EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 14 NOVEMBRE 2018

M. Vincent Segouin , rapporteur . - Depuis 2011, l'âge d'éligibilité des candidats aux élections sénatoriales est fixé à 24 ans, alors que celui des candidats aux autres élections a été abaissé à 18 ans.

Ce seuil de 24 ans a été défini pour donner l'opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l'article 24 de la Constitution, d'exercer un mandat local avant d'entrer au Palais du Luxembourg.

La proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs, présentée par André Gattolin et plusieurs de nos collègues, a pour objectif de réduire l'âge d'éligibilité des sénateurs de 24 à 18 ans pour plusieurs raisons.

Il s'agit, en premier lieu, de faire concorder âge d'éligibilité et citoyenneté, comme pour les autres élections.

En deuxième lieu, notre collègue André Gattolin rappelle qu'il n'est pas indispensable d'avoir exercé un mandat local pour être élu sénateur.

En troisième lieu, il juge illogique qu'un grand électeur de moins de 24 ans ne puisse se présenter aux élections sénatoriales.

En dernier lieu, il considère que cette proposition de loi organique permettrait de faciliter le renouvellement politique de la Haute Assemblée.

Le Sénat remplit trois missions : voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques. Il assure aussi la représentation des collectivités territoriales et des Français établis hors de France.

Conformément à la Constitution, l'équilibre de la V ème République repose sur un bicamérisme différencié mais équilibré. Il est primordial de conserver deux chambres différentes et complémentaires dans notre système institutionnel.

C'est pourquoi deux modes d'élection différents ont été retenus pour le Sénat et l'Assemblée nationale.

Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect. L'âge d'éligibilité est fixé à 24 ans. Le scrutin est majoritaire dans les circonscriptions qui élisent un ou deux sénateurs et proportionnel dans celles qui élisent trois sénateurs ou plus. La durée du mandat de sénateur est de six ans, avec un renouvellement partiel tous les trois ans.

Comme l'a récemment déclaré notre collègue Philippe Bas, président de la commission, le Sénat constitue « ainsi le seul pouvoir non aligné, libre et indépendant ». En effet, « le mode d'élection des sénateurs, leur enracinement dans nos collectivités sont pour la démocratie une garantie de liberté et de pragmatisme ».

Historiquement, le choix de différencier l'âge d'éligibilité entre les deux assemblées date de 1795. À l'époque déjà, la chambre haute devait permettre l'évolution du régime tout en maintenant la paix sociale.

Je rappelle également les mots du Général de Gaulle en 1946 : « le premier mouvement [de l'Assemblée nationale] ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d'une autre manière la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération ».

De même, l'âge des sénateurs est perçu comme un facteur de modération pour la « chambre de la réflexion » louée par Georges Clemenceau.

En outre, nous sommes les représentants des collectivités territoriales. Comment est-il possible de les représenter sans en connaître le fonctionnement ? Certains sénateurs n'ont pas exercé de mandats locaux mais ils sont rares. Si tous les sénateurs étaient dans ce cas, alors les collectivités territoriales perdraient leur confiance dans le Sénat, considérant que ce dernier serait trop éloigné de leurs préoccupations concrètes.

Les débats parlementaires de 2011 démontrent d'ailleurs que l'âge d'éligibilité de 24 ans a été défini en additionnant l'âge de la citoyenneté, d'une part, et la durée d'un mandat local complet, d'autre part. Il s'agit de valoriser l'expérience locale des sénateurs.

