N° 448

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mai 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à apporter un cadre stable d' épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français ,

Par M. Alain MARC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

311 et 449 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Réunie le 20 mai 2020 sous la présidence de Philippe Bas (Les Républicains - Manche), la commission des lois, sur le rapport d' Alain Marc (Les Indépendants - République et Territoires - Aveyron), n'a pas adopté la proposition de loi n° 311 (2019-2020) visant à apporter un cadre stable d'épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français.

Ce texte, déposé par Josiane Costes (RDSE - Cantal) et plusieurs de ses collègues, comporte un ensemble de dispositions destinées à apporter des adaptations ponctuelles aux procédures de déclaration judiciaire de délaissement parental , à développer le recours à l'adoption simple au niveau national et au parrainage au niveau international et à améliorer la prise en charge des mineurs étrangers en France. Trois articles relatifs aux assistants familiaux, à la prise en charge sociale des jeunes majeurs en sortie de l'aide sociale à l'enfance et aux implications pécuniaires du délaissement d'enfant 1 ( * ) ont été délégués au fond à la commission des affaires sociales, saisie pour avis , sur le rapport de Véronique Guillotin (RDSE - Meurthe-et-Moselle) 2 ( * ) .

La proposition de loi s'inscrit dans la large réflexion menée actuellement sur la politique publique en matière de protection de l'enfance dont chacun s'accorde à dire qu'elle doit être améliorée.

De nombreux travaux ont été publiés au cours des derniers mois, par exemple le rapport des inspections générales des affaires sociales, de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, et de l'éducation nationale sur l'évaluation de la politique de prévention en protection de l'enfance 3 ( * ) , les rapports des six groupes de travail thématiques mis en place dans le cadre de la concertation sur la prise en charge des enfants au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) 4 ( * ) , le rapport au Premier ministre sur l'adoption des parlementaires Monique Limon et Corinne Imbert 5 ( * ) , ou encore l'avis du Comité consultatif national d'éthique sur l'adoption 6 ( * ) .

Une stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance pour les années 2019-2022 a également été présentée le 14 octobre 2019 par le secrétaire d'État en charge de la mise en place de la stratégie pour la protection de l'enfance auprès du ministre des solidarités et de la santé. Principalement fondée sur une contractualisation pluriannuelle entre l'État et les départements, cette stratégie comprend aussi un volet qui devra être mis en oeuvre par voie législative , en particulier pour faciliter les sorties de dispositifs d'aide sociale à l'enfance par la voie de procédures d'adoption simple .

Même si la proposition de loi présentée se fonde sur un certain nombre de constats et d'objectifs mis en lumière par les travaux précédemment évoqués et comprend de nombreuses mesures, la commission a estimé qu'elle n'apportait pas de réponse suffisamment globale et efficiente , comme le démontre l'examen de ses principales dispositions :

- le texte proposé prévoit d' accélérer la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental dans le but d'offrir le plus tôt possible une prise en charge pérenne des enfants via l'adoption . Il s'agirait d'une part de pouvoir constater le délaissement au bout de six mois seulement , et non plus un an, pour les enfants âgés de moins de trois ans (article 1 er ) et, d'autre part, de supprimer l'obligation préalable de proposer des mesures de soutien appropriées aux parents et d'imposer aux tribunaux judiciaires de statuer dans un délai de deux mois - réduit à un mois si l'enfant a moins de trois ans - à compter du dépôt de la requête (article 2).

La commission a jugé hâtif de considérer qu'accélérer la procédure de délaissement parental améliorerait automatiquement l'adoptabilité des enfants . Tous les enfants délaissés ne deviennent pas pupilles de l'État et tous les pupilles de l'État ne sont pas nécessairement adoptables. Par ailleurs, le délai d'un an pour constater le délaissement semble raisonnable au regard des difficultés que traversent les familles concernées ; le fait de devoir proposer aux parents des mesures de soutien appropriées pendant cette période est respectueux de l'article 18 de la Convention internationale des droits de l'enfant et permet de mieux caractériser ensuite l'absence d'implication des parents. Enfin, contraindre les juges à statuer dans un délai de deux ou un mois ne semble ni réaliste ni souhaitable au vu de la complexité et des enjeux de ces dossiers et de la nécessité de procéder à des investigations ;

- l'article 3 poursuit l'objectif de promouvoir un recours plus précoce à l'adoption simple , pour permettre, si tel est l'intérêt de l'enfant, de maintenir le lien avec sa famille biologique même défaillante. Cependant, le dispositif proposé, qui consiste à faire préciser aux parents leur choix entre adoption plénière et adoption simple au moment de la remise de l'enfant au service d'aide sociale à l'enfance, ne paraît pas en mesure d'atteindre ce but. Un véritable changement de culture semble nécessaire , ainsi qu'une meilleure articulation des deux formes d'adoption au sein du code civil. Par ailleurs, un projet d'adoption doit pouvoir évoluer dans le temps et prendre en compte les besoins et la volonté exprimés par l'enfant. Il n'appartient donc pas aux parents qui confient leur enfant au service de l'ASE de faire ce choix pour lui ;

- l'article 4 tend à rendre plus difficile la reprise d'un enfant placé à l'initiative de l'un ou de ses parents auprès des services de l'ASE pendant la période de réflexion de deux mois qui leur est accordée. Deux formalités seraient imposées : un entretien avec le tuteur et la convocation du conseil de famille, dont il n'est pas précisé s'il aurait la possibilité de s'opposer à la restitution de l'enfant. Ce dispositif paraît susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits du ou des parents concernés de mener une vie familiale normale. La durée de réflexion est déjà suffisamment brève, sans qu'il soit besoin d'y ajouter des obstacles.

