IV. UNE POLITIQUE FORESTIÈRE AUX ABOIS ?

La situation économique et sanitaire de la forêt française connaît une profonde dégradation devant laquelle le projet de budget pour 2020 reste inerte. La politique de filière annoncée ne trouve pas ses financements de sorte que les faiblesses structurelles de la forêt française et des filières de valorisation sont appelées à s'accentuer.

La modification substantielle apportée en 2017 à la nomenclature budgétaire au terme de laquelle l'ancien programme 149 « Forêt » a vu ses crédits absorbés par un nouveau programme 149 fusionnant les crédits de la forêt et ceux de l'ancien programme 154 consacré aux interventions en faveur de l'agriculture, perdure cette année.

Cette innovation avait été justifiée par la préoccupation de « simplifier la gestion budgétaire » et de « renforcer la cohérence des dispositifs en faveur des entreprises agricoles, agroalimentaires et forestières ».

Sur ce point, vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que réitérer leur souhait que la politique de la forêt retrouve dans la mission AAFAR sa dignité budgétaire.

L'historique de la gestion budgétaire enseignant que les crédits prévus pour conduire la politique forestière ont souvent été mobilisés à d'autres finalités, vos rapporteurs spéciaux avaient jugé que, la séparation des programmes obligeant malgré tout à respecter les disciplines de spécialisation des dotations, la décision de fusionner les crédits des programmes 154 et 149 instaurait une situation de plus grande précarité pour les crédits de la politique forestière. Ceux-ci ont perdu la protection ménagée par le principe de spécialité budgétaire.

La « personnalité » budgétaire de la politique forestière s'en trouve affadie, ce qu'il faut regretter a fortiori dans la mesure où la thématique forestière n'est pas nécessairement agricole dans ses grands enjeux nationaux actuels.

Au demeurant, le contexte général de la politique forestière est marqué par une extrême dispersion des financements publics à l'image des acteurs d'une politique publique à maintes têtes.

La lisibilité de la politique forestière, mais sans doute aussi sa cohérence de conception et d'exécution, s'en trouvent réduites comme l'est celle du projet annuel de performances dans son volet forestier.

En ce sens, par exemple, même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'un opérateur de l'État, la présentation détaillée des équilibres du fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB), qui bénéficie de ressources affectées en plus des crédits budgétaires qui lui sont réservés, devrait être exposée avec davantage de clarté.

Vos rapporteurs spéciaux recommandent l'élaboration d'un document de politique transversale permettant de remédier à ces insuffisances.

De fait, les crédits de la mission sont loin d'être les seuls moyens publics consacrés à la forêt. Dans leur rapport sur la politique forestière, vos rapporteurs spéciaux rappelaient que celle-ci impliquait des transferts estimés à 910 millions d'euros en moyenne annuelle au cours de la période 2006-2013 .

Cet effort d'estimation devrait être régulièrement renouvelé.

À ce stade, il n'est guère possible de dépasser des estimations approximatives des concours publics à la forêt.

Il en ressort que la mission, par ses crédits, compte ainsi pour à peine 28 % des concours publics à la forêt, contribution qui tend à décliner au fil du temps.

Concours publics à la forêt

La contribution directe du budget de l'État issue du programme 149 a été en moyenne sur la période 2006-2013, de 296 millions d'euros . En 2020 , elle ne s'élèverait plus qu'à 242,1 millions d'euros en autorisations d'engagement, dont 201,1 millions d'euros répartis entre les opérateurs de l'État (Office National des Forêts, Centre National de la Propriété Forestière et l'Institut Technologique FCBA).

Les dépenses fiscales ont été estimées à 124 millions d'euros en moyenne sur la période 2006-2013 (seules cinq dépenses fiscales sur les onze identifiables comme bénéficiant à l'économie forestière sont évaluées dans le projet annuel de performances) : mesures fiscales patrimoniales sur les droits de mutation à titre gratuit et l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) mesures d'encouragement fiscal à l'investissement forestier. Les dépenses fiscales pour la forêt sont estimées à 202 millions d'euros pour 2020 contre 237 millions d'euros pour 2019. Cet écart est lié à l'absence d'estimation de la mesure d'exonération partielle de l'IFI des actifs forestiers dans le projet annuel de performances pour l'année à venir. En 2019, elle avait pesé à elle seule 39 millions d'euros.

La taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti en forêt, dite « centimes forestiers » est estimée à 18,6 millions d'euros pour 2019. Elle est versée en partie au CNPF ( 9,4 millions d'euros à la Fédération Nationale des Communes Forestières (FNCOFOR) -0,9 million d'euros et en partie au Fonds Stratégique de la Forêt et du Bois (FSFB -3,7 millions d'euros ). Le reste du montant de la taxe est affecté aux chambres d'agriculture. Le projet de loi de finances pour 2020 propose une mesure qui pourrait se traduire par une réduction de 15 % du produit de la taxe additionnelle sur le foncier non bâti et, ainsi, par une perte de ressource à due proportion pour la forêt (voir infra ).

Divers autres financements sont mis en oeuvre par des organismes publics à hauteur de 47 millions d'euros par an en moyenne : financements du programme d'investissements d'avenir (22 millions d'euros), du fonds de modernisation des scieries (prêts participatifs de développement bois : 2,6 millions d'euros) et du fonds stratégique bois (2,6 millions d'euros), trois dispositifs gérés par Bpifrance.

D'autres crédits de l'État viennent soutenir plus indirectement le secteur forêt-bois, en incitant à l'utilisation de bois-énergie. Il s'agit entre autres :

- de crédits du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » : 95,5 millions d'euros par an en moyenne sur la période 2006-2013 dédiés au « fonds chaleur » et attribués à des projets visant à soutenir l'utilisation du bois ;

- du soutien à la production d'électricité à partir de bois : 46,6 millions d'euros par an en moyenne sur la période 2006-2013, via des tarifs d'achat d'électricité à tarifs réglementés et des appels d'offres de la commission de régulation de l'énergie (CRE) ;

- du crédit d'impôt « développement durable » visant à encourager l'acquisition d'équipements utilisant les énergies renouvelables.

De nouvelles ressources financières ont été allouées à la filière en 2015 et 2016 dans le cadre du doublement du « fonds chaleur ». L'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adème) a lancé en mars 2015 (pour 35 millions d'euros) et en février 2016 (pour 20 millions d'euros) des appels à manifestation d'intérêt nommés « DYNAMIC Bois » dont l'objectif est de faciliter l'approvisionnement des chaufferies biomasse en incitant financièrement à la mobilisation de bois supplémentaire tout en améliorant la qualité des peuplements forestiers, tant sur un plan économique qu'environnemental. 24 projets ont été sélectionnés en 2015, 19 projets en 2016.

Des soutiens publics sont également mis en oeuvre par les conseils régionaux et les conseils départementaux. Pour ces derniers, la Cour des comptes a mis en évidence un montant global d'environ 38 millions d'euros par an destinés au secteur forêt-bois, et prioritairement au développement économique de l'aval de la filière , à la formation et l'animation, à l'aide aux scieries et à l'investissement forestier. Pour les financements apportés par les conseils régionaux, ils sont estimés à 52 millions d'euros par an . Les financements communaux ne sont pas estimés.

Au-delà de ces financements d'origine nationale, les fonds européens (FEADER, FEDER et FSE) apportent un financement public d'appoint pour la filière forêt-bois qui représente 47 millions d'euros par an , essentiellement concentrés sur le FEADER (44 millions d'euros par an pour l'actuelle période de programmation) essentiellement au titre de l'amélioration des dessertes pour le transport du bois et le FEDER.

En outre, le produit de la taxe fiscale affectée (13,3 millions d'euros en 2017 pour les taxes bois et ameublement ; 1,3 million d'euros pour la taxe pâte à papier en 2018) au Comité professionnel de développement des industries françaises de l'ameublement et du bois (CODIFAB), à l'Institut Technologique FCBA, et au Centre technique des industries de la mécanique (CETIM) ainsi que des fonds d'origine interprofessionnelle (cotisations volontaires obligatoires à hauteur de 9,9 millions d'euros en 2018), mis en oeuvre par l'interprofession France Bois Forêt (FBF), contribuent également à apporter un soutien financier à la filière forêt-bois.

