prix pour les produits les plus exposés à la conjoncture, afin de répondre à un phénomène connu dans l'agroalimentaire : la hausse des cours de la matière première sur les marchés agricoles sans effet sur le prix de vente dans la grande distribution. Le prix de la coquillette est par exemple resté stable depuis dix ans à environ 0,75 euro le kilo alors même que le cours du blé dur, ingrédient représentant près de 60 % des pâtes, augmentait dans le même temps de plus de 50 %. Les industries concernées n'étant plus rentables, elles ont fermé. Le nombre de fabricants de pâtes alimentaires en France est ainsi passé de 200 à 7 en l'espace de cinquante ans. Notre pays est devenu importateur net dans ce secteur, et c'est un drame pour nos territoires et notre industrie.

Or, le dispositif proposé luttait contre ce phénomène en ciblant uniquement les produits composés à plus de 50 % d'un produit agricole sensible à la conjoncture. La clause de renégociation se transformait en clause de révision automatique du prix si le prix du produit agricole dépassait un seuil défini par décret. La hausse du prix de la matière première modifiait ainsi directement le prix de vente du produit fini. Ce mécanisme fonctionnait à la hausse, à des fins de protection des industries agroalimentaires, mais aussi à la baisse une fois que la clause avait été déclenchée. L'article assurait ainsi un équilibre entre la sauvegarde de nos industries et la protection des intérêts des consommateurs.

En nouvelle lecture et sur proposition du rapporteur, certainement conseillé par le Gouvernement, les députés ont rejeté ce mécanisme au motif qu'il risquait de durcir les négociations. Mais à suivre cette logique, il n'aurait pas fallu faire de loi ! Qu'il soit permis de rappeler que, par construction, tout mécanisme de protection des producteurs ou des transformateurs est de nature à durcir les négociations - nous connaissons la grande distribution par coeur. Cette clause était un pari qu'il fallait prendre pour rééquilibrer les relations commerciales. La majorité gouvernementale, qui a sans doute subi quelques pressions, n'a pas osé. Je ne peux que regretter la disparition de cette garantie supplémentaire, et directement effective, attendue par une partie du secteur agroalimentaire.

De même, l'Assemblée nationale a refusé de retenir les dispositifs adoptés au Sénat visant à lutter contre la pratique de pénalités de retard de livraison exorbitantes pratiquées par la grande distribution, pénalisant lourdement les produits sous appellations.

Aucun de ces trois éléments de protection, pourtant essentiels, n'a été retenu à l'Assemblée nationale.

Cette fermeture à toute tentative de compromis s'est enfin illustrée par le rétablissement quasi systématique, à la virgule près, du texte adopté par les députés en première lecture, et ce même sur les articles sans enjeu majeur. Ainsi, toutes les demandes de rapports introduites par l'Assemblée nationale au titre 1 er ont été rétablies, à l'exclusion de l'étonnant rapport sur les contournements possibles du projet de loi, qui en disait pourtant long sur la confiance de la majorité en l'efficacité de ce dernier. Le « nouveau monde » nous étonne parfois...

À l'inverse, les députés ont supprimé toutes nos demandes de rapports, à l'exception du rapport sur la mise en place d'une prestation pour services environnementaux.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a rétabli obstinément l'habilitation à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour relever le seuil de revente à perte et encadrer les promotions. Pourtant, le dispositif d'application directe adopté par le Sénat ne s'éloigne que sur des points très ponctuels du projet d'ordonnance que le Gouvernement a soumis à la consultation. De simples compléments apportés au texte du Sénat par les députés auraient permis d'aboutir à un texte applicable bien plus rapidement qu'une ordonnance. J'imagine qu'une partie de la grande distribution a peut-être, là encore, fait pression sur le Gouvernement. Mais pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ?

Au total, le texte adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale apparaît fort peu en ligne avec les ambitions que le Sénat avait entendues lui conférer en juin, et les désaccords sur le titre I er , encore aggravés par cette nouvelle lecture, sont à la fois nombreux et profonds.

Je signalerai malgré tout la reprise de deux suggestions majeures du Sénat. Sur les coopératives d'abord, les députés ont retenu notre sage proposition, émise lors de la commission mixte paritaire, de restreindre la portée de l'habilitation donnée au Gouvernement pour réformer le cadre coopératif par voie d'ordonnance aux seules mesures annoncées par lui, là où le texte initial revenait à lui signer un chèque en blanc. De même, en cas d'échec de la médiation, les parties aux contrats pourront saisir le juge en la forme des référés, qui tranchera alors le fond du litige dans des délais brefs. C'est une avancée considérable.

Toutefois, et sauf à supposer un improbable changement d'attitude de la majorité sénatoriale, rien n'indique que nous pourrions, par la seule force de nos convictions, faire accepter aux députés d'autres modifications substantielles du texte à l'occasion de cette nouvelle lecture.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Si nous avions pu avoir l'illusion d'une concertation sur ce texte, notamment avec le ministre Travert avec qui les échanges au printemps avaient semblé fructueux, elle s'est évanouie face à la posture de nos collègues députés : c'était le texte de l'Assemblée ou rien. Nous avons même assisté, en CMP, à un revirement sur des points sur lesquels nous étions initialement d'accord. Pourtant, à chaque étape de la discussion parlementaire, nous avons montré notre volonté de conciliation dans l'intérêt des agriculteurs. Or, aucune de nos propositions de compromis ne fut, sinon discutée, ne serait-ce que présentée en commission mixte paritaire... Bref, le débat a tourné court.

