EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le démarchage téléphonique est une activité encadrée par la loi, fondée sur l'absence de consentement préalable des consommateurs.

Un dispositif novateur issu de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation permet au consommateur de s'inscrire gratuitement sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique, s'il ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale. Il interdit depuis lors, sous peine de sanction administrative, tout professionnel de contacter un consommateur inscrit sur cette liste, en vue de conclure un contrat portant sur la vente d'un bien ou sur la fourniture d'un service.

Mis en oeuvre depuis 2016, ce système tarde toutefois à faire ses preuves et l'exaspération légitime des consommateurs est croissante.

La proposition de loi n° 183 (2018-2019) visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, présentée par M. Christophe Naegelen et plusieurs de nos collègues députés et adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 6 décembre 2018, a pour objet de renforcer l'efficacité du droit d'opposition au démarchage téléphonique et d'accroître la lutte contre les pratiques frauduleuses.

Elle conforte le système de l' opt out en matière de démarchage téléphonique, prenant le contre-pied d'une précédente proposition de loi présentée par M. Pierre Cordier et également adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 21 juin 2018, prescrivant au contraire la mise en place d'un mécanisme d' opt in , fondé sur le consentement préalable du consommateur à être démarché téléphoniquement.

Au terme d'un examen approfondi, votre commission a estimé que proposer l' opt in , à la faveur du contexte actuel, reviendrait peu ou prou à faire disparaître le secteur du démarchage téléphonique. Elle ne l'a pas souhaité compte tenu des enjeux en matière d'emploi.

Aussi, approuvant la philosophie de la proposition de loi, votre commission a adopté 8 amendements de son rapporteur visant à renforcer l' efficacité du système d' opt out ainsi que les obligations de transparence et de déontologie du secteur.

Elle a également renforcé la clarté et la sécurité juridique des dispositions permettant de lutter contre les pratiques frauduleuses, pour mieux protéger les consommateurs.

Pour autant, votre commission s'est opposée à l'article 5 de la proposition de loi, préférant en rester au droit en vigueur s'agissant de l'exception contractuelle qui permet au professionnel de contacter un consommateur inscrit sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique.

I. LE DÉMARCHAGE TÉLÉPHONIQUE : UNE ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ENCADRÉE QUI DEMEURE SOURCE DE NUISANCES POUR LES CONSOMMATEURS

A. LE DROIT EN VIGUEUR EST FONDÉ SUR L'ABSENCE DE CONSENTEMENT PRÉALABLE DU CONSOMMATEUR

1. L'encadrement du contenu des appels de démarchage téléphonique

Le démarchage téléphonique, que l'on peut aussi appeler prospection commerciale par téléphone, est défini par l'article L. 221-16 du code de la consommation comme une prise de contact par téléphone avec un consommateur « en vue de conclure un contrat portant sur la vente d'un bien ou sur la fourniture d'un service ».

Lors d'un tel appel, pour lequel l'utilisation d'un numéro masqué est interdite par l'article L. 221-17 du code de la consommation, le professionnel doit indiquer au début de la conversation plusieurs informations au consommateur qu'il démarche. La méconnaissance de ces dispositions est punie d'une amende administrative ne pouvant excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale 1 ( * ) . Cet encadrement, issu de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs 2 ( * ) , a été transposé par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Dans l'hypothèse où un contrat serait ainsi conclu, le consommateur bénéficie ensuite des différentes dispositions protectrices pour les ventes à distance 3 ( * ) .

2. Le système français n'exige pas le consentement préalable du consommateur à être démarché téléphoniquement

Le droit en vigueur, issu de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, est fondé sur le principe dit de l' opt out , le consentement préalable du consommateur à faire l'objet de prospection commerciale n'étant pas exigé.

Le consommateur qui ne souhaite pas faire l'objet d'une telle prospection commerciale peut s'inscrire gratuitement sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique 4 ( * ) . Il est alors interdit à un professionnel de démarcher un consommateur qui se serait inscrit sur cette liste, tout comme est interdite la location ou la vente de fichiers comportant les coordonnées de consommateurs inscrits sur cette même liste, sous peine de sanctions administratives ne pouvant excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale 5 ( * ) .

Ces dispositions ont vocation à s'appliquer à tout professionnel, même opérant depuis l'étranger, démarchant un consommateur dont la résidence habituelle est en France 6 ( * ) .

Plusieurs exceptions à ce principe sont prévues, le consommateur pouvant être contacté même s'il est inscrit sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique :

- en cas de relations contractuelles préexistantes entre le professionnel et le consommateur, il s'agit de « l'exception client » ;

- si le démarchage concerne la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines (article L. 223-5 du code de la consommation) ;

- si le démarchage concerne une activité non commerciale comme celle d'associations à but non lucratif ou d'instituts de sondages ;

- ou enfin pendant une durée limitée à trois mois, si le consommateur a donné librement ses coordonnées en vue de l'achat d'un bien ou d'une prestation de service.

La gestion de la liste d'opposition au démarchage téléphonique, Bloctel , est assurée par un organisme désigné pour une période de cinq ans par le ministre chargé de l'économie 7 ( * ) sous la forme d'une délégation de service public. Il s'agit, jusqu'au 26 février 2021, de la société Opposetel 8 ( * ) .

Plus de 4 millions de consommateurs sont aujourd'hui inscrits sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique, pour plus de 9 millions de numéros de téléphone (fixes ou portables) 9 ( * ) enregistrés, d'après les informations communiquées à votre rapporteur par la société Opposetel .