Faut-il diminuer l'âge d'éligibilité à 18 ans pour rajeunir l'âge moyen des sénateurs ? Depuis le début de la V ème République, l'âge moyen des députés oscillait entre 50 et 56 ans et celui des sénateurs entre 55 et 61 ans. L'abaissement en 2011 de l'âge de l'éligibilité des sénateurs de 30 à 24 ans et de celui des députés de 23 à 18 ans n'a pas eu d'effet décisif. Les âges moyens entre les deux assemblées étaient assez proches. Je parle à l'imparfait car il y a eu depuis les élections législatives de 2017 ! L'écart s'est creusé puisque la moyenne d'âge des députés est passée à 49 ans tandis que celle des sénateurs est restée à 61 ans. Toutefois, cette évolution est due à l'élection de députés âgés entre 30 et 50 ans. Sur les 27 députés de moins de 30 ans, aucun n'avait moins de 23 ans !

Je me suis également interrogé pour savoir si la jeunesse faisait partie des thématiques abordées par le Sénat. Nos travaux sont-ils adaptés à toutes les générations ? Pour répondre à ces questions, j'ai procédé à l'audition de jeunes députés afin de recueillir leur point de vue. Ils m'ont précisé qu'ils n'étaient pas spécialisés sur le thème de la jeunesse et que leurs opinions différaient peu de celles de leurs collègues. La jeunesse est un sujet abordé au Parlement, suivi et pris en considération par des élus de toute génération.

Enfin, sommes-nous dans une situation différente de celle des autres pays ? Non. Seuls l'Allemagne et l'Espagne ont fait le choix d'avoir des âges d'éligibilité identiques pour la chambre haute et la chambre basse. Mais il est difficile de comparer la France et l'Allemagne puisque les membres du Bundesrat sont désignés par les gouvernements des Länder . La plupart des autres démocraties ont fait le choix de maintenir une différence d'âge pour l'éligibilité aux deux chambres, notamment les États-Unis, l'Italie et le Royaume-Uni.

Enfin, peut-on aborder cette proposition de loi organique sans prendre en considération les projets du Gouvernement concernant la réforme de nos institutions ? Ces projets pourraient d'ailleurs remettre en question les spécificités du Sénat en multipliant par quatre le nombre de départements ne comptant qu'un seul sénateur et en supprimant, pour les prochaines élections sénatoriales, le principe du renouvellement partiel.

Comme l'a déclaré notre collègue Jérôme Bignon en 2003, lorsqu'il était député : « la différence d'âge [entre les deux chambres] est une richesse. N'uniformisons pas les mandats, les modes d'élection et les périodes de renouvellement car nous risquerions de sombrer dans un bicamérisme affadi ».

Je propose donc de ne pas adopter la proposition de loi organique de notre collègue André Gattolin.

M. Jean-Pierre Sueur . - Le groupe Socialiste et républicain a largement débattu de cette proposition de loi organique. Le vote qui a conclu ce débat a été favorable à ce texte.

Pour commencer, il y a peut-être une phrase malheureuse dans votre rapport, même s'il s'agit d'une citation. Dire que le Sénat est « le seul pouvoir non aligné, libre et indépendant » me paraît excessif. Il existe, en dehors du Sénat, d'autres pouvoirs qui répondent à ces caractéristiques.

Sur le fond, nous considérons qu'il n'y a pas d'argument solide contre la proposition de loi organique. Comment expliquer et justifier un âge d'éligibilité différent pour le Sénat ? L'argument principal en défaveur de ce texte est que le Sénat représente les collectivités territoriales. Mais il n'est pas obligatoire d'être élu local pour être sénateur. Si l'on suivait ce raisonnement, il faudrait imposer aux candidats aux élections sénatoriales d'avoir exercé un mandat local. Par ailleurs, les grands électeurs qui participent aux élections sénatoriales sont libres de s'exprimer : ils peuvent voter, ou non, pour un élu local.

M. Mathieu Darnaud . - Je suis étonné que l'on puisse déposer une proposition de loi organique, quand l'auteur lui-même indique que son texte ne permettra ni d'abaisser l'âge moyen des sénateurs, ni de conduire à l'élection d'un nombre conséquent de sénateurs âgés de 18 à 24 ans... Par ailleurs, considérant l'actualité des collectivités territoriales et la volonté annoncée du Gouvernement de renouer avec les territoires et leurs élus, il y a peut-être d'autres sujets à traiter en priorité.

