Rapport n° 239 (2018-2019) de M. Jean-Luc FICHET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 janvier 2019

Disponible au format PDF (614 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (118 Koctets)


N° 239

• SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 janvier 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi relative à l' aménagement du permis à points dans la perspective de l' abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire,

Par M. Jean-Luc FICHET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc  Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

392 (2017-2018) et 240 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 16 janvier 2019, sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné le rapport de M. Jean-Luc Fichet, rapporteur , sur la proposition de loi n° 392 (2017-2018) relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire, déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de ses collègues.

À titre liminaire, le rapporteur a souligné la pertinence du débat soulevé par les auteurs de la proposition de loi. Dans un contexte marqué par une forte incompréhension de la population à l'égard de l'abaissement indifférencié et sans concertation à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur une partie du réseau secondaire, il a en effet estimé qu'il était indispensable de s'interroger sur le juste équilibre à trouver en matière de sécurité routière, afin de s'assurer de l'acceptabilité des mesures mises en oeuvre.

Le rapporteur a toutefois indiqué que la proposition de loi, en réduisant de six à trois mois la durée de récupération de points pour certaines infractions, ne constituait qu'une mesure de compensation mais n'apportait pas de réponse réellement satisfaisante aux interrogations soulevées.

Il a ainsi constaté qu'en allégeant les sanctions appliquées, le dispositif proposé risquait de donner un signal négatif en matière de sécurité routière et d'affaiblir la vertu pédagogique du permis à points . Il a par ailleurs émis des doutes quant à son utilité, dans la mesure où très peu de personnes ne perdent, en l'état du droit, leur permis de conduire point par point, c'est-à-dire en ne commettant que des infractions « légères » au code de la route.

Rappelant la complexité de la matière, il a enfin estimé qu'il serait préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la conduite d'une étude d'impact approfondie , afin de garantir l'efficacité des mesures proposées et d'éviter tout effet de bord. À cet égard, il a relevé que le Gouvernement avait récemment confié au Conseil national de la sécurité routière le soin de conduire une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route, dont les conclusions pourront éclairer le législateur sur d'éventuels besoins d'aménagement du permis à points.

Sur son rapport, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

En dépit des politiques fortes de sécurité routière mises en oeuvre depuis plusieurs décennies, plus de 3 500 personnes perdent encore la vie chaque année, en France, sur la route.

Face à la dégradation des chiffres de l'insécurité routière observée au cours des dernières années, le Gouvernement a décidé, au début de l'année 2018, la mise en oeuvre d'un nouveau plan de lutte contre l'insécurité routière. Composé de 18 mesures, il s'attache à renforcer la réglementation routière de manière à mieux combattre les facteurs de risque sur la route et à sanctionner plus durement la « délinquance routière ».

La proportionnalité de ces mesures, en particulier de l'abaissement à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central, a suscité et suscite encore de nombreuses interrogations et incompréhensions au sein de la population, qui les perçoit comme des contraintes injustifiées pesant, chaque jour, sur le quotidien des usagers de la route y compris les plus responsables.

Dans ce contexte, la proposition de loi n° 392 (2017-2018) relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire , déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de nos collègues, vise à alléger les sanctions appliquées aux infractions routières les moins graves. Elle prévoit, à titre de compensation du renforcement récent de la réglementation routière, de réduire la durée de récupération automatique des points du permis de conduire qui sont retirés à l'issue de la commission de certaines infractions.

Tout en soulignant l'acuité des questions posées par ce texte, votre commission a décidé de déposer une motion tendant à son renvoi en commission afin de permettre son examen dans le cadre de la réflexion plus large engagée par le Gouvernement sur la valorisation des comportements vertueux sur la route.

I. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : RÉDUIRE LA DURÉE DE RÉCUPÉRATION AUTOMATIQUE DES POINTS DU PERMIS DE CONDUIRE POUR LES INFRACTIONS LES MOINS GRAVES

A. LE PERMIS À POINTS : UN OUTIL PÉDAGOGIQUE AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ ROUTIÈRE

1. Le fonctionnement du permis à points

Depuis le 1 er juillet 1992 1 ( * ) , le permis de conduire repose sur un système de « points » , créé à des fins pédagogiques en vue de réduire la commission des infractions et la récidive, et dont le fonctionnement est déterminé par les articles L. 223-1 à L. 223-8 du code de la route.

Le permis de conduire est ainsi affecté d'un maximum de douze points, réduit à six pour le permis probatoire 2 ( * ) .

La commission d'une infraction au code de la route entraîne de plein droit, lorsqu'elle est prévue par un texte, la perte d'un nombre défini de points .

En cas de délit , le retrait de points est égal à la moitié du nombre maximal de points, soit six points. Tel est le cas du délit de conduite avec un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l de sang ou en état d'ivresse manifeste, prévu par l'article L. 234-1 du code de la route. Pour les contraventions , le retrait est, au plus, égal à la moitié du nombre maximal de points. Ainsi, le dépassement de 50 km/h ou plus de la vitesse maximale autorisée est puni d'un retrait de six points (article R. 413-14-1 du code de la route), et l'usage d'un téléphone au volant d'un retrait de trois points (article R. 4212-6-1 du code de la route). Lorsque plusieurs infractions sont commises de manière concomitante, les retraits de points se cumulent dans la limite des deux tiers du nombre maximal de points (soit 8 points).