L'examen du texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale n'a fait que confirmer cette posture et l'inflexibilité de la majorité gouvernementale. Il ne s'agit pas de feindre d'ignorer le caractère inégalitaire du bicamérisme de la V ème République, qui donne le dernier mot à l'Assemblée, ni même l'existence d'un fait majoritaire, qui contraint le vote des députés. Mais il s'avère que cette nouvelle législature, et ce texte en particulier, marquent une dégradation inédite de la considération portée à nos travaux par nos collègues députés, voire même un rejet par principe de nos propositions. Cette attitude paraît d'autant plus injustifiée que le Sénat avait, au contraire, fait preuve d'une grande ouverture en première lecture sur de nombreux sujets : je pense en particulier aux 20 % de produits bio dans la restauration collective publique. De même avions-nous très peu amendé la partie consacrée au bien-être animal, alors que nombre d'entre nous avions dénoncé, à raison, l'injuste stigmatisation dont nos éleveurs étaient l'objet.

Nous étions aussi parvenus à nous accorder pour faire aboutir, au-delà des clivages partisans, plusieurs dispositions substantielles. Ce fut le cas, notamment, de l'interdiction des importations agricoles ne respectant pas les mêmes normes que celles imposées aux produits français, adoptée à la quasi-unanimité au Sénat et conservée par les députés, bien que réduite au seul respect de la réglementation européenne alors que la concurrence déloyale s'exerce aussi au sein de l'Union. De même, l'extension du « droit à l'injection » aux installations de production de biogaz situées hors d'une zone de desserte figure, elle aussi, toujours dans le texte.

Ces deux exemples sont hélas très isolés puisque, sur les 62 articles de la seconde partie du texte transmis par le Sénat, seuls 10 ont été adoptés ou supprimés conformes par l'Assemblée. Le plus souvent, celle-ci a rétabli son texte de première lecture sans tenir compte de nos remarques, voire a profité de la nouvelle lecture pour durcir ses positions ou aborder de nouveaux points, parfois en violation de notre Constitution.

L'étiquetage de l'origine des miels en cas de mélange (article 11 decies ) est un bel exemple de rétablissement purement dogmatique : en supprimant l'affichage des pays par ordre d'importance, les députés ont vidé l'article de sa substance. Les consommateurs continueront à être abusés, mais avec l'illusion d'être bien informés.

L'article 11 sur l'approvisionnement de la restauration collective a fait l'objet d'un durcissement inattendu et lourd de conséquences. Malgré la reprise de deux de nos apports - l'incorporation des produits labellisés « régions ultrapériphériques » et la création d'une instance de concertation régionale - les obligations faites aux gestionnaires ont été triplement aggravées : d'abord, en limitant, à compter de 2030, les produits éligibles aux 50 % au titre de leur certification environnementale aux seuls produits certifiés « haute valeur environnementale » ; ensuite, en imposant la forme de l'information délivrée aux usagers - les gestionnaires devront communiquer par voie d'affichage et par voie électronique ;enfin et surtout, en obligeant à proposer, d'ici un an et pour une durée de deux ans avant évaluation, au moins un menu végétarien par semaine dans la restauration scolaire. Je rappelle qu'une telle obligation avait été rejetée en première lecture à l'Assemblée nationale comme au Sénat : nous sommes donc là clairement en présence d'une mesure nouvelle théoriquement irrecevable, car sans relation directe avec une disposition restant en discussion.

L'article 11 ter a aussi été l'occasion d'une surenchère d'obligations faites aux gestionnaires de restauration collective avec l'interdiction de l'utilisation des bouteilles d'eau en plastique en 2020, mais aussi avec l'interdiction généralisée, en 2025 et en 2028 dans les collectivités de moins de 2 000 habitants, de l'utilisation de contenants en matière plastique pour la cuisson, la réchauffe et le service dans la restauration scolaire, universitaire ou pour la petite enfance. Cette interdiction va même beaucoup plus loin que l'expérimentation volontaire prévue par les députés en première lecture. Le tout sans aucune évaluation de la dangerosité des contenants incriminés ou de ceux qui les remplaceront, ni du coût ou de la faisabilité pour les gestionnaires publics. J'aurai aussi l'occasion de revenir sur l'interdiction générale prévue au même article, dès 2020, des ustensiles en plastique les plus divers, non seulement dans la restauration collective mais au-delà.

De façon plus anecdotique, l'article 11 septies A est un autre exemple de mesure nouvelle : tout en maintenant la création d'un nouveau chapitre du code rural consacré à l'« affichage environnemental des denrées alimentaires », les députés lui ont donné pour seul contenu l'obligation de mentionner, d'ici 2023, la provenance du naissain des huîtres. Outre le fait que les denrées alimentaires ne se limitent pas aux huîtres, l'Assemblée n'avait pas discuté d'une telle proposition et le Sénat l'avait rejetée.