Je me retrouve totalement dans les propos du rapporteur. Pour répondre à notre collègue Jean-Pierre Sueur, il n'est pas nécessaire d'écrire les choses pour qu'elles puissent être entendues. À l'évidence, si être élu local n'est pas une obligation pour être élu sénateur, cela ne nuit pas. Et pourquoi faudrait-il aligner l'Assemblée nationale et le Sénat ?

M. François Bonhomme . - Je suis en accord avec le rapporteur et mon collègue Mathieu Darnaud. Cette proposition de loi organique entretient la confusion : elle laisse penser qu'il faut appartenir à une certaine catégorie d'âge pour pouvoir la représenter. C'est contraire à l'idée même de représentation politique.

De manière générale, l'expérience que l'on reproche au Sénat devient encore plus nécessaire avec la fin du cumul des mandats. Avoir été élu local donne une autre vision des choses, c'est une véritable plus-value pour un parlementaire.

M. Loïc Hervé . - Les membres du groupe Union centriste ont aussi débattu de cette proposition de loi organique, et nous rejoignons la proposition du rapporteur.

Le premier danger est l'alignement systématique des modes d'élection et du fonctionnement du Sénat sur ceux de l'Assemblée nationale.

On reproche parfois au Sénat d'anticiper des débats politiques pour préparer, quelques mois avant, les grandes réformes. Or, cette proposition de loi organique trouverait toute sa place dans le débat sur les réformes institutionnelles, conjointement avec d'autres questions comme la limitation du cumul des mandats dans le temps ou la manière de favoriser l'accès aux mandats électifs pour certaines catégories de la population.

M. Yves Détraigne . - À quoi servirait le Sénat s'il y avait des sénateurs sans expérience locale ? Ces élus ne correspondraient pas au rôle du Sénat, qui doit représenter les collectivités territoriales. Par nature, le sénateur est quelqu'un qui a de l'expérience, d'autant qu'il est élu par les élus locaux. Comment différencier sinon le Sénat de l'Assemblée nationale ? Ou alors allons vers un système mono-caméral ! Mais il ne me semble pas que ce soit la position du Sénat...

Mme Esther Benbassa . - Je partage la position de notre collègue Jean-Pierre Sueur. Pourquoi ne pourrait-on pas, à 18 ans, être candidat aux élections sénatoriales alors qu'on peut être candidat aux concours administratifs ? Pourquoi existerait-il une spécificité sénatoriale sur ce point ? D'ailleurs, qu'est-ce que l'expérience en politique ?

Il n'existe aucune obligation juridique d'être, ou d'avoir été, élu local pour être candidat aux élections sénatoriales. Je ne vois donc que des avantages au rajeunissement de notre assemblée. Cela nous donnerait plus de visibilité auprès des jeunes, qui connaissent très mal les missions et le fonctionnement du Sénat.

Le Sénat gagnerait en représentativité en abaissant l'âge d'éligibilité. Les citoyens de 18 à 24 ans peuvent déjà être grands électeurs !

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je salue la qualité du travail du rapporteur même si je ne partage pas son analyse.

L'abaissement à 18 ans de l'âge d'éligibilité n'affectera pas les particularités du Sénat, qui dépendent davantage de la composition de son collège électoral que des règles d'éligibilité. Ce collège électoral est pour l'essentiel composé d'élus locaux qui s'expriment dans le cadre de circonscriptions territoriales.

Le fait pour les sénateurs d'être ou d'avoir été élu local est secondaire dans cette représentativité des territoires, notamment depuis le durcissement des règles de cumul des mandats.

La deuxième particularité du Sénat, c'est d'être la chambre du temps long et de la stabilité politique en raison du renouvellement par moitié tous les trois ans, du suffrage universel indirect, de la durée du mandat et du recours à la représentation proportionnelle dans certains départements. Ces règles permettent au Sénat d'avoir une temporalité différente de celle de l'Assemblée nationale.

