EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Application du service garanti à la desserte des îles

Cet article vise à étendre les dispositions relatives à la continuité des services publics de transports aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises. La commission a approuvé ce dispositif après avoir adopté deux amendements.

I - Une volonté de garantir la continuité du service dans les services publics de transport maritime

A. L'absence de disposition relative à la continuité du service en cas de perturbation dans la desserte des îles

• L'organisation des transports maritimes réguliers publics de personnes et de biens pour la desserte des îles a été confiée par la loi NOTRe 14 ( * ) à la région , sauf dans les cas où l'île desservie fait partie du territoire d'une commune continentale. La région peut conclure une convention à durée déterminée avec des entreprises publiques ou privées pour assurer l'exercice de cette compétence.

En application de l'article L. 5431-2 du code des transports, la collectivité territoriale organisatrice peut fixer des obligations de service public (OSP) concernant les ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, la capacité à offrir le service et la tarification pour les services réguliers à destination des îles ou entre les îles.

La collectivité peut en outre conclure des contrats de service public afin que soit fourni un niveau de service suffisant . Ces contrats peuvent notamment porter sur des services de transport répondant à des normes fixées de continuité, de régularité, de capacité et de qualité .

Les opérateurs exploitant un service régulier en méconnaissance des OSP édictées par la collectivité territoriale organisatrice peuvent se voir infliger par celle-ci une amende administrative 15 ( * ) .

Ces dispositions sont applicables aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 73 de la Constitution 16 ( * ) ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon 17 ( * ) .

La loi ne prévoit toutefois pour les transports maritimes aucune disposition relative à la continuité du service en cas de perturbation prévisible de trafic .

• Par ailleurs, des dispositions spécifiques à la Corse sont fixées par le code général des collectivités territoriales (CGCT) et confient à cette collectivité des compétences étendues 18 ( * ) .

La collectivité territoriale de Corse définit les modalités d'organisation des transports maritimes et aériens entre l'île et la France continentale, en particulier en matière de desserte et de tarifs, sur la base du principe de continuité territoriale , « destiné à atténuer les contraintes de l'insularité ».

Des OSP sont imposées par la collectivité territoriale de Corse sur certaines liaisons maritimes pour assurer le respect de ce principe. En particulier, le marché des liaisons maritimes entre la Corse et les ports du continent français étant très saisonnier, la collectivité de Corse prévoit des mesures afin de garantir, tout au long de l'année, des services suffisants en termes de continuité, régularité, fréquence, qualité et prix.

L'office des transports de la Corse, établissement public à caractère économique et commercial défini à l'article L. 4424-20 du CGCT, gère les subventions accordées par l'État au titre de la continuité territoriale et conclut, avec les compagnies désignées par la collectivité pour assurer les liaisons soumises à des OSP, des conventions de délégation de service public (DSP). L'attribution de cette DSP pour les liaisons entre la Corse et Marseille a provoqué, en juin 2019, un conflit social entraînant une grève des marins qui a paralysé pendant plusieurs jours le trafic maritime. À partir de 2021, la desserte des cinq ports corses depuis Marseille doit être opérée par une compagnie maritime régionale fondée sur un partenariat public-privé dans le cadre d'une société d'économie mixte à opération unique (Semop).

B. L'extension au transport maritime des dispositions applicables au transport terrestre

Aux termes de l'article L. 1222-1 du code des transports, les dispositions relatives à la continuité du service en cas de perturbation prévisible de trafic sont applicables aux « services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique, hors transport fluvial ».

Le 1° du I étend ce champ d'application aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises . Ceci permet l'application à ces modes de transport des dispositions de la loi du 21 août 2007 ainsi que des dispositions introduites par la proposition de loi.

Le 2° du I permet à la collectivité territoriale (région ou commune) organisatrice de ces transports maritimes de prendre, en cas de grève pendant un jour ouvré, des délibérations :

- identifiant, le cas échéant, les liaisons ou parties de liaison pouvant donner lieu à un service inférieur au tiers du service normal ou à une interruption totale sans porter atteinte aux besoins essentiels de la population ;

- abaissant la limite du nombre de voyages assurés en période de pointe dans la mesure où il n'en résulterait pas une atteinte aux besoins essentiels de la population ni un risque pour la sécurité des voyageurs ( cf . article 3 ).

Enfin, le II précise, dans un nouvel article L. 4424-21-1 du CGCT, que la collectivité territoriale de Corse est l'autorité organisatrice de transports (AOT) pour l'application des dispositions du code des transports relatives à la continuité du service en cas de perturbation prévisible de trafic.

II - La position de la commission : une analogie pertinente avec les transports terrestres

L'analogie des services de desserte des îles avec les transports ferroviaires et urbains est pertinente et le rapporteur considère que l'effectivité du droit au transport doit s'appliquer aux citoyens qui dépendent du transport maritime, sous réserve des observations formulées sur les articles 3 et 4.

Au demeurant, l'application à ce secteur des dispositions de la loi de 2007 ne devrait pas constituer un bouleversement : selon les informations fournies au rapporteur, des dispositifs d'alarme sociale y ont déjà été mis en place de manière conventionnelle.

Pour rendre le dispositif proposé pleinement opérant, il convient cependant d' étendre également aux transports maritimes les dispositions du code des transports relatives au dialogue social, à la prévention des conflits collectifs et à l'exercice du droit de grève 19 ( * ) , applicables aux services de transport ferroviaire, qui comprennent notamment l'obligation pour les salariés de déclarer leur intention de faire grève ou de reprendre le travail. Sur la proposition du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement COM-5 en ce sens.

Par coordination avec la réécriture proposée de l'article 3, un second amendement COM-4 du rapporteur a supprimé le 2° du I.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
Définition des perturbations prévisibles du trafic

Cet article déplace sans la modifier, à des fins de lisibilité, la définition des « perturbations prévisibles » du trafic dans un nouvel article du code des transports. La commission l'a adopté sans modification.

I - Une définition des perturbations prévisibles inchangée

Aux termes de l'article L. 1222-2 du code des transports, sont réputées prévisibles les perturbations qui résultent :

- de grèves ;

- de plans de travaux ;

- d'incidents techniques, dès lors qu'un délai de 36 heures s'est écoulé depuis leur survenance ;

- d'aléas climatiques, dès lors qu'un délai de 36 heures s'est écoulé depuis le déclenchement d'une alerte météorologique ;

- de tout événement dont l'existence a été portée à la connaissance de l'entreprise de transports par le représentant de l'État, l'autorité organisatrice de transports (AOT) ou le gestionnaire de l'infrastructure depuis 36 heures.

À des fins de lisibilité, l'article 2 déplace sans la modifier cette définition des perturbations prévisibles dans un nouvel article L. 1222-1-1 du code des transports, de telle sorte qu'elle s'applique à l'ensemble du chapitre relatif à la continuité du service en cas de perturbation prévisible de trafic.

II - Un article adopté sans modification

Le présent article se borne à opérer une déplacement de dispositions existantes et n'appelle pas d'observation de la part du rapporteur.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 3
Garantie de la continuité du service public en cas de grève

Cet article introduit une exigence de service garanti en cas de grève égale au tiers du nombre de voyages assurés en service normal. Il autorise les entreprises de transport à réquisitionner si nécessaire les personnels grévistes devant demeurer en fonction pour couvrir les besoins essentiels de la population afin d'assurer ce niveau minimal.

La commission a adopté une nouvelle rédaction de cet article laissant aux autorités organisatrices de transport (AOT) le soin de définir le niveau minimal de service et d'enjoindre, le cas échéant, aux entreprises de transport de requérir les salariés nécessaires.