Sur le volet sécurité sanitaire, il est aussi regrettable que les députés aient refusé la proposition sénatoriale d'une contre-expertise préalable obligatoire en cas d'autocontrôle positif dans l'environnement de production d'un exploitant alimentaire, issue de nos travaux du début d'année avec la commission des affaires sociales sur l'affaire Lactalis. La rédaction retenue par les députés revient à transférer la responsabilité de la sécurité sanitaire des aliments des exploitants à l'État, contrairement à la logique des textes européens.

J'en viens au sujet le plus symptomatique de l'état d'esprit qui règne au sein du groupe majoritaire de l'Assemblée : le refus de créer le fonds d'indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques, tel qu'il avait été proposé par notre collègue Nicole Bonnefoy et adopté à l'unanimité au Sénat. Le Gouvernement en a demandé la suppression aux députés qui l'ont finalement remplacé, sur proposition de leur rapporteur et avec l'avis favorable du Gouvernement, par une simple demande de rapport sur la pertinence du fonds, sachant que le dernier rapport sur cette question a été remis en janvier 2018. Avec beaucoup de cynisme, le Gouvernement et les députés du « nouveau monde » ont choisi d'ignorer ce rapport et semblent également oublier que la justice américaine a condamné il y a peu Monsanto à indemniser une victime de ses produits.

Constatant l'incapacité du Gouvernement à fournir la moindre étude d'impact pour détailler les effets de l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur l'utilisation des produits phytosanitaires, nous n'avions eu d'autre choix que de supprimer l'article. Trois mois plus tard, l'interdiction est confirmée, sans plus d'information ni d'étude d'impact. Est-ce responsable de légiférer ainsi ?

Quant à la séparation du conseil et de la vente, nous l'avions validée mais en la limitant au conseil stratégique et pluriannuel, à la fois pour en réduire la charge pour les agriculteurs et pour ne pas mettre en péril le dispositif des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP). Nous n'avions pas retenu la séparation capitalistique des structures, considérant qu'à trop vouloir réformer le conseil, on prenait le risque de ne plus en avoir du tout, alors qu'il est obligatoire.

Aucune de ces objections n'a été entendue par les députés, qui ont rétabli ces deux articles sans même prendre en compte les rédactions de compromis proposées par le Sénat. La traduction pour les agriculteurs ne fait aucun doute : ce sera une hausse directe de leurs charges, et ce dans une loi censée améliorer leurs revenus !

Les députés continuent par ailleurs à opposer deux agricultures, l'une biologique, l'autre conventionnelle, alors que les deux coexistent et sont complémentaires. En réservant l'expérimentation de l'épandage par drones aux seuls produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d'une exploitation certifiée « haute valeur environnementale », l'article 14 sexies fait le choix de ne protéger qu'une catégorie d'agriculteurs. Les autres, bien qu'exerçant sur les mêmes pentes à plus de 30 %, resteront exposés au risque d'un accident grave, sans possibilité de recourir aux nouvelles technologies. Cette posture idéologique, qui ignore les réalités humaines de notre agriculture, sera très préjudiciable pour les acteurs sur le terrain.

Les députés n'ont pas non plus résisté à la tentation de s'ériger en experts scientifiques sur l'interdiction des substances actives ayant des modes d'action identiques aux néonicotinoïdes, en supprimant l'avis préalable de l'Anses sur la question.

En méconnaissant à nouveau la règle de l'entonnoir, nos collègues ont même ajouté une nouvelle mesure qui, bien que longuement discutée en première lecture, n'avait été adoptée par aucune des deux chambres : l'obligation, pour les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, de signer des chartes d'engagements avec les riverains. À défaut de charte, l'autorité administrative pourra prendre des mesures de restriction ou d'interdiction d'utilisation. Cette mesure coercitive a été prise sans dialogue préalable avec les acteurs de terrain, alors qu'ils sont de plus en plus responsabilisés sur le sujet et que des démarches volontaires existent déjà. Ces chartes seront qui plus est rédigées à l'échelon départemental, qui n'est pas le plus adapté pour prendre en compte les réalités locales.

Enfin, bon nombre de dispositions réintroduites en nouvelle lecture se caractérisent par leur absence totale de normativité, qu'il s'agisse de la possibilité d'expérimenter l'affichage obligatoire des menus dans les cantines gérées par les collectivités (article 11 bis A), de l'information sur les achats alimentaires en ligne (article 11 septies ), de l'affichage du pays d'origine sur l'étiquette des vins (article 11 nonies A) ou d'articles purement déclaratoires sur la démarche agroécologique ou l'agriculture de groupe (articles 11 duodecies et 10 quinquies ). La loi n'est plus un outil juridique mais un instrument de communication.

