C. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DE LA CATASTROPHE

1. L'utilité d'actualiser les documents d'urbanisme

À Saint-Martin, le plan de prévention des risques naturels date de 2011 et la collectivité ne s'est toujours pas dotée du plan local d'urbanisme (PLU) pourtant prévu par le code de l'urbanisme local.

a) Mettre à jour le plan de prévention des risques naturels

La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a créé les plans de prévention des risques naturels (PPRN), aujourd'hui régis par les articles L. 562-1 à L. 562-9 du code de l'environnement, qui sont applicables à Saint-Martin. Les PPRN permettent de cartographier les risques et de tirer les conséquences de cette cartographie en prenant les mesures de prévention ou d'adaptation qui s'imposent. Ils sont annexés aux PLU et valent servitude d'utilité publique 6 ( * ) .

La procédure d'élaboration d'un PPRN est la suivante : le préfet prescrit un PPRN sur un périmètre géographique donné, mais non figé, et charge ses services de l'instruction du dossier ; s'ouvre alors une phase de concertation avec les collectivités territoriales, complétée par l'organisation d'une enquête publique ; au terme de ce processus, le PPRN est approuvé par arrêté préfectoral.

Par exception, un PPRN peut être appliqué par anticipation par le préfet, si l'élaboration du plan est suffisamment avancée et si sa mise en oeuvre apparaît urgente, en raison d'un risque naturel jugé élevé par exemple. Dans ce cas, seules les dispositions du PPRN relatives aux constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations nouveaux peuvent être appliquées.

À Saint-Martin, le PPRN prend en compte les risques d'inondation, le risque sismique, les mouvements de terrain et le risque cyclonique. Or le passage d'Irma a montré que ce document devait être actualisé en ce qui concerne ce dernier risque, notamment pour élargir les zones soumises au risque de submersion.

Le 30 septembre 2018, à l'occasion de son voyage à Saint-Martin, le Président de la République a annoncé qu'un PPRN révisé serait approuvé d'ici à la fin de l'année 2019 .

Dès le début de l'année 2019, la préfecture a commencé à élaborer le projet de PPRN en concertation avec les élus territoriaux, avec les conseils de quartier et avec les acteurs économiques. Des réunions d'information destinées à la population ont également été organisées.

Ces réunions se sont souvent déroulées dans un climat tendu, hostile aux représentants de l'État. La préfecture a en outre perçu une réticence de la part de la collectivité, les élus estimant manquer de temps pour étudier le PPRN et redoutant qu'il entrave le développement touristique de l'île.

Considérant que la sécurité des populations et des biens imposait une prise de décision, et soucieuse de donner de la lisibilité au secteur immobilier local, la préfecture de Saint-Martin a pris la décision d'appliquer le PPRN par anticipation à partir du 6 août 2019 , sans attendre la fin de l'enquête publique à la fin du mois d'octobre.

En dépit des incompréhensions que cette décision a pu susciter, votre commission estime que le niveau des risques climatiques à Saint-Martin justifiait une action rapide de la part des services de l'État. Jusqu'à l'entrée en vigueur anticipée du PPRN, les décisions d'autorisation d'urbanisme dans les zones à risque cyclonique étaient prises par la collectivité en « sursis à statuer » dans l'attente des prescriptions du PPRN révisé. L'application anticipée a permis de lever ce sursis et mis fin à une incertitude juridique nuisible.

Il convient maintenant que le processus d'élaboration du PPRN soit mené à son terme afin de disposer, à la fin de l'année, d'un plan définitif , qui pourra s'appliquer tant aux constructions nouvelles qu'aux constructions anciennes. Les services de l'État devront veiller ensuite à le faire respecter dans toute sa rigueur, dans l'intérêt de la protection des populations.

Recommandation n° 1 : Adopter d'ici à la fin de l'année un plan de prévention des risques naturels définitif et soutenir les efforts des services de l'État pour le faire appliquer avec rigueur sur le terrain.

Outre l'élaboration du PPRN, des travaux sont en cours pour réduire la vulnérabilité du territoire face aux prochains épisodes cycloniques.