I - Un renforcement de l'encadrement de l'exercice du droit de grève dans le secteur des transports publics

A. L'encadrement actuel du droit de grève dans les services publics de transport

Dans la fonction publique et dans les entreprises et établissements chargés de la gestion d'un service public, le droit de grève garanti par la Constitution s'exerce dans les conditions prévues par les articles L. 2512-1 et suivants du code du travail, qui le conditionnent notamment au dépôt d'un préavis par une organisation syndicale représentative.

La loi « Bertrand » du 21 août 2007 20 ( * ) a introduit des dispositions visant à améliorer le service rendu aux usagers des transports terrestres en cas de perturbation prévisible, et notamment en cas de grève.

Elle a notamment prévu la définition de dessertes qui doivent être assurées en priorité, un dispositif d'alarme sociale devant permettre d'éviter un recours à la grève lorsqu'une solution négociée peut être trouvée en amont et une obligation de déclaration préalable par les salariés souhaitant faire grève, afin de permettre une information des usagers sur le service assuré.

Des dispositions similaires ont été prévues dans le secteur des transports aériens par la loi du 19 mars 2012 (loi « Diard ») 21 ( * ) .

L'encadrement du droit de grève dans le secteur des transports publics

La loi du 21 août 2007 a prévu des dispositions applicables aux services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non-touristique , dont son article 1 er affirme qu'ils sont essentiels à la population.

Ces dispositions, qui ont depuis été codifiées 22 ( * ) , visent d'une part le dialogue social et la prévention des conflits sociaux dans les entreprises de transport et d'autre part l' organisation de la continuité du service public en cas de grève ou autre perturbation prévisible du trafic. Elles s'ajoutent aux dispositions, applicables à l'ensemble des salariés d'entreprises chargées de la gestion d'un service public, qui conditionnent l'exercice du droit de grève au dépôt d'un préavis par une organisation syndicale représentative (article L. 2512-2 du code du travail).

L'identification en amont des niveaux de services attendus

L'article L. 1222-2 du code des transports prévoit la définition par l'autorité organisatrice de transport des dessertes qui ont vocation à être prioritaires en cas de perturbation prévisible du trafic.

Il est précisé que les perturbations réputées prévisibles sont celles qui résultent de grèves, de plans de travaux mais aussi, à partir d'un délai de 36 heures, d'incidents techniques, d'aléas climatiques ou de tout autre évènement porté à la connaissance de l'autorité organisatrice.

Pour assurer les dessertes prioritaires, l'AOT doit, aux termes de l'article L. 1222-3 , déterminer et rendre publics différents niveaux de service en fonction de l'importance de la perturbation et, pour chaque niveau de service, fixer la fréquence et les plages horaires.

Il est précisé que le niveau minimal de service , correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population , doit permettre d'éviter une atteinte disproportionnée :

- à la liberté d'aller et venir ;

- à la liberté d'accès aux services publics ;

- à la liberté du travail ;

- à la liberté du commerce et de l'industrie ;

- à l' organisation des transports scolaires .

Ce niveau minimal doit en outre permettre l'accès au service public de l'enseignement les jours d'examens nationaux et prendre en compte les besoins particuliers des personnes à mobilité réduite. En cas de carence de l'AOT, il revient au représentant de l'État d'arrêter les priorités de desserte (art L. 1222-6 ).

Les entreprises de transport sont tenues, aux termes de l'article L. 1222-4 , d'élaborer un plan de transport adapté précisant, pour chacun des niveaux de service déterminés par l'AOT, les plages horaires et les fréquences assurées.

Les mêmes entreprises doivent par ailleurs définir un plan d'information des usagers .

Le plan de transport adapté et le plan d'information des usagers sont soumis à l'approbation de l'AOT. Ils sont intégrés aux conventions d'exploitation (art. L. 1222-5 ).

La mise en oeuvre d'un accord de prévisibilité

Aux termes de l'article L. 1222-7 , les entreprises de transport doivent ainsi conclure un accord de prévisibilité recensant les catégories d'agents et leurs effectifs nécessaires et précisant les conditions dans lesquelles l'organisation du travail peut être modifiée et les personnels réaffectés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transport adapté.

À défaut d'accord, un plan de prévisibilité peut être défini de manière unilatérale par l'employeur.

Un encadrement spécifique du droit de grève dans le secteur des transports publics

Les articles L. 1324-1 et suivants du code des transports créent un dispositif d' alarme sociale , négocié au niveau de l'entreprise ou de la branche ou, à défaut, imposé par décret 23 ( * ) , consistant en l'organisation d'une procédure de négociation pouvant durer jusqu'à huit jours, au cours de laquelle les organisations syndicales envisageant de déposer un préavis de grève sont tenues de négocier avec l'employeur.

L'article L. 1324-7 du code des transports crée par ailleurs pour les agents définis dans le plan ou l'accord de prévisibilité l'obligation d'informer leur employeur, au plus tard 48 heures en avance, de leur intention de participer à un mouvement de grève . Un salarié faisant grève sans avoir respecté pas cette obligation de déclaration peut faire l'objet de sanctions disciplinaires (art. L. 1234-8 ).

Si ces dispositions étaient initialement applicables uniquement au services publics de transports, l'ordonnance du 3 juin 2019 24 ( * ) les a étendues aux services de transport librement organisés.

Les droits des usagers

Ces dispositions doivent permettre aux entreprises de transport de garantir aux usagers, 24 heures avant le début d'une perturbation prévisible, une information gratuite, précise et fiable sur le service assuré (art. L. 1222-8 ). En cas de défaut d'application du plan de transport adapté, si la responsabilité en incombe à l'entreprise, celle-ci se voit imposer par l'AOT le remboursement des titres de transport selon des modalités définies par convention (art. L. 1222-11 et L. 1222-12 ).

B. L'introduction d'une exigence de service minimum et d'un pouvoir de réquisition

L'article 3 insère, au sein du chapitre du code des transports relatif à la continuité du service public, une section 1 bis relative à la garantie de la continuité du service public en cas de grève .

1. La définition d'un service minimum égal à un tiers du service normal

Un nouvel article L. 1222-1-2 introduit une exigence de service garanti en cas de grève égal au tiers, arrondi à l'entier supérieur, du nombre de voyages assurés en service normal sur chacune des liaisons régulières assurées par un service public de transports.

Cette garantie s'appliquerait en cas de grève pendant un jour ouvré, soit du lundi au vendredi. Elle pourrait être modulée à la baisse par une délibération motivée de l'organe délibérant de l'AOT identifiant les liaisons ou parties de liaisons pouvant donner lieu à un service moindre ou à une interruption totale sans porter atteinte aux besoins essentiels de la population.

Un nouvel article L. 1222-1-3 dispose que les voyages assurés en application de ce service garanti devraient être prioritairement concentrés durant les « périodes de pointe » , dans la limite du nombre de voyages assurés au cours de ces périodes en service normal.

Les périodes de pointes sont définies comme les deux plages horaires d'une amplitude de deux heures du matin et de l'après-midi durant lesquelles le plus grand nombre de trajets est proposé aux usagers sur la liaison considérée.

Une délibération motivée de l'organe délibérant de l'AOT pourrait abaisser la limite du nombre de voyages organisés en période de pointe, de manière à répartir les voyages assurés dans le cadre du service garanti sur des plages horaires plus larges.