Plus grave : les députés ont profité de cette nouvelle lecture pour adopter deux mesures dont l'impact industriel risque d'être dévastateur. Ils ont étendu l'interdiction introduite au Sénat, d'ici à 2020, des pailles et bâtonnets mélangeurs pour boissons à toute une série d'ustensiles en plastique : piques à steak, pots à glace, couvercles à verre jetables mais aussi couverts, plateaux-repas, saladiers ou boîtes. S'il faut bien entendu lutter contre la surconsommation de plastique, les implications d'une telle interdiction, dès 2020, seront considérables, à la fois pour les utilisateurs qui devront revoir toute leur organisation - qu'il s'agisse de la restauration collective et commerciale, de la distribution alimentaire ou de la livraison de repas -, pour les consommateurs qui devront d'une façon ou d'une autre la payer, et pour les industriels qui fabriquent ces produits et qui devront réagir très rapidement. Et que dire des collectivités qui auront à financer, dans le même temps, l'amélioration de la qualité des repas et le renouvellement à marche forcée de tout le matériel de leurs cantines ? Le Congrès des maires risque d'être agité ! Or, aucune évaluation des effets de cette interdiction, pas plus que de l'existence de produits de substitution, n'a été faite. Si la Commission européenne a présenté, en mai dernier, une proposition de directive sur le sujet, elle ne vise l'interdiction, en 2021 au mieux, que de certains de ces produits, excluant en particulier les contenants ou les plateaux-repas.

En outre, les députés ont adopté un article interdisant l'exportation de produits phytopharmaceutiques français s'ils contiennent des substances actives interdites au niveau européen. Si l'on peut concevoir l'aspect très moral de cette décision, le fait qu'elle reviendra à fermer des usines françaises ne peut être ignoré.

Au total, cette seconde partie ajoute à l'hypothétique hausse des revenus attendue du titre I er une augmentation, elle bien certaine, des charges d'exploitation et des contraintes pesant sur nos agriculteurs. Le refus de reconnaître, dans la loi, le Comité de rénovation des normes agricoles (Corena), comme le Sénat l'avait proposé, est un signal négatif pour la profession. Ce sera un outil de moins pour lutter contre l'inflation des normes agricoles.

La nouvelle lecture à l'Assemblée aura réussi à alourdir les charges pesant sur nos agriculteurs. Un an après le discours du Président de la République et les espérances qu'il avait fait naître, les agriculteurs voient leur horizon s'obscurcir. Le Sénat ne saurait souscrire à un texte qui stigmatise et n'apporte pas les solutions préconisées lors des États généraux de l'alimentation.

Le bilan de cette nouvelle lecture parle de lui-même : les députés ont rétabli in extenso leur texte, sans même prendre connaissance des amendements adoptés dans notre assemblée ou de nos propositions de compromis. Les points de désaccords se sont même aggravés : ils sont désormais trop profonds pour être levés en quelques jours.

Compte tenu de ces éléments, nous vous proposons de déposer, au nom de notre commission, une question préalable qui dénoncera, sur la forme, l'absence de concertation dans la discussion législative mais marquera surtout, sur le fond, notre rejet du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.

Enfin, il me semble essentiel et nécessaire de prolonger cette question préalable par une saisine du Conseil constitutionnel qui permettra, je l'espère, de nettoyer ce texte d'un certain nombre de dispositions manifestement contraires à notre Constitution. Cette démarche permettra aussi de signifier aux acteurs que nous restons vigilants et mobilisés sur le sujet.

M. Daniel Gremillet . - Le bonheur de nous retrouver est gâché par ce texte qui nous revient de l'Assemblée. Je remercie d'abord nos deux rapporteurs pour le sens qu'ils ont su donner à nos travaux et pour avoir pris en compte les conclusions des États généraux de l'alimentation. Ce texte ne vient pas de nulle part ! Or, la nouvelle lecture à l'Assemblée est apparue totalement déconnectée de cette réflexion : c'est très grave car cela revient à mentir aux paysans, à notre économie et à nos concitoyens. Nous avons là le cocktail complet des mesures par lesquelles la France finira désarmée, à moyen terme, sur le plan de l'alimentation - et cela arrivera bien plus vite qu'on peut l'imaginer. La ferme France et les industries agroalimentaires seront encore plus concurrencées par les autres pays, qu'ils soient européens ou non, du fait des contraintes et des coûts supplémentaires qui figurent dans cette loi. Le Sénat, à l'inverse et de façon unanime, avait voulu faire respecter les normes françaises par tous les produits vendus en France, ce que l'Assemblée n'a pas eu le courage de maintenir.

Et que dire aux mairies qui proposent des portages de repas à domicile ? Qui va payer pour respecter les nouvelles normes ? Pourrait-on chiffrer les multiples coûts et conséquences de cette loi ? Combien d'emplois perdus ? Combien d'importations supplémentaires ? Je suivrai nos rapporteurs sur leur proposition de dépôt d'une question préalable.

M. Joël Labbé . - Je suis moi aussi heureux de vous retrouver et de débattre de façon respectueuse. La question préalable me dérange car nous allons nous priver d'un temps de débat qui aurait permis de nous faire entendre par le monde paysan.