Les auteurs de la proposition de loi entendent également faciliter les démarches administratives sur le sol français des mineurs isolés étrangers et leur permettre de s'intégrer le plus rapidement possible via un certain nombre de dispositifs dont les principaux sont les suivants :

- l'article 10 vise à instaurer une présomption de désintérêt à l'égard des parents de mineurs étrangers arrivés sur le territoire national et qui s'y trouveraient isolés en vue de faciliter la délégation de leur autorité parentale. Ce dispositif, déjà rejeté par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, est inutile , car les textes en vigueur permettent d'ailleurs déjà de prononcer une délégation d'autorité parentale pour un mineur isolé étranger, et paraît particulièrement attentatoire aux droits des parents de ces enfants qui souvent suivent de près le parcours migratoire de leur enfant ;

- l'article 11 tend à permettre l'attribution de la nationalité française au mineur adopté en forme simple dans les mêmes conditions que celles actuellement prévues pour l'adoption plénière. Cette nouvelle modalité d'octroi de la nationalité ne semble en rien nécessaire pour faciliter l'intégration de ces mineurs et opèrerait un renversement du droit qui brouillerait la signification même de l'adoption simple ;

- l'article 13 vise à étendre le « droit au compte » à tout mineur étranger dont les parents ne résident pas sur le sol français. Toutefois, la principale difficulté rencontrée par les mineurs étrangers pour ouvrir un compte ne tient pas à la rédaction actuelle de la loi, mais est d'ordre pratique : une meilleure concertation entre les réseaux bancaires et les services départementaux en charge de la protection des mineurs isolés étrangers serait souhaitable.

Lors de l'examen de ce texte, la nécessité de pouvoir s'appuyer sur des connaissances chiffrées et des travaux de recherche menés dans la durée sur des cohortes d'enfants est apparue avec une grande acuité au rapporteur. Il note en effet un manque de recul sur les différents dispositifs en place et leurs effets à long terme , ce qui complique l'élaboration d'évolutions législatives. Ainsi que l'a relevé la présidente du Groupement d'intérêt public (GIP) Enfance en danger 7 ( * ) , « l'indignation et les émotions suscitées par toutes les situations difficiles vécues par les enfants de la protection de l'enfance constituent des moteurs puissants de l'action, mais il est malgré tout nécessaire de leur adjoindre connaissances et méthodes [...] ». Or les recherches qui sont en lien avec les besoins et réalités du terrain et évaluent l'efficacité des projets et pratiques d'intervention sont peu nombreuses. Il est donc très difficile de connaître de manière statistique et qualitative les parcours en protection de l'enfance des enfants, afin de comprendre quelle peut être la conséquence de telle ou telle décision les concernant.

Ce besoin d'objectiver l'efficacité des mesures prises dans le cadre de la protection de l'enfance est reconnu par ses acteurs. Le Conseil national de la protection de l'enfance, dans son avis n° 2018-8, a recommandé de développer des travaux de recherche en protection de l'enfance, notamment sur les liens entre protection de l'enfance et délinquance ou encore la scolarité des enfants en protection de l'enfance. La mission interinspections sur l'évaluation de la politique de prévention en protection de l'enfance a également préconisé en 2019 que « l'ONPE 8 ( * ) lance un appel à projets visant à financer l'évaluation des dispositifs de prévention en protection de l'enfance et, une fois les résultats obtenus, de repérer les pratiques probantes et de favoriser leur capitalisation et leur mutualisation ». Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis du 7 mai 2020 sur l'adoption, a considéré pour sa part que « l'amélioration de la connaissance des pratiques apparaît en définitive comme un préalable nécessaire à toutes les propositions d'amélioration [...] ».

Cette étape est essentielle et il y a lieu d'espérer qu'à terme la base nationale d'observation longitudinale individuelle et nationale en protection de l'enfance (Olinpe) qui comprendra l'ensemble des fichiers des départements et où chaque enfant ayant bénéficié de mesure en protection de l'enfance sera identifié par un numéro unique, permettra de procéder aux études nécessaires pour éclairer tous ceux, nombreux, qui souhaitent améliorer le sort des enfants confiés à l'ASE.

À l'issue de ses travaux, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi .

En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi .


* 1 Articles 5, 6 et 9 de la proposition de loi.

* 2 Voir l'avis n° 450 (2019-2020) de la commission des affaires sociales.

* 3 Rapport interinspections IGAS n° 2018-047R / IGAENR n° 2019-003 / IGEN n° 2019-003 de janvier 2019.

* 4 https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/article/concertation-sur-l-aide-sociale-a-l-enfance-publication-des-rapports-des-6

* 5 « Vers une éthique de l'adoption : donner une famille à un enfant ». Rapport sur l'adoption. Octobre 2019.

* 6 Avis CCNE n° 134 « L'adoption : accroître la transparence des procédures pour favoriser l'objectivité et la qualité des choix ».

* 7 14 e rapport de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) au Gouvernement et au Parlement - Année 2019.

* 8 Observatoire national de la protection de l'enfance.

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