2. La possibilité de réquisitionner les personnels nécessaires à l'effectivité du service minimum

Un nouvel article L. 1222-1-4 , confère aux gestionnaires, lorsque les personnels non-grévistes seraient en nombre insuffisant pour assurer le service minimum défini à l'article précédent, la capacité de requérir les personnels devant demeurer en fonction.

Les personnels réquisitionnés seraient prioritairement ceux qui n'ont pas déclaré leur intention de participer à la grève.

Les membres du personnel réquisitionnés devraient en être informés au moins 24 heures à l'avance .

II - Une réécriture visant à assurer la constitutionnalité et l'opérationnalité du dispositif

A. Une nécessité de légiférer pour assurer la continuité du service public

1. Le législateur est fondé à fixer les limitations au droit de grève pour assurer sa conciliation avec d'autres principes constitutionnels

Si la cessation concertée du travail a longtemps été en France un délit, le droit de grève est aujourd'hui un droit constitutionnel inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, qui précise qu'il s'exerce « dans le cadre des lois qui le règlementent ».

Par cette formule, le constituant a entendu affirmer que ce droit n'est pas absolu et laisser au législateur le soin de définir ses limites , notamment pour en assurer la conciliation avec d'autres droits et principes à valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a notamment jugé, dans sa décision relative à la loi du 21 août 2007 25 ( * ) , que « en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ».

2. Les perturbations dans les transports publics sont susceptibles de porter atteinte à l'intérêt général

Les transports publics de voyageurs permettent de satisfaire un besoin essentiel et quotidien de la population. Le législateur a ainsi souhaité affirmer que « l'organisation du transport public » ainsi que « la gestion d'infrastructures et d'équipements affectés au transport et leur mise à la disposition des salariés dans des conditions normales d'entretien, de fonctionnement et de sécurité » constituent des missions de service public (article L. 1211-4 du code des transports).

En conduisant à un trafic extrêmement réduit voire nul sur le réseau ferré et sur le réseau urbain d'Île-de-France, le mouvement de protestation contre la réforme du système de retraite qui a débuté en septembre 2019 est venu prouver une nouvelle fois que des mouvements de grève étaient de nature à porter une atteinte disproportionnée au principe de continuité du service public, qui justifie à elle seule une intervention du législateur.

Il convient par ailleurs de noter que la paralysie des transports publics va, à plusieurs autres titres, à l'encontre de l'intérêt général.

- Une remise en cause de la liberté d'aller et venir

Lorsqu'il n'existe pas de solution alternative aux transports publics ou que les autres réseaux, notamment routiers, sont saturés, une grève largement suivie peut aller jusqu'à restreindre la liberté d'aller et venir. L'exercice par certains de leur liberté peut ainsi conduire à restreindre l'exercice par d'autres de leurs propres droits, en contradiction avec l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

- De potentiels troubles à l'ordre, à la sécurité et à la santé publics

La paralysie ou la saturation des réseaux peuvent causer des troubles à l'ordre public et présenter des menaces pour la santé et la sécurité des Français. Au-delà de ses conséquences pour la qualité de l'air, la saturation des réseaux routiers observée en Ile-de-France en décembre 2019 et janvier 2020 était en effet de nature à remettre en question la capacité des services d'incendie et de secours à intervenir rapidement en cas de menace grave.

De même, l'affluence observée dans gares et stations d'Île-de-France en décembre 2019 et janvier 2020 a pu faire craindre des mouvements de foule ou des malaises de voyageur, qui n'ont certainement pu être évités que par la fermeture préventive de certaines infrastructures, renforçant par ailleurs la gêne pour les usagers.

- Une pénalisation indue des usagers

L'absence d'effectivité d'un service public est de nature à pénaliser fortement les usagers. Au-delà de l'exaspération compréhensible qu'ils peuvent ressentir, ils peuvent avoir à supporter des dépenses liés aux déplacements qu'ils ne peuvent éviter ou reporter, ou des frais d'hébergement ou de garde d'enfants.

Les usagers les plus touchés par ces désagréments sont ceux qui résident loin de leur lieu de travail et ne disposent pas de véhicule personnel et ceux qui ne disposent pas d'une autonomie professionnelle leur permettant d'adapter leurs horaires de travail ou de télétravailler. Il convient donc de souligner que les grèves des transports publics touchent plus fortement des travailleurs qui sont déjà parmi les plus précaires.

- Des conséquences économiques potentiellement importantes

Les perturbations des transports publics peuvent enfin avoir d'importantes conséquences économiques lorsqu'elles nuisent à la consommation des ménages ou touchent certains secteurs à l'activité fortement saisonnière comme celui du tourisme et de l'hôtellerie-restauration.

3. Les limites du droit actuel

- Malgré les progrès qu'elle a permis, la loi Bertrand ne permet pas d'assurer un service minimal

Le dispositif créé par la loi du 21 août 2007 a, de l'avis de l'ensemble des acteurs rencontrés par le rapporteur, amélioré substantiellement le dialogue social au sein des entreprises de transport ainsi que la prévisibilité des perturbations résultant de mouvements de grève.

Toutefois, le dispositif d'alarme sociale est impuissant pour résoudre les conflits sociaux qui dépassent le cadre de l'entreprise.

En outre, si la loi de 2007 a confié aux AOT la mission de définir un niveau minimal de service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population, il n'existe aucun moyen permettant de garantir l'effectivité de ce niveau minimal de service.

L'épisode de grève contre la réforme des retraites montre ainsi qu'il est nécessaire d'intervenir à nouveau pour que l'expression légitime des opinions et la défense des intérêts professionnels ne portent pas une atteinte disproportionnée à d'autres principes.

- Les possibilités existantes de réquisition administrative ne sont pas adaptées

La réquisition de personnels grévistes est aujourd'hui possible dans certains cas précis.

Le code de la défense (articles L. 2211-1 et suivants) permet la réquisition de personnes, de biens ou de services en vue de préserver la sécurité nationale .

La réquisition peut porter sur « l'ensemble du personnel faisant partie d'un service ou d'une entreprise considérée comme indispensable pour assurer les besoins du pays » 26 ( * ) . Il s'agit d'une procédure exceptionnelle et complexe qui nécessite un décret en conseil des ministres, un arrêté ministériel et des ordres de réquisition individuels. Il n'a plus été fait usage de cette disposition depuis la grève des mineurs de 1963 27 ( * ) .

Au niveau local, le 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) permet au préfet de « réquisitionner tout bien ou service , requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service [...] et prescrire toute mesure utile », « en cas d'urgence » et lorsqu'une atteinte « au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique » l'exige . Cette disposition, introduite par la loi de 2003 pour la sécurité intérieure 28 ( * ) , a notamment pu être utilisée pour permettre la réquisition de personnels d'établissements de santé ou d'établissements pétroliers.

L'arrêté préfectoral doit être motivé, fixer la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application. Le préfet peut faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté.

Le contrôle du juge porte sur la justification de la mesure de réquisition, qui ne doit viser que les personnels affectés à la production des biens ou des services indispensables. Le juge effectue de plus un contrôle de proportionnalité en vérifiant que la mesure est nécessaire, imposée par l'urgence et proportionnée aux nécessités de l'ordre public .

Le Conseil d'État a ainsi été amené à valider la réquisition de certains personnels d'un établissement pétrolier exploité par la société Total, jugeant que « le préfet peut légalement requérir l'essentiel des salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public » 29 ( * ) .

Rien ne fait obstacle, si les circonstances l'exigent, à ce qu'un préfet fasse application des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L. 2215-1 du CGCT pour requérir des salariés grévistes d'une entreprise assurant une mission de service public de transport.

