II. UN BUDGET AU CoeUR DE CONTRAINTES CROISÉES

A. UNE PROGRAMMATION À MOYEN TERME PEU SOUTENABLE ET SUR LA BAISSE DE LAQUELLE LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2020 SURENCHÉRIT

1. Une programmation budgétaire pluriannuelle sans élan et confrontée à des chocs

Même si elle résulte également d'autres déterminants, la forte baisse des autorisations d'engagement du programme 149 paraît préfigurer le choix d'inscrire les dépenses agricoles sur une trajectoire baissière au cours des années à venir tel que l'illustre la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022.

Évolution des crédits de paiement de la mission (2018-2020)

(en milliards d'euros)

2018

2019

2020

Écart 2020/2018

Crédits de paiement

3,19

2,88

2,84

-0,35

Source : loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022

Les crédits de paiement y dessinent une baisse de 350 millions d'euros en 2020 par rapport au projet de budget pour 2018.

Il s'agit d'une réduction (plus de 10 %) dont l'ampleur considérable doit être appréciée en fonction d'une série de paramètres.

Selon le précédent ministre, la réduction des crédits programmés ne serait que la traduction des modifications apportées aux allègements de cotisations sociales, en particulier, de la suppression du dispositif TO-DE.

Cette explication s'est révélée peu exacte (voir infra ).

En outre, cette suppression est loin d'être compensée par les réorganisations des allègements généraux de cotisations sociales pour les agriculteurs (voir infra ).

Au-delà, l'inertie des dotations peut être resituée dans un contexte marqué par une cible générale d'évolution des dépenses des administrations centrales avec une croissance en volume de 1 % par an sur la période de programmation, d'où le niveau de priorité accordée à l'agriculture se déduit aisément.

Si l'on ajoute que des objectifs de transition vers une agriculture plus durable ont été fixés dans le cadre des états généraux de l'alimentation, on comprend mal comment ces objectifs pourraient être atteints sur les bases de l'actuelle programmation des crédits.

Enfin, et peut-être surtout, la programmation triennale intervient dans un contexte général de très fortes incertitudes .

Non seulement elle s'étalonne sur un projet de budget pour 2018 dont la consistance pourrait être très inférieure aux besoins (du fait des charges reportées et de la survenance de nouveaux risques ; voir infra ) mais encore elle paraît négliger un contexte européen offrant la perspective de nouveaux défis financiers et un contexte mondial de très fortes tensions.

Sur ce dernier point, il suffit de rappeler que le nombre des personnes souffrant de la faim dans le monde, qui avait reculé ces dernières années, devrait connaître une augmentation en 2017, la perspective d'une hausse de la demande mondiale de nourriture en lien notamment avec celle de la population mondiale posant bien les termes d'un défi alimentaire auquel il est de la responsabilité de la France d'apporter sa contribution d'autant que de grands voisins y pourraient être particulièrement confrontés.

Quant au cadre européen, la nouvelle programmation financière ne s'ouvre pas sur des perspectives particulièrement favorables si l'on en juge par la tonalité générale du débat budgétaire où la politique agricole commune n'apparaît plus comme une priorité offensive pouvant permettre à l'Europe d'assumer les responsabilités d'une puissance agricole mondiale mais comme un élément « à ne pas sacrifier », ou encore par les incertitudes liées au « Brexit » 11 ( * ) .

La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne se traduira par une perte nette de recettes pour le budget européen, qu'il conviendra de compenser. Dans l'hypothèse, plausible, où cette compensation ne passerait pas par le budget européen, une renationalisation subie de la politique agricole interviendrait, du fait de la nécessité, pour maintenir l'effort en faveur de l'agriculture de recourir à davantage de financements nationaux.

Cette perspective est négligée par la loi de programmation.

Dans ces conditions, vos rapporteurs spéciaux regrettent que le Gouvernement, par les orientations financières qu'il entend donner à notre politique agricole, ajoute au climat d'ensemble qui pèse sur l'environnement agricole un facteur d'alourdissement de ses perspectives.

