Rapport n° 176 (2020-2021) de Mme Monique de MARCO , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 2 décembre 2020

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N° 176

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi , adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion ,

Par Mme Monique de MARCO,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

2548 , 2654 et T.A. 408

Sénat :

321 (2019-2020) et 177 (2020-2021)

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné mercredi 2 décembre 2020, ce rapport sur la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.

La commission souligne que de nombreuses dispositions législatives existent déjà. Celles-ci sont toutefois sous-exploitées par méconnaissance ou par manque de volontarisme politique.

Le texte de la proposition de loi, bien qu'amputé des articles relatifs à l'enseignement, apporte une base juridique claire aux possibilités d'utilisation des langues régionales et de leur promotion. En outre, votre rapporteure a constaté que depuis la loi Deixonne de 1951, plus d'une soixantaine de propositions de loi sur les langues régionales ont été déposées. Toutefois, aucune n'a été adoptée et bien souvent elles n'ont pas été inscrites à l'ordre du jour de l'autre chambre. Cette proposition de loi, issue de l'Assemblée nationale, est une des rares initiatives concernant les langues régionales qui puisse bénéficier d'une lecture devant les deux chambres.

Pour donner une chance à ce texte d'être adopté et afin de témoigner de l'engagement du Parlement dans la promotion des langues régionales, la commission, sur proposition de votre rapporteure, a fait le choix d'adopter ce texte sans modification.

I. LES LANGUES RÉGIONALES EN FRANCE : UNE RICHESSE LINGUISTIQUE MENACÉE DE DISPARITION

On entend par langue régionale une langue historiquement parlée sur une partie du territoire national , depuis plus longtemps que le français.

Elle se distingue des langues non territoriales qui sont des langues issues de l'immigration mais utilisées par des citoyens français depuis plusieurs générations. À la différence des langues régionales, celles-ci n'ont aucun lien historique avec une aire géographique du territoire français et n'ont traditionnellement aucun caractère officiel dans le pays d'où elles sont originaires 1 ( * ) .

A. LA PRÉSENCE DE NOMBREUSES LANGUES RÉGIONALES SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS

Le rapport de Bernard Cerquiglini sur les langues de France 2 ( * ) , rédigé en 1999, est le premier à dresser une liste du patrimoine linguistique de la France. Il y répertorie 75 langues , à la vitalité très diverse : « entre les créoles, langues régionales sans doute les plus vivantes, essentiellement parlées, pratiquées maternellement par plus d'un million de locuteurs, et le bourguignon-morvandiau, langue essentiellement écrite et que n'utilisent plus que quelques personnes, sans transmission maternelle au nourrisson, les divers cas de figure prennent place ».

La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) dénombre aujourd'hui une vingtaine de langues régionales en France métropolitaine et plus d'une cinquantaine dans les territoires d'outre-mer 3 ( * ) .

Carte des langues régionales sur le territoire métropolitain

Source : DGLFLF

La France est le pays européen qui connaît la plus grande diversité linguistique . La Nouvelle-Calédonie témoigne de cette richesse. À lui-seul, ce territoire regroupe 29 langues régionales ou autochtones.

B. LE DIFFICILE COMPTAGE DU NOMBRE DE LOCUTEURS

La plupart des personnes auditionnées ont souligné à votre rapporteure l'absence de chiffres précis concernant le nombre de locuteurs de langues régionales . La dernière enquête au niveau national date de 1999, à l'occasion du recensement. L'INSEE estimait alors à 5,5 millions le nombre de personnes dont les parents leur parlaient dans une langue régionale.

L'INSEE dressait le constat d'une moindre transmission de ces langues dans le milieu familial : « avant 1930, une personne sur quatre parlait une langue régionale avec ses parents, le plus souvent de façon habituelle. Cette proportion passe à une personne sur dix dans les années 1950, puis une sur vingt dans les années 1970. De plus, depuis le milieu des années 1950, les langues régionales sont deux fois plus souvent reçues comme langue occasionnelle que comme langue habituelle. La tendance ne s'est pas retournée dans les années 1980 et 1990. Les enfants nés durant cette période n'ont pas été interrogés à l'enquête, n'ayant pas atteint 18 ans. Mais leur faible contact avec les langues régionales peut être appréhendé indirectement : 3 % seulement des adultes interrogés ayant des enfants nés durant cette période disent leur avoir parlé une langue régionale » .