Il n'existe en revanche pas d'exemple et donc a fortiori pas de jurisprudence relative à l'appréciation d'une éventuelle atteinte aux besoins essentiels de la population ou à l'ordre public du fait d'une telle grève.

- Le législateur a prévu des dispositifs de réquisition dans certains secteurs

En l'état actuel du droit, un employeur privé n'a en aucun cas le pouvoir de réquisitionner des salariés grévistes 30 ( * ) . En revanche, la loi autorise les réquisitions dans certains services publics, par exemple :

- dans les établissements et organismes de radiodiffusion et de télévision (lois du 26 juillet 1979 31 ( * ) et du 30 septembre 1986 32 ( * ) ) ;

- dans ceux détenant des matières nucléaires (loi du 25 juillet 1980 33 ( * ) ) ;

- dans le domaine de la navigation aérienne, pour une liste de missions devant être assurées en toutes circonstances 34 ( * ) (loi du 31 décembre 1984 35 ( * ) ) ;

- dans les services publics hospitaliers (article L. 6314-1 du code de la santé publique) et dans les établissements privés de santé assurant une mission de service public.

B. Une proposition de loi dont la sécurité juridique peut être renforcée

1. L'effectivité du dispositif peut être renforcée

- Le principe de subsidiarité dans l'appréciation des besoins de la population

Même s'il laisse aux AOT une faculté de modulation, à la baisse, le présent article conduit le législateur à fixer lui-même, un niveau minimal qui serait uniforme quel que soit le mode de transport public considéré et quelles que soient les solutions alternatives existantes sur le territoire.

Or, il existe des territoires dans lesquels la population est extrêmement dépendante des transports publics, au point qu'un service correspondant à un tiers du service normal aboutit à une situation de saturation voire de paralysie. Ailleurs, les transports publics sont utilisés de manière moins intensive et des solutions alternatives sont plus facilement mobilisables.

Au demeurant, la proposition de loi admet la diversité des situations locales puisqu'elle laisse la possibilité à l'AOT de prévoir un niveau de service inférieur et l'oblige (article 4) à prévoir un niveau supérieur si cela est nécessaire pour garantir les besoins essentiels de la population.

La loi de 2007 a confié aux AOT, c'est-à-dire le plus souvent aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, la responsabilité de définir les dessertes prioritaires et les niveaux de service à assurer en cas de perturbation prévisible du trafic. Elles déterminent ainsi un niveau minimal correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population. Cette disposition (art. L. 1222-3 du code des transports) n'est d'ailleurs pas modifiée par la présente proposition de loi.

Le rapporteur considère que le principe de subsidiarité qui a guidé la décentralisation justifie de laisser, comme c'est aujourd'hui le cas, aux acteurs de terrain le soin de déterminer le niveau de service à même de couvrir les besoins essentiels de la population, sans qu'un niveau de référence correspondant à un tiers du service normal soit fixé dans la loi.

- La proportionnalité de l'atteinte au droit de grève

Si le législateur peut restreindre une liberté constitutionnelle comme le droit de grève pour la concilier avec un principe tel que la continuité du service public, il importe que la restriction apportée soit proportionnelle à l'objectif poursuivi.

Or, cette exigence de proportionnalité ne parait pas compatible avec la détermination, de manière générale et absolue, d'un niveau minimal de transport correspondant à un tiers du service normal, quand bien même l'AOT aurait la possibilité de moduler à la baisse cette exigence.

- L'attribution aux entreprises de transport d'un pouvoir de réquisition

La proposition de loi tend à confier aux opérateurs de transport, c'est-à-dire potentiellement à des entreprises privées, une prérogative dont on peut se demander si elles auront les moyens et la volonté de la mettre en oeuvre dans le cas d'un mouvement de grève massif.

Il apparaîtrait dès lors pertinent que la décision de requérir des salariés exerçant leur droit de grève émane non pas d'entreprises privées mais d'une autorité administrative.

2. La commission a adopté une nouvelle rédaction permettant d'atteindre l'objectif poursuivi

Afin de répondre aux difficultés identifiées, la commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, une nouvelle rédaction du présent article ( amendement COM-6 ).

- Une définition par l'AOT du niveau minimal de service

Le dispositif issu des travaux de la commission crée une nouvelle section 1 bis au sein du chapitre du code des transports relatif à la continuité du service public en cas de perturbation. Cette section serait composée d'un unique article L. 1222-1-2 aux termes duquel l'AOT déterminerait le niveau minimal de service correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population.

Cette définition passerait par une délibération rendue publique et serait donc, en tant que telle, susceptible de recours. Une délibération fixant un niveau minimal de transport ne correspondant pas strictement à la couverture des besoins essentiels de la population méconnaîtrait donc les dispositions légales et pourrait donc être déférée devant le juge administratif, le cas échéant à l'initiative du préfet.

Cette définition serait indépendante de la définition, prévue par la loi de 2007, de différents niveaux de service en fonction de l'importance de la perturbation.

- Une possibilité de requérir les salariés grévistes conditionnée à une décision de l'AOT

Lorsque ce niveau minimal ne pourra être assuré en raison d'un mouvement de grève, il reviendra à l'autorité organisatrice de transport compétente d'enjoindre aux entreprises de transport concernées de requérir les salariés grévistes nécessaires (nouvel article L. 1222-7-1 ).

Par hypothèse, une situation dans laquelle le niveau de service public correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population ne serait pas assuré serait une situation justifiant qu'une limitation soit apportée à l'exercice du droit de grève.

Il est néanmoins possible d'admettre une certaine capacité d'adaptation de la population face à l'insuffisance des transports publics. Il est donc proposé que l'injonction de l'AOT puisse intervenir dès lors que le service minimal n'aura pas été assuré pendant une durée de trois jours .

Les salariés susceptibles d'être requis en application de l'article L. 1222-7-1 devraient être définis dans l'accord ou le plan de prévisibilité mentionné à l'article L. 1222-7.

Aux termes du nouvel article L. 1222-7-2 , l'entreprise de transport est tenue de se conformer à l'injonction de l'AOT dans un délai de 24 heures .

Enfin, un nouvel article L. 1222-7-3 précise que les salariés requis doivent en être informés au moins 24 heures avant l'heure à laquelle ils doivent se trouver à leur poste.

- Des sanctions disciplinaires en cas d'exercice illicite du droit de grève

Tout comme le fait de faire grève sans en avoir informé préalablement son employeur comme le prévoit l'article L. 1324-7, le fait pour un salarié requis de ne pas reprendre son poste serait constitutif d'un exercice illicite du droit de grève et serait donc passible de sanction disciplinaire . Le rapporteur a toutefois confiance en la conscience professionnelle de ces agents, qui concourent à l'exécution du service public.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4
Prise en compte de l'obligation de service minimal garanti
dans l'élaboration des plans de transport adaptés

Cet article précise les modalités de prise en compte du service minimal garanti dans l'élaboration des plans de transport adaptés. Il prévoit la possibilité pour l'AOT d'infliger à l'entreprise de transport une amende administrative en cas de non-respect des fréquences minimales fixées.

Par coordination avec sa réécriture de l'article 3, la commission a supprimé cet article.

I - Un article opérant diverses coordinations

Le 1° du présent article complète la rédaction actuelle de l'article L. 1222-2 afin de préciser que la définition des dessertes prioritaires doit tenir compte des obligations créées par l'article L. 1222-1-2, créé par l'article 3 de la présente proposition de loi.