La perte de points n'est pas exclusive de l'application d'autres peines, en particulier du paiement d'une amende.

Lorsque le nombre de points est nul, le permis perd sa validité . Son titulaire est alors sommé, par courrier, de le remettre au préfet de son département de résidence et perd le droit de conduire un véhicule. Il ne peut, conformément à l'article L. 223-5 du code de la route, « obtenir de nouveau permis de conduire avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de remise de son permis au préfet et sous réserve d'être reconnu(e) apte après un examen ou une analyse médicale, clinique, biologique et psychotechnique effectué à ses frais ».

2. Le principe de récupération automatique des points

En vertu de l'article L. 223-6 du code de la route, toute personne titulaire d'un permis de conduire ayant fait l'objet d'un retrait de points peut récupérer, dans un délai de deux ans, la totalité de ses points à condition qu'elle n'ait commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction ayant donné lieu à un retrait de points.

Ce délai de récupération de points est porté à trois ans lorsque la personne concernée a perdu des points en raison d'un délit ou d'une contravention de la quatrième ou de la cinquième classe.

Le code de la route prévoit toutefois une dérogation à cette règle pour les infractions les plus « légères » : les personnes ayant commis une infraction punie du retrait d'un seul point de permis peuvent récupérer ce point à l'issue d'un délai de six mois 3 ( * ) , si elles n'ont, dans ce délai, commis aucune nouvelle infraction entraînant la perte de points.

Seules quatre infractions entraînent actuellement la perte d'un point de permis :

- le dépassement de la vitesse maximale autorisée de moins de 20 km/h (art. R. 413-14 du code de la route) ;

- l'absence de port, par le conducteur d'une motocyclette, d'un tricycle à moteur, d'un quadricycle à moteur ou d'un cyclomoteur tenu de détenir un permis de conduire, de gants homologués (art. R. 431-1-2 du code de la route) ;

- le chevauchement d'une ligne continue axiale ou séparative de voies de circulation (art. R. 412-19 du code de la route) ;

- le chevauchement des lignes longitudinales délimitant les bandes d'arrêt d'urgence (art. R. 412-22 du code de la route).

En sus de ce dispositif de récupération automatique, le titulaire d'un permis de conduire ayant fait l'objet d'un retrait de points à la suite de la constatation d'une infraction peut récupérer jusqu'à quatre points s'il effectue, à son initiative ou parce que la loi lui impose 4 ( * ) , un stage de sensibilisation à la sécurité routière, d'une durée de deux jours. Ce stage, dont le coût est à la charge du détenteur du permis, ne peut toutefois être effectué qu'une fois par an.

B. UNE PROPOSITION DE LOI QUI VISE À FACILITER LA RÉCUPÉRATION DE POINTS POUR LES INFRACTIONS LES PLUS « LÉGÈRES »

1. Une réduction de la durée de récupération de points pour certaines infractions

La proposition de loi relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire, déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de nos collègues, vise à modifier le cadre législatif applicable au permis à points.

Elle tend à réduire de six à trois mois la durée de récupération de points à la suite de la commission d'une infraction « légère » au code de la route, punie du retrait d'un seul point au permis. Elle modifie, en conséquence, l'article L. 223-6 du code de la route.

Ce faisant, les auteurs de la proposition de loi entendent notamment tirer les conséquences de l'abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central, entré en vigueur le 1 er juillet 2018, conformément au plan de lutte contre l'insécurité routière présenté par le Premier ministre il y a un an. Cette réforme risquant d'entrainer, selon l'exposé des motifs, une augmentation des petits excès de vitesse, les auteurs de la proposition de loi estiment nécessaires d'assouplir les règles de récupération de points. Il s'agit, dans leur esprit, de préserver la vertu pédagogique du permis à point qui, face à l'incompréhension croissante des citoyens, risquerait de s'affaiblir.

Le plan de lutte contre l'insécurité routière du 9 janvier 2018 :
18 mesures pour faire baisser la mortalité sur les routes

En réponse à la stagnation de la mortalité routière constatée au cours des trois dernières années, le Premier ministre a annoncé le 9 janvier 2018, après avoir réuni le Comité interministériel de la sécurité routière, la mise en oeuvre de 18 mesures nouvelles destinées à rénover la politique de lutte contre l'insécurité routière .

Ces mesures nouvelles sont articulées autour de trois axes :

- l'engagement de chaque citoyen en faveur de la sécurité routière ;

- la protection de l'ensemble des usagers de la route ;

- l'anticipation pour mettre les nouvelles technologies au service de la sécurité routière.

La plupart des mesures annoncées visent à agir sur les principaux facteurs d'accidentalité . Y figure, en premier lieu, l'abaissement de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles du réseau secondaire sans séparateur central de 90 à 80 km/h, entré en vigueur le 1 er juillet 2018. Le plan prévoit également un renforcement des sanctions pour les auteurs d'infractions graves au code de la route (conduite sans permis, usage de stupéfiant, usage du téléphone au volant).

Plusieurs mesures s'attachent par ailleurs à renforcer la prévention en matière de sécurité routière, par la multiplication des initiatives locales et le développement des partenariats extérieurs, ainsi que la protection des populations les plus à risques, notamment les piétons et les usagers de deux-roues (renforcement de la visibilité sur la voirie, incitation à l'usage d'équipements de protection).