La DGLFLF estime pour sa part à 4,9 millions le nombre actuel de locuteurs des principales langues de France , selon la répartition suivante :

Langue

Nombre de locuteurs estimé

Occitan (tous dialectes confondus)

1 000 000

Alsacien

800 000

Picard

700 000

Créole réunionnais

600 000

Créole martiniquais

400 000

Créole guadeloupéen

400 000

Créole guyanais

250 000

Breton

200 000

Mahorais

150 000

Corse

120 000

Catalan

100 000

Tahitien

65 000

Francoprovençal

60 000

Basque

50 000

Drehu

16 000

Wallisien

10 000

Tayo

1 500

Ces chiffres appellent deux constats :

- ils n'incluent pas toutes les langues régionales , comme par exemple le flamand occidental, parlé selon Jean-Pierre Couché, président de l'institut régional pour le flamand occidental et auditionné par votre rapporteure, par 40 à 50 000 personnes, ou encore le gallo (parlé par 191 000 locuteurs, selon un sondage réalisé à la demande du conseil régional de Bretagne en 2018) ;

- ils posent la question de la définition d'un locuteur, et plus précisément, de la maîtrise de la langue pour être considéré comme tel.

La pratique du gallo et du breton dans la région Bretagne
Résultats de l'enquête sociolinguisitique réalisée par l'institut TMO Régions
pour le conseil régional de Bretagne en 2018

5,5 % de la population parlent breton, soit environ 207 000 personnes dans les 4 départements de la Bretagne et en Loire-Atlantique. L'âge moyen des locuteurs est de 70 ans. Il a augmenté de 7 ans 1/2 depuis l'enquête de 2007. 3,5 % de la population déclarent comprendre très bien ou assez bien le breton sans le parler. 31 % maîtrisent quelques mots ou expressions.

5 % de la population parlent gallo, soit environ 191 000 personnes. 4 % de la population déclarent comprendre très bien ou assez bien le gallo sans le parler. 15 % maîtrisent quelques mots ou expressions.

27 % de la population entendent parler breton et/ou gallo au moins une fois par mois.

À l'instar de la région Bretagne, certaines collectivités locales, établissements publics ou associations de promotion des langues régionales ont pris l'initiative de mener des études sur le nombre de locuteurs. Toutefois, ces informations sont parcellaires et les questions posées peuvent varier (sur la pratique de la langue, sa maîtrise,...). Aussi, pour votre rapporteure, il serait intéressant qu'une nouvelle enquête nationale sur la transmission et la pratique des langues régionales soit réalisée . En effet, 20 ans se sont écoulés depuis la dernière enquête de ce type, soit une génération. Une telle demande ne relève pas du domaine de la loi, mais votre rapporteure appelle l'INSEE et de manière générale, les pouvoirs publics à se saisir de cette question. Une connaissance précise du nombre de locuteurs et de la situation des langues régionales est un préalable indispensable pour leur promotion.

Même en l'absence de données précises, l'ensemble des personnes auditionnées s'accordent pour dire que la pratique des langues régionales est aujourd'hui en diminution , dans des proportions plus ou moins importantes. Si les langues d'outre-mer résistent plutôt bien - à l'exception du tahitien - tout comme les langues bretonnes ou le basque 4 ( * ) , d'autres connaissent une forte diminution. Ainsi, l'institut de la langue régionale flamande estime que le nombre de locuteur du flamand occidental a été divisé par deux en l'espace de 20 ans.

Une action volontariste est nécessaire afin de promouvoir les langues régionales. En effet, pour de très nombreuses langues, la transmission se fait de moins en moins dans le cadre familial.

II. LA PROMOTION ET LA VALORISATION DES LANGUES RÉGIONALES ENCADRÉES PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

A. LE CADRE POSÉ PAR LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DE 1999 SUR LA CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES ET MINORITAIRES

À l'occasion des débats sur la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires en 1999, le conseil constitutionnel a précisé le cadre dans lequel pouvaient se faire la promotion et la valorisation des langues régionales.

Dans sa décision du 15 juin 1999, il a souligné que le principe d'unicité du peuple français et l'indivisibilité de la République assurant l'égalité des citoyens devant la loi s'opposent à « ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ». En outre, la langue de la République étant le français, il ne peut être reconnu un « droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée », mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics 5 ( * ) ».

