B. LE DÉFI DE L'ÉDUCATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE

1. Quel avenir pour le Pass culture ?
a) Une dynamique entravée par une expérimentation limitée

Expérimenté depuis juin 2019 dans 14 départements 19 ( * ) , le Pass Culture consiste en une application gratuite, qui révèle et relaie les possibilités culturelles et artistiques accessibles à proximité. Chaque jeune de 18 ans résidant dans ces territoires peut demander l'octroi d'une enveloppe de 500 euros à dépenser sur cette application, parmi un large choix de spectacles, visites, cours, livres, musique, services numériques... Ainsi, au 7 septembre 2020, 2 000 000 propositions étaient présentées par 4 000 offreurs. La durée de consommation initialement fixée à 12 mois a été portée à 24 mois pour les jeunes de la phase d'expérimentation

Le crédit de 500 euros est soumis à des sous plafonds : si les utilisateurs peuvent consacrer la totalité du crédit à des sorties culturelles ou des cours de pratique artistique ; deux plafonds de 200 euros sont prévus pour les biens physiques (livres, CD, DVD...) d'une part et pour les services numériques d'autre part.

Au 10 novembre 2020, 115 000 comptes ont été ouverts (sur 135 000 personnes éligibles environ). 63 330 comptes ont effectué au moins une réservation, les choix les plus populaires étant le livre (56,2 %) et la musique (16,5%). 130 euros en moyenne ont été dépensés sur le pass pour 6 achats sur une période moyenne de 9 mois (soit 346 euros sur deux ans si on rapporte cette dépense à 24 mois). Les biens physiques représentent 61,1 % des réservations, les biens numériques 27,7 % et les évènements (concerts, théâtres, festivals, etc.) 11,2 %. Le bouquet de chaînes OCS, Canal+, et le site de musique en ligne Deezer figurent parmi les prestations les plus demandées. Le confinement a contribué à ce succès : l'offre numérique du Pass Culture est passée de 690 à 1 253 offres.

L'ambition initiale du Gouvernement consistait en une généralisation du dispositif à l'horizon 2022 sur l'ensemble du territoire. Un élargissement de la phase d'expérimentation était prévu le 20 avril dernier. Il a été différé en raison de la crise sanitaire. La totalité des départements des régions Île-de-France et Grand Est et le département de La Réunion devaient initialement mettre en place le dispositif à cette date.

S'agissant du dispositif en tant que tel, le projet a d'abord été porté par le ministère lui-même, par l'intermédiaire d'une start-up d'État. Une société par actions simplifiée (SAS), chargée du développement du Pass Culture a finalement pris le relais courant 2019, en vue notamment d'élargir son financement à des acteurs privés 20 ( * ) . La SAS reste pour l'heure détenue à 70 % par l'État et à 30 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), via sa Banque des territoires.

b) La nécessaire généralisation du dispositif

Le projet de loi de finances pour 2021 table sur une majoration des crédits dédiés au dispositif de 20 millions d'euros, pour atteindre 59 millions d'euros (AE = CP). Ce montant représente un quart des crédits dédiés à l'action 02 « soutien à la démocratisation et à l'éducation » culturelle et 55,2 % de l'augmentation des montants accordés à celle-ci entre la loi de finances pour 2020 et le présent projet de loi de finances.

Sans remettre en cause l'utilité du dispositif, qui peut s'avérer être un véritable outil d'émancipation culturelle, il convient de s'interroger sur l'augmentation importante des crédits dédiés depuis la loi de finances pour 2019, alors même que les cibles justifiant cette progression d'année en année n'ont été que partiellement atteintes. Ainsi l'objectif de 200 000 bénéficiaires prévu pour l'année 2020 semble être reporté à l'exercice 2021.