Enfin, le plan prévoit l'engagement d'études, financées par un fonds spécifique, en vue de développer l'usage des nouvelles technologies au service de la sécurité routière .

2. Un champ d'application relativement large

Bien qu'elle ne concerne qu'un nombre restreint d'infractions, la proposition de loi trouverait une large application, les infractions légères au code de la route constituant la principale origine des pertes de points au permis de conduire.

Ainsi, en 2017, selon les statistiques publiées par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), un total de 15 148 554 points au permis de conduire a été retiré.

Les petits excès de vitesse, soit les dépassements de la vitesse maximale autorisée de moins de 20 km/h en agglomération ou hors agglomération, sont à l'origine de 58 % des pertes de points (8 814 608 points). Plus de la moitié des pertes de points résultent donc d'infractions dites « légères », punies du retrait d'un seul point au permis de conduire. Cette part importante des petits excès de vitesse dans les retraits de points est en partie liée à l'augmentation de leur constatation, avec la mise en place des radars automatiques.

Source : ONISR - Bilan statistique 2017

II. LA POSITION DE LA COMMISSION : REJETER LA PROPOSITION DE LOI

À l'instar des auteurs de la proposition de loi, votre commission juge nécessaire, dans un contexte de durcissement de la réglementation routière, de s'interroger sur le juste équilibre à trouver en matière de lutte contre l'insécurité routière, de manière à éviter une pénalisation excessive des usagers de la route et à garantir l'acceptabilité des mesures mises en oeuvre.

Au vu de l'impact incertain de la proposition de loi en matière de sécurité routière et du lancement, par le Gouvernement, d'une réflexion sur la valorisation des comportements vertueux sur la route, elle a toutefois jugé préférable de ne pas adopter la proposition de loi, au profit d'une réflexion plus globale sur le rééquilibrage de la politique de lutte contre l'insécurité routière.

A. UN RISQUE D'IMPACT NÉGATIF EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ ET LA MORTALITÉ ROUTIÈRES

Alors que les chiffres de l'insécurité routière connaissent, après des années de forte baisse, une stagnation depuis plusieurs années, la définition d'une politique ferme en matière de sécurité routière apparaît nécessaire.

Les principaux chiffres de l'insécurité routière

La France a connu, à compter du début des années 1970, une baisse régulière du nombre de personnes tuées sur les routes , sous l'effet de politiques de sécurité routière volontaristes, qui ont conduit à un renforcement de la réglementation routière ainsi que des contrôles.

Le nombre annuel de morts sur les routes, qui dépassait les 17 000 au début des années 1970, est passé en dessous de la barre des 8 000 à la fin des années 1990 et a été réduit à 4 000 en 2010 .

En dépit de la mise en oeuvre de nouvelles mesures de sécurité routière, la tendance paraît s'être inversée depuis 2013, les chiffres de l'insécurité routière ayant connu une légère hausse au cours des dernières années . Selon les données publiées par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), la mortalité routière, qui avait atteint son plus bas niveau en 2013 avec 3 427 personnes décédées, a connu une augmentation les années suivantes, atteignant 3 684 en 2017 (+ 7,5 % entre 2013 et 2017).

Évolution du nombre de personnes tuées sur la route
depuis 2010 (France entière)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des données publiées par l'Observatoire national de la sécurité routière

Dans ce contexte, et alors même que le Gouvernement a annoncé, il y a un an, un renforcement de la réglementation routière, il est possible de s'interroger sur l'impact de l'assouplissement du permis à points sur la sécurité routière.

De l'avis de plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, la réduction de la durée de récupération d'un point perdu à l'issue de la commission d'une infraction « légère » au code de la route pourrait en effet constituer un signal négatif en matière de lutte contre l'insécurité routière.

Lors de son audition, le délégué interministériel à la sécurité routière, M. Emmanuel Barbe, a ainsi rappelé l'importance de l' « effet d'annonce » dans le cadre de la politique de sécurité routière : la mise en oeuvre d'une nouvelle mesure tendant à la renforcer induit généralement, et ce avant même son entrée en vigueur, des comportements plus vertueux de la part des usagers de la route, qui se traduisent par des effets immédiats sur les statistiques de la sécurité routière.

À l'inverse, le délégué interministériel à la sécurité routière a estimé que l'assouplissement auquel procède la proposition de loi risquerait de multiplier les comportements à risque, en déresponsabilisant les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement. En portant la durée de récupération de points à une durée très faible, elle pourrait, contrairement à la position tenue par les auteurs de la proposition de loi, nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières et contre la récidive.

L'affaiblissement de la vertu pédagogique du retrait de point serait d'autant plus important que les personnes commettant une infraction au code de la route sont en moyenne informées du retrait de points qui leur est appliqué dans un délai de deux mois après la commission de l'infraction, en raison, d'une part, des délais de recours contre les contraventions (45 jours 5 ( * ) ), d'autre part, des problématiques techniques de gestion de flux. Dès lors, si le délai de récupération de points était abaissé à trois mois, les conducteurs concernés se verraient informés de leur retrait de point et de leur récupération de manière quasi simultanée, faisant perdre à la sanction de retrait de point son utilité.

