B. LA « SINCÉRISATION » DU BUDGET ENTAMÉE EN 2018 SERA POURSUIVIE EN 2019 MAIS DEMEURE INABOUTIE

1. Des provisions Opex et Missint réévaluées mais dont le montant devrait demeurer inférieur aux surcoûts qui seront effectivement constatés en 2019

Comme le montre le graphique ci-après, au cours des années passées, le montant des surcoûts des Opex a systématiquement dépassé celui de la provision inscrite en loi de finances initiale et dont le niveau était fixé par l'article 4 de la loi de programmation militaire de 2013 9 ( * ) .

En 2017, l'écart à la prévision s'est ainsi élevé à plus d'un milliard d'euros, les surcoûts liés aux Opex et aux Missint ayant atteint 1,5 milliard d'euros, pour une provision fixée à 491 millions d'euros .

Évolution des surcoûts liés aux opérations extérieures
et aux missions intérieures

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après des données du ministère des armées

Or, comme le rappelait votre rapporteur spécial dans son rapport sur le financement des Opex 10 ( * ) , une telle situation n'était pas acceptable dans la mesure où elle remettait en cause la sincérité du budget voté .

La LPM 2019-2025 devrait y mettre progressivement un terme en prévoyant une revalorisation échelonnée du montant de la provision destinée au financement des surcoûts des Opex .

Celle-ci devrait ainsi passer de 450 millions d'euros en 2017 à 1,1 milliard d'euros à compter de 2020 , selon la chronique figurant dans le tableau ci-après.

Évolution de la provision destinée au financement du surcoût des Opex

(en millions d'euros)

2019

2020

2021

2022

2023

850

1 100

1 100

1 100

1 100

Source : article 4 de la LPM 2019-2025

Cet effort de « sincérisation » a été entamé dès 2018, la loi de finances pour 2018 ayant réévalué la provision Opex de 200 millions d'euros , son montant passant de 450 millions d'euros à 650 millions d'euros.

Le présent projet de loi prévoit de prolonger cet effort initié en 2018, en conformité avec les dispositions de l'article 4 de la LPM 2019-2025, en prévoyant une nouvelle hausse du montant de la provision Opex, qui passera de 650 millions d'euros en 2018 à 850 millions d'euros en 2019 .

Par ailleurs, 100 millions d'euros sont prévus en dépenses de personnel au titre du financement des surcoûts liés aux missions intérieures (Missint) , contre 41 millions d'euros inscrits en loi de finances pour 2018 (portés à 100 millions d'euros en gestion).

Si cette évolution, appelée de ses voeux par votre commission des finances, va dans le bon sens, en 2019, le surcoût lié aux Opex devrait une nouvelle fois excéder le montant de la provision inscrit en loi de finances, donnant lieu aux débats récurrents sur ses modalités de financement et, plus généralement, sur le schéma de fin de gestion .

2. Des ressources dont l'équilibre ne repose que sur des crédits budgétaires

L'équilibre de la trajectoire financière inscrite dans la LPM précédente reposait pour partie sur des recettes exceptionnelles (REX) : sur des ressources totales qui devaient atteindre près de 190 milliards d'euros sur la durée de la programmation, le montant des REX était estimé à 6 milliards d'euros , soit 3,2 % du total.

La majeure partie de ces recettes (de l'ordre de 4 milliards d'euros) devait être issue du produit de la vente de la bande de fréquences comprise entre 694 MHz et 790 MHz .

Néanmoins, compte tenu du retard pris par la procédure de cessions des fréquences hertziennes, l'actualisation de 2015 a procédé à une rebudgétisation d'une partie des recettes exceptionnelles .

Sur la période 2015-2019, le montant des REX devait ainsi passer de 4,4 milliards d'euros à un peu moins d'un milliard d'euros .

La trajectoire fixée par la LPM 2019-2025 ne repose quant à elle que sur des ressources budgétaires, les recettes issues de cessions ne venant qu'en complément de celles-ci .

S'agissant plus spécifiquement des cessions immobilières, en 2019, les schémas directeurs immobiliers de base de défense (BDD) devront prendre en compte la nouvelle carte des BDD métropolitaines, dont le nombre sera réduit de 51 à 45 .

Orientations de la politique immobilière du ministère des armées en 2018 et 2019

Les opérations de rationalisation réalisées au titre des schémas directeurs ont réduit l'empreinte immobilière des armées de 62 sites soit 857 ha en 2017 et devraient permettre de poursuivre cette action à hauteur de 82 sites soit 280 ha en 2018 (prévision) et 52 sites soit 200 ha en 2019 (prévision). Le produit espéré de la cession des emprises libérées en 2018 et 2019 est de l'ordre de 100 millions d'euros.