Je partage l'analyse de notre rapporteur sur le titre I er : les agriculteurs ne bénéficieront pas d'une augmentation de leur revenu. Les négociations auraient dû être mieux encadrées car elles sont aujourd'hui déséquilibrées.

Avec mon équipe, nous avons rédigé divers amendements sur le titre II. La question préalable serait une frustration car elle interdirait tout débat, notamment sur le glyphosate. En revanche, je salue l'avancée de l'Assemblée qui a prévu un repas végétarien par semaine dans les cantines, car il est indispensable de diminuer la consommation de viande.

L'amendement sur les huîtres a été voté à l'Assemblée nationale alors que le Gouvernement et la commission y étaient défavorables. Au Sénat, la commission s'en était remise à la sagesse. Je me félicite donc du vote de cette mesure qui n'interviendra cependant qu'en 2023.

J'approuve aussi l'interdiction des rabais et des ristournes et la séparation du conseil de la vente.

Enfin, on ne peut qu'être d'accord avec l'interdiction de l'exportation de pesticides dans les pays tiers : nous n'avons pas le droit moral de vendre dans les pays du sud des produits interdits chez nous !

J'espère donc que la question préalable ne sera pas votée pour que le débat se poursuive, même si je ressens comme vous le mépris dont nous sommes l'objet. J'ajoute que la future révision de la Constitution ne fera que renforcer les pouvoirs de l'exécutif sur le Parlement alors même que lala majorité est d'ores et déjà verrouillée.

M. Laurent Duplomb . - À mon tour de féliciter nos rapporteurs. Lors de la première lecture, notre rapporteur espérait pouvoir changer les choses. Je n'y croyais pas et, hélas, la suite m'a donné raison. La première lecture avait déjà servi de défouloir aux députés de la majorité, sur le plan des contraintes, et ressemblait davantage à une discussion de comptoir qu'à une vraie réflexion pour améliorer le revenu des agriculteurs. La nouvelle lecture ajoute encore des contraintes à une profession qui criait pourtant son désarroi déjà bien longtemps avant les États généraux de l'alimentation et disait son ras-le-bol de travailler plus de soixante-dix heures par semaine sans en récolter les fruits, d'être sans cesse montrés du doigt, traités de pollueurs ou de profiteurs des aides de l'Europe, sans être capables d'évoluer vers un nouveau modèle.

Cette loi accentue les paradoxes dont le nouveau monde de la macronie est coutumier : je pense au déséquilibre de puissance entre les 12 000 fournisseurs et les cinq ou six centrales d'achat qui permet à la grande distribution d'avoir la mainmise totale sur les produits qu'elle vend. Or, la loi en rajoute en refusant le plafonnement des pénalités de retard, ce qui permettra à des pratiques, sinon maffieuses, du moins très irrespectueuses des fournisseurs, de perdurer.

Autre paradoxe : ce texte impose de nouvelles contraintes à nos agriculteurs alors que nos marchés s'ouvrent toujours davantage à une concurrence qui ne respecte ni nos normes, ni nos méthodes de production.

Le ministre d'État, ministre de l'écologie et, si j'ose dire, ministre par intérim de l'agriculture sur ce texte a largement contribué à ce défouloir des contraintes environnementales. Dans cette écologie punitive, on ne cesse de donner des leçons à tout le monde, sans parfois d'ailleurs se les appliquer à soi-même. Mais croyez-vous qu'à vouloir rendre notre pays soi-disant plus vertueux, nos voisins vont suivre notre exemple ? Arrêtons de nier les réalités économiques.

La CMP à laquelle j'ai participé a été un condensé de l'état d'esprit de la macronie : des certitudes, des obstinations et une absence totale d'écoute. Après la grande illusion, la réalité apparaît : le nouveau monde ne comprend rien aux réalités économiques ni aux évolutions du monde : quand demain notre terre comptera 9 milliards d'habitants, la France devra acheter de quoi se nourrir à l'étranger, car son agriculture aura disparu sous le poids de toutes ces contraintes.

M. Franck Montaugé . - Au nom de mon groupe, je tiens à remercier nos rapporteurs pour leur travail.

La nouvelle lecture à l'Assemblée a été à l'image de ce qui s'est passé en CMP : aucune discussion n'a été possible malgré les propositions constructives du Sénat au bénéfice des agriculteurs et des consommateurs. Comme si les bonnes idées ne pouvaient qu'émaner du Gouvernement ou de la majorité de l'Assemblée. Comme s'il fallait démontrer que la Chambre haute est inutile, voire gênante, faisant écho aux déclarations venant parfois du plus haut niveau pour stigmatiser le Sénat - je pense en particulier à une actualité qui fait la une des médias aujourd'hui même. Cette réalité nous incline à comprendre le dépôt de cette question préalable, de même que le fond du texte adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.