Le même 1° supprime par ailleurs l'énumération des perturbations réputées prévisibles, qui, pour mémoire, sont reprises dans un article L. 1222-1-1 créé par l'article 2 de la proposition de loi.

Le complète l'article L. 1222-3 et tend à prévoir que le niveau minimal de service applicable en cas de grève correspond au minimum garanti par l'article L. 1222-1-3 tel qu'il résulte de l'article 3 de la proposition de loi (un tiers du service normal) augmenté en tant que de besoin afin de couvrir les besoins essentiels de la population.

Le 3° du présent article complète la rédaction de l'article L. 1223-4 afin que le plan de transport adapté mentionne, le cas échéant, les « obligations prévues à l'article L. 1222-3 ».

Le remplace la disposition de l'article L. 1222-5 relative à la modification, avant le 1 er janvier 2008, des conventions d'exploitation par une disposition aux termes de laquelle les nouvelles obligations en termes de service minimum créées par l'article 3 de la proposition de loi devront être prises en compte dans les conventions d'exploitation au plus tard le 1 er juillet 2020.

Le crée un article L. 1222-6-1 aux termes duquel, en cas de non-respect des fréquences minimales qu'elle a fixées, l'AOT peut infliger une amende administrative à l'entreprise de transport. Le montant maximal par desserte non assurée de cette amende doit être précisé par un décret en Conseil d'État.

Le modifie enfin l'article L. 1222-7 afin de préciser que la notion de personnels disponibles en cas de grève s'étend aux personnels réquisitionnés.

II - Une suppression cohérente avec la position de la commission à l'article 3

Les dispositions de cet article visent à opérer les coordinations dont la nécessité résultait du dispositif proposé à l'article 3.

Par cohérence avec la réécriture de cet article, la commission a supprimé l'article 4 ( amendement COM-7 ).

La commission a supprimé cet article.

Article 5
Information de l'autorité organisatrice de transports

Cet article introduit une information obligatoire de l'AOT sur les négociations menées par l'entreprise de transport dans le cadre d'un préavis de grève. La commission a étendu le champ de cette obligation aux négociations menées dans le cadre de la procédure d'alarme sociale.

I - La création d'une obligation d'information de l'AOT sur les négociations menées dans le cadre d'un préavis de grève

L'article L. 1222-9 du code des transports oblige les entreprises de transport à informer immédiatement l'autorité organisatrice de transports de toute perturbation ou risque de perturbation dont elle a connaissance.

Le présent article complète cet article afin que l'AOT soit également informée de l'évolution des négociations qui doivent se tenir pendant la durée d'un préavis de grève , conformément à l'article L. 2512-2 du code du travail.

En cas d'échec de ces négociations, l'entreprise devrait également informer l'AOT des mesures qu'elle envisage de prendre pour se conformer à ses obligations de service minimum résultant de la présente proposition loi et des difficultés qu'elle risque de rencontrer .

II - L'élargissement par la commission du dispositif proposé aux négociations menées dans le cadre d'un dispositif d'alarme sociale

Il est nécessaire que les AOT et les entreprises de transport échangent de manière régulière sur le service rendu aux usagers, a fortiori lorsque des perturbations sont susceptibles d'intervenir.

La commission a donc estimé qu'il n'était pas inutile d'inscrire dans la loi une obligation pour l'entreprise de tenir l'AOT informée des négociations qu'elle mène avec les organisations syndicales.

S'agissant des entreprises du secteur des transports publics, à l'obligation de négocier pendant la durée du préavis, propre à l'ensemble du secteur public, s'ajoute la procédure d'alarme sociale avant tout dépôt de préavis de grève (art. L. 1324-1 du code des transports). Pendant la durée de cette alarme sociale, les organisations syndicales et l'employeur sont également tenues de négocier.

La commission a donc adopté un amendement COM-8 du rapporteur complétant les dispositions du présent article afin d'imposer à l'entreprise de transport de tenir l'AOT informée des négociations menées dans le cadre de la procédure d'alarme sociale .

Cet amendement a en outre opéré une coordination avec les modifications apportées par la commission à l'article 3.

La commission a adopté cet article ainsi modifié

Article 6
Modalités de dédommagement des usagers

Cet article précise les conditions de dédommagement des usagers en cas de perturbations du trafic en imposant à l'entreprise le remboursement des titres de transport. La commission en a simplifié la rédaction en laissant à l'AOT le soin de définir contractuellement avec l'entreprise de transport les modalités pratiques du dédommagement.

I - Une précision des modalités de dédommagement des usagers en cas de perturbation du trafic

Les articles L. 1222-11 et suivants du code des transports précisent les conditions de dédommagement des usagers impactés par des perturbations des transports .

En cas de défaut d'exécution dans la mise en oeuvre du plan de transport adapté imputable à l'entreprise de transport, l'article L. 1222-11 oblige l'AOT à lui imposer le remboursement , selon des modalités définies par convention, des titres de transport à raison de la durée de cette inexécution.

L'article L. 1222-12 dispose qu'un usager qui n'a pu utiliser le moyen de transport pour lequel il a contracté un abonnement ou acheté un titre de transport a droit à la prolongation de la validité de cet abonnement ou de ce titre pour une durée équivalente, à son échange ou à son remboursement .

Il est précisé que les éventuelles pénalités pour non-réalisation du plan de transport peuvent être affectées, sur décision de l'AOT, au remboursement des usagers.

Le présent article crée, à l'article L. 1222-11, une présomption de responsabilité de l'entreprise si elle n'a pas fait usage, ou fait un usage inadapté des dispositions de l'article L. 1222-1-4, issu de l'article 3 de la présente proposition de loi.

Il précise par ailleurs les dispositions de l'article L. 1222-12 afin de supprimer la possibilité d'un échange de titre de transport sauf, si l'usager l'accepte, en cas de voyage aller et retour.

Il est en outre précisé que le remboursement doit être effectué de manière automatique, par voie électronique et sous sept jours lorsque le paiement a été effectué sous cette forme.

Enfin, le droit à remboursement d'un trajet aller entrainerait le cas échéant le droit à remboursement du trajet retour.

II - Une précision bienvenue mais sans doute excessive

Les AOT ont la faculté d'imposer aux entreprises auxquelles elles confient la gestion d'un service public de transport des pénalités en cas de non-respect de leurs engagements contractuels. Les pénalités contractuelles sont sans doute un outil au moins aussi efficace , souple et sûr juridiquement que le prononcé d'amendes administratives.

Si le dédommagement des usagers n'ayant pas pu voyager du fait de grèves est généralement mis en oeuvre, il prend souvent la forme d'un avoir sur un futur achat.

Une telle solution est certainement satisfaisante pour des usagers fréquents des transports publics, notamment dans le cas des transports urbains ou régionaux.

Pour autant, elle peut l'être nettement moins pour les usagers occasionnels et dans le cas de voyages longs et coûteux, pour lesquels l'usager peut préférer un remboursement de son titre de transport.

Par ailleurs, les usagers qui ne peuvent utiliser les transports publics sont parfois contraints de supporter immédiatement le coût de solutions alternatives et ne sauraient se satisfaire d'un avoir.

Le droit actuel laisse aux AOT le soin de déterminer contractuellement avec les entreprises de transport les modalités de remboursement des usagers. Une telle souplesse peut sembler bienvenue . Au demeurant, il n'est pas certain qu'une définition des modalités de remboursement aussi précise que le propose le présent article relève du domaine de la loi .