Les principales opérations immobilières de rationalisation en cours concernent :

- l'îlot Saint-Germain, dont la cession de la partie non-conservée par l'État devrait être achevée en 2019 ;

- la base de défense de Rennes, dont les opérations immobilières en cours permettront à leur terme la libération du quartier Foch qui pourra alors être aliéné ;

- la base de défense de Strasbourg-Haguenau, dont les opérations immobilières en cours aboutiront à la libération et à la cession du quartier Turenne ;

- la base de défense de Bordeaux, avec la mise en oeuvre du projet de service du Service de santé des armées qui se traduira par la libération progressive du quartier Robert Piqué, siège de l'hôpital d'instruction des armées ;

- la base de défense de Metz, dont les opérations immobilières en cours conduiront à terme à la libération de deux emprises du centre-ville de Metz (quartier Clemenceau et quartier Asfeld) et à la densification d'emprises existantes ;

- la base de défense de Toulouse, avec l'initiation des mouvements de densification de la caserne Pérignon (regroupement des entités du recrutement et des organismes de soutien), qui permettra la libération à court et à moyen terme de plusieurs emprises.

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire budgétaire

Au total, les recettes issues de cessions immobilières devraient représenter un montant de 44 millions d'euros environ en 2019 , pour un « droit à consommer » s'élevant à 50 millions d'euros.

Opérations intervenues ou prévues en recettes et en dépenses sur le CAS « Immobilier »

(en millions d'euros)

Exécuté 2016

Exécuté 2017

Prévision 2018

Prévision 2019

Ressources

382

322

304

206

dont cessions

192

42

63

44

dont autres

4

22

31

25

dont report

186

258

210

137

Consommation

124

112

160

50

Source : ministère des armées réponse au questionnaire budgétaire

Il convient en outre de rappeler qu'à l'initiative du Sénat, un article 47 a été introduit au sein de la LPM 2019-2025 visant à limiter le champ d'application du dispositif de décote prévu par l'article 3 de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, dite loi « Duflot » 11 ( * ) .

Ce dispositif, qui permet de minorer la valeur vénale des biens cédés d'un taux pouvant atteindre 100 % dès lors que ceux-ci sont acquis en vue de la réalisation de logements sociaux, a notamment été appliqué lors de la vente d'une partie de l'îlot Saint-Germain.

Sur une valeur estimée à près de 86 millions d'euros, ce bien a finalement été cédé le 31 mai 2018 à la ville de Paris pour un montant s'élevant à 29 millions d'euros .

Certes, en contrepartie, les armées bénéficieront de 50 logements -25 au titre du quota prévu par le V de l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques tel que modifié par l'article 3 de la loi du 18 janvier 2013 précité, et 25 autres au titre du contingent préfectoral prévu par l'article R. 441-5 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que le recommandait votre rapporteur spécial dans son rapport sur le parc immobilier des armées 12 ( * ) - néanmoins, rapporté à la perte subie par le ministère, le coût par logement ainsi obtenu s'élève à plus d'un million d'euros .

Au total, le dispositif de décote « Duflot » aura « coûté » au ministère des armées près de 86 millions d'euros .

Opérations réalisées en application du dispositif « Duflot »

Année

Localisation de l'emprise

Nom - Adresse de l'emprise

Valeur vénale

(en euros)

Produit de cession

% de la décote

Montant de la décote

(en euros)

2014

BORDEAUX

59 rue Joseph Brunet

376 200

148 000

60 %

226 200

NANTES

Caserne Mellinet

19 426 954

6 300 000

67 %

13 126 954

PAMANDZI

Jardins de Mayotte

1 125 000

0

100 %

1 125 000

2015

RODEZ

Villa Paraire

106 786

66 390

38 %

40 396

MARSEILLE 04

Ex DIRSEA, 4 rue docteur Acquaviva

920 000

700 000

27 %

220 000

2016

ROQUEBRUNE CAP MARTIN

Av François de Monléon

30 610 450

21 427 315

30 %

9 183 135

TOUL

37/39 rue P. Keller

145 000

60 000

59 %

85 000

KOUROU

Allée des étoiles

909 800

636 860

30 %

272 940

2017

MARCOUSSIS

Le Chêne Rond

2 207 600

717 000

68 %

1 490 600

ANGERS

Rue Général Bizot

340 000

117 000

41 %

223 000

2018

DIJON

7 Place Président Wilson

934 962

336 017

64 %

598 945

LA TRONCHE

24 avenue du maquis du Grésivaudan

4 665 031

2 271 121

51 %

2 393 910

PARIS 07

10 rue Saint Dominique

85 720 000

29 000 000

69 %

56 720 000

TOTAL

147 487 783

61 779 703

85 706 080

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire budgétaire

Votre rapporteur spécial se félicite par conséquent que la mesure prise à l'initiative du Sénat, qui vise à restreindre le champ d'application de la décote « Duflot », dans les zones tendues, aux opérations destinées à la réalisation de programmes de logements sociaux réservés au maximum aux trois quarts aux agents du ministère des armées, à la demande de ce dernier, empêchera qu'une telle opération puisse se répéter dans l'avenir .

