EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 19 septembre 2018, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a décidé de demander que lui soient conférées par le Sénat les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, en application des articles 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et 22 ter du Règlement du Sénat, afin de conduire une mission d'information sur la sécurité des ponts.

Cette demande doit être examinée par la Conférence des présidents lors de sa prochaine réunion, aux fins de son éventuelle inscription à l'ordre du jour du Sénat.

Dans le cadre de la procédure définie par l'article 22 ter du Règlement du Sénat, votre commission des lois est chargée d'apprécier la recevabilité de la demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête, lorsque celle-ci n'émane pas d'elle, au regard des conditions posées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires en matière de création d'une commission d'enquête.

Votre commission a constaté que la demande était recevable .

I. L'ATTRIBUTION DES PRÉROGATIVES DE COMMISSION D'ENQUÊTE À UNE COMMISSION PERMANENTE OU SPÉCIALE

Résultant de la loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement 1 ( * ) , l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires permet aux commissions permanentes ou spéciales de demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et pour une durée ne pouvant pas excéder six mois, de leur conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête par l'article 6 de cette même ordonnance, sous les mêmes limites et conditions.

La loi n° 2011-140 du 3 février 2011 tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques a ajouté que les prérogatives de commission d'enquête pouvaient également être attribuées aux « instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente », formulation visant d'abord le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale 2 ( * ) .

Article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958
relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

« I. - Les commissions permanentes ou spéciales et les instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente peuvent demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de leur conférer, dans les conditions et limites prévues par cet article, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête par l'article 6 ci-dessous.

« II. - Lorsque les instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente disposent, dans les conditions définies au I, des prérogatives mentionnées à l'article 6, les rapporteurs qu'elles désignent exercent leur mission conjointement. »

Introduit par la résolution modifiant le Règlement du Sénat adoptée le 3 octobre 1996, l'article 22 ter du Règlement précise qu'une commission peut demander au Sénat l'octroi des prérogatives de commission d'enquête, cette demande devant comporter « l'objet et la durée de la mission, qui ne peut excéder six mois ». La demande doit être transmise au Président du Sénat, qui la porte à la connaissance du Sénat dans sa plus prochaine séance. Elle est ensuite examinée par la Conférence des présidents, qui peut proposer de l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat. Un vote exprès du Sénat en séance publique est donc requis.

Par analogie avec le contrôle de la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, tel qu'il est prévu par l'article 11 du Règlement, l'article 22 ter ajoute que la demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête doit faire l'objet, lorsqu'elle émane d'une commission autre que votre commission des lois, en toute hypothèse avant la réunion de la Conférence des présidents devant statuer sur l'inscription à l'ordre du jour de cette demande, d'un contrôle par votre commission de sa conformité aux règles relatives à la création des commissions d'enquête prévues par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée.

Article 22 ter du Règlement du Sénat

« 1. - Une commission permanente ou spéciale peut, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, demander au Sénat de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête ; la demande doit déterminer avec précision l'objet et la durée de la mission, qui ne peut excéder six mois.

« 2. - Cette demande est transmise au Président du Sénat qui en donne connaissance au Sénat lors de la plus prochaine séance publique. Sur la proposition de la Conférence des présidents, la demande est inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

« 3. - Lorsque la demande n'émane pas d'elle, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre son avis sur la conformité de cette demande avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée. »

Lorsqu'il a examiné cette modification du Règlement du Sénat, dans sa décision n° 96-381 DC du 14 octobre 1996, le Conseil constitutionnel a formulé deux réserves d'interprétation, tout en relevant qu'une telle modification ne conférait « aux commissions permanentes et spéciales qu'un simple rôle d'information pour permettre au Sénat d'exercer, pendant les sessions ordinaires et extraordinaires, son contrôle sur la politique du Gouvernement, dans les conditions prévues par la Constitution ».