La décision n° 99-412 DC précise : « l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ; les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ». Toutefois, « l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'utilisation de traductions ».

B. LA RECONNAISSANCE DES LANGUES RÉGIONALES LORS LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE DE 2008

Lors de la modification de la Constitution en 2008, le constituant a décidé d'y inscrire un article 75-1 disposant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » . Cette insertion a fait l'objet de nombreux débats tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Votre rapporteure note que depuis cette modification de la Constitution, le conseil constitutionnel n'a pas eu à se prononcer sur des dispositions relatives aux langues régionales. Toutefois, elle souhaite rappeler la position de Jean-Jacques Hyest, alors président de la commission des lois du Sénat et rapporteur de ce texte : « L'amendement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture afin d'inscrire, à l'article premier de la Constitution, que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, ne porte aucune atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français. La reconnaissance de la place des langues régionales dans notre patrimoine n'a donc pas pour objet de créer de nouveaux droits ».

Cette position était partagée par son homologue à l'Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois et rapporteur du texte : « Il convient de signaler que l'introduction dans la Constitution de la mention des langues régionales n'aurait pas de conséquence sur la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, dans la mesure où les dispositions constitutionnelles relatives à la langue officielle de la République ainsi que celles relatives à l'indivisibilité de la République, l'égalité devant la loi et l'unicité du peuple français ne sont pas modifiées ».

III. DES OUTILS DE PROMOTION ET DE VALORISATION DES LANGUES RÉGIONALES SOUS-EXPLOITÉS

P ar méconnaissance mais aussi par manque de volontarisme politique, les nombreux outils de promotion et de valorisation des langues régionales ne sont pas suffisamment exploités.

A. L'ÉCOLE, VECTEUR IMPORTANT DE TRANSMISSION DES LANGUES RÉGIONALES

1. La possibilité d'enseigner les langues régionales à l'école depuis 1951

La loi du 11 janvier 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux, dite loi Deixonne, ouvre la possibilité de l'enseignement des langues régionales dans le système éducatif français. D'abord limité au basque, au breton, à l'occitan et au catalan, l'enseignement des langues régionales a progressivement été élargi au corse (1974), au tahitien (1981), ou encore aux langues régionales d'Alsace et langues régionales des pays mosellans. La liste s'est depuis élargie. La circulaire relative à l'enseignement des langues et cultures régionales du 12 avril 2017 précise que cet enseignement « s'applique au basque, au breton, au catalan, au corse, au créole, au gallo, à l'occitan-langue d'oc, aux langues régionales d'Alsace, aux langues régionales des pays mosellans, au tahitien, aux langues mélanésiennes (drehu, nengone, païci, aïje) ainsi qu'au wallisien et au futunien » .

Dans plusieurs décisions 6 ( * ) , le conseil constitutionnel a précisé le cadre dans lequel l'enseignement des langues régionales pouvait se faire :

- il ne peut pas revêtir un caractère obligatoire , ni pour les élèves , ni pour les enseignants ;

- il ne doit pas avoir pour objet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ;

- l'usage d'une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l'enseignement public ni dans la vie de l'établissement, ni dans l'enseignement des disciplines autres que celles de la langue considérée. Ainsi, l'enseignement dit « immersif » n'est pas possible dans les écoles publiques.

Il existe toutefois une exception à l'interdiction de l'enseignement immersif : la possibilité offerte d'une expérimentation, comme le permet l'article L. 314-2 du code de l'éducation. Présenté par le directeur d'école ou le chef d'établissement, sur proposition de l'équipe pédagogique, le projet d'expérimentation doit être approuvé par le directeur académique des services de l'éducation nationale. L'expérimentation est conduite pour 5 ans. Elle fait l'objet d'une évaluation et peut être renouvelée. Certaines écoles 7 ( * ) se sont saisies de ce cadre expérimental pour proposer un enseignement plus intensif des langues régionales, avec plus ou moins de difficultés de la part du rectorat.

2. L'existence d'un dispositif d'apprentissage des langues régionales de la maternelle à la terminale

L'article 312-10 du code de l'éducation précise que « l'enseignement des langues régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l'État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage ».

À l'école maternelle , les enfants peuvent bénéficier d'une sensibilisation et d'une initiation à la langue régionale. À l'école primaire, la langue régionale peut être enseignée sur l'horaire dévolu aux langues vivantes étrangères.