Enfin, il peut être observé que l'impact de la proposition de loi serait plus large que celui évoqué par ses auteurs. La réduction de la durée de récupération de points à laquelle elle procède ne se limiterait en effet pas aux infractions commises sur les routes sur lesquelles la vitesse est désormais limitée à 80 km/h. Elle concernerait tous les excès de vitesse inférieurs à 20 km/h, y compris ceux commis dans les centres urbains et sur les autoroutes, ainsi que les autres infractions punies d'un retrait d'un point au permis de conduire, précédemment mentionnées. Aussi risquerait-elle d'inciter à des comportements peu responsables non seulement en matière de vitesse, mais également pour le respect d'autres mesures de la réglementation routière.

B. UNE UTILITÉ INCERTAINE

Au-delà des effets négatifs que pourraient induire les dispositions de la proposition de loi, les personnes consultées par votre rapporteur se sont également interrogées sur leur utilité .

Force est en effet de constater que les délais de récupération de points actuellement fixés par la loi ne paraissent pas déséquilibrés dans la mesure où ils ne conduisent que très rarement les conducteurs vertueux et globalement respectueux de la réglementation routière à perdre leur permis de conduire.

Si, comme indiqué précédemment, une part significative des points retirés chaque année le sont à l'issue de la commission d'infractions « légères » au code de la route, nombre d'entre eux sont récupérés automatiquement. Ainsi, en 2017, 6 089 033 points ont été récupérés au bout de six mois, soit environ les trois quarts des points retirés éligibles à une récupération dans ce délai. 3 063 168 permis ont vu leur capital de points rétabli, après deux ou trois ans sans commission de nouvelles infractions.

Les statistiques établies par l'ONISR permettent également d'observer que les invalidations de permis en raison d'un solde nul de points sont plutôt la conséquence de la commission d'infractions lourdes au code de la route. Sur les 61 714 personnes qui ont vu, en 2017, leur permis invalidé à la suite de la perte de tous leurs points, 121 seulement l'ont perdu uniquement en raison de la commission de petites infractions, c'est-à-dire un point par un point.

Évolution du nombre de points retirés et récupérés depuis 2010

Source : ONISR - Bilan statistique 2017

Dès lors, il n'est pas certain que la réduction de la durée de récupération de points prévue par l'article L. 223-6 du code de la route, qui ne concerne que les points perdus pour les infractions punies du retrait d'un seul point, aurait, conformément au souhait des auteurs de la proposition de loi, une incidence majeure sur les invalidations de permis de conduire.

C. UNE RÉFLEXION PERTINENTE MAIS INABOUTIE SUR LE RÉÉQUILIBRAGE DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ ROUTIÈRE

Assurément, la proposition de loi présentée par nos collègues répond à une attente majeure de nos concitoyens qui, comme l'a relevé il y a quelques mois le récent rapport d'information du groupe sénatorial sur la sécurité routière auquel participait votre rapporteur 6 ( * ) , peinent à accepter le renforcement récent de la réglementation routière, en particulier l'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central.

Elle pose un débat essentiel, celui de l'équilibre à trouver en matière de lutte contre l'insécurité routière . La compréhension et l'acceptabilité des mesures de sécurité routière étant une condition essentielle de leur efficacité, il apparaît en effet pertinent de s'interroger, comme le font les auteurs de la proposition de loi, sur la manière de lutter efficacement contre la « délinquance routière » sans pour autant que les mesures adoptées ne soient jugées injustes et pénalisantes par les usagers de la route les plus responsables et ne commettant qu'exceptionnellement des infractions « légères » au code de la route.

Cette même interrogation est à l'origine du lancement, par le Gouvernement, d'une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route , annoncée dans le cadre du plan de lutte contre l'insécurité routière présentée le 9 janvier 2018 (mesure n° 3). Le soin de procéder à cette réflexion a été confié au Conseil national de la sécurité routière (CNSR). Entendu par votre rapporteur, son président, M. Yves Goasdoué, a confirmé qu'une étude avait été engagée et que des propositions devraient être remises au Premier ministre au début de l'année 2019.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, cette réflexion porterait sur les moyens de récompenser les conducteurs exemplaires disposant de tous leurs points sur leur permis de conduire, ainsi que sur les moyens d'alléger les sanctions pour les conducteurs aux comportements responsables et qui commettraient une première infraction de faible gravité, comme un petit excès de vitesse. Parmi les mesures étudiées figurent ainsi l'instauration d'un bonus de points au permis de conduire, assimilable à un fonctionnement assurantiel de « bonus-malus », ainsi que l'introduction d'un sursis pour les retraits de points encourus pour les infractions au code de la route les moins graves.

La proposition de loi dont votre commission est saisie, dans la mesure où elle entend alléger, à titre de compensation du durcissement de la réglementation routière, les sanctions appliquées aux usagers de la route ne commettant que des infractions légères au code de la route, paraît s'inscrire dans la droite ligne de cette réflexion plus globale .

Pour autant, au regard des difficultés précédemment évoquées, votre commission a estimé la solution proposée inaboutie et insuffisante pour répondre à l'enjeu soulevé. Elle a jugé préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à une étude d'impact approfondie, afin tant de garantir l'efficacité des mesures proposées que d'éviter tout effet de bord.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi n° 392 (2017-2018) relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution , la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

MERCREDI 16 JANVIER 2019

M. Philippe Bas , président . - M. Jean-Luc Fichet nous expose à présent son rapport sur la proposition de loi, déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de nos collègues, relative à l'aménagement du permis à points dans la perspective de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire.