Pour assurer le respect de ces dispositions, les professionnels sont tenus, en application de l'article R. 223-6 du code de la consommation, de saisir cet organisme afin que celui-ci s'assure de la conformité de leurs fichiers avec la liste d'opposition au démarchage téléphonique. Aucune sanction n'est toutefois prévue en cas de non-respect de cette obligation. Depuis le début de sa délégation de service public en 2016, Opposetel a indiqué à votre rapporteur avoir traité près de 260 000 fichiers et « expurgé » de ces fichiers plus de 6 milliards de numéros de téléphone 10 ( * ) .

Il est toutefois notable que, contrairement à plusieurs autres pays européens dont l'Allemagne, la France n'a pas choisi de mettre un oeuvre le principe de l' opt in , fondé sur le consentement préalable du consommateur à être démarché téléphoniquement. Le Sénat avait pourtant adopté dès le 28 avril 2011 un dispositif prescrivant le principe du recueil du consentement exprès de l'abonné téléphonique par l'opérateur en vue de l'utilisation de ses données personnelles à des fins de prospection directe par un tiers au contrat, sous peine d'amende pénale 11 ( * ) .

3. Le droit de s'opposer au traitement de ses données à caractère personnel demeure un garde-fou important pour le consommateur

Pour le consommateur, l'inscription sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique s'exerce sans préjudice de son droit de s'opposer sans frais au traitement de ses données à caractère personnel, conformément aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dont la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) assure le respect.

Le nouveau règlement général sur la protection des données (RGPD) 12 ( * ) ne remet pas en cause la possibilité pour les États d'opter pour un système d'opposition a posteriori en matière de démarchage téléphonique.

Le droit de l'Union européenne distingue en effet la prospection commerciale selon deux régimes distincts.

L'utilisation exclusive d'automates d'appels, ou encore l'envoi de télécopies, de SMS ou de courriels requiert, en application de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 dite « vie privée et communications électroniques » ou encore « e-privacy », telle que transposée à l'article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques, le recueil du consentement préalable de la personne avant toute prospection commerciale.

À l'inverse, le démarchage téléphonique avec intervention humaine peut reposer sur l'une des bases légales 13 ( * ) listées à l'article 6 du RGPD relatif à la licéité du traitement de données à caractère personnel : le consentement préalable de la personne concernée ou l'intérêt légitime du responsable du traitement. Cette dernière base légale suppose toutefois de veiller au respect des intérêts ainsi que des libertés et droits fondamentaux de la personne concernée. En pratique, cela signifie que la personne appelée doit pouvoir raisonnablement s'attendre, compte tenu notamment du contexte initial de la collecte, à ce que ses données soient traitées à des fins de prospection 14 ( * ) .

À cet égard, le principe du droit d'opposition préexistant au RGPD est maintenu par ce dernier dans toutes ses composantes. Ainsi, en matière de prospection commerciale, le droit d'opposition doit pouvoir être exercé de manière gratuite, discrétionnaire et à tout moment, auprès du responsable du traitement, conformément à l'article 21 du RGPD. Lorsqu'elle l'estime nécessaire, la CNIL peut prendre des sanctions 15 ( * ) , telles que des mesures correctrices non-pécuniaires 16 ( * ) et des amendes administratives.

En fonction des critères désormais établis par RGPD 17 ( * ) , l'amende administrative peut atteindre 20 millions d'euros ou jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires annuel mondial pour une personne morale, en cas de non-respect des critères de licéité ou du droit d'opposition d'une personne au traitement de ses données à caractère personnel.


* 1 Articles L. 242-12 et L. 242-14 du code de la consommation.

* 2 Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil. Elle est consultable à l'adresse suivante :

https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:304:0064:0088:fr:PDF

* 3 Articles L. 221-18 et suivants du code de la consommation.

* 4 Article L. 223-1 du code de la consommation.

* 5 Article L. 242-16 du code de la consommation.

* 6 Le démarchage téléphonique entre professionnels n'est pas concerné par ces mesures contraignantes.

* 7 Article L. 223-4 du code de la consommation.

* 8 Arrêté du 25 février 2016 portant désignation de l'organisme chargé de gérer la liste d'opposition au démarchage téléphonique.

* 9 4 008 329 au 31 décembre 2018.

* 10 Ce chiffre s'explique par le fait qu'un numéro de téléphone donné est expurgé des centaines de fois par mois des fichiers des différentes entreprises soumettant leurs données à une mise en conformité par Opposetel .

* 11 Proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique présentée par Jacques Mézard, dont le dossier législatif est accessible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl10-354.html

* 12 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données). Le texte de ce règlement est accessible à l'adresse suivante :

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679

* 13 Une autre base légale, très rare, peut éventuellement être mobilisée : l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie. Dans cette hypothèse, la prospection doit être un service expressément demandé par la personne.

* 14 Le considérant 47 du RGPD mentionne, à titre d'exemple, « des situations telles que celles où la personne concernée est un client du responsable du traitement ». L'intérêt légitime ne peut par ailleurs être reconnu que si la société qui s'en prévaut offre aux personnes des moyens de contrôle effectifs sur l'utilisation de leurs données (droit d'opposition facilement exerçable notamment).

* 15 Article 58 du RGPD.

* 16 Ces mesures correctrices peuvent prendre les formes suivantes : avertissement d'un responsable de traitement que les opérations envisagées sont susceptibles de violer le RGPD, rappeler à l'ordre un responsable de traitement en cas de violation du RGPD, ordonner au responsable de traitement de satisfaire aux demandes présentées par la personne concernée en vue d'exercer ses droits, ordonner au responsable de traitement de mettre en conformité avec le RGPD ses activités de traitement, imposer une limitation temporaire ou définitive du traitement, ou encore ordonner la rectification ou l'effacement des données en application de l'article 17 du RGPD.

* 17 Article 83 du RGPD.

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