Par ailleurs, au même titre que pour une langue vivante étrangère, des classes bilingues français/langue régionale peuvent être mises en place et s'inscrire dans le cadre du dispositif EMILE (enseignement d'une matière intégrée à une langue étrangère). La pratique de la langue régionale peut aller jusqu'à la parité horaire hebdomadaire dans l'usage de la langue régionale et du français en classe, sans qu'aucune discipline ou aucun domaine disciplinaire autre que la langue régionale soit exclusivement enseigné en langue régionale.

Au collège, les élèves peuvent choisir au titre de la langue vivante B (LVB) une langue vivante régionale.

Au lycée, une langue régionale peut être étudiée en tant que LVB, ou en tant que LVC - celle-ci pouvant être débutée en seconde . En outre, dans le cadre de la réforme du baccalauréat, l'enseignement de spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales » a été créé.

Actuellement, du CP à la terminale, un peu plus de 118 000 élèves étudient une langue régionale.

Nombre d'élèves suivant un enseignement de langue régionale du CP à la terminale (enseignement public et privé sous contrat)

Langues

Cycle 1

Cycle 2

Cycle 3

Cycle 4

Lycée GT

Lycée Pro

Total

Basque

2 368

2 883

2 635

2 903

1 363

111

12 263

Breton

3 441

3 417

4 268

3 560

1 118

251

16 055

Catalan

2 328

4 258

3 093

917

387

-

10 983

Corse

2 499

5 763

7 382

5 186

946

807

22 583

Créole

1 041

2 009

2 511

4 340

2 003

368

12 272

Gallo

34

40

38

156

29

-

297

Gascon

71

153

72

-

-

-

296

langue occitane

4 085

6 648

6 186

6 577

1 014

19

24 529

languedocien

17

46

40

-

-

-

103

l mélanesiennes

39

19

-

-

-

-

58

lr d'alsace

53

186

126

212

5

-

582

lr pays mosellans

39

65

65

45

109

-

323

Limousin

45

34

22

-

-

-

101

Nissart

30

9

59

248

174

-

520

Provençal

178

376

804

1 453

268

-

3 079

Tahitien

428

360

4 185

6 258

1 660

1 132

14 023

wallisien futunien

1

-

-

-

-

-

1

Total langues régionales

16 697

26 266

31 486

31 855

9 076

2 688

118 068

Source : Ministère de l'éducation nationale

Votre rapporteure estime que les difficultés associées à l'apprentissage des langues régionales résultent moins du cadre législatif que de l'utilisation qui en est fait et des obstacles infra-législatifs rencontrés. C'est la raison pour laquelle la commission n'a pas souhaité rétablir les articles 3 à 7 de la proposition de loi relatifs à l'école et supprimés par l'Assemblée nationale.

Les difficultés rencontrées par les langues régionales - notamment la brusque baisse du nombre d'élèves suivant ces enseignements au lycée à la suite de la réforme du baccalauréat - témoignent de la possibilité d'agir sur l'enseignement de ces langues sans modification législative. L'une des raisons est la bonification moins importante qu'apporte cette matière à l'élève lors de l'examen. En effet, dans l'ancien système, seuls les points au-dessus de la moyenne comptaient et correspondaient à un « bonus » sur la note finale.

Désormais, les options, dont les langues régionales, sont incluses dans les 10 % de la note finale qui correspondent à la moyenne des bulletins de première et terminale. Une exception existe toutefois pour l'enseignement optionnel de latin et de grec : pour ces langues, les points obtenus dans ces matières au-dessus de dix en première et en terminale comptent, pour un coefficient 3, en plus de l'intégration de la moyenne de latin ou de grec dans la moyenne générale de l'élève de première et terminale.

Épreuves finales de première et de terminale

E3C : 30 %

Moyenne des bulletins scolaires (incluant les 2 meilleures options) : 10 %

60 % par les épreuves finales

40 % en contrôle continu

Note sur 2000 (à laquelle s'ajoutent les points au-dessus de la moyenne, coefficient 3, pour le latin et le grec) / divisé par 100 pour obtenir la note du baccalauréat

100

Votre rapporteure invite le ministre à aligner la prise en compte des notes obtenues en langue régionale sur celles des langues et cultures de l'Antiquité. Une telle démarche serait de nature à promouvoir les langues régionales fragiles, et pour certaines menacées d'extinction à court terme.