La commission a adopté un amendement COM-9 du rapporteur simplifiant la rédaction initiale , précisant que c'est à l'usager que revient le choix entre un remboursement et un avoir et laissant à l'AOT le soin de définir contractuellement avec l'entreprise de transport les modalités pratiques.

La commission a adopté cet article ainsi modifié

Article 7
Consultation des comités de suivi des dessertes

Cet article prévoit la consultation des comités de suivi des dessertes sur les mesures envisagées dans le cadre de la mise en oeuvre du service minimum garanti. La commission l'a adopté en modifiant le champ de cette consultation.

I - Un article visant à consulter les usagers sur la mise en oeuvre du service minimum garanti

L'article L. 2121-9-1 du code des transports, applicable aux transports ferroviaires ou guidés, prévoit l'institution de comités de suivi des dessertes associant les représentants des usagers, des personnes handicapées et des élus locaux.

Ces comités ont notamment vocation à être consultés sur « la politique de desserte et l'articulation avec les dessertes du même mode en correspondance, les tarifs, l'information des voyageurs, l'intermodalité, la qualité de service, la performance énergétique et écologique et la définition des caractéristiques des matériels affectés à la réalisation des services ».

Le présent article complète ces dispositions afin de préciser que les comités de suivi sont également consultés sur « les mesures envisagées dans le cadre de la mise en oeuvre du service minimum garanti » résultant de l'article 3 de la proposition de loi.

II - Un amendement de coordination adopté par la commission

La rédaction de l'article 3 adoptée par la commission à l'initiative de son rapporteur a supprimé les dispositions relatives au service minimum garanti, privant d'objet le présent article, dans sa rédaction initiale. Au demeurant, les obligations créées par l'article 3 pesaient sur les entreprises de transport alors que c'est l'AOT qui doit consulter les comités de suivi aux termes de l'article L. 2121-9-1 du code des transports.

La commission a toutefois adopté un amendement COM-10 du rapporteur tendant à prévoir la consultation des comités de desserte par l'AOT dans le cadre de la définition des différents niveaux de service à assurer en cas de perturbation.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 8
Garantie de la continuité du service de transport aérien en cas de grève

Cet article décline dans le transport aérien de passagers la notion de service garanti introduite par la présente proposition de loi.

La commission l'a réécrit pour limiter l'exigence de service minimum aux seules lignes aériennes sous obligation de service public. Elle a également introduit la possibilité pour les compagnies aériennes d'utiliser les déclarations individuelles d'intention de faire grève en vue de réaménager le trafic avant un mouvement social.

I - L'instauration d'un service minimum garanti dans le transport aérien

A. Le droit existant prévoit une procédure facultative de prévention des conflits dans le transport aérien

La loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 prévoit qu'en cas de cessation concertée du travail dans les services de la navigation aérienne , certaines missions doivent être assurées en toutes circonstances, notamment le maintien de liaisons destinées à éviter l'isolement de la Corse et des collectivités d'outre-mer.

La loi « Diard » de 2012 36 ( * ) a introduit dans le code des transports des dispositions relatives au droit à l'information des passagers du transport aérien applicables aux entreprises qui exercent une activité de transport aérien ou qui assurent des services connexes, lorsqu'elles concourent directement à l'activité de transport aérien de passagers.

• En application de l'article L. 1114-2 du code des transports, ces employeurs peuvent engager avec les organisations syndicales représentatives des négociations en vue de la signature d'un accord-cadre organisant une procédure de prévention des conflits et tendant à développer le dialogue social . Dans les entreprises ayant conclu un tel accord, l'exercice du droit de grève ne peut intervenir qu'après une procédure d'« alarme sociale » imposant une négociation préalable entre l'employeur et les organisations syndicales représentatives qui envisagent de recourir au droit de grève.

À la différence des dispositions créées par la loi du 21 août 2007 pour les services publics de transport terrestre, la négociation d'un tel accord reste ici facultative : elle ne peut être imposée par le législateur à des acteurs privés qui ne sont chargés d'aucune mission de service public.

En outre, la loi ne prévoit pas la définition de dessertes prioritaires ni la conclusion d'accords ou de plan de prévisibilité prévoyant les conditions de réaffectation des salariés non-grévistes.

• Sur le modèle de la loi du 21 août 2007, l'article L. 1114-3 du code des transports prévoit des modalités spécifiques d'exercice du droit de grève pour les salariés « dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols » : ceux-ci doivent notamment informer leur employeur au plus tard 48 heures à l'avance de leur intention de faire grève. Les catégories de personnel concernées sont principalement les personnels navigants et ceux dont les fonctions concernent l'assistance en escale, la maintenance aéronautique et la sûreté aéroportuaire. Le recueil de ces renseignements par l'employeur a pour seul objet d'adapter l'organisation du service en cas de grève afin d'assurer une meilleure information des passagers .

En outre, l'article L. 1114-4 du code des transports dispose que le salarié qui n'a pas informé son employeur de son intention de faire grève est passible d'une sanction disciplinaire , tout comme celui qui, de façon répétée, n'a pas informé son employeur de son intention de renoncer à participer à la grève ou de reprendre son service.

• En cas de perturbation du trafic aérien liée à une grève, tout passager a le droit de disposer d'une information gratuite, précise et fiable sur l'activité assurée. Cette information doit être délivrée aux passagers par l'entreprise de transport aérien au plus tard 24 heures avant le début de la perturbation 37 ( * ) .

B. Le dispositif proposé adapte au transport aérien le service minimum garanti prévu par la proposition de loi

Le de l'article 8 précise l'intitulé du chapitre IV du titre I du livre I er de la première partie du code des transports en faisant référence, non plus au « droit à l'information » des passagers du transport aérien, mais plus généralement « aux droits » de ces passagers.

Le prévoit, dans un nouvel article L. 1114-2-1 inséré dans le code des transports, une obligation d'information immédiate du représentant de l'État dans les départements concernés pour les entreprises de transport aérien dans lesquelles un préavis de grève a été déposé, à l'image de ce que la proposition de loi prévoit pour les entreprises gestionnaires de services publics de transport terrestre ou maritime à l'égard de l'autorité organisatrice de transports ( cf . article 5 ). Ces entreprises devraient tenir informé le préfet de l'évolution des négociations et lui indiquer, au moins 24 heures avant le terme du préavis, les mesures qu'elles envisagent de prendre pour assurer le service garanti.

Le introduit, dans une nouvelle section 3 bis , une exigence de service garanti en cas de grève égale au tiers, arrondi à l'entier supérieur, des fréquences du service normal sur chacune des « liaisons régulières du transport aérien public » 38 ( * ) à l'intérieur du territoire français.

Des dérogations à cette obligation de service garanti pourraient être autorisées, par arrêté conjoint des préfets des départements d'origine et de destination des lignes aériennes et à la demande de l'entreprise, dès lors qu'il n'en résulterait pas d'atteinte aux besoins essentiels de la population.

En cas de manquement à cette obligation, l'entreprise de transport aérien pourrait se voir infliger par le préfet une amende administrative .

Afin d'assurer le respect du service garanti, l'entreprise de transport aérien aurait la possibilité de réquisitionner les catégories de personnel ou agents qui doivent demeurer en fonction pour couvrir les besoins essentiels de la population, lorsque les personnels non grévistes sont en nombre insuffisant (nouvel article L. 1114-6-2 du code des transports).

Les membres du personnel réquisitionnés devraient en être informés au moins 24 heures à l'avance . Ces personnels seraient prioritairement ceux qui n'ont pas déclaré leur intention de participer à la grève.

