IV. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « AIDE À L'ACQUISITION DE VÉHICULES PROPRES »

Le dispositif incitatif du bonus-malus automobile , décidé en 2007 dans le cadre du Grenelle de l'environnement et renforcé par le Plan Automobile de 2012, se traduit actuellement par l'octroi d'aides à l'achat ou à la location de véhicules neufs émettant peu de CO 2 bonus ») ainsi qu'au retrait de véhicules qui émettent beaucoup de CO 2 (prime à la conversion) et par l'application d'une taxe additionnelle perçue sur le certificat d'immatriculation des véhicules les plus polluants malus »).

Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Aide à l'acquisition de véhicules propres » , également connu sous le nom de « CAS bonus-malus », retrace en dépenses l'attribution des aides et en recettes le produit du « malus » .

Le CAS finance deux types d'aides :

- les « bonus », portés par le programme 791 « Contribution au financement de l'attribution d'aides à l'acquisition de véhicules propres » ;

- les primes à la conversion , retracées par le programme 792 « Contribution au financement de l'attribution d'aides au retrait de véhicules polluants » .

C'est le Fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres , dont la gestion est assurée par l'Agence de services et de paiement (ASP), qui est chargé du suivi des dossiers des demandes d'aides dont le financement repose sur les crédits du compte d'affectation spéciale et qui assure leur versement .

1. L'explosion du nombre de demandes de primes à la conversion en 2018 a nécessité une hausse de 142 % des crédits affectés au compte d'affectation spéciale en cours de gestion

L'exercice budgétaire 2017 avait été marqué par un écart significatif entre prévision et exécution, avec une exécution de seulement 85 % des crédits (80 % en 2016).

La situation a radicalement changé en 2018, puisque cet exercice budgétaire a été marqué par une exécution de 142,0 % des crédits du compte d'affectation spéciale .

Ce chiffre recouvre toutefois deux réalités très différentes selon les programmes, puisque les crédits du programme 791 n'ont été exécutés qu'à 69,8 % alors que ceux du programme 792 l'ont été à 299,2 % , ce qui montre que le Gouvernement est encore moins bien parvenu que les années précédentes à évaluer correctement le nombre de bonus et de primes à la conversion que l'ASP aurait à distribuer.

Exécution des crédits du CAS « Aide à l'acquisition de véhicules propres »
par programme en 2018

(en euros et en %)

Programme

Crédits exécutés 2017

Crédits votés LFI 2018

Crédits exécutés 2018

Taux de consommation (en %)

791 « Contribution au financement de l'attribution d'aides à l'acquisition de véhicules propres »

258 873 298

266 000 000

185 818 093

69,8 %

792 « Contribution au financement de l'attribution d'aides au retrait de véhicules polluants »

35 999 772

122 000 000

365 000 000

299,2 %

Total

294 873 070

388 000 000

550 818 093

142,0 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Au total, on constate donc que les dépenses du CAS avaient été nettement sous-évaluées , puisque seuls 388 millions d'euros avaient été prévus par la loi de finances initiale pour 2018.

Or il a fallu verser 550,8 millions d'euros à l'ASP afin de financer les bonus et surtout les primes à la conversion, dont le nombre a été multiplié par plus de 32 . Les dépenses du CAS ont ainsi connu une hausse de 255,9 millions d'euros (soit + 86,8 % ) par rapport aux 294,9 millions d'euros exécutés en 2017.

2. En dépit de recettes du malus beaucoup plus dynamiques que prévu, il a fallu transférer au CAS des crédits provenant d'autres programmes

Le Gouvernement, surpris par l'ampleur des besoins financiers générés par la hausse exponentielle des demandes de primes à la conversion, qui constituent des dépenses de guichet, a dû mobiliser des ressources supplémentaires très significatives en faveur du compte d'affectation spéciale, et plus spécifiquement du programme 792 « Contribution au financement de l'attribution d'aides au retrait de véhicules polluants ».

Pour financer les 200 000 primes qu'il n'avait pas anticipées, il a pu bénéficier des recettes supplémentaires du malus , qui se sont révélées beaucoup plus dynamiques que prévu en raison d'une hausse particulièrement marquée des ventes de véhicules neufs de type « SUV » émettant beaucoup de CO 2 .

Rappelons en outre que le seuil de déclenchement du malus avait été abaissé à compter du 1 er janvier 2018 à 120 g de CO 2 /km (contre 127 g de CO 2 /km en 2017) et que son montant maximal avait été relevé à 10 500 euros .