Enfin, devrait être mise en place cette année, dans le cadre du Grand Plan d'Investissement (GPI) 2018-2022, une mesure nationale d'aide à l'amélioration des peuplements forestiers, dotée de 3,7 millions d'euros.

Les aides à l'aval directement financées sur le programme 149 Forêt se concentraient jusqu'en 2017 sur un dispositif de prêts garantis, géré par Bpifrance : le fonds de modernisation des scieries (prêt participatif de développement). Doté de 7,1 millions d'euros au 31 décembre 2018, il permet de consentir des prêts aux entreprises de 40 000 à 300 000 euros (avec différé de remboursement de 2 ans). Cet outil a été complété en 2018, également dans le cadre du GPI, par un second système de prêts sans garanties, avec différé d'amortissement, d'un montant compris entre 300 000 euros et 1 million d'euros. Le mécanisme a été doté de 10 millions d'euros en 2018 et de 1 million d'euros en 2019.

Enfin, dans le cadre du plan d'action interministériel de relance de la filière forêt-bois lancé le 16 novembre 2018, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a mis en place un « appel à manifestation d'intérêt pour sélectionner et accompagner financièrement l'ingénierie des projets intégrant différents maillons et acteurs de la filière et du territoire, réunis autour d'investissements structurants ou innovants » . Le FSFB a été mobilisé en 2019 à hauteur de 1,5 million d'euros pour financer des projets qui seront retenus dans le cadre de cet appel à manifestation d'intérêt.

A. VUE D'ENSEMBLE

Les dotations prévues s'élèvent à 242,1 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 247,5 millions d'euros en crédits de paiement (CP).

Elles se replient par rapport aux ouvertures de la loi de finances pour 2019 tant en crédits de paiement, avec - 6,2 millions d'euros (elles s'élevaient à 254,7 millions d'euros en 2019) qu' en AE avec - 3,7 millions d'euros (elles s'élevaient à 246,8 millions d'euros en 2019).

Le programme est dominé par les transferts en direction de l'Office national des forêts (ONF).

Ils seraient stabilisés à 178,8 millions d'euros. Leur structure serait identique à celle de l'an dernier :

- un versement compensateur de 140,4 millions d'euros ;

- une dotation exceptionnelle d'équilibre de 12,4 millions d'euros ;

- un financement des missions d'intérêt général de l'ONF de 26 millions d'euros ;

- les transferts vers l'ONF augmenteraient légèrement, du fait de la croissance des dépenses de missions d'intérêt général de l'ONF (+ 3,7 millions d'euros), le versement compensateur restant au même niveau (152 millions d'euros).

Au cours des dernières années, les moyens consentis à la forêt avaient été très fortement marqués par la tempête Klaus de 2009. Dix ans après, le budget en porte encore la trace, mais pour un montant nettement plus faible désormais : 8,3 millions d'euros en crédits de paiement 22 ( * ) . Ces derniers représentent malgré tout près d'un tiers des crédits prévus pour les entreprises (26,4 millions d'euros au total). Les économies permises par le retour à une situation plus normale n'ont pas été recyclées pour donner un nouvel élan pourtant nécessaire à la politique forestière.

Une nouvelle fois, la structure du projet de budget en crédits de paiement voit la part revenant aux entreprises très sensiblement diminuer . Au demeurant, la réduction programmée de la subvention pour charges de service public du Centre national de la propriété forestière (- 1 million d'euros, soit - 6,7 %, qui oeuvre pour les forêts privées, renforce cette regrettable tendance.

Cette réduction n'est pas un bon signal et doit être condamnée s'agissant d'un organisme qui a la charge de 75 % de la forêt française et mobilise à cet effet 400 salariés. Combinée avec le projet de réduire son financement provenant de la taxe additionnelle sur le foncier non bâti, elle aurait été catastrophique compte tenu de la nécessité de suivre de très près la situation sanitaire des forêts attaquée par divers agresseurs (scolytes, nématode du pin...).

Il en va de même pour les transferts aux collectivités territoriales .


* 22 Les crédits inscrits pour surmonter les dégâts dus à la tempête Klaus s'élevaient encore à plus de 40 millions d'euros en 2016 ; 10,6 millions d'euros étaient encore dotés en 2019.

Page mise à jour le

Partager cette page