Que restera-t-il des États généraux de l'alimentation qui étaient une très bonne idée ? Une loi qui ne règle rien pour les agriculteurs et des plans de filières davantage tournés vers la transformation et l'aval que vers la production. Avec ce texte, nous sommes passés à côté de l'essentiel : la définition de la juste valeur dont doivent bénéficier les producteurs. En outre, le fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques ne sera pas créé et la traçabilité des produits restera insuffisante. Les règles de la relation entre la coopérative et les associés coopérateurs sont toujours renvoyées à des ordonnances même si certaines garanties ont été accordées, de même que la réforme des seuils de revente à perte et la séparation capitalistique de la vente et du conseil.

En première lecture, 15 de nos 140 amendements ont été adoptés par le Sénat. La plupart d'entre eux ont été supprimés par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Ainsi, le Gouvernement ne veut pas reconsidérer la situation dramatique des éleveurs qui sortent des zones défavorisées et perdent l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), alors que celle-ci représentait l'essentiel de leurs revenus. C'est un véritable déni de réalité.

De même, le Gouvernement avait refusé la publication d'un rapport sur la définition et la mise en oeuvre d'une prestation pour service environnemental. Contre son avis, cet amendement a finalement été maintenu dans le texte.

Au bout du compte, il y a pour nous davantage d'arguments qui plaident pour le dépôt d'une question préalable que contre.

Prévue à l'article 44 de notre Règlement, la question préalable se justifie si le texte est inopportun. Tel est bien le cas s'il est question de son contenu puisque la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ne répond pas aux objectifs et aux enjeux initiaux : juste répartition de la valeur, amélioration de la qualité et de la sécurité l'alimentation. En revanche, il est toujours utile que la discussion d'un texte se poursuive, quand bien même il se révèle très décevant et que le rapport de force démocratique et institutionnel nous est très défavorable. C'est pourquoi nous réservons notre vote à la séance de mardi prochain : notre réflexion pourra ainsi se poursuivre.

Mme Cécile Cukierman . - À mon tour, je salue le travail des rapporteurs.

En première lecture, notre groupe a exprimé des désaccords avec le texte issu de l'Assemblée nationale, mais aussi avec certaines positions du Sénat, bien que nos débats aient été riches et respectueux des convictions de chacun.

Il nous semble fondamental de travailler sur la question du prix et sur les relations entre les agriculteurs, la grande distribution et l'industrie agroalimentaire. Nos agriculteurs doivent pouvoir vivre décemment de leur travail et continuer d'entretenir les terres, un enjeu déterminant pour l'aménagement de nos territoires.

Nous en sommes convaincus, c'est en déterminant un juste prix pour l'agriculteur et pour le consommateur que nous progresserons dans notre pays sur la qualité alimentaire, qu'elle soit gustative ou nutritionnelle. Malheureusement, une grande partie de notre population n'a pas aujourd'hui les moyens de satisfaire ses exigences en la matière.

La qualité alimentaire dépend également d'un certain nombre de mesures de protection environnementale. Nous attendons sur ce point d'éventuelles annonces du Gouvernement après le changement de ministre chargé de l'environnement.

S'agissant de la motion tendant à opposer la question préalable, les rapports de force sont connus et la Constitution donne le dernier mot aux députés. Il n'y a pas de volonté de gagner ou de perdre du temps : les enjeux de société soulevés par ce texte concernant tout un chacun, ils reviendront nécessairement en discussion.

Aujourd'hui, combattre la réforme de la Constitution, annoncée avec fracas pour être finalement repoussée - on verra si elle arrive au Sénat à Pâques ou à la Trinité ! -, c'est aussi une volonté de faire respecter le travail des sénateurs.

En l'état, nous nous abstiendrons sur cette motion. Il est temps pour les députés de l'apprendre : le bicamérisme est une réalité dans notre pays, et ils ne peuvent pas ainsi le mépriser.

Mme Sophie Primas , présidente . - Le bicamérisme est une réalité, et l'actualité montre que c'est une chance pour la démocratie de disposer de contre-pouvoirs.

M. Franck Menonville . - Le texte issu de l'Assemblée nationale en première lecture était pour le moins perfectible et nous l'avons amendé dans un esprit de dialogue et de construction collective.

Le texte qui nous revient aujourd'hui est assez décevant.

Nous avions comblé quelques lacunes du titre I er , notamment en renforçant la capacité des agriculteurs à peser dans les négociations pour rééquilibrer les rapports économiques et commerciaux. Ces apports ont été fortement dénaturés et fragilisés par les députés.

Nous ne pouvons que regretter l'échec de la CMP. Les sénateurs présents souhaitaient pourtant trouver un compromis et avaient avancé des propositions très concrètes, notamment sur le titre II.

Certains éléments favorables ont été maintenus dans ce titre II mais il contient aussi des mesures excessives et des dispositions qui, si elles s'apparentent à des gadgets, n'en auront pas moins des conséquences économiques sensibles - je pense notamment aux dispositions portant sur les contenants pour la restauration collective.

Européen convaincu, je suis favorable à une politique agricole européenne entièrement intégrée et je déplore les mesures franco-françaises contenues dans cette loi. L'agriculture française est passée du premier au quatrième rang mondial. Il est temps d'interrompre cette spirale de déclassement et de restaurer la compétitivité de notre agriculture et la lisibilité de nos politiques agricoles.