3. La cession du Val-de-Grâce, une opération qu'il convient de reconsidérer

La restructuration du service de santé des armées (SSA) et le regroupement de ses services franciliens sur deux sites situés à Bégin à Saint-Mandé et Percy à Clamart, a entraîné la libération par le SSA de la partie hospitalière du Val-de-Grâce 13 ( * ) .

Si la partie historique du Val-de-Grâce - qui comprend la chapelle, les bâtiments abbatiaux et des jardins à la française - n'a pas vocation à être cédée 14 ( * ) , il est prévu que le bâtiment qui abritait l'hôpital moderne soit vendu à l'horizon 2021 , pour un montant estimé à 150 millions d'euros environ .

Or, depuis le 1 er septembre 2018 et le transfert des militaires de l'opération Sentinelle jusqu'alors hébergés au sein de l'îlot Saint-Germain vers le Val-de-Grâce, ce site est devenu la dernière emprise parisienne accueillant des militaires .

Dès lors, sa cession apparaîtrait triplement paradoxale :

- en premier lieu, car Paris, qui concentre la majeure partie du dispositif Sentinelle, et qui constitue la zone présentant le plus de risques, n'accueillerait plus aucun militaire dans ses murs ;

- en deuxième lieu, car le ministère des armées , qui a fait, à juste titre, du plan « Famille » un axe fort de sa politique d'amélioration de la condition du personnel, serait contraint de déplacer ses militaires en périphérie, ce qui pose un enjeu en termes de sécurité et de temps de transport ;

- en troisième lieu, car cette vente priverait le ministère des armées d'une emprise permettant l'hébergement, par exemple, de personnels du SSA, alors que les carrières médicales au sein des armées souffrent d'un grave déficit d'attractivité (cf. infra ).

C'est pourquoi votre rapporteur spécial ne peut une nouvelle fois qu'appeler le ministère des armées à un réexamen du projet de cession du Val-de-Grâce .

4. L'incertitude liée au financement de l'expérimentation du service national universel (SNU) en 2019

Mesure qui figurait dans le programme présidentiel, le service national universel (SNU) poursuit trois objectifs : contribuer à la cohésion sociale et territoriale, permettre une prise de conscience, par chaque génération, des enjeux de la défense et de la sécurité nationale et permettre le développement de la culture de l'engagement.

À la suite du rapport remis le 26 avril 2018 par le groupe de travail dirigé par le général de corps d'armée Daniel Ménaouine au Président de la République, lors du Conseil des ministres du 27 juin 2018, le Premier ministre a présenté les grandes orientations du dispositif, qui comprendra deux phases :

- une première phase obligatoire d'un mois, effectuée aux alentours de 16 ans, qui comportera une période d'hébergement collectif ;

- une seconde phase, prenant la forme d'un engagement, civil ou militaire, d'une durée d'au moins trois mois, sur la base du volontariat .

Une première expérimentation devrait être lancée lors des vacances de la Toussaint de 2019, sans que le format n'en ait été clairement précisé .

Or aucun crédit n'a été inscrit à ce titre dans le présent projet de loi de finances pour 2019, ni sur le budget du ministère des armées, ni sur celui du ministère de l'éducation nationale , auquel il a été adjoint un secrétariat d'État chargé de la jeunesse.

Si le ministère des armées sera très certainement appelé à participer à la mise en oeuvre du SNU , compte tenu de l'expérience qu'il a acquise dans le cadre de la journée défense et citoyenneté (JDC) et de ses savoir-faire en matière de formation de la jeunesse, celle-ci ne devra pas en déstabiliser l'équilibre prévu dans le cadre de la LPM , dans le respect de la disposition introduite à l'initiative du Sénat à son article 3 15 ( * ) .


* 9 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

* 10 Le financement des opérations extérieures : préserver durablement la capacité opérationnelle de nos armées, rapport d'information de Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances, n° 85 (2016-2017) - 26 octobre 2016.

* 11 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

* 12 Le parc immobilier des armées : quand l'intendance ne peut plus suivre, rapport d'information n° 661 (2016-2017) de Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances - 19 juillet 2017.

* 13 Les activités hospitalières du Val-de-Grâce ont pris fin le 30 juin 2016. Après des travaux de démantèlement des installations, l'emprise a été effectivement libérée le 30 juin 2017.

* 14 Dans sa réponse au questionnaire budgétaire, le ministère des armées rappelle ainsi que la partie historique « continuera à héberger l'école du Val-de-Grâce qui assure la formation initiale et continue ainsi que la préparation opérationnelle de l'ensemble du personnel du service de santé des armées, l'inspection, le musée et la bibliothèque centrale du service de santé des armées. Ce dernier y installera également le service de direction de la formation, de la recherche et de l'innovation en août 2018 ainsi que la direction des hôpitaux en 2023 ».

* 15 « Ces ressources ne comprennent pas l'éventuel financement d'un service national universel : celui-ci aura un financement ad hoc qui ne viendra en rien impacter la loi de programmation militaire ».

Page mise à jour le

Partager cette page