L'exécution traduit d'ailleurs une sous-consommation des crédits. Ainsi, en 2019, seuls 11,91 millions d'euros en CP ont été consommés, principalement en vue de financer des dépenses de fonctionnement. Les remboursements aux offreurs se sont en effet limités à 1,71 million d'euros. L'exercice 2020 devrait d'ailleurs se traduire par une même tendance à la sous-exécution, compte tenu de l'absence d'extension du dispositif. La dotation pour 2020 qui devait atteindre 49 millions d'euros dont 10 millions d'euros au titre du report de crédits 2019 a d'ailleurs été pour partie redéployée, à hauteur de 10 millions d'euros, pour financer des dispositifs de sortie de crise.

La commission des finances avait déjà exprimé des doutes lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2019 et 2020 sur la stratégie mise en oeuvre pour rendre accessible ce dispositif. Celui-ci apparaît, pour l'heure, mal connu. Le lancement d'une campagne de publicité nationale et d'action de sensibilisation à destination de publics éloignés (jeunes salariés, apprentis etc.) semble par ailleurs impossible compte-tenu du caractère expérimental du Pass.

Il conviendrait, en outre, de favoriser une meilleure articulation avec le parcours d'éducation artistique et culturelle, notamment dans les dernières années du lycée, afin de permettre aux futurs utilisateurs de mieux connaître l'application.

La question d'une accélération du déploiement national dès 2021 de l'application doit également être posée. Elle semble être la seule option possible en vue de mieux faire connaître le dispositif et une utilisation des crédits dédiés. Le ministère de la Culture semble y être favorable sans l'afficher comme objectif. Elle serait assortie d'une réduction du montant accordé de 500 euros à 300 euros, somme plus proche des usages observés dans le cadre de l'expérimentation.

Viendra ensuite le temps d'une évaluation du niveau qualitatif de l'application, tant du point de vue des jeunes que de celui des offreurs. Il s'agira de vérifier que le Pass ne serve pas au financement d'achats liés au parcours scolaires et qu'il contribue à faire évoluer des pratiques culturelles. Le Pass ne saurait, en effet, se résumer à une simple plateforme d'achat de service et doit être éditorialisé en vue de mettre en place un véritable parcours culturel. La SAS Pass Culture, auditionnée par les rapporteurs spéciaux, semble partager cette ambition.

2. De nouveaux moyens pour atteindre les objectifs assignés

La commission des finances a, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, exprimé sa crainte que le Pass Culture tende à résumer l'effort de l'État en faveur de l'éducation artistique et culturelle et que la montée en charge budgétaire de l'application ne s'effectue au détriment des moyens qui lui sont traditionnellement dédiés.

Le projet de loi de finances pour 2021 tend à répondre à cette objection avec plusieurs mesures nouvelles. 2 millions d'euros supplémentaires sont ainsi prévus dans le cadre des contrats territoires-lecture. La dotation accordée aux pratiques artistiques et culturelles en temps scolaires est ainsi majorée de 1 million d'euros pour atteindre 24,5 millions d'euros. Les partenariats avec les collectivités territoriales, via les conventions de développement culturel, sont également renforcés, à hauteur de 1 million d'euros.

Cette majoration des crédits s'avère prioritaire si le Gouvernement entend atteindre ses objectifs en matière d'éducation artistique et culturelle. L'indicateur 2.1 rattaché au programme visant la part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle a ainsi été revu à la baisse en 2020. L'objectif assigné avait déjà été minoré en 2019.

Indicateurs Éducation artistique et culturelle - Prévision et réalisation 2020

Indicateur

Prévision PAP 2020

Réalisation

Part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle (%)

88

75

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

À ces mesures nouvelles en faveur de l'éducation artistique et culturelle s'ajoutent des crédits supplémentaires en faveur des publics éloignés, de l'équité territoriale, des usages numériques et des pratiques amateurs. 7 millions d'euros ont pu ainsi être dégagés.


* 19 Ardennes, Bas Rhin, Côtes d'Armor, Doubs, Finistère, Guyane, Hérault, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Nièvre, Saône-et-Loire, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Vaucluse.

* 20 Décret n°2019-755 du 22 juillet 2019.

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