M. Jean-Luc Fichet , rapporteur . - Ce texte s'inscrit dans un contexte que nous connaissons tous, et dont nous avons déjà eu à débattre au sein de notre commission : celui d'une forte incompréhension de la population face à l'abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central.

À titre de compensation de ce durcissement de la réglementation routière, les auteurs de la proposition de loi entendent alléger les sanctions appliquées aux infractions les moins graves, en assouplissant les règles de récupération de points. Le dispositif proposé est relativement simple.

Actuellement, le code de la route prévoit que toute personne ayant perdu des points sur son permis de conduire les récupère automatiquement au bout de deux ans si elle n'a commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route. Ce délai est de trois ans pour les infractions les plus graves, à savoir les délits ou les contraventions de la quatrième et de la cinquième classes.

Une dérogation est prévue pour les infractions les plus « légères » : les personnes qui ont commis une infraction punie du retrait d'un seul point de permis peuvent le récupérer dans un délai de six mois si elles n'ont commis, dans ce délai, aucune nouvelle infraction au code de la route.

L'article unique de la proposition de loi vise à abaisser de six mois à trois mois ce délai de récupération de points. Il s'agit, dans l'esprit de ses auteurs, d'éviter que le passage à 80 km/h ne pénalise de manière démesurée les usagers de la route, en leur faisant risquer de perdre plus de points sur leur permis de conduire.

Notons que seules quatre infractions sont aujourd'hui concernées par le retrait d'un seul point : les petits excès de vitesse, inférieurs à 20 km/h ; l'absence de port de gants homologués par les motocyclistes ; le chevauchement d'une ligne continue et le chevauchement des lignes délimitant les bandes d'arrêt d'urgence sur l'autoroute.

Le champ d'application de la proposition de loi serait pourtant assez large, car plus de la moitié des points qui sont chaque année retirés le sont pour des petites infractions au code de la route. En 2017, par exemple, sur les quelque 15 millions de points qui ont été retirés aux permis de conduire, près de 9 millions l'ont été pour des infractions « légères », punies du retrait d'un seul point.

Les auteurs de la proposition de loi soulèvent, assurément, un débat essentiel, celui de l'équilibre à trouver en matière de sécurité routière. L'efficacité des mesures de sécurité routière repose en partie sur leur compréhension par la population et leur degré d'acceptabilité. Une mesure qui n'est pas acceptée sera peu respectée. C'est d'ailleurs la position que nous avions tenue, avec nos collègues Michel Raison et Michèle Vullien, dans notre rapport d'information sur le passage aux 80 km/h. Dans ce contexte, il apparaît donc pertinent de s'interroger sur la manière de lutter efficacement contre la « délinquance routière » sans pour autant que les mesures adoptées soient jugées injustes et pénalisantes pour les usagers de la route les plus responsables !

Cette même interrogation a d'ailleurs conduit le Gouvernement à lancer récemment une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route. Le soin de conduire une étude sur le sujet a été confié au Conseil national de la sécurité routière. Son président, Yves Goasdoué, que j'ai reçu en audition, nous a indiqué que les conclusions de ce rapport seraient prochainement remises. Plusieurs propositions sont étudiées, parmi lesquelles l'idée d'introduire une forme de sursis sur le retrait de points.

Si le sujet mérite sans aucun doute d'être posé, la solution proposée par la proposition de loi ne paraît toutefois ni aboutie ni suffisante pour répondre au débat, pour deux raisons principales.

Première raison : la réduction de la durée de récupération de points pourrait constituer un signal négatif en matière de lutte contre l'insécurité routière. Il existe en effet un risque important que les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement, adoptent des comportements à risque. Six mois, c'est déjà une durée relativement courte : si nous la réduisons, nous risquons de nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières.

Notons d'ailleurs qu'actuellement les personnes qui commettent une petite infraction ne sont informées de leur retrait de point qu'au bout de deux mois, en raison des délais de recours et des délais techniques liés à la gestion des flux. Si nous abaissions le délai de récupération de points à trois mois, les personnes concernées se verraient informées de leur retrait de point et de leur récupération de point de manière quasi simultanée, ce qui diminuerait assurément l'utilité de la sanction de retrait de point.

Enfin, la proposition de loi ne porterait pas uniquement sur les excès de vitesse commis sur les routes où la vitesse maximale autorisée est limitée à 80 km/h : elle concernerait tous les excès de vitesse inférieurs à 20 km/h, y compris ceux commis sur les autoroutes ou en agglomération. Seraient également concernées les infractions de franchissement de lignes.

La seconde raison qui justifie mes réserves a trait à l'utilité de la proposition de loi. Les statistiques nous montrent que les délais actuellement prévus par la loi pour la récupération de points ne sont pas disproportionnés. En effet, une part significative des points retirés chaque année pour de petites infractions au code de la route sont récupérés automatiquement, dans les délais prévus par la loi. En 2017, environ les trois quarts des points retirés ont été récupérés automatiquement, dans un délai de six mois.