Rien de tout cela ne sera altéré pas l'abaissement de l'âge d'éligibilité pour les élections sénatoriales. J'en veux pour preuve que l'abaissement précédent à 24 ans n'a pas altéré les spécificités du Sénat.

En outre, les jeunes âgés de 18 à 24 ans peuvent être grands électeurs. Ils subissent aujourd'hui une véritable discrimination : ils sont obligés de voter mais ne peuvent pas se porter candidats. L'adoption de cette proposition de loi organique mettrait donc un terme à une aberration.

Autre série arguments, mais vous voyez qu'il y en a beaucoup : aucun autre mandat électif ne fait l'objet d'une telle barrière d'âge, même celui de Président de la République.

Enfin, l'électeur est responsable de son vote. Il n'est donc pas nécessaire d'encadrer abusivement les possibilités d'être candidat. C'est d'ailleurs pour cela que certains collègues rejettent les projets de limitation du cumul des mandats dans le temps.

M. Alain Richard . - Je vais faire état d'un soulagement. Nous avons failli voir émerger des projets de réforme du mode d'élection des sénateurs... Heureusement, les conservateurs de cette assemblée ont manifesté leur attention sur ce sujet...

Ce dont il est question avec cette proposition de loi organique est une simple faculté, une liberté de présenter une candidature à une élection entre 18 et 24 ans. Donc le raisonnement consistant à dire que cette faculté serait de nature à modifier les conditions de l'élection et l'équilibre des institutions me paraît inadéquat. En quoi cette faculté d'être élu sénateur avant 24 ans changerait le rapport du Sénat aux collectivités territoriales ?

J'insiste sur un point essentiel : la Constitution prévoit que le Sénat est élu au suffrage universel indirect et qu'il « assure la représentation » des collectivités territoriales. Le Constituant n'a pas écrit que le Sénat « représente » les collectivités territoriales. Assurer la représentation et représenter, ce sont deux choses différentes. Le Sénat n'est donc pas dans une relation de « mandat » vis-à-vis des collectivités territoriales. Les grands électeurs, quand ils votent, représentent le suffrage universel et la souveraineté nationale, pas leurs collectivités.

J'ai du mal à suivre le raisonnement selon lequel l'âge d'éligibilité, fixé à 24 ans aujourd'hui, se justifierait car il permettrait une bonne représentation des élus locaux : il faudrait donc fêter ses 18 ans la veille d'une élection locale, être élu dès ses 18 ans puis faire un mandat complet avant de pouvoir se présenter aux élections sénatoriales à tout juste 24 ans pour être un bon sénateur et bien représenter les collectivités territoriales ? C'est absurde.

Quant à l'argument selon lequel on altérerait les institutions en abaissant l'âge d'éligibilité au Sénat, il me fait sourire. Nos prédécesseurs qui ont abaissé successivement à 35 ans, 30 ans puis 24 ans cet âge d'éligibilité au Sénat ont-ils altéré nos institutions ? La République l'a échappé belle !

M. François Grosdidier . - La valeur n'attend pas le nombre des années. D'ailleurs beaucoup de maréchaux de l'Empire n'avaient pas 30 ans. Mais pour être sénateur, je vois deux critères importants qui nous distinguent de nos collègues députés.

Il y a d'abord l'âge. À 18 ans, on ne possède pas l'expérience nécessaire pour représenter les collectivités territoriales. Le bicamérisme ne doit pas conduire à la coexistence de deux chambres identiques et le Sénat ne doit pas être un « clone » de l'Assemblée nationale. Autant on peut, sans doute, représenter le peuple, donc être député, à 18 ans, autant il me paraît difficile de bien représenter les territoires aussi jeune. Il y a des fonctions qui sont réservées, au moins dans la pratique si les textes ne le prévoient pas, à ceux qui ont acquis une expérience.

