MISSION « AGRICULTURE, ALIMENTATION,
FORÊT ET AFFAIRES RURALES »
ET CAS « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL » - MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux

La mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) comprend trois programmes budgétaires distincts :

- le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture » (2 244 millions d'euros de dépenses en 2018) correspond principalement à la composante nationale des interventions en faveur du développement rural portées au niveau européen par le FEADER ;

- le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » (552,4 millions d'euros de dépenses en 2018) couvre pour l'essentiel, en dépit de son intitulé, des interventions visant à assurer l'intégrité des animaux et végétaux, ne réservant qu'une partie de ses interventions à la sécurité sanitaire des aliments elle-même ;

- le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture » (645,8 millions d'euros de dépenses en 2018) est le programme support du ministère de l'agriculture et réunit la plupart des moyens nécessaires à couvrir les coûts de gestion des missions du ministère (hors éducation).

Par ailleurs, la mission concourt au financement d'une dizaine d'opérateurs, principalement à partir du programme 149, sans compter un nombre difficile à déterminer de partenaires auxquels se trouvent déléguées des missions du ministère et qui sont financés par ce dernier ou directement par les exploitants agricoles.

La mission AAFAR n'est qu'un financeur second de l'agriculture française qui bénéficie de transferts publics, mal circonscrits, mais frôlant sans doute les 20 milliards d'euros par an.

Ces dernières années, la programmation budgétaire avait été marquée par une forme d'insincérité budgétaire consistant à ne pas inscrire en loi de finances initiale les crédits nécessaires à des dépenses certaines. L'exécution du budget 2018 prête moins le flanc à la critique de ce point de vue même si elle n'a pas été totalement purgée de ces pratiques.

Par ailleurs, des dépenses considérables avaient dû être supportées par la mission sans profit pour l'économie agricole, du fait de dysfonctionnements dans l'administration des interventions européennes, qui, de surcroît, avaient gravement perturbé le cours normal des paiements des aides à l'agriculture. L'exercice 2018 bénéficie, à cet égard, d'une forme de normalisation, qui, encore incomplète, doit être confortée.

Après avoir navigué sur les sommets d'une vague largement subie, la mission AAFAR redescend en 2018 vers des eaux apparemment plus tranquilles. Ce pourrait être une bonne nouvelle si l'on pouvait être assuré qu'il ne s'agit pas d'un nouveau creux de vague appelé à être perturbé par de nouvelles tempêtes et si l'agriculture française pouvait durablement s'accommoder d'un calme plat budgétaire que ni sa situation économique ni les transitions auxquelles elle est appelée ne justifient.

I. L'EXÉCUTION DES CRÉDITS EN 2018, LA MISSION AAFAR SORT DE LA TEMPÊTE NON SANS DOMMAGES À RÉPARER

L'exécution des crédits de la mission révèle en 2018 un reflux considérable des dépenses par rapport au sommet atteint l'an dernier. On doit se féliciter que les facteurs exogènes qui avaient lourdement pesé sur les charges de la mission aient atténué leur emprise, offrant l'aubaine d'une exécution budgétaire apparemment plus sereine.

Toutefois, les conditions d'un retour à une consommation des crédits plus conformes aux prévisions de la loi de finances initiale ne peuvent être jugées pleinement satisfaisantes, en particulier parce qu'elles ont pesé sur le revenu des agriculteurs.

A. APRÈS LE FORT EXCÉDENT DES DÉPENSES DE L'EXERCICE PRÉCÉDENT, UNE EXÉCUTION PLUS CALME EN 2018

1. Une exécution en ligne avec les crédits ouverts par la loi de finances de l'année...

Si l'an dernier les crédits ouverts en loi de finances initiale (3,3 milliards d'euros) avaient été largement dépassés par des dépenses effectives de 4,6 milliards d'euros, contraignant à des mouvements de crédits considérables en cours d'année, les dépenses de l'exercice 2018 n'ont excédé les ouvertures de la loi de finances de l'année que de 13,1 millions d'euros.

Dans ces conditions, les mouvements de crédits ont été globalement modestes, même s'ils se sont soldés par une sous-consommation de 2,8 % des crédits disponibles (100,7 millions d'euros sur un total de 3 543 millions d'euros) en fin d'exercice.

Les reports de l'exercice précédent ont atteint un niveau significatif (123,4 millions d'euros) avec une concentration sur le programme 149 (+ 99,7 millions d'euros hors reports de fonds de concours). Il s'est agi principalement de crédits destinés à indemniser les exploitants victimes de la crise de l'influenza aviaire (+ 29 millions d'euros) et de couvrir les dotations allouées aux jeunes agriculteurs (+ 46 millions d'euros). Le programme 206 consacré à la sécurité sanitaire a bénéficié de 6,2 millions d'euros de reports.

Des fonds de concours ont été rattachés pour 16,6 millions d'euros, dont 13,6 millions d'euros au programme 206 correspondant pour une part prépondérante à des rattachements tardifs de l'Union européenne pour couvrir des dépenses liées à l'influenza aviaire.