II - La position de la commission : un recentrage sur les lignes aériennes soumises à des obligations de service public

A. La limitation du service minimum aux liaisons sous obligation de service public

L'application au transport aérien des instruments introduits par la proposition de loi pour garantir un service minimum dans les transports terrestres et maritimes pose d'importantes difficultés .

Contrairement au transport terrestre de voyageurs, qui est une mission de service public, le transport aérien est un secteur complètement libéralisé depuis le milieu des années 1990. En application du droit de l'Union européenne 39 ( * ) , l'exploitation des liaisons aériennes se fait dans un cadre concurrentiel, à l'exception des obligations de service public qu'un État peut imposer, de manière limitée, à certaines lignes desservant des régions périphériques ou présentant un caractère « vital » pour le développement économique du territoire en question 40 ( * ) . Hormis ces destinations, les transporteurs aériens ne sont astreints à aucune contrainte de service public.

De même, on peut douter qu'en dehors de certaines régions périphériques, les perturbations des liaisons aériennes portent atteinte aux besoins essentiels de la population.

Ainsi, il était apparu impossible d'étendre à ce secteur l'ensemble des dispositions de la loi du 21 août 2007. En outre, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif de la loi du 19 mars 2012 en considérant « qu'en imposant aux salariés des entreprises entrant dans le champ d'application de la loi d'informer leur employeur de leur intention de participer à un mouvement de grève, le législateur a entendu mettre en place un dispositif permettant l'information des entreprises de transport aérien ainsi que de leurs passagers afin, notamment, d'assurer le bon ordre et la sécurité des personnes dans les aérodromes et, par suite, la préservation de l'ordre public qui est un objectif de valeur constitutionnelle » 41 ( * ) .

A fortiori , le dispositif de réquisition prévu par la proposition de loi ne semble pas pouvoir s'appliquer à l'ensemble des lignes de transport aérien . Il ne semble pas davantage pouvoir se justifier par l'objectif de préservation de l'ordre public, l'information des passagers étant normalement suffisante pour éviter d'inutiles déplacements et un encombrement des aéroports.

En conséquence, l'exigence de service minimum et la possibilité de requérir les salariés nécessaires pour assurer ce service pourraient être appliquées aux seules liaisons aériennes sous obligation de service public . Le ministre chargé de l'aviation civile serait tenu de prévoir, d'une part, les obligations de service normal et, d'autre part, le service minimal qui doit être garanti pour couvrir les besoins essentiels de la population. Les personnels nécessaires pour atteindre ce niveau minimal pourraient être requis au bout de trois jours pendant lesquels il n'aurait pas été assuré.

B. Le renforcement de la capacité des compagnies aériennes à s'organiser en cas de grève

Par ailleurs, il paraît possible d'apporter un tempérament aux restrictions prévues au sixième alinéa de l'article L. 1114-3 du code des transports, selon lequel « les informations issues des déclarations individuelles des salariés ne peuvent être utilisées que pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers ».

Introduites dans un objectif de protection des salariés, ces dispositions ont pour effet de limiter la capacité des compagnies aériennes à s'organiser en cas de grève . Par une décision du 12 octobre 2017, la Cour de cassation a ainsi jugé que les informations issues des déclarations individuelles ne pouvaient être utilisées avant le début de la grève afin de recomposer les équipages et de réaménager le trafic 42 ( * ) . Cette interprétation ne semble pas conforme à l'esprit de la loi du 19 mars 2012 .

À l'initiative du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement COM-11 réécrivant l'article 8 afin :

- de limiter l'exigence de service minimum garanti aux seules lignes sous obligations de service public. Il inscrit à cette fin dans la partie législative du code des transports la possibilité pour l'État d'imposer des obligations de service sur certaines lignes aériennes, dans le cadre posé par la réglementation européenne ;

- de prévoir que les déclarations individuelles d'intention de faire grève peuvent être utilisées pour permettre l'organisation de l'activité assurée , en particulier dans le but de composer les équipages, et non exclusivement pour l'information des passagers.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 9 (nouveau)
Caducité du préavis de grève en l'absence de grévistes

Cet article, inséré par la commission, autorise l'employeur à déclarer caduc un préavis sur le fondement duquel aucun salarié n'a fait grève depuis cinq jours.

I - Le droit existant rend possibles des contournements de l'obligation de négociation

Alors qu'aucune règle spécifique n'existe dans le secteur privé, l'exercice du droit de grève dans les services publics 43 ( * ) est conditionné au dépôt par une organisation syndicale représentative d'un préavis transmis cinq jours francs avant le déclenchement de la grève. Ce préavis doit mentionner le champ géographique, l'heure du début et la durée, limitée ou non, de la grève envisagée 44 ( * ) .

Dans le secteur des transports terrestres réguliers de personnes, la loi de 2007 a ajouté à cette obligation de préavis un dispositif d'« alarme sociale » imposant la conduite de négociations pendant une période maximale de huit jours avant qu'un préavis puisse être déposé 45 ( * ) . Un accord-cadre organise dans chaque entreprise de transport cette procédure de prévention des conflits 46 ( * ) .

Ces dispositions ont pour but de permettre de trouver une solution aux éventuelles difficultés avant qu'un mouvement de grève ne vienne perturber le service public rendu aux usagers. Elles ont permis de diminuer la conflictualité et d'améliorer la qualité du dialogue social dans les entreprises de transport public. Ainsi, selon l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) :

- en 2018, 58,5 % des demandes de négociation préalable n'ont été suivies d'aucun préavis de grève ; cette proportion était de 41 % en 2011 ;

- le nombre d'heures de travail perdues pour cause de grève a été divisé par 3 au cours des dix dernières années.

Or, ainsi qu'il a été indiqué au rapporteur, l'obligation de négociation est fréquemment contournée par le dépôt de préavis de grève couvrant une période particulièrement longue, voire illimitée . Ainsi, le dispositif d'alarme sociale et la procédure de dépôt d'un préavis ne sont appliqués qu'une fois pour toutes et un salarié peut se mettre en grève à tout moment à condition de respecter le délai de prévenance de 48 heures.

Par exemple, en l'état actuel du droit, rien ne s'oppose à ce que des salariés cessent le travail sur le fondement d'un préavis déposé plusieurs années auparavant et pour lequel aucun gréviste ne s'est déclaré depuis l'origine. Ceci conduit en pratique à des abus.

De telles pratiques, qui permettent la persistance des « grèves surprises » que le législateur avait souhaité interdire, sont en effet validées par la jurisprudence de la Cour de cassation. Ainsi la chambre sociale a-t-elle rappelé, dans une décision du 8 décembre 2016, que « l'absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève » 47 ( * ) .

II - Le dispositif proposé permet d'empêcher un préavis de grève de perdurer en l'absence de grévistes

La faculté pour les organisations syndicales de déposer un préavis de grève de longue durée, voire de durée illimitée, apparait consubstantielle à la liberté syndicale. Au demeurant, il n'est pas possible de connaître ex ante la durée d'un conflit social.

Toutefois, lorsque l'appel à la grève lancé par une organisation syndicale, fût-elle représentative, n'est suivi par aucun agent ou lorsque l'ensemble des agents grévistes ont décidé de reprendre le travail, il paraît possible de considérer qu'il n'y a pas ou plus de conflit entre l'employeur et ses salariés.

Ainsi, le rapporteur estime qu' un préavis doit pouvoir être considéré comme caduc dès lors que l'employeur constate qu'aucun salarié n'a fait grève dans l'entreprise pendant une durée de cinq jours . Il reviendrait à l'employeur de constater, par l'envoi d'un courrier aux organisations syndicales ayant déposé le préavis, cette caducité. À l'initiative du rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-12 modifiant l'article L. 1324-6 du code des transports en ce sens.