Le deuxième critère est celui de l'enracinement local. Il est déjà mis à mal par les règles très strictes de non cumul des mandats. Pour beaucoup d'entre nous, notre longue expérience d'élu local nous permet parfois de démontrer à un ministre qu'il est dans le faux, surtout quand il se contente de lire ce que ses conseillers lui ont préparé.

Lors de l'examen des textes sur le non cumul des mandats, certains avaient proposé qu'il y ait même un critère pour pouvoir se présenter aux élections sénatoriales : avoir effectué deux mandats locaux. Ce n'est pas possible pour des raisons constitutionnelles. Mais, dans les faits, les grands électeurs sont très sensibles à ce critère de l'expérience locale.

Le Sénat, pour pleinement jouer son rôle constitutionnel, doit être une assemblée différente. J'adhère donc pleinement aux conclusions de notre rapporteur.

M. Philippe Bas , président . - Merci d'avoir rappelé que dans tous les domaines de l'expérience humaine, un peu de « bouteille » ne nuit pas.

M. Alain Marc . - Je suis de l'avis du rapporteur et je souscris à l'argumentation développée par nos collègues François Grosdidier et Yves Détraigne, selon laquelle il est nécessaire d'avoir un minimum d'expérience pour pouvoir exercer le mandat de sénateur. En outre, l'abaissement de l'âge d'éligibilité pourrait entraîner une inégalité de représentation dans nos territoires. À titre d'exemple, mon département comprend deux sénateurs élus au scrutin uninominal. Or, un candidat de 18 ans n'aurait véritablement de chance d'être élu qu'au scrutin proportionnel, dans les départements les plus peuplés et non en zone rurale.

M. Patrick Kanner . - Je suis pour ma part en désaccord avec le rapporteur car il y a un paradoxe à ce qu'un grand électeur de 18 ans soit tenu de voter à une élection pour laquelle il ne peut être candidat. Autre exemple, une candidate élue adjointe au maire en septembre 2020, à l'âge de 19 ans, ne pourra pas être candidate aux élections sénatoriales de septembre 2023 car elle n'aura pas atteint l'âge de 24 ans.

Je ne comprends pas les arguments corporatistes et je considère que le rejet de cette proposition de loi organique apparaîtra comme « ringard » aux yeux de la population et pas seulement des plus jeunes.

Mme Josiane Costes . - Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) considère majoritairement que l'expérience locale apporte une valeur ajoutée incontestable au mandat de sénateur. À titre personnel, j'ai été conseillère départementale et adjointe au maire d'Aurillac et cela m'a beaucoup aidée à exercer mon mandat parlementaire.

M. Éric Kerrouche . - Cette proposition de loi organique pose plus de questions qu'elle n'en résout.

Le bicamérisme ne se réduit pas uniquement à la question de la différence d'âge ; le Sénat possède d'ailleurs bien d'autres différences. Il existe, en réalité, deux Sénats en fonction des modes de scrutin : ce n'est pas la même chose d'être élu au scrutin majoritaire qu'au scrutin proportionnel.

En ce qui concerne la représentation, il n'est pas nécessaire qu'existe un mimétisme entre la population, d'une part, et la composition d'une assemblée parlementaire, d'autre part. Une personne d'un certain âge est tout à fait capable de représenter une personne plus jeune qu'elle.

Le Sénat n'est pas le Bundesrat car il ne représente pas exclusivement les collectivités territoriales. La matière propre aux collectivités territoriales ne constitue d'ailleurs qu'une petite partie du grand nombre de textes que nous examinons. Nous sommes la seconde chambre du Parlement et possédons une compétence générale dans l'exercice du pouvoir législatif.

Certes, cette proposition de loi organique ne devrait pas avoir d'effet, mais elle est un symbole. Ne pas le prendre en compte jouera en notre défaveur.

M. Philippe Bas , président . - Ce débat porte effectivement sur des symboles. Mais ceux qui sont en faveur de cette proposition de loi organique ne privilégient pas les mêmes symboles que les autres.