Qui plus est, très peu de personnes perdent leur permis de conduire point par point, c'est-à-dire en ne commettant que de petites infractions : cela représentait en 2017 seulement 121 personnes, sur un total de 61 714 invalidations de permis de conduire. La plupart des personnes concernées perdent donc leur permis en raison d'infractions lourdes au code de la route, et non pas en commettant de petits excès de vitesse ! Dans ces conditions, réduire à trois mois la durée de récupération de points n'aurait que très peu d'impact sur les invalidations de permis de conduire.

Je le répète : la proposition de loi pose un débat essentiel, que nous nous devons, en tant que législateur, de conduire. Toutefois, au regard de l'utilité incertaine du dispositif proposé et de l'impact négatif qu'il pourrait avoir en matière de sécurité routière, la proposition de loi ne me paraît pas apporter de solution viable.

La sécurité routière est une matière complexe et les enjeux sont trop importants pour adopter des dispositions « à la légère » : plus de 3 500 personnes perdent encore la vie, chaque année, sur la route. Il me paraît dès lors préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la réalisation d'une étude d'impact approfondie, afin de garantir l'efficacité des mesures proposées et d'éviter tout effet de bord. La réflexion actuellement menée par le Conseil national pour la sécurité routière contribuera utilement à ce débat.

Pour l'ensemble de ces raisons, et tout en reconnaissant l'intérêt du débat soulevé, je vous proposerai de ne pas adopter cette proposition de loi.

M. Philippe Bas , président . - La mesure sur les 80 km/h suscite encore beaucoup d'incompréhension, d'opposition et d'interrogations sur son impact réel sur l'accidentalité. Si la vitesse est facteur d'accidents, ce n'est pas à 80 ou 90 km/h que se pose le problème. Présent hier à Grand Bourgtheroulde, j'ai noté que le Président de la République, tout en saluant le courage de son Premier ministre, avait admis qu'il existait peut-être une meilleure solution et que cette mesure n'était pas intangible. À cet égard, le rapport corédigé par Jean-Luc Fichet formule des propositions pragmatiques. Il faut dresser, avec les présidents de conseil départemental, la liste des lieux les plus dangereux où la vitesse maximale autorisée pourrait être effectivement réduite. Si une évolution est possible, alors le Sénat doit rester fidèle à ses propres propositions.

La présente proposition de loi entend tirer les conséquences de cette limitation à 80 km/h en adoucissant le régime du permis à points. Je crois que ce n'est pas la voie la plus cohérente avec les travaux du Sénat et la plus féconde dans la période actuelle. Si le groupe Union Centriste l'avait voulu, nous aurions pu envisager le renvoi de son texte en commission. À défaut, le rapporteur propose de ne pas amender ce texte et de ne pas l'adopter. Je souscris à cette proposition, surtout compte tenu de la position d'ouverture et de retour à la raison qu'on observe. En outre, après la présentation qui a été faite du Sénat par le Président de la République dans sa Lettre aux Français , rapprochant le rôle de notre assemblée de celui du Conseil économique, social et environnemental, il ne faudrait pas qu'on nous reproche, en adoptant ce texte, de tomber dans la démagogie. Sans compter les amendements qui pourraient être présentés tendant à démanteler le mécanisme du permis à points. Pour autant, je comprends ce qui motive les auteurs de la proposition de loi compte tenu de l'irritation suscitée par la mesure d'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km sur certaines routes.

M. Alain Richard . - La rotation très accélérée des points telle que le proposent les auteurs de cette proposition de loi ne concernerait pas seulement les points perdus pour un dépassement de la vitesse sur les routes limitées à 80 km/h : elle concernerait également le fait de conduire à 129 km/h dans une zone limitée à 110, à 149 km/h dans une zone limités à 130. Je suppose que les points perdus pour un dépassement des 80 km/h représentent une faible part de l'ensemble des points perdus, faute de radar dans la grande majorité des zones concernées ou parce qu'ils étaient déjà présents. La position du rapporteur me paraît donc juste. En outre, j'approuve la volonté du président de prévenir tout reproche de démagogie.

M. Alain Marc . - Après avoir entendu ce qu'a dit le Président de la République sur les 80 km/h, j'en conclus que nos positions se rejoignent. C'est le président de la commission des routes du conseil départemental de l'Aveyron qui vous parle : nous avons toujours dit qu'il fallait travailler avec les conseils départementaux et les forces de police et de gendarmerie pour identifier les zones les plus accidentogènes et les voies les plus dégradées compte tenu de la baisse de nos moyens. Après l'obstination du Premier ministre, il semble que s'ouvre une perspective, le Président de la République écoutant les élus locaux. Aussi, je rejoins la position du rapporteur.

M. Jacques Mézard . - Je n'ai jamais soutenu la proposition des 80 km/h - c'est un secret de polichinelle. Ce n'est pas un progrès en matière de sécurité, et cela a pu être vécu comme une provocation dans certains territoires que je connais bien. La solution n'est pas dans la réduction à trois mois de la durée pour récupérer les points, revenons à la raison et au bon sens. Un rejet du texte pourrait cependant être mal compris, et le renvoi en commission me semblait une meilleure idée. Il serait bon, en toute hypothèse, d'avancer au 1 er juillet 2019 le bilan avec les conseils départementaux, car il est des endroits où la limitation de vitesse est souhaitable...

M. Philippe Bas , président . - Oui !

M. Jacques Mézard . - ... et d'autres où cela n'a aucun sens - il est même des tronçons où la vitesse limite change tous les cinq kilomètres ! Tout le monde souhaite faire baisser le nombre de victimes sur les routes, mais mesurons d'abord les conséquences de cette mauvaise décision.