2. Un projet de loi de finances qui, pour les soutiens directs aux agriculteurs, surenchérit sur les économies programmées

Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit des dépenses inférieures à celles envisagées dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques au titre du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture ».

Le déficit s'élève à 58,4 millions d'euros en AE (- 3,2%) et 127 millions d'euros en CP (7,2%) par rapport aux sous-jacents fixés pour ce programme dans la LPFP.

Les écarts entre le projet de loi de finances pour 2020 et la trajectoire fixée dans la LPFP 2018-2020 s'expliquent principalement par les évolutions suivantes :

- « sucre DOM » : la prolongation de l'aide aux industries sucrières suite à la fin des quotas sucriers a été actée à l'été 2019 et conduit au maintien de l'enveloppe de 124,4 millions d'euros de 2019, soit une hausse de 28 millions d'euros par rapport à la LPFP 2018-2020 ;

- « grand plan d'investissement » : les mesures du volet agricole du grand plan d'investissement ont été définies à l'issue des Etats Généraux de l'Alimentation, au premier semestre 2018, soit plusieurs mois après la négociation de la trajectoire de la LPFP. Plusieurs nouvelles mesures ont été mises en place depuis 2018, en particulier : le doublement de l'enveloppe du « fonds avenir bio » (+ 4 millions d'euros par an), le financement des nouveaux fonds de prêts et fonds de garantie gérés par Bpifrance en faveur de la méthanisation (10 millions d'euros en 2018), les industries agroalimentaires (10 millions d'euros en 2020) et les industries de la filière forêt-bois (10 millions d'euros en 2018), ainsi que l'initiative nationale pour l'agriculture française - INAF - à travers le fonds de garantie en faveur des exploitations agricoles dont la gestion est assurée par le Fonds européen d'investissement (60 millions d'euros sur 2018-2020) ;

- « zonage ICHN » : en 2019, l'ICHN a fait l'objet d'une réforme à travers la révision du zonage des zones défavorisées hors-montagne, exigée par le règlement de développement rural. Ce nouveau zonage, ainsi que la révision des critères de l'ICHN animale, ont pour conséquence un maintien de l'enveloppe 2019 à 284,2 millions d'euros, soit une baisse de 18,3 millions d'euros par rapport à la LPFP ;

- « engagement MAEC-BIO » : le nouveau programme « Ambition Bio 2022 » annoncé en juin 2018 prévoit un objectif de 15 % de surface agricole utile en bio d'ici 2022. L'enveloppe dont dispose le programme 149 pour les aides à l'agriculture biologique a donc été revalorisée pour intégrer cette nouvelle cible. L'enveloppe 2020 a également été calibrée pour prévoir le ré-engagement des contrats MAEC et agriculture biologique arrivant à échéance fin 2019, ce qui correspond à une hausse de 80 millions d'euros en AE et de 11,5 millions d'euros en CP par rapport à la LPFP ;

- « TO-DE » : la trajectoire fixée initialement en LPFP sur le dispositif a été revue à la baisse, ce qui conduit à une diminution de 155 millions d'euros en PLF 2020 par rapport à la dotation prévue en LPFP ;

- « suppression des taxes à faible rendement » : depuis 2018, un effort important a été réalisé par le ministère chargé de l'agriculture dans le cadre des travaux sur la suppression des taxes à faible rendement. La taxe due par les exploitants agricoles producteurs de céréales et la taxe sur les produits de la pêche maritime affectée à FranceAgriMer ont été supprimées et budgétisées dans le cadre du PLF 2019 . Les droits perçus sur les productions sous signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine qui financent l'INAO seront également supprimés et budgétisés en PLF 2020.


* 11 Vos rapporteurs spéciaux ont abordé certains scenarios liés à cet événement dans leur rapport annexé au rapport général sur le projet de loi de finances pour 2017.

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