L' enfouissement du réseau d'électricité et du réseau de fibre optique a par exemple été réalisé à hauteur de 41 %, grâce à un investissement financé principalement par le fonds d'amortissement des charges d'électrification. Plus de neuf millions d'euros ont été consacrés à la modernisation du réseau d'eau et seize millions supplémentaires sont prévus dans le cadre du contrat de convergence et de transformation 7 ( * ) que l'État négocie avec la collectivité.

L'État prévoit également de consacrer six millions de fonds exceptionnels d'investissement à la construction de deux abris anticycloniques pour la population, situés dans les locaux d'un futur collège et du palais omnisport actuellement en projet.

b) Doter l'île d'un plan local d'urbanisme

Le code de l'urbanisme de Saint-Martin prévoit que la collectivité élabore un plan local d'urbanisme (PLU) , analogue à celui dont se dotent les communes en métropole. Ce PLU est souvent désigné sur l'île par l'appellation de plan d'aménagement et de développement durable de Saint-Martin (PADSM).

Pourtant, les constructions et aménagements sur l'île demeurent régis par un ancien plan d'occupation des sols (POS) , datant de 2003, qui n'est naturellement plus en phase avec les prescriptions du nouveau PPRN.

Un PLU avait bien été élaboré en 2015 mais sa présentation avait suscité une forte vague de contestation sur l'île : la circulation avait été bloquée pendant plusieurs jours et des émeutes urbaines avaient mobilisé les forces de l'ordre. Face à l'ampleur des troubles, la collectivité avait préféré retirer son projet.

Depuis, le travail d'élaboration du PLU a repris et une consultation du public a été organisée mais sans aboutir à l'adoption d'un nouveau document, les discussions achoppant notamment sur la question de la mise en conformité du PADSM avec les prescriptions du PPRN.

Il est regrettable que la collectivité demeure régie par un document d'urbanisme vieux de plus de quinze ans qui ne reflète plus la réalité des risques naturels encourus par les habitants de l'île . Le retard pris pour élaborer le PLU place les agents économiques, comme les particuliers, dans une situation d'incertitude, alors que la phase de reconstruction devrait être mise à profit pour corriger le plus grand nombre possible d'irrégularités et favoriser les meilleures pratiques.

Votre commission encourage donc la collectivité à se doter dans les meilleurs délais d'un PLU, cohérent avec la cartographie des risques identifiés par le PPRN, et à le faire appliquer en partenariat avec les services de l'État, même si les difficultés rencontrées sur le terrain sont réelles.

La fiche d'impact qui accompagne le projet de loi de ratification indique que « suite à plusieurs incidents et menaces, l'action des agents de la police de l'urbanisme de la collectivité est rendue plus difficile. De ce fait actuellement, ce ne sont quasi-exclusivement que les agents de l'État qui interviennent ». À cet effet, l'unité territoriale de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Guadeloupe à Saint-Martin dispose depuis peu de trois agents spécialement commissionnés pour la répression des infractions au code de l'urbanisme.

Pour faciliter la coordination entre les parties prenantes, un comité opérationnel des polices de l'environnement et de l'urbanisme (Copolenu) a été mis en place, qui rassemble les agents des services en charge de la police de l'urbanisme et de l'environnement (agents de la collectivité, de la DEAL, du Conservatoire du littoral, des réserves protégées...). Il se réunit tous les deux mois environ à Saint-Martin en présence de la préfète déléguée et de deux représentants du parquet, dont le vice-procureur détaché à Saint-Martin qui suit les actions de contrôle et de verbalisation décidées en Copolenu et veille à l'exécution des décisions de justice prononcées en matière de répression des infractions de l'urbanisme.

Recommandation n° 2 : Mener à son terme l'élaboration d'un PLU mis en cohérence avec les prescriptions du plan de prévention des risques naturels et dont le respect doit être contrôlé conjointement par les agents de l'État et par les agents de la collectivité qui travailleront de manière coordonnée.

2. Renforcer la coopération entre les deux parties de l'île de Saint-Martin

Votre rapporteur souhaite enfin souligner l'importance d'une bonne coopération institutionnelle entre les deux parties de l'île afin de gérer les conséquences de l'après-Irma et, à plus long terme, de rééquilibrer le développement du territoire.

