III. LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE LA MISSION « PLAN D'URGENCE FACE À LA CRISE SANITAIRE » SONT MULTIPLIÉS PAR SEPT

La mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », créée par la première loi de finances rectificative du 23 mars dernier, voit ses crédits passer de 6,25 milliards d'euros à 42,25 milliards d'euros , avec l'ouverture de 36 milliards d'euros de crédits supplémentaires , auxquels il convient d'ajouter une ouverture de crédits supplémentaire de 1,2 milliard d'euros lors de l'examen par l'Assemblée nationale.

Les deux programmes existants voient leurs moyens considérablement renforcés et un troisième programme est créé afin de porter un renforcement des participations financières de l'État.

Cette mission, créée ex nihilo , devient ainsi la quatrième mission du budget général de l'État , après les missions « Remboursements et dégrèvements », « Enseignement scolaire » et « Défense ». Ses crédits approchent de ceux de cette dernière mission, qui sont de 46,1 milliards d'euros en crédits de paiement.

A. LE DISPOSITIF D'ACTIVITÉ PARTIELLE JOUE UN RÔLE MAJEUR DANS LA STRATÉGIE DE MAINTIEN « À TOUT PRIX » DE L'EMPLOI

1. Les contours juridiques du dispositif exceptionnel d'activité partielle ont pour l'essentiel été posés

Le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l'activité partielle a défini les principaux paramètres de ce dispositif exceptionnel, applicable aux demandes déposées à compter du 1 er mars 2020 : si l'indemnisation des salariés placés en activité partielle, à la charge de l'employeur, n'évolue pas par rapport au droit antérieur (70 % de la rémunération brute sauf pour les salariés rémunérés au SMIC, indemnisés à 100 %), l'allocation de l'État perçue par les entreprises pour la financer permet désormais de couvrir les indemnités afférentes aux salaires allant jusqu'à 4,5 SMIC , alors que le droit antérieur prévoyait une allocation forfaitaire permettant de couvrir quasiment l'indemnisation au niveau du SMIC, le solde étant entièrement à la charge de l'employeur. La période maximale d'indemnisation est par ailleurs passée de 6 à 12 mois renouvelables.

L'ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle , modifiée par l'ordonnance n° 2020-428 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions sociales pour faire face à l'épidémie de Covid-19, a permis une extension large du dispositif à de nouvelles catégories de salariés et ce jusqu'à une date devant être fixée par décret au plus tard au 31 décembre 2020. Sont notamment concernés les salariés de droit privé de certaines entreprises publiques, par exemple la RATP et la SNCF, ou encore les salariés employés à domicile et assistants maternels.

L'ordonnance prévoit également une adaptation des règles d'indemnisation à la situation particulière de certains salariés , tels que ceux dont le temps de travail n'est pas décompté en heures (cadres) ou qui sont soumis au régime d'équivalence (par exemple dans le secteur du transport routier). Elle pose enfin que le taux horaire d'indemnisation des salariés à temps partiel ainsi que des intérimaires ne pourra en principe être inférieur au SMIC horaire , comme c'était auparavant le cas pour les seuls salariés à temps plein.

2. Un montant supérieur à 25 milliards d'euros doit être alloué au financement du dispositif, soit un montant bien supérieur à celui prévu initialement

Le présent projet de loi de finances rectificative prévoyait dans a version initiale l'ouverture de 10,5 milliards d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement au titre du financement du dispositif exceptionnel d'activité partielle porté par le programme 356. L'Assemblée nationale a depuis, sur la proposition du Gouvernement, ouvert 1,2 milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de financer l'extension, prévue à compter du 1 er mai, de l'activité partielle aux salariés faisant l'objet d'une mesure d'isolement en raison de leur vulnérabilité, ainsi qu'aux salariés parents d'un enfant de moins de 16 ans, sans solution de garde (dont les indemnités étaient jusqu'alors couvertes par l'assurance maladie).

Ce total s'ajoute aux 5,5 milliards d'euros ouverts dans la première loi de finances rectificative, portant ainsi provisoirement le coût total du dispositif pour l'État à 17,2 milliards d'euros.

Les allocations d'activité partielle devant être financées à hauteur d'un tiers par l'Unédic, leur coût global pourrait dès lors s'élever à plus de 25 milliards d'euros .

Ce montant représente près du double du budget annuel de la mission « Travail et emploi » voté en loi de finances initiale pour 2020. Pour mémoire, les crédits qui étaient alloués dans ce cadre au dispositif ordinaire d'activité partielle étaient limités à 99 millions d'euros. Cet effort financier est sans comparaison avec celui qui avait été consenti par la France au titre du recours à l'activité partielle lors de la crise de 2009 (610 millions d'euros au total), mais également par l'Allemagne à la même époque, qui était déjà pourtant près de dix fois supérieur (6 milliards d'euros). Cet écart avait alors permis d'expliquer le différentiel d'évolution du taux de chômage entre les deux pays, témoignant de l'efficacité du dispositif en temps de crise.