La part des achats de voitures affectées d'un malus a ainsi atteint 29,9 % en 2018, soit une hausse de près de 12 % par rapport à 2017 : 640 030 véhicules ont été concernés par un malus en 2018 contre 366 647 en 2017.

Le produit du malus a ainsi atteint 558,9 millions d'euros en 2019, soit 170,9 millions d'euros de plus que le montant attendu (+ 44,0 %), lequel était de 388,0 millions d'euros .

Pour mémoire, le produit du malus avait représenté 351,8 millions d'euros en 2017 et 265,6 millions d'euros en 2016.

Les recettes du malus automobile de 2016 à 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si cette hausse des recettes du malus était particulièrement bienvenue en 2018, ce phénomène tend à démontrer que cette taxe censée dissuader les automobilistes d'acheter des véhicules polluants a perdu son caractère désincitatif .

De fait, les émissions des véhicules vendus se sont stabilisées aux alentours de 110 g CO2/km depuis 2016 et ont augmenté en 2018 à 112 g CO 2 /km . Ce constat préoccupant a justifié le nouveau durcissement du malus entré en vigueur en 2019 , lequel prévoyait notamment un abaissement du seuil de déclenchement à 117 g CO 2 /km.

Comme il pensait que les recettes du malus risquaient de ne pas suffire à couvrir les dépenses du CAS en 2018, le Gouvernement avait également décidé de lui transférer 38 millions d'euros de crédits du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » par un arrêté du 21 septembre 2018.

Au total, et pour tenir compte tant de la dynamique des dépenses que de celle des recettes du malus, les crédits du compte d'affectation spéciale ont été abondés à hauteur de :

85,6 millions d'euros par un arrêté du 21 septembre 2018 ;

37 millions d'euros par un arrêté du 19 octobre 2018 ;

43 millions d'euros par un arrêté du 4 décembre 2018.

Ces sommes demeurant insuffisantes, 77,5 millions d'euros supplémentaires ont été ouverts en loi de finances rectificative pour 2018.

Compte tenu de ces différentes ouvertures de crédits, le solde final de crédits s'est révélé positif avec 46,1 millions d'euros de crédits non consommés.

Solde du CAS « Aide à l'acquisition de véhicules propres »

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Solde du CAS

- 4,9

+ 141

+ 75,7

+ 30,1

+ 57,0

+46,1

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

À noter enfin que la loi de finances pour 2019 a décidé de rattacher la prime à la conversion au programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

En conséquence, les programmes 791 et 792 ont été supprimés , deux nouveaux programmes étant créés pour porter respectivement les dépenses relatives au financement de l'attribution d'aides à l'acquisition de véhicules propres au bénéfice des particuliers (P797) et des personnes morales (P798).

Il n'existe donc plus de lien depuis le 1 er janvier 2019 entre le malus automobile et la prime à la conversion .

Si cette modification de la maquette budgétaire permettra de faire face plus facilement aux besoins de financement de la prime à la conversion, elle soulève des interrogations quant à la pérennité du compte d'affectation spéciale .

3. Des bonus toujours sous-utilisés en raison d'immatriculations de véhicules électriques décevantes

Plusieurs modifications des aides à l'acquisition de véhicules propres portées par le programme 791 « Contribution au financement de l'attribution d'aides à l'acquisition de véhicules propres » sont intervenues en 2018 .

Ces dernières années, le Gouvernement a progressivement resserré les critères permettant de bénéficier d'un bonus pour l'achat d'un véhicule.

Il avait ainsi supprimé en 2017 tout bonus pour l'achat d'un véhicule hybride puis a mis fin en 2018 aux bonus pour les véhicules hybrides rechargeables .

Il avait en revanche maintenu en 2018 le bonus pour les véhicules électriques neufs (voitures ou camionnettes), qui prévoit une aide de 27 % du coût d'acquisition , dans la limite de 6 000 euros pour les véhicules électriques émettant moins de 20 grammes de CO 2 par kilomètre (véhicules à 100 % électriques).

En ce qui concerne le bonus versé pour l'achat des deux ou trois roues et des quadricycles à moteur électrique d'une puissance supérieur ou égale à 3kW , le montant maximum de l'aide versé était passé de 1 000 euros en 2017 à 900 euros en 2018.

Nombre de « bonus » automobile versés entre 2015 et 2018

Véhicules électriques

Véhicules hybrides rechargeables

Véhicules hybrides

Total

2015

18 286

3 326

37 461

59 073

2016

27 131

3 921

35 572

66 624

2017

24 595

3 648

0

28 234

2018

39 398

0

0

39 398

Source : direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)

Si le nombre de bonus demandés à la suite de l'immatriculation d'un véhicule électrique a augmenté, passant de 32 000 véhicules en 2017 à 39 398 véhicules en 2018, cette progression s'est avérée nettement inférieure aux prévisions, lesquelles prévoyaient 54 000 bonus distribués en 2018

Cet écart explique que seuls 69,8 % des crédits du programme 791 aient été consommés en 2018.