D'une part, il a jugé que l'attribution des prérogatives de commission d'enquête pour une durée maximale de six mois à des commissions spéciales « ne saurait être entendue comme leur permettant de poursuivre leurs travaux au-delà de la date de la décision définitive du Parlement sur le texte qui a provoqué leur création ou de la date de retrait de ce dernier ». Cette réserve ne peut trouver à s'appliquer que dans le cas où les prérogatives de commission d'enquête sont demandées par une commission spéciale, à des fins de contrôle, alors qu'une commission spéciale ne peut être créée que pour l'examen particulier d'un projet ou d'une proposition de loi.

D'autre part, le Conseil constitutionnel a rappelé que « l'ensemble des dispositions prévues par [l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée] s'impose aux travaux d'une commission permanente ou spéciale effectués dans le cadre d'une mission pour laquelle lui ont été conférées les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête ». Outre qu'elle a confirmé la nécessité d'appliquer toutes les règles relatives aux commissions d'enquête aux travaux de la commission concernée, par exemple en matière de publicité, cette réserve a précisé le cadre dans lequel votre commission doit procéder à son contrôle de recevabilité : le contrôle du respect des prescriptions de cette ordonnance est identique pour une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête et pour une demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête formulée par une commission permanente ou spéciale.

Depuis 1996, le Sénat a décidé à 8 reprises d'attribuer les prérogatives de commission d'enquête à une commission, et à chaque fois à une commission permanente :

- le 29 octobre 1997, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur le suivi, par les ministères intéressés, du processus européen de coopération policière 3 ( * ) ;

- le 29 mars 2000, pour six mois, afin de permettre à la commission des finances de recueillir des informations sur la façon dont fonctionnaient les services de l'État, en particulier ceux du ministère de l'économie et des finances, dans l'élaboration des projets de loi de finances et dans l'exécution des lois de finances ;

- le 10 décembre 2015, pour six mois, pour le suivi de l'état d'urgence par la commission des lois ;

- le 13 juillet 2016, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur le redressement de la justice ;

- le 28 septembre 2016, pour six mois, pour le suivi par la commission des lois de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ;

- le 19 janvier 2017, pour six mois, pour le suivi par la commission des lois de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;

- le 20 juillet 2017, pour quatre mois, pour le suivi par la commission des lois de la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;

- le 23 juillet 2018, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements.

En outre, depuis sa modification par un arrêté du 7 octobre 2009, le chapitre X de l'instruction générale du Bureau dispose, concernant les missions d'information communes à plusieurs commissions, que « le Sénat peut (...) conférer à l'une des commissions permanentes à l'initiative d'une mission commune, pour cette mission, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête ».

Aucune attribution des prérogatives de commission d'enquête n'a été effectuée par le Sénat à ce titre. Toutefois, en 2012, la commission de la culture demanda à bénéficier de ces prérogatives afin de permettre les investigations de la mission commune d'information sur les pesticides, mais la Conférence des présidents, lors de sa réunion du 25 juillet 2012, après que votre commission des lois avait constaté la recevabilité de cette demande au regard des conditions posées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée, décida de ne pas y donner suite.

À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a prévu une procédure moins solennelle d'attribution des prérogatives de commission d'enquête 4 ( * ) . La demande exprimée par la commission est affichée et notifiée au Gouvernement et aux présidents de groupe et de commission, puis elle est considérée comme adoptée si aucune opposition n'a été formulée avant la deuxième séance qui suit cet affichage. Un débat en séance n'a lieu sur cette demande qu'en cas d'opposition. L'Assemblée nationale a recouru à cette faculté pour la première fois en 2015, en octroyant le 4 décembre 2015 les prérogatives de commission d'enquête à sa commission des lois pour le suivi de l'état d'urgence. Elle y a recouru récemment, le 20 juillet 2018, afin de permettre à sa commission des lois de « faire la lumière sur les événements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1 er mai 2018 ».


* 1 Loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, dans son intitulé complet.

* 2 Articles 146-2 à 146-7 du Règlement de l'Assemblée nationale.

* 3 L'utilisation des prérogatives de commission d'enquête n'a pas été nécessaire in fine pour la conduite des travaux de cette mission d'information.

* 4 Articles 145-1 à 145-6 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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