Enfin, la loi de finances rectificative a procédé à l'annulation de 26,4 millions d'euros de crédits, réduisant les crédits reportables en 2019 d'autant (20 % des crédits non consommés).

Cette décision doit être mise en regard de la budgétisation initiale pour 2019. Cette dernière est marquée par une forte baisse des crédits ouverts, qui avec 2 921 millions d'euros impliquent une baisse des dépenses de 15,1 % (- 521 millions d'euros), au sein de laquelle la réduction de la dotation destinée à couvrir les dépenses imprévues (- 100 millions d'euros, soit moins un tiers par rapport à la budgétisation de 2018) doit être soulignée.

Source : Cour des comptes. Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2018

2. Le respect de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 mais...

La loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour la période 2018-2022 inscrit les crédits de la mission sur une trajectoire fortement baissière avec des crédits ouverts en 2020 inférieurs de 340 millions d'euros par rapport au disponible de début de période.

Plafonds de crédits de paiement de la loi de programmation
des finances publiques 2018-2022

(en milliards d'euros)

Loi de finances initiale 2017

Loi de finances initiale 2017 au format 2018

2018

2019

2020

3,15

2,79

3,18

2,88

2,84

Source : loi de programmation pluriannuelle des finances publiques 2018-2022

Le Gouvernement explique que cette évolution proviendrait de la réorganisation des allègements de cotisations sociales accordés aux employeurs de travailleurs saisonniers. Les charges correspondantes se sont élevées en 2018 à 482,6 millions d'euros de sorte qu'à périmètre constant les crédits disponibles pour financer les autres charges de la mission excèderaient en 2020 de 142,6 millions d'euros les crédits ouverts en 2018, ouvrant à une progression de 2,5 % par an des dépenses de la mission.

La programmation pluriannuelle des crédits d'une mission aussi sensible à des aléas de gestion comme de conditions économiques des destinataires des dépenses devrait être considérée plus comme une norme régulatrice que comme une norme contraignante.

Ce n'est toutefois pas la lettre de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques.

Si, pour 2018, le plafond des crédits de paiement fixé par cette loi a pu être respecté à quelques dizaines de millions d'euros près, les restes à payer 18 ( * ) ainsi que la révision par le Parlement des conditions de suppression de l'allègement des cotisations sur les travailleurs saisonniers (maintien de l'exonération jusqu'à 1,20 SMIC) conduisent à exprimer des doutes sur les exercices à venir.

En ce qui concerne les restes à payer sur engagements 19 ( * ) à fin 2018, ils s'élèvent encore à 1,3 milliard d'euros, malgré la mise en oeuvre d'une procédure de désengagement ayant réduit les engagements du programme 149 de 507,5 millions d'euros en 2018.

État des restes à payer

(en millions d'euros)

Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation

L'échéancier des engagements à régler n'est pas documenté mais l'on peut faire l'hypothèse que la fin de la programmation européenne de la PAC pourrait se traduire par des décaissements significatifs.

Quant à la modification apportée aux allègements de cotisations sociales sur les travailleurs saisonniers, elle devrait se traduire en 2019 par une surcharge budgétaire de l'ordre de 140 millions d'euros partiellement gagée par une réduction des crédits du programme 149 de 30 millions d'euros, pour un total de l'ordre de 110 millions d'euros.

Dans ces conditions, les marges de progression de la dépense apparaissent d'ores et déjà préemptées.

3. Une forte réduction des dépenses par rapport à l'exercice précédent

Alors que les ouvertures de crédits de la loi de finances de l`année ont été sensiblement équivalentes à celles de l'exercice précédent, les dépenses de la mission ont baissé de plus d'un quart par rapport à 2017.

Comme annoncé lors de l'examen de la loi de finances pour 2018 par votre commission des finances, les dépenses de la mission ont nettement rétrogradé par rapport à l'exercice précédent...

Avec un niveau de dépenses de 4,6 milliards d'euros en crédits de paiement et une consommation des autorisations d'engagement du même ordre, les dépenses de la mission AAFAR avaient connu une explosion en 2017 par rapport à l'année précédente où les crédits de paiement avaient été consommés à hauteur de 3,2 milliards d'euros environ.

L'augmentation des dépenses jouxtait les 40 % pour les crédits de paiement, soit une aggravation nominale de 1 479 millions d'euros, qui représentait un peu plus de 15 % de l'augmentation des dépenses nettes du budget général (hors dette et pensions) entre 2016 et 2017, pour un budget pesant 1,4 % des crédits ouverts en loi de finances initiale (même périmètre) .

L'exercice 2018 a vu une évolution à rebours, avec un retour à des dépenses proches, mais supérieures de plus de 200 millions d'euros 20 ( * ) , de celles effectuées en 2016.