Je vous remercie d'avoir rappelé que si le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales - c'est sa marque de fabrique - il est une assemblée parlementaire de plein exercice. La Constitution prévoit d'ailleurs que la loi doit être adoptée en termes identiques par les deux chambres, le dernier mot de l'Assemblée nationale restant une exception à ce principe.

Mme Agnès Canayer . - J'adhère aux propos du rapporteur et le félicite pour son travail. Faire du « jeunisme » pourrait desservir la cause de notre institution.

L'équilibre et la complémentarité des deux chambres du Parlement sont ancestraux. Cet équilibre était déjà recherché lors de la création du Conseil des Cinq-Cents et du Conseil des Anciens sous le Directoire, l'un devant incarner l'imagination de la France et l'autre la raison.

Aujourd'hui, cet équilibre institutionnel doit être conservé. Laisser aux sénateurs la possibilité d'exercer, en amont, un mandat local leur permet d'acquérir des compétences ainsi qu'un lien avec les territoires.

Si j'étais convaincue que cet abaissement de l'âge d'éligibilité aux élections sénatoriales puisse faire retrouver le chemin des urnes et de l'engagement aux jeunes, je le voterais « des deux mains », mais ce n'est pas le cas. C'est pourquoi je suivrai les conclusions de notre rapporteur.

Mme Brigitte Lherbier . - La jeunesse donne une autre vision de la vie, mais exercer des responsabilités nécessite d'avoir de l'expérience : une expérience d'élu, mais avant tout une expérience de la vie.

Ma carrière m'a donné l'occasion de côtoyer des étudiants extrêmement brillants, mais qui n'avaient pas l'expérience nécessaire pour endosser certaines responsabilités. La très grave affaire d'Outreau en a été un triste exemple pour la magistrature. Quelques années supplémentaires auraient permis au magistrat d'exercer son office avec plus de clairvoyance.

Mme Sophie Joissains . - Je pense également que l'expérience est utile pour exercer certaines responsabilités.

Cette proposition de loi organique vise à « gommer » une spécificité du Sénat, au moment précis où notre institution est relativement malmenée par l'exécutif et par l'Assemblée nationale. Je rappelle qu'actuellement très peu de commissions mixtes paritaires aboutissent.

Cette spécificité sénatoriale n'est pas anodine. Le doyen Patrice Gélard avait proposé l'âge de 24 ans pour valoriser l'expérience locale des sénateurs. Cela marque une différence avec l'Assemblée nationale et permet une connaissance plus fine des collectivités territoriales. C'est aujourd'hui d'autant plus important que les règles sur le non-cumul des mandats ont éloigné les sénateurs des réalités de nos territoires. À terme, nous risquons de confondre les deux chambres et de faire perdre de vue au citoyen leur nécessaire complémentarité.

« Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi », comme disait Jean Cocteau. Le Sénat possède ses spécificités, dont l'âge d'éligibilité plus élevé qu'à l'Assemblée nationale. Je souhaite en rester au droit en vigueur.

M. Simon Sutour . - Ce débat me rappelle l'examen des projets de loi sur le non-cumul des mandats, dont j'étais rapporteur. Ces textes sont entrés en vigueur depuis et leurs effets sont positifs.

Comme l'a indiqué notre collègue Alain Richard, cette proposition de loi organique donne une faculté et non l'obligation d'élire des sénateurs âgés de 18 à 24 ans. L'âge minimum requis était de 35 ans lorsque j'ai été élu pour la première fois.

Des comparaisons ont été faites avec l'âge requis pour occuper certaines fonctions administratives. Or, la question n'est pas ici de nommer des fonctionnaires mais concerne un mandat électif et le libre choix des électeurs.

Beaucoup d'interventions tendent à ériger l'exercice d'un mandat local, par exemple de conseiller municipal, comme un prérequis pour être sénateur. Ce n'est pas le cas sur le plan juridique. J'ai moi-même été élu sénateur trois fois, sans jamais avoir été conseiller municipal.