Il existe depuis quelques années des instances de dialogue régulier, soit en format P 2 (Saint-Martin et Sint Maarten), soit en format P 4 (les deux collectivités et les États français et néerlandais). Le passage de l'ouragan Irma a été suivi de plusieurs réunions de crise entre les représentants de Saint-Martin et Sint Maarten, qui ont ouvert la voie à la définition d'un cadre de coopération plus ambitieux.

À l'occasion d'une réunion en format P 4 le 28 juin 2018, un accord a ainsi été approuvé concernant la gestion de crise , afin de mieux coordonner les actions communes visant à alerter la population et de mutualiser les moyens d'intervention d'urgence. L'accord porte également sur la transmission d'informations sur les biens importés et exportés afin de faciliter la traçabilité des marchandises. Il prévoit aussi de renforcer les contrôles en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, d'améliorer la coopération policière et judiciaire, ainsi que la lutte contre la fraude aux prestations sociales.

Lors d'une réunion du P 4 le 4 décembre 2018, une feuille de route de la coopération régionale a été actée. Elle retient treize thématiques, parmi lesquelles plusieurs sont considérées comme stratégiques : coopération en matière de sécurité civile, essentielle en cas de catastrophe naturelle, de sécurité publique, de douanes, de justice et de gestion des déchets. De nouveaux champs de coopérations ont été ouverts dans le domaine de la santé, dont la gestion des crises sanitaires, et de l'éducation, avec des échanges pédagogiques entre établissements scolaires. Certaines actions bénéficient du concours financier de fonds européens dans le cadre du programme de coopération territoriale européen.

Dans ce contexte, il est regrettable que la qualité des relations entre les deux parties de l'île soit parfois ternie par un différend territorial ancien, sur lequel la DGOM a attiré l'attention de votre rapporteur. Depuis le partage de l'île, la France et les Pays-Bas n'ont pas réussi à trouver un accord sur le tracé de la frontière au niveau de l'étang d'Oyster Pond, à l'est de l'île , qui abrite une importante marina. La partie néerlandaise considère que la mer appartient à Sint Maarten et la terre à Saint-Martin, la frontière passant au niveau du littoral, tandis que la France considère que la frontière passe au milieu de l'étang, conformément aux règles du droit maritime international.

Ce différend, en apparence anecdotique, constitue néanmoins un vrai problème dans la relation bilatérale. Sur le terrain, il gêne l'activité de la gendarmerie nationale qui ne peut contrôler les bateaux qui utilisent la marina. Une négociation est en cours avec les Pays-Bas et des travaux d'expert sont conduits pour apprécier les prétentions de chacune des parties.

Votre commission souhaite que ce différend puisse être rapidement résolu afin de lever cet obstacle à un approfondissement de la coopération entre les deux collectivités. Dans un territoire exigu comme Saint-Martin, il serait pertinent d'approfondir la réflexion sur une mutualisation des équipements structurels et sur un aménagement du territoire concerté, afin de mettre en oeuvre un développement économique et social harmonieux.

Recommandation n° 3 : OEuvrer à une résolution du différend territorial entre Saint-Martin et Sint Maarten afin d'ouvrir la voie à un approfondissement de la coopération entre les deux parties de l'île.

*

* *

La commission a adopté le projet de loi sans modification.


* 6 Une servitude d'utilité publique constitue une limitation administrative au droit de propriété instituée par l'autorité publique dans un but d'utilité publique. Elle fait peser des charges sur tous les immeubles concernés : par exemple, des interdictions ou des limitations à l'exercice par les propriétaires de leur droit de construire, et plus généralement à leur droit d'occuper ou d'utiliser le sol ; plus rarement, elle peut aboutir à des obligations de faire à la charge des propriétaires (travaux d'entretien ou de réparation).

* 7 Les contrats de convergence et de transformation, qui visent à réduire les écarts de développement avec la métropole, se substituent dans les régions et les collectivités d'outre-mer aux anciens contrats de plan État-régions. Saint-Martin n'a pas encore signé de contrat avec l'État.

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