Enfin, votre rapporteure a noté avec intérêt les réflexions en cours au sein du ministère de l'éducation nationale pour développer un enseignement des langues régionales via le CNED . Cela permettrait notamment à un élève de présenter cette matière au baccalauréat, même si l'enseignement n'est pas proposé dans son établissement, ou s'il n'a pas pu le suivre.

B. LES MÉDIAS, VECTEUR DE DIFFUSION ET DE VALORISATION DU PATRIMOINE LINGUISTIQUE FRANÇAIS

Les langues régionales sont un vecteur de patrimoine culturel immatériel. Leur promotion passe par leur utilisation 8 ( * ) . Aussi, la loi du 1 er août 2000 relative à la liberté de communication a inscrit dans les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et Radio France - médias qui ont une mission de service public - un objectif de valorisation des langues régionales. D'après France Télévisions, les antennes régionales de France 3 ont diffusé en métropole, en 2018, 385 heures de programmes en langue régionale ou bilingues avec un volume variable selon les régions concernées. Dans les territoires d'outre-mer, 1 777 heures de programmes en langue régionale ont été proposées par les antennes ultramarines de France Télévisions.

Pour la radio, il existe 4 stations locales de France bleu en langue régionale : France Bleu Corse Frequenza Mora RCFM, France Bleu Breizh Izel, France Bleu Pays Basque et France Bleu Elsass. Au-delà de ces stations dédiées, on retrouve des programmes en langues régionales au sein du réseau France Bleu. Au total, selon Radio France, plus de 5 000 heures de programmes en langues régionales et locales 9 ( * ) sont diffusées sur les antennes du réseau France Bleu 10 ( * ) .

Pour votre rapporteure, le maintien par le service public de ces programmes en langues régionales est essentiel pour leur promotion. Votre rapporteure souhaite également souligner le rôle important des radios associatives et la nécessité de les soutenir. Le nombre d'heures de programmes en langues régionales qu'elles proposent est supérieur à celui du service public.

IV. UNE PROPOSITION DE LOI VISANT À RENFORCER LA PROMOTION DES LANGUES RÉGIONALES ET À CLARIFIER LEURS POSSIBILITÉS D'UTILISATION

Sur la proposition de votre rapporteure, la commission a adopté sans modification le texte transmis par l'Assemblée nationale. L'adoption de cette proposition de loi serait un symbole de l'attachement du Parlement aux langues régionales et à leur promotion .

A. RENFORCER LA PROTECTION PATRIMONIALE DES LANGUES RÉGIONALES (ARTICLES 1ER ET 2)

L'article 1 er de la loi vise à inscrire les langues régionales et la langue française dans le code du patrimoine. Il précise en outre le rôle de l'État et des collectivités territoriales pour leur valorisation, leur enseignement et leur diffusion. Dans cette perspective, votre rapporteure rappelle l'existence d'organismes de valorisation des langues régionales , comme l'office de la langue bretonne, l'office public de la langue basque, qui bénéficient en général d'un soutien croisé de l'État et des collectivités territoriales.

Cet article vient s'ajouter à d'autres dispositions législatives visant à rappeler le rôle des acteurs publics en matière de promotion des langues régionales. Tel est le cas de l'article L. 312-10 du code de l'éducation qui précise que l'enseignement des langues régionales « peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l'État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage » .

L'article 2 accorde aux biens présentant un intérêt majeur pour la connaissance de la langue française et des langues régionales le statut de trésor national . Votre rapporteure rappelle d'ailleurs l'existence du catalogue « corpus de la parole » sur le site du ministère de la culture, réalisé en partenariat avec le CNRS : il s'agit d'un fonds sonore constitué de plusieurs centaines d'heures transcrites et numérisées de français et des variations des différentes langues de France. Pour sa part, la bibliothèque nationale de France conserve des fonds importants de textes et d'enregistrements sonores en langues de France.

B. PRÉCISER L'ARTICULATION ENTRE L'OBLIGATION D'UTILISER LE FRANÇAIS ET LE RECOURS AUX LANGUES RÉGIONALES (ARTICLE 2 BIS)

L'article 2 bis précise que les dispositions de la loi relative à l'emploi du français dite « Toubon » ne font pas obstacle à l'usage des langues régionales et aux actions tant publiques que privées menées en leur faveur.