Enfin, il convient de rappeler que ce montant ne reflète qu'imparfaitement l'impact du dispositif sur les finances publiques . En effet, celui-ci ne prend pas en compte le coût en termes de moindres recettes, pour les administrations de sécurité sociale comme pour les collectivités territoriales, liées aux exonérations applicables aux indemnités d'activité partielle (cotisations sociales, versement mobilité...).

3. De nombreux facteurs contribuent à expliquer l'explosion du coût du dispositif, qui devrait continuer d'augmenter

Le recours des entreprises au dispositif est massif. Au 14 avril 2020, la DARES 53 ( * ) indique que 904 000 demandes d'autorisation préalable de mise en activité partielle ont été adressées aux DIRECCTE par 864 000 établissements représentant 732 000 entreprises .

Ces demandes concernent 8,7 millions de salariés, soit environ 44 % de l'emploi salarié privé en France , pour un total de 3,7 milliards d'heures chômées. Après une croissance quasi-exponentielle du nombre de demandes entre le 22 mars et le 10 avril , on observe que les demandes continuent d'augmenter quoiqu'à un rythme moins élevé.

Nombre de demandes d'activité partielle pour motif de coronavirus depuis le 1 er mars 2020 et nombre de salariés concernés

Source : DARES

Les déterminants de l'évolution du nombre de demandes ainsi que du coût du dispositif sont nombreux. Il s'agit notamment :

- en premier lieu, des fermetures d'établissements sur décision administrative jusqu'à une date encore inconnue et plus largement de l'impact du confinement sur l'activité économique ;

- de l'extension large du dispositif permise par les ordonnances précitées ;

- de la relative générosité des paramètres du dispositif, permettant de financer les indemnités jusqu'à un niveau élevé (70 % de 4,5 SMIC brut), légitime au vu de la situation mais qu'il conviendra néanmoins d'évaluer en temps voulu et lorsque les données pertinentes seront disponibles. En outre, il appartient au Gouvernement de déterminer précisément les conditions dans lesquelles le chômage partiel continuera de s'appliquer à la fin du confinement ;

- de la communication gouvernementale sans précédent autour de ce dispositif ;

- de l'assouplissement considérable des procédures de demandes d'autorisation, qui peuvent désormais être adressées dans les 30 jours suivant le placement en activité partielle avec un principe de « silence vaut acceptation » de l'administration au bout de 48 heures 54 ( * ) ;

- d'une potentielle sur-réaction des employeurs : en effet, en prenant en compte les établissements ayant fait l'objet d'une fermeture par décision administrative et sur la base de son estimation de l'impact de la crise sur l'activité, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) avait estimé que le « besoin » d'activité partielle se limiterait à 5,7 millions de salariés 55 ( * ) , soit trois millions de moins que ceux concernés par demandes recensées ;

- des abus, voire des fraudes, commis par des entreprises qui soit font appel à l'aide publique sans réelle nécessité, soit continuent à exiger que leurs salariés travaillent malgré leur placement en activité partielle. Ces abus et fraudes, facilités par la souplesse de la procédure de demande, peuvent également contribuer à expliquer l'écart entre le « besoin » estimé d'activité partielle et les demandes recensées. Le rapporteur général appelle donc le ministère du travail à mener efficacement les contrôles qui s'imposeront a posteriori . À l'inverse, l'attitude de certaines entreprises ayant annoncé leur décision de ne pas recourir au dispositif doit être saluée.

En tout état de cause, l'enveloppe actuelle pourrait s'avérer encore insuffisante , comme le souligne l'avis du Haut conseil des finances publiques sur le présent projet de loi de finance rectificative. La probabilité d'une mobilisation d'une partie des 2,5 milliards d'euros de crédits non répartis (voir infra ) demandés, voire d'une nouvelle demande de crédits dans le cadre d'un prochain projet de loi de finances rectificative, paraît élevée, d'autant que certains secteurs ne bénéficieront probablement pas du déconfinement et de la reprise d'activité (restauration, lieux de culture...).


* 53 DARES, Situation sur le marché du travail durant la crise sanitaire au 14 avril 2020, 15 avril 2020.

* 54 Décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l'activité partielle.

* 55 OFCE, Évaluation au 30 mars 2020 de l'impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France, 30 mars 2020, pp. 20-24.

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