Données relatives à l'exécution des crédits de la mission en 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du sénat d'après les données du RAP 2018

Par rapport à l'an dernier, les dépenses baissent de 1,2 milliard d'euros, soit un repli de 25 %.

La variation des dépenses a été très contrastée selon les programmes concernés , le programme 149 en concentrant la majeure partie avec une baisse de 1 113,7 millions d'euros (soit un abattement d'un tiers par rapport à 2017).

La réduction des dépenses a également touché le programme 206 (- 73,1 millions d'euros après une augmentation de 74,5 millions d'euros en 2017), pour un repli de 11,7 % , tandis que les dépenses de conduite et pilotage des politiques du programme 215 ont connu une réduction plus modérée (- 1,1%).

Du point de vue des évolutions des dépenses par nature, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'intervention, dont le poids dans les dépenses de la mission s'allège de près de 9 points, passant de plus de 80 % à 71,4 % du total, ont connu les réductions les plus importantes.

De leur côté, les dépenses de personnel directement payées par les crédits de titre 2, c'est-à-dire hors les contributions versées par le budget pour rémunérer les personnels des opérateurs, ont diminué, mais plus modérément, de 2,1 %.

Évolution des dépenses de la mission par titre
entre 2017 et 2018 21 ( * )

(en millions d'euros)

2017

2018

Variation 2018/2017 (en valeur)

Variation 2018/2017 (en %)

Dépenses de personnel

880,4

862,3

- 18,1

- 2,1

Autres dépenses

3 756,0

2 579,8

- 1 176,2

- 31,3

Dont :

Dépenses de fonctionnement

1 474,8

918,6

- 556,2

- 37,7

Dépenses d'investissement

9,1

8,3

- 0,8

- 8,8

Dépenses d'intervention

2 260,7

1 524,1

- 736,6

- 32,6

Dépenses d'opérations financières

11,3

128,9

+ 117,6

X 11,4

Total

4 636,3

3 442,1

-1 194,2

- 25,8

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du rapport annuel de performances de la mission pour 2018

Les dépenses d'opérations financières enregistrent, à 128,9 millions d'euros, une très forte progression. Elle résulte de la nécessité de couvrir les besoins du fonds national de gestion des risques agricoles (FNGRA) pour 75 millions d'euros et de l'Agence de services et de paiement (voir infra) pour 45 millions d'euros.

En ce qui concerne les dépenses de personnel, qui représentent près du quart des dépenses de la mission, la réduction des ETPT consommés, très significative, n'a pas tous ses prolongements dans la baisse des dépenses de titre 2.

L'évolution des emplois s'est inscrite en baisse (- 585 ETPT) dans un contexte marqué par des recrutements exceptionnels réalisés ces dernières années et, en particulier, en 2016, illustrés dans le tableau ci-dessous.

Consommation d'emplois
par le programme 215 en 2016

Source : RAP 2016

Le programme 206 a connu une très faible augmentation de sa consommation d'ETPT qui est passée de 4 651 ETPT en 2017 à 4 653 ETPT en 2018 (+ 2), évolution due à la consommation d'emplois d'apprentis (10) auparavant portés par le programme 215.

En ce qui concerne le programme 215, qui avait perdu 390 ETPT en 2017, passant de 8 448 à 8 058 unités, il en perd à nouveau 587 (7 471 ETPT consommé en 2018), soit un repli de 977 ETPT par rapport à 2016 (- 11,5 %) en deux ans.

Le programme avait dû embaucher des centaines d'agents (340 ETPT en 2015 et 505 ETPT en 2016 notamment) pour faire face aux difficultés de gestion des aides agricoles (plan FEAGA) mais aussi à la grave crise d'influenza aviaire de sorte que le repli constaté en 2018, après celui de l'an dernier, doit être relativisé.

Au total, les ETPT mobilisés par la mission ont diminué passant de 12 709 ETPT à 12 124 ETPT, soit une baisse de 4,6 % .

Cette diminution ne se retrouve pas à due proportion dans les évolutions salariales. Les coûts salariaux ne baissent que de 2,1 % , les ETPT économisés relevant pour leur quasi-totalité de catégories d'emplois et de statuts aux rémunérations peu élevées (- 611 ETPT de catégories B et C administratifs ou techniques pour le programme 215) tandis que la consommation d'ETPT administratifs de catégorie A a augmenté de 134 unités entre 2017 et 2018.

Cette discordance traduit un renchérissement du coût unitaire du travail associé à divers autres facteurs : requalification des effectifs ; impact de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique ; effet du GVT.


* 18 Pour les reports de charge, voir ci-dessous.

* 19 La restitution des engagements dans les documents budgétaires paraît un peu existentielle puisqu'aussi bien il semble qu'elle inclut des consommations d'autorisations d'engagement... non engagées au sens de la comptabilité budgétaire.

* 20 Dont une partie (24 millions d'euros) est attribuable à un changement de périmètre de la mission, cette dernière incluant désormais les dépenses destinées à la pêche et à l'aquaculture.

* 21 Aux arrondis près.

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