Enfin, s'agissant de la question préalable, le groupe du RDSE n'est jamais favorable au dépôt d'une telle motion, préférant aller au terme du débat parlementaire. J'en comprends certes les raisons, mais je regrette que nous ne puissions pas réaffirmer collectivement nos positions la semaine prochaine.

Mme Valérie Létard . - Je remercie à mon tour les rapporteurs pour le travail considérable qu'ils ont accompli, et je regrette que celui-ci n'ait pas davantage été pris en considération par les députés.

Certains apports du Sénat constituaient pourtant selon moi de bons points de compromis, conformes à l'intérêt général.

Le bicamérisme doit servir à construire, par étapes successives et dans l'échange des points de vue, une voie de compromis nourrie de la diversité des territoires.

Nous soutenons la motion tendant à opposer la question préalable. Ce n'est pas une façon de se dessaisir, car nombre de sujets importants pourront être questionnés de nouveau à travers la saisine du Conseil constitutionnel.

Nous espérons toutefois que dans les textes et les CMP à venir, la voix du compromis, de la sagesse et de l'écoute des territoires ne sera pas oubliée !

Mme Sophie Primas , présidente . - La CMP sur le projet de loi ELAN, qui se tiendra cet après-midi, devrait se dérouler dans un climat différent et plus conforme à vos souhaits je l'espère.

Par ailleurs, j'accueille favorablement la proposition de Daniel Gremillet visant à suivre les effets de la future loi et j'encourage certains d'entre vous à constituer un groupe de travail à cette fin au sein de notre commission.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Je partage les interrogations de Franck Montaugé : face à cette situation difficile, il n'y a pas forcément de bonne décision.

Nous avons prouvé notre volonté de dialogue, mais n'avons pas été écoutés. Il serait sans doute plus satisfaisant sur le plan intellectuel de revenir sur ces sujets, mais l'issue est d'ores et déjà connue.

Notre devoir d'élus est aussi de faire avancer les sujets. Or, de plus en plus de CMP n'aboutissent pas ; ce n'est pas acceptable et c'est le message fort que nous devons adresser à nos collègues députés.

Je souhaite que le Conseil constitutionnel soit saisi, car certains sujets posent question, notamment ceux qui n'avaient pas été évoqués en première lecture, qu'il s'agisse des menus végétariens ou des zones de non traitement, ou, sur le fond, des restrictions faites à l'utilisation des drones pour l'épandage aérien, qui porte atteinte au principe d'égalité, ou de l'interdiction de fabriquer certains produits pour l'export. Sur ce dernier point, on peut avoir des positions morales différentes mais il existe un précédent, sur le bisphénol A, sur lequel le Constitutionnel a statué.

Avec cette question préalable, il ne s'agit pas de se dessaisir de ces dossiers mais bien de taper du poing sur la table pour que l'on reprenne le chemin d'un travail constructif entre les deux assemblées.

Nous sommes bien évidemment tous très frustrés au regard du travail accompli durant ces derniers mois. Toutefois, plutôt que de renouveler un exercice inutile, nous essayons une autre option pour être entendus.

Enfin, il me semble en effet de notre responsabilité de créer un groupe de travail pour mesurer l'impact des dispositions contenues dans ce texte.

M. Michel Raison , rapporteur . - Sur le fond, ce projet de loi sera inefficace sur les prix. En outre, il n'aborde jamais la question du revenu agricole, qui n'est pas fait que de prix mais résulte de charges et de produits. À aucun moment nous n'avons parlé des charges, ni de la complexité qui les accompagne. Quant aux produits, la PAC en constitue un élément important depuis l'après-guerre. Or, celle-ci n'est plus adaptée à l'économie actuelle et aux variations brutales de prix. Je vous renvoie notamment, mes chers collègues, au rapport sur la réforme de la PAC, dont Daniel Gremillet est l'un des coauteurs.

Je veux souligner aussi les incohérences du texte adopté par l'Assemblée nationale. Je m'interroge notamment sur le soutien apporté à la grande distribution. Autre exemple : nous avions travaillé sur la question du miel, en exigeant que les différents pays d'origine soient mentionnés dans l'ordre d'importance, sans quoi le consommateur achetant un pot qui ne contiendrait que 2 % de miel français serait trompé. L'Assemblée nationale est revenue sur cette disposition, et l'on sait pourquoi. Les lobbys doivent être écoutés, certes, mais il ne faut pas les suivre bêtement. Nous devons savoir trancher dans le sens de l'intérêt général.

Sur la question préalable, nous avons des désaccords profonds, de fond et de méthode, avec l'Assemblée nationale. Ce n'est pas une façon de se défausser, mais au contraire l'affirmation d'une position forte. Notre rôle est aussi de suivre l'application des lois et d'en voir les conséquences, positives ou négatives. C'est ce que nous ferons sur cette loi.

Enfin, s'agissant de la saisine du Conseil constitutionnel, je me contenterai de citer un exemple : croyez-vous qu'il soit constitutionnel d'autoriser une catégorie de Français à utiliser des drones pour leur sécurité, et pas les autres placés pourtant dans la même situation ?