Le texte actuel dispose que cette loi s'applique « sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s'opposent pas à leur usage ». Votre rapporteure regrette que cette formulation ait pu être interprétée de manière restrictive envers les langues régionales. Or, le but de cette loi n'était pas de rappeler la prééminence du français sur ces langues, mais sur l'anglais, dans un contexte de recours accru à des anglicismes.

La rédaction proposée par la proposition de loi vise à indiquer de manière explicite la possibilité d'un recours aux langues régionales et les actions en faveur de leur promotion.

C. LEVER LES AMBIGUÏTÉS SUR L'UTILISATION DES LANGUES RÉGIONALES DANS L'ESPACE PUBLIC ET LES ACTES D'ÉTAT CIVIL (ARTICLES 8 ET 9)

L'article 8 de la proposition de loi vise à préciser la possibilité pour les services publics de recourir à des traductions en langue régionale sur la signalétique, mais aussi sur les principaux supports de communication institutionnelle. Il s'agit d'expliciter la possibilité de recours aux langues régionales, à partir du moment où une version française existe.

Certes, les dispositions législatives le permettent déjà. En effet, dans sa décision n° 94-345 du 29 juillet 1994 sur la loi relative à l'emploi de la langue française, le conseil constitutionnel l'a clairement indiqué : « Considérant que la loi relative à l'emploi de la langue française prescrit sous réserve de certaines exceptions l'usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l'enseignement et la communication audiovisuelle ; qu'elle n'a toutefois pas pour objet de prohiber l'usage de traductions lorsque l'utilisation de la langue française est assurée (...) ».

À de nombreuses reprises, et de manière constante, le ministère de la culture a souligné cette possibilité . En témoigne la réponse de Christine Albanel, alors ministre de la culture, lors d'un débat au Sénat en 2008 : « Qui, par exemple, même parmi les législateurs et parmi les élus, sait qu'une collectivité territoriale peut publier les actes officiels qu'elle produit dans une langue régionale, dès lors que ces textes apparaissent comme une traduction du français, qui naturellement - puisque « la langue de la République est le français » - seul fait foi ? ». De même, Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, a indiqué le 15 janvier dernier que « dans la continuité des actions de promotion des langues régionales de France, les textes en vigueur, confortés par la jurisprudence, autorisent les officiers de l'état civil à délivrer, sur la demande des intéressés, des livrets de famille et des copies intégrales et extraits d'actes de l'état civil bilingues ou traduits dans une langue régionale » 11 ( * ) .

Si la possibilité juridique existe, elle est souvent mal connue. Il paraît donc important de la consolider. Tel a d'ailleurs été l'objet de la réponse du Gouvernement interpellé par le député Armand Jung en 2011 à la suite de l'arrêt du tribunal administratif de Montpellier demandant à une commune de retirer ses panneaux bilingues à l'entrée de l'agglomération. Après avoir rappelé que les textes en vigueur permettaient ce bilinguisme, il a déclaré par la voix de Luc Châtel, alors ministre de l'éducation nationale : « essayons de trouver le moyen le plus adapté pour offrir un cadre juridique sûr à l'installation de panneaux de signalisation bilingues à l'entrée des villes » 12 ( * ) .

Pour votre rapporteure, cet article apporte une base juridique claire au recours aux langues régionales, possible à la condition qu'elles s'ajoutent au français, via des traductions .

L'article 9 vise à élargir la liste des lettres et signes admissibles dans les actes d'état civil. La circulaire du 23 juillet 2014 relative à l'état civil indique la liste limitative des signes diacritiques pouvant être utilisés dans les actes d'état civil : à - â - ä- é - è - ê - ë - ï - î - ô - ö - ù - û - ü - ÿ, ainsi que ç. Cette liste ne contient pas « ñ » qui existe dans la langue bretonne.

L'article 9 fait notamment suite à la difficulté rencontrée par des parents choisissant des prénoms traditionnels régionaux, comportant un signe diacritique non inclus dans la liste précitée. Le Sénat a adopté en janvier 2020 un article visant à inclure le « ñ » dans la liste des lettres pouvant être utilisées dans les actes d'état civil à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la déclaration de naissance auprès de l'officier d'état civil du lieu de résidence des parents.