M. Jérôme Durain . - Le terme qui m'est venu à l'esprit en entendant les différentes interventions est celui de brimade. C'est ainsi que la mesure a été vécue dans de nombreux territoires, sur lesquels elle a été appliquée de manière froidement descendante - nous n'étions certes pas à l'heure du grand débat ! Concertation, discernement et finesse ont clairement fait défaut dans la mise en oeuvre. Le groupe socialiste et républicain suivra la proposition du rapporteur ; les 80 km/h sont du domaine réglementaire et non législatif, mais c'est une zone un peu floue.

M. François Grosdidier . - Au lendemain du lancement de ce débat, on ne peut que saluer la décision du Président de la République de se rallier à la position du Sénat - après avoir fait la sourde oreille... Il était naguère interdit aux maires et aux présidents de conseils départementaux de fixer une telle limitation de vitesse puisque la loi leur imposait de choisir entre 30, 50, 70 et 90 km/h. Je n'ai ainsi jamais pu, en tant que maire, limiter la vitesse sur certains axes à 40 km/h, qui était pourtant la valeur pertinente ! C'est absurde, et cela montre bien les dysfonctionnements de notre État. Il ne s'agit pas de caprice des élus locaux, mais d'analyse des situations locales ! Autoriser les départements à retenir la limite de 80 km/h au lieu de 90, après analyse de la situation avec les gendarmes et les services de la préfecture, serait un retour à ce qu'aurait dû rester le fonctionnement normal, tout simple, de la République. Qu'on le redécouvre à présent, tant mieux. Cela nous a de plus été annoncé par un one man show brillant ; j'ignore si c'est ainsi que l'on fera revivre la démocratie locale, parlementaire et sociale, souhaitons en tout cas que les annonces se confirment.

Mme Brigitte Lherbier . - Pour avoir passé le plus clair de mon temps avec des jeunes, je peux vous assurer que les nouveaux titulaires du permis de conduire sont toujours contrariés de perdre leurs premiers points. Le rapporteur a raison : maintenir à six mois le délai de restitution des points est une bonne chose, c'est aussi de cette façon que les jeunes conducteurs font l'expérience de leur conduite...

M. Yves Détraigne . - Nos échanges me font penser à cette phrase de Pompidou, alors Premier ministre : « Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! ». Nous en avons là une belle illustration.

M. François Bonhomme . - Je souscris à la position du rapporteur. La mesure était incomprise et inadaptée. Je note que les esprits évoluent : l'inflexibilité initiale est devenue une inflexibilité relative, ce dont je me réjouis... Mais le projet, d'après ce que nous avons entendu hier, consisterait à laisser au préfet une part de la décision d'adaptation, ce qui n'est toujours pas le bon niveau. Rendons aux élus, surtout lorsqu'ils sont gestionnaires de leur réseau routier, la pleine capacité de décision pour éviter les fractionnements de limitation et les changements incessants.

M. Pierre-Yves Collombat . - Cette décision, si je ne m'abuse, a été prise par l'actuel Gouvernement ! Modifier une mauvaise décision est toujours une bonne chose, mais il ne faudrait pas que cela devienne une méthode de gouvernement, permettant par-dessus le marché de se flatter, comme auprès des maires en ce moment, d'avoir rectifié les erreurs commises.

Mieux vaudrait annuler les mauvaises décisions plutôt que de les raccommoder, nous dit en substance le président Bas. Chiche : plutôt que de passer son temps à ravauder la loi NOTRe, supprimons-la - voeu pieux, je le sais bien ! Le rapporteur a raison : sans même parler des inconvénients soulevés par Alain Richard, la proposition de loi n'a pas de sens. N'en rajoutons donc pas dans l'approximation.

Mme Catherine Troendlé . - Je voudrais rappeler qu'il existe en principe dans chaque préfecture un comité départemental des usagers des routes, qui peut être saisi à tout moment par le préfet ou la gendarmerie, pour appliquer les mesures de limitation de vitesse qui s'imposent sur les axes accidentogènes. Pourquoi légiférer alors qu'il existe une instance qui permet à tous les acteurs locaux de se mettre autour de la table pour prendre les bonnes décisions ?

M. Jean Louis Masson . - Je partage tout à fait l'analyse de notre rapporteur : soyons prudents sur les modifications. Soyons prudents également sur la logique de délégation du pouvoir réglementaire à telle ou telle collectivité, car cela aboutit dans certains endroits à des choses aberrantes, comme la modification de la vitesse limite tous les kilomètres ou presque - c'est le cas sur une autoroute de Moselle, et c'est odieux. Une règle d'uniformité de principe doit prévaloir sur route et autoroute, sauf cas particulier local.

Je partage l'analyse de M. Collombat sur la loi NOTRe. Si un certain nombre de sénateurs n'avaient pas voté ce texte et notamment son seuil de 15 000 habitants pour les intercommunalités, le problème de la représentation des petites communes dans les intercommunalités, objet du texte que nous examinerons dans un instant, ne se poserait pas... Il est bon de corriger les problèmes en effet, mais meilleur de ne pas les créer !