La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

En conséquence, l'ensemble des amendements devient sans objet et le projet de loi n'est pas adopté.


* 1 Règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil.

* 2 « Name and Fame ».

* 3 « Name and Shame ».

* 4 À une exception près, lue sur l'insistance des rapporteurs pour le Sénat. Pour s'opposer à l'examen de ces propositions, le président de la commission mixte paritaire a fait valoir qu'au vu du désaccord de fond sur l'article 1 er , il n'y avait pas lieu de discuter plus avant.

* 5 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

* 6 En effet, les distributeurs souhaitent se prémunir des effets de tout nouvel instrument les défavorisant en diminuant encore le prix d'achat qu'ils payent à leurs fournisseurs.

* 7 Article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

* 8 Décision n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015, Association Plastics Europe [Suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du Bisphénol A].

* 9 Article 73 de la loi n° n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 10 Dans le même objectif, l'article 75 de la même loi a interdit la mise à disposition, à compter des 1 er janvier 2016 et 2017, des sacs en matières plastiques à usage et l'article 124 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a ensuite interdit, à compter du 1 er janvier 2020, la mise sur le marché des bâtonnets ouatés à usage domestique dont la tige est en plastique.

* 11 Exposé des motifs de l'amendement à l'origine de ces dispositions.

* 12 On précisera qu'il n'avait pas été proposé, ni même discuté, d'une telle éventualité avant le dépôt de cet amendement.

* 13 Rapport n° 570 (2017-2018).

* 14 Dont l'objet était circonscrit aux relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (titres I er et III) et à une alimentation saine, durable et de qualité (titre II) sous quatre aspects : l'approvisionnement de la restauration collective publique (article 11), l'aide alimentaire (article 12), le bien-être animal (article 13) et les produits phytopharmaceutiques (articles 14 et 15).

* 15 M. Jean-Pierre Camby, Droit d'amendement et navette parlementaire : une évolution achevée, Revue du droit public n° 2-2006.

* 16 Conseil constitutionnel, décision n° 98-DC du 25 juin 1998.

* 17 Cahier du conseil constitutionnel n° 5.

* 18 Lequel interdit la pulvérisation aérienne ainsi qu'à ce stade les substances de la famille des néonicotinoïdes.

* 19 À l'exclusion des produits de biocontrôle, des substances de base ou à faible risque

* 20 Notamment l'exclusion des produits de biocontrôle, qui n'en demeurent pas moins toxiques pour les habitants, le potentiel impact de telles mesures d'interdiction de traitements sur la surface agricole utile française ou le choix de l'échelon départemental alors que les réalités topographiques varient le plus souvent au niveau communal.

* 21 L'amendement en question ayant été rectifié juste avant la séance par le Gouvernement.

* 22 In Cahiers du Conseil constitutionnel n° 21, janvier 2007.

* 23 Le droit européen prévoit déjà très explicitement que « les indications obligatoires [dont celle du pays d'origine] apparaissent dans le même champ visuel sur le récipient de façon à être lisibles simultanément sans qu'il soit nécessaire de tourner le récipient » (art. 50 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009). Quant aux pratiques commerciales trompeuses visées par l'article 11 nonies A, le code de la consommation permet déjà de les sanctionner lorsqu'elles sont constatées.

* 24 L'article 3 vise à permettre aux agents de FranceAgriMer de constater les manquements aux dispositions de l'article L. 631-24 sur la contractualisation agricole ; l'article 7 adapte l'application de l'article L. 631-24-2 à Saint-Pierre-et-Miquelon et l'application de l'article L. 441-8 dans les îles Wallis et Futuna ; l'article 10 habilite le Gouvernement à clarifier et à adapter, par ordonnance, les dispositions du code de commerce relatives aux relations commerciales.

* 25 Article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil.

* 26 Un autre objectif très important a été ajouté au Sénat : celui de promouvoir l'autonomie de la France et de l'Union européenne en protéines.

* 27 Rapport d'information n° 403 (2017-2018) de Mme Sophie Primas et de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires sociales du Sénat.

* 28 Le Sénat avait proposé de retenir le terme d'« adaptations » plutôt que celui de « renforcements » pour mieux rendre compte de la diversité des travaux possibles sur le réseau pour accueillir cette production de biogaz.

* 29 En réponse à un amendement du Gouvernement souhaitant supprimer l'indication des pays d'origine dans l'ordre d'importance, le rapporteur avait indiqué : « il convient d'éviter les effets pervers qui pourraient conduire des mélangeurs à ne placer qu'une quantité modérée de miel français dans leurs pots, et de mettre l'origine « France » en première occurrence, pour tromper le consommateur » (rapport n° 1175, pp. 161 et 162).

* 30 Un amendement du Gouvernement a précisément supprimé, à raison de son inconstitutionnalité, l'injonction qui lui était faite dans le texte adopté par les députés en commission de publier le décret « au plus tard le 1 er janvier 2021 » pour la remplacer par une entrée en vigueur différée (renvoyée à l'article 16) de ces dispositions à la même date, qui n'offre pas plus de garanties quant au respect de cette échéance.

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