B. CERTAINES DISPOSITIONS PRÉMATURÉES ET MAL PRÉPARÉES

L'inclusion des articles 8 et 9 dans le texte du projet de loi suscite davantage d'interrogations . Ils concernent respectivement la possibilité de la création d'un établissement public chargé de porter les travaux de conservation et de restauration de Notre-Dame de Paris et la mise en place de dérogations aux législations en vigueur pour faciliter la réalisation du chantier de la cathédrale. Dans les deux cas, ils prennent la forme d'une habilitation accordée au Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance . Celles-ci ne sont pas seulement justifiées par la technicité des sujets sur lesquels elles portent, mais aussi par les incertitudes du Gouvernement sur ses réels besoins concernant le chantier de la cathédrale.

Ces incertitudes sont compréhensibles puisqu'un mois après le drame, le site est toujours en cours de sécurisation pour permettre le lancement de la phase de diagnostic. La question se pose en revanche de savoir s'il était opportun de faire figurer ces sujets, pourtant majeurs, dans le projet de loi , alors que la réflexion les concernant n'est pas encore mûre. En témoigne le caractère succinct de l'étude d'impact sur ces questions, dont l'insuffisance a d'ailleurs été dénoncée par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi. En témoigne surtout cette demande d'habilitation à légiférer par ordonnance, qui traduit bien la précipitation dans laquelle ce projet de loi a été rédigé. Le recours aux ordonnances réduit significativement la capacité du Parlement à procéder à un examen attentif des dispositions qui lui sont soumises.

Il faut ajouter que ces deux dispositions ont été vues par beaucoup comme des marques de défiance à l'égard à la fois des capacités propres au ministère de la culture à conduire lui-même ce projet , compte tenu du souhait de l'exécutif de nommer Jean-Louis Georgelin à la tête du futur établissement public, et des règles qui régissent la protection patrimoniale . Cette suspicion est d'autant plus grande que ces dispositions interviennent après les atteintes portées par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) à notre législation en matière de patrimoine et dans le contexte du débat actuel autour des menaces que pourrait faire peser sur l'environnement et le patrimoine un projet de décret visant à déconcentrer auprès du préfet de département la procédure de délivrance des autorisations de travaux dans les sites classés.

Sur la question de l'établissement public , le problème se situe sans doute moins dans la décision de créer un organisme spécifiquement en charge de conduire les travaux, à partir du moment où cette solution a été utilisée à de multiples reprises par le passé et couronnée de succès et dès lors que ses missions et son fonctionnement sont encadrés avec soin, que dans l'ambiguïté entretenue par les différentes dispositions du projet de loi sur la solution qui sera retenue entre le recours aux moyens dont dispose déjà l'État (DRAC, CMN, Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture - OPPIC) et la création d'un nouvel établissement public. Cette équivoque est préjudiciable tant à la bonne information du Parlement qu'à l'intelligibilité de la loi. Elle dessert le Gouvernement si son intention est de créer effectivement un établissement public en laissant à penser que les solutions pourraient être équivalentes et en le privant de sa capacité à défendre correctement le choix de l'établissement public.

En revanche, la perspective d'introduire des dérogations aux règles de droit commun pour faciliter la mise en oeuvre du chantier de Notre-Dame est absolument incompréhensible . Si l'objectif de cette disposition est uniquement, comme l'a laissé entendre le ministre de la culture lors de son audition par la commission, de gagner du temps sur les démarches administratives, elle semble parfaitement inutile . Les délais prévus par les codes sont des plafonds et les demandes d'autorisation concernant Notre-Dame peuvent parfaitement être traitées de manière prioritaire par les services de l'État moyennant des instructions en ce sens. Si l'objectif est de permettre à l'État de s'affranchir de règles que les autres propriétaires doivent mettre en oeuvre lorsqu'ils conduisent des projets de restauration, quand bien même leur ampleur en est différente, le risque de jeter le discrédit sur l'ensemble de notre législation est énorme et il constituerait, à coup sûr, un précédent désastreux pour l'avenir.

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