Nous devrions également regarder de plus près, monsieur le président, ce qui relève de la loi et ce qui relève du règlement. À ma connaissance, la limitation à 70 ou 90 km/h n'a jamais été législative. Veillons au respect des principes constitutionnels et à ne pas adopter des mesures qui ne seraient pas du domaine de la loi.

M. Hervé Marseille . - Merci, monsieur le président, de vos propos. Je remercie également le rapporteur pour ses observations pertinentes, et prends acte des positions de tous ceux qui se sont exprimés.

Je regrette cependant que l'on parle de démagogie à propos d'un texte cosigné par 80 de nos collègues de tous les bancs - dont un certain nombre présents dans cette salle - et sur lequel plusieurs amendements allant dans un sens plus restrictif ont été déposés. On peut être d'accord ou non avec ce texte, mais évitons de parler de démagogie, car en faire un critère d'examen de nos textes ouvrirait assurément de belles perspectives...

Je disconviens également sur l'analyse des mesures susceptibles d'être engagées par le Président de la République à l'égard du Sénat. Le fait d'examiner ou non des textes en commission ou en séance n'est pas de nature à empêcher quoi que ce soit.

M. Philippe Bas , président . - Si j'ai parlé de démagogie, c'est par crainte que nous en soyons accusés, nullement pour qualifier cette proposition de loi !

M. Jean-Luc Fichet , rapporteur . - Un des arguments forts des auteurs de la proposition de loi était de dire qu'elle adoucirait en quelque sorte les sanctions infligées aux conducteurs pendant la phase d'adaptation à la nouvelle limitation de vitesse. Or il se trouve que la destruction des radars - les deux tiers ne sont plus actifs - ne nous permettra pas d'évaluer le respect de la nouvelle réglementation...

Le rapport que nous avons réalisé avec Mme Vullien et M. Raison proposait de différer l'application des 80 km/h au 1 er janvier 2019 et de travailler plus étroitement avec les collectivités. On oublie en effet souvent les mairies, qui sont aussi gestionnaires des voiries communales, qui représentent parfois un nombre considérable de kilomètres de route. Le rapport ne la mentionnait pas, mais je soutiens la proposition qui consiste à flécher le produit des amendes vers l'entretien de la voirie communale, dont les maires dénoncent la charge exorbitante, afin de rendre les routes moins accidentogènes.

La proposition de loi n'est pas adoptée par la commission.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Articles additionnels après l'article unique

M. KAROUTCHI

2 rect. bis

Suppression de la perte de point pour les conducteurs exemplaires.

Rejeté

M. FOUCHÉ

3 rect.

Introduction d'un bonus de points pour les usagers de la route exemplaires.

Rejeté

M. FOUCHÉ

4 rect.

Suppression de l'amende forfaitaire pour les petits excès de vitesse.

Rejeté

M. REGNARD

1 rect.

Limitation des possibilités de rétention du permis de conduire par les autorités administratives.

Rejeté

Intitulé de la proposition de loi

M. FOUCHÉ

5 rect.

Modification de l'intitulé de la proposition de loi.

Rejeté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mme Sylvie Goy-Chavent , auteur de la proposition de loi

Ministère de l'intérieur - Délégation à la sécurité routière (DSR)

M. Emmanuel Barbe , délégué interministériel à la sécurité routière

M. Alexandre Rochatte , délégué adjoint à la sécurité routière

Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR)

Mme Manuelle Salathé , secrétaire générale

Mme Mélanie d'Auria , chargée d'études « accidentologie »

Conseil national de la sécurité routière (CNSR)

M. Yves Goasdoué , président, maire de Flers, président de Flers-agglo


* 1 Le permis à points a été instauré par la loi n° 89-469 du 10 juillet 1989 relatives à diverses dispositions en matière de sécurité routière et en matière de contraventions. Sa mise en oeuvre n'a toutefois été effective qu'au 1 er juillet 1992.

* 2 Les nouveaux titulaires d'un permis de conduire obtiennent, pendant une période déterminée, dite période probatoire, un nombre restreint de points, égal à six. La durée de la période probatoire dépend de la durée d'apprentissage : elle est de trois ans en cas d'apprentissage traditionnel et de deux ans en cas d'apprentissage anticipé en conduite accompagnée. Le permis probatoire concerne les titulaires d'un permis de conduire pour la première fois de même que les personnes ayant obtenu un nouveau permis de conduire à la suite d'une invalidation ou d'une annulation judiciaire.

* 3 Cette dérogation a été introduite par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la récidive. Initialement d'une durée d'un an, la durée de récupération d'un point de permis a été réduite à 6 mois, à l'initiative du Sénat, par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2.

* 4 En vertu de l'article L. 223-6 du code de la route, en période de probation, l'auteur d'une infraction qui donne lieu au retrait d'au moins trois points au permis de conduire est tenu d'effectuer un stage de sensibilisation à la sécurité routière. Ce type de stage peut également être imposé dans un cadre judiciaire, soit à titre de peine complémentaire, soit dans le cadre d'une composition pénale ou d'une alternative aux poursuites. Dans ce dernier cas, la réalisation du stage ne donne toutefois pas lieu à une récupération de points.

* 5 Art. 529-2 du code de procédure pénale.

* 6 Rapport d'information de M. Michel Raison, Mme Michèle Vullien et M. Jean-Luc Fichet, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois du Sénat, « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité », avril 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r17-436/r17-436.html

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page