Des comparaisons historiques ont été faites mais les temps évoluent. Les plus jeunes d'entre nous connaîtront le temps où l'élection des sénateurs pourra se faire à 18 ans. Je regrette la volonté systématique de donner une mauvaise image de notre Sénat.

M. Jérôme Durain . - Ce problème anime le débat public car tous les arguments sont réversibles, bien qu'ils ne couvrent qu'un aspect limité de la place du pouvoir législatif dans les équilibres institutionnels.

Je pense que les spécificités du Sénat tiennent à son collège électoral et aux circonscriptions d'élection, non à l'âge des candidats. Prôner l'inverse est difficilement compréhensible pour nos concitoyens et assez peu opérant au regard des résultats des élections sénatoriales.

La représentativité des sénateurs vis-à-vis des collectivités territoriales découle de l'expression du suffrage des grands électeurs. Ce sont bien eux, et pas l'âge du sénateur, qui donnent la qualité de représentant légitime.

Cette proposition de loi organique ne porte pas sur un sujet majeur mais en la rejetant, nous perdons une occasion d'affirmer que le Sénat est ancré de plain-pied dans la société française.

M. Jacques Bigot . - On peut être conservateur à 18 ans et progressiste bien plus tard. À l'heure actuelle, le bicamérisme n'est pas toujours compris et notre Gouvernement ne l'entend pas. Je pense, en particulier, au projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions et au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. La garde des sceaux a balayé d'un revers de main les propositions de notre assemblée, malgré un très bon travail de nos rapporteurs. L'Assemblée nationale se bornera certainement à suivre la chancellerie...

Or, le bicamérisme est utile ! C'est ce travail-là que nous devons défendre et il pourrait très bien être mis en oeuvre par des sénateurs élus à l'âge de 18 ans. Je ne pense pas que l'on ait beaucoup plus d'expérience à 24 qu'à 18 ans.

Certes, l'intérêt de la proposition de loi organique est relatif, mais nous ne devons pas manquer le débat sur le bicamérisme. Selon le rapporteur, il faut avoir exercé un mandat local pour représenter les collectivités territoriales. Toutefois, cette position conduit à confondre nos prérogatives avec celles d'un Bundesrat alors qu'elles en sont éloignées. La France n'est pas un État fédéral et cette confusion conduit à remettre en cause la conception française du bicamérisme, proche de celle que l'on trouve également aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

L'adoption de ce texte n'aura certainement que peu d'effets mais elle est l'occasion d'affirmer que nous ne sommes pas simplement les représentants des collectivités territoriales et que le bicamérisme est utile à la démocratie.

M. Jean-Luc Fichet . - La nécessité de l'expérience peut être battue en brèche par l'existence des conseils municipaux de jeunes. Ils permettent aux jeunes d'accéder à une expérience municipale et d'être en prise avec les réalités de la vie locale. Abaisser l'âge d'éligibilité des sénateurs les motiverait d'autant plus à s'engager. Je pense que l'expérience s'acquiert à tout âge et je suis très heureux de voir les membres de conseils municipaux de jeunes visiter le Sénat et arborer une écharpe tricolore.

M. Vincent Segouin , rapporteur . - Les lois sont faites pour répondre à une certaine demande sociale. Or, cette proposition de loi organique ne semble pas être motivée par des demandes de citoyens trop jeunes pour se présenter aux élections sénatoriales.

Je suis d'accord avec le fait que la Constitution n'impose pas l'expérience d'un mandat local pour être élu sénateur. Je pense néanmoins que cette expérience est nécessaire pour demeurer crédibles face aux grands électeurs.

Enfin, il me semble important de conserver des différences entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

La proposition de loi organique n'est pas adoptée par la commission.

M. Philippe Bas , président . - Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera sur le texte de la proposition de loi organique déposée sur le Bureau du Sénat.

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