De toute évidence, le bonus ne parvient pas encore à compenser pour les ménages le coût d'achat très élevé des véhicules électriques . Une véritable évolution sur ce plan ne devrait intervenir que lorsque les constructeurs automobiles seront en mesure de proposer des véhicules aux prix plus abordables pour les ménages .

4. Le succès de la prime à la conversion a dépassé toutes les attentes en 2018

La prime à la conversion, portée par le programme 792 « Contribution au financement de l'attribution d'aides au retrait de véhicules polluants », a été mise en place le 1 er avril 2015 pour accélérer le retrait des vieux véhicules les plus polluants .

Elle a connu un démarrage très décevant , puisque il n'y a eu que 3 230 primes versées en 2015, 9 652 en 2016 et 7 907 en 2017.

Le Gouvernement a décidé de revoir en profondeur le dispositif à compter du 1 er janvier 2018, tout en l'inscrivant dans le cadre de l'initiative n° 3 « Accompagner le remplacement des véhicules polluants » du volet « Transports mobilités » du Grand Plan d'Investissement (GPI) .

Il a tout d'abord considérablement élargi la liste des véhicules susceptibles d'être mis au rebut .

Alors que n'étaient auparavant éligibles que les véhicules qui fonctionnaient au diesel et avaient été immatriculés avant le 1 er janvier 2001 (avant le 1 er janvier 2006 pour les ménages non imposables) 131 ( * ) , les véhicules à essence immatriculés avant 1997 132 ( * ) sont désormais eux aussi éligibles à la prime à la conversion.

Dans le même temps, il a significativement renforcé la prime pour l'achat d'un véhicule thermique peu polluant (Crit'Air 0, 1 ou 2, neuf ou d'occasion, essence ou diesel, émettant moins de 130 grammes d'émissions de CO 2 par kilomètre) ou d'un véhicule électrique d'occasion . Tous les ménages, sans conditions de ressources, ont pu bénéficier d'une prime de 1 000 euros à partir du 1 er janvier 2018, les ménages non imposables bénéficiant d'une surprime de 1 000 euros .

Enfin, le Gouvernement a créé une prime de 100 euros sans conditions de ressources pour l'acquisition d'un 2-3 roues motorisé ou d'un quadricyle motorisé électrique , les ménages non imposables bénéficiant en outre d'une surprime de 1 000 euros .

Dans le projet de loi de finances pour 2018, le Gouvernement s'était fixé pour objectif la distribution de 100 000 primes à la conversion en 2018 et 500 000 primes distribuées sur la durée du quinquennat , ce qui paraissait ambitieux compte tenu des résultats constatés les années précédentes.

Or, l'assouplissement des critères d'attribution de la prime à la conversion et son caractère beaucoup plus attractif ont entraîné une montée en charge extrêmement rapide de ce dispositif que le Gouvernement n'avait pas du tout anticipée.

En 2018, près de 300 000 demandes de primes à la conversion ont finalement été enregistrées et plus de 255 000 primes ont été distribuées , ce qui représente une multiplication par 32 du nombre de primes attribuées .

L'explosion du nombre de primes à la conversion
distribuées en 2018

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si l'on peut regretter que le ministère de la transition écologique et solidaire ne soit pas parvenu à évaluer correctement le nombre de primes à distribuer en loi de finances initiale pour 2018, il convient de se réjouir que ce dispositif , jusqu'ici très peu efficace, ait enfin trouvé son public .

Le Gouvernement, désireux d'offrir des contreparties aux automobilistes victimes des coûts élevés du carburant, a annoncé à l'automne 2018 qu'il allait encore renforcer la prime à la conversion . Toujours dans le cadre du GPI, il est désormais prévu que un million de primes seront versées au cours du quinquennat, comme l'a rappelé le Premier ministre dans son discours de politique générale du 12 juin 2019. 600 millions d'euros de crédits ont été prévus à cet effet pour 2019, avec un objectif de distribution de 400 000 primes au cours de l'année.

Ce chiffre significatif, s'il devait être atteint, permettrait que soit véritablement amorcé le verdissement du parc automobile français , qui constitue un enjeu majeur pour permettre à l'économie française d'atteindre la neutralité carbone en 2050 .


* 131 Soit 7 millions de véhicules.

* 132 Soit 3 millions de véhicules.

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