Cette disposition ne limite en rien la capacité des organisations syndicales à engager une procédure d'alarme sociale et, le cas échéant, un préavis de grève à chaque fois qu'elles le souhaitent.

La commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé .

Article 10 (nouveau)
Possibilité pour l'entreprise d'imposer l'exercice de la grève
pendant la totalité de la durée du service

Cet article, inséré par la commission, prévoit la possibilité pour l'employeur d'imposer aux salariés grévistes de faire grève pendant toute la durée de leur service en cas de risque de désordre manifeste.

I - Le fort pouvoir de désorganisation des grèves de courte durée

Les règles encadrant le droit de grève dans les services publics n'empêchent pas le dépôt par une organisation syndicale d'un préavis de grève dont la durée se compose de multiples et brefs arrêts du travail . Cette pratique serait, de fait, très fréquente dans les transports publics 48 ( * ) .

Or, une grève de courte durée peut avoir pour conséquence une désorganisation du service disproportionnée , particulièrement dans le domaine des transports urbains.

En effet, le conducteur d'un tramway qui choisit de se mettre en grève pendant son service peut entraîner une interruption totale du service sur la ligne qu'il dessert. La durée de la perturbation peut en outre largement dépasser la durée de la grève, puisqu'il est rare que la durée d'un service de transport soit inférieure à une heure. Enfin, il n'est pas toujours possible à l'entreprise de confier une nouvelle tâche à un agent qui a décidé de reprendre le travail après avoir déclaré son intention de faire grève alors que le service s'est organisé sans lui.

Ces grèves de très courte durée, dites « grèves de 59 minutes », n'entraînent pour les grévistes qu'une perte de salaire limitée, les retenues étant opérées en fonction de la durée de la grève 49 ( * ) ; elles se sont ainsi fortement développées dans certains réseaux de transport.

II - L'extension aux transports publics d'une règle applicable à la fonction publique territoriale

• Dans la fonction publique d'État , la règle comptable du « trentième indivisible » conduit à retenir une journée entière de traitement pour tout arrêt de travail, quelle qu'en soit la durée. Elle a pour effet de dissuader les grèves de courte durée.

Cependant, le Conseil constitutionnel, considérant que ce mécanisme est justifié par les règles de la comptabilité publique et n'est au demeurant pas limité aux cas de grève, a jugé en 1987 que son application aux agents des services publics autres que les personnels de l'État et des établissements publics de l'État à caractère administratif « pourrait, dans nombre de cas, porter une atteinte injustifiée à l'exercice du droit de grève qui est constitutionnellement garanti » 50 ( * ) . Son extension aux entreprises chargées d'un service public de transport ne serait envisageable que dans la mesure où elle ne revêtirait pas un caractère général et absolu mais viserait à éviter le recours répété à des grèves de courte durée affectant anormalement le fonctionnement régulier des services publics.

• Dans la fonction publique territoriale , la loi du 6 août 2019 51 ( * ) a prévu, pour assurer la continuité de certains services publics, notamment les services de transport exploités en régie, la possibilité pour l'autorité administrative d'imposer à ses agents qui ont déclaré leur intention de faire grève d'exercer leur droit « dès leur prise de service et jusqu'à son terme », soit pendant toute la durée de leur service , en cas de « risque de désordre manifeste dans l'exécution du service ».

Le Conseil constitutionnel a validé cette disposition, considérant qu'elle n'était pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur 52 ( * ) .

Le rapporteur considère qu'il est pertinent d'étendre la règle applicable dans les collectivités territoriales aux entreprises chargées de la gestion d'un service public de transport afin de donner à ces dernières des moyens supplémentaires pour assurer la continuité du service au quotidien. La commission a donc adopté, à son initiative, un amendement COM-13 prévoyant, dans un nouvel article L. 1324-7-1 du code des transports, la possibilité pour l'employeur d'imposer aux salariés grévistes d'exercer leur droit de grève pendant toute la durée de leur service .

La commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.


* 14 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 15 Article L. 5431-3 du code des transports.

* 16 Articles L. 5714-1 et L. 5722-1 du code des transports.

* 17 Article L. 5754-1 du code des transports.

* 18 Articles L. 4424-18 et L. 4424-19 du code général des collectivités territoriales.

* 19 Article L. 1324-1 et suivants du code des transports.

* 20 Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

* 21 Loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.

* 22 Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports.

* 23 Le dispositif applicable à défaut d'accord-cadre est précisé aux articles R. 1324-1 et suivants du code des transports.

* 24 Ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF, art. 12.

* 25 Conseil constitutionnel, décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007.

* 26 Article L. 2213-2 du code de la défense.

* 27 En janvier 1991, dans le contexte de la guerre du Golfe, un décret de réquisition avait été pris préventivement en vue de réquisitionner les personnels des compagnies d'armement maritime françaises mais il n'a pas été utilisé.

* 28 Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 29 Conseil d'État, 27 octobre 2010, n° 343966. Le préfet des Yvelines avait requis pour une durée de six jours certains personnels de l'établissement pétrolier de Gargenville, exploité par la société Total.

* 30 Cour de cassation, chambre sociale, 15 décembre 2009, n° 08-43603.

* 31 Loi n° 79-634 du 26 juillet 1979 tendant à modifier les dispositions de la loi no 74-696 du 7 août 1974 relatives au droit de grève au sein du service public de la radiodiffusion télévision française.

* 32 Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard).

* 33 Loi n°80-572 du 25 juillet 1980 sur la protection et le contrôle des matières nucléaires.

* 34 La continuité de l'action gouvernementale, l'exécution des missions de la défense nationale, la sauvegarde des personnes et des biens, le maintien des liaisons avec la Corse et l'Outre-mer, etc.

* 35 Loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l'aviation civile, et relative à l'exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne.

* 36 Loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.

* 37 Article L. 1114-7 du code des transports.

* 38 Le transport aérien public se définit comme le fait d'acheminer par aéronef des passagers, des marchandises ou du courrier à titre onéreux. À la notion de transport public s'oppose celle de transport privé, qui exclut tout caractère commercial. Il s'agit donc d'une notion bien distincte de celle de service public.

* 39 Règlement n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté.

* 40 Cela s'applique notamment, en France, aux lignes aériennes entre la Corse et le continent, entre la métropole et les collectivités d'outre-mer ainsi qu'à douze liaisons métropolitaines d'aménagement du territoire.

* 41 Décision n° 2012-650 DC du 15 mars 2012.

* 42 Cour de cassation, chambre sociale, n° 2219 du 12 octobre 2017 (16-12.550).

* 43 Y compris dans les entreprises, organismes et établissements publics ou privés chargés de la gestion d'un service public.

* 44 Article L. 2512-2 du code du travail.

* 45 Article L. 1324-5 du code des transports.

* 46 Article L. 1324-2 du code des transports.

* 47 Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 décembre 2016, 15-16.078.

* 48 Par exemple, une entreprise a indiqué avoir reçu un préavis de grève prévoyant, sur quatre mois, 116 arrêts de travail de 55 minutes.

* 49 Article L. 2512-5 du code du travail. Lorsqu'elle n'excède pas une heure, la grève donne lieu à une retenue égale à 1/160 e du traitement mensuel.

* 50 Décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987.

* 51 Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

* 52 Décision n° 2019-790 DC du 1 er août 2019.

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