Votre rapporteure souligne que la rédaction proposée par l'article 9 est plus protectrice des langues régionales. Cet article ne dresse pas la liste des signes admissibles, mais indique que tous les signes diacritiques des langues régionales sont admissibles. Le « n » tilde n'est pas le seul signe diacritique présent dans une langue régionale mais absent de la langue française 13 ( * ) .

D. INFORMER LE PARLEMENT DE L'ÉTAT DE L'OFFRE EN MATIÈRE D'ENSEIGNEMENT LINGUISTIQUE RÉGIONAL À L'ÉCHELLE DES TERRITOIRES CONCERNÉS (ARTICLES 11 ET 12)

La pratique constante du Sénat, ces dernières années, est de supprimer les demandes de rapport au Gouvernement. En effet, ce dernier n'a pas besoin d'une injonction législative pour transmettre une information au législateur. Ces deux articles, qui concernent l'enseignement des langues régionales, ont été ajoutés lors du débat en séance à l'Assemblée nationale, à la suite de la suppression en commission des articles 3 à 7.

Toutefois, la suppression de ces deux articles conduirait à limiter encore davantage la portée de cette proposition de loi, déjà largement réduite par la majorité à l'Assemblée nationale. En outre, il semblerait paradoxal à votre rapporteur de discuter d'un texte sur la promotion et la valorisation des langues régionales sans article évoquant leur enseignement : aujourd'hui, à quelques exceptions près, la transmission des langues régionales ne se fait plus dans le cadre familial, mais par l'école.

La commission a adopté la proposition de loi sans modification .

TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 2 DÉCEMBRE 2020

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M. Laurent Lafon , président . - Chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport de Monique de Marco sur la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, adoptée par l'Assemblée nationale le 13 février dernier.

Mme Monique de Marco , rapporteure . - Mes chers collègues, à la demande de mon groupe, nous examinerons le 10 décembre prochain une proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.

Vous avez été plusieurs à participer aux auditions préparatoires que j'ai organisées, et je tiens à vous en remercier. J'ai acquis au cours de ces entretiens une première conviction : la question de la promotion des langues régionales dépasse les clivages politiques.

Une langue régionale est une langue historiquement parlée sur une partie du territoire national, depuis plus longtemps que le français. Elle se distingue des langues non territoriales, qui sont issues de l'immigration et utilisées par des citoyens français depuis plusieurs générations.

La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) dénombre une vingtaine de langues régionales en France métropolitaine, et plus d'une cinquantaine dans les territoires d'outre-mer. Ainsi la France est-elle le pays européen connaissant la plus grande diversité linguistique. Bien évidemment, l'utilisation et la vitalité de ces langues varient.

Il est très difficile d'estimer le nombre de locuteurs et la dernière enquête nationale date du recensement de 1999. L'Insee avait alors estimé à 5,5 millions le nombre de personnes parlant avec leurs parents dans une langue régionale. Pour sa part, la DGLFLF estime à 4,9 millions le nombre actuel de locuteurs des principales langues régionales. Cependant, cette donnée chiffrée a deux limites. Tout d'abord, certaines langues ne sont pas comptabilisées. De plus, la question se pose de savoir ce qu'est un locuteur, et quelle maîtrise de la langue il faut posséder pour que le terme s'applique.

Lors des auditions, j'ai constaté que les informations relatives aux langues régionales restaient parcellaires. Des associations et certaines collectivités territoriales comme la région Bretagne ont pris l'initiative de lancer des études sur le nombre de locuteurs. Toutefois, il nous manque une enquête nationale sur la pratique et la transmission de ces langues. La dernière date de vingt ans, soit une génération, et il me semblerait intéressant que les pouvoirs publics se saisissent de cette question et lancent une nouvelle étude nationale. Cette demande ne relève pas du domaine de la loi, mais notre débat en séance publique sera l'occasion d'appeler le Gouvernement à agir en ce sens.

Cependant, malgré le manque de données précises, l'ensemble des personnes auditionnées s'accordent à dire que la pratique des langues régionales recule. Si les langues ultramarines résistent plutôt bien, tout comme le breton et le basque, d'autres connaissent une forte diminution de leur usage. Lors de son audition, le président de l'Institut de la langue régionale flamande nous a indiqué que, en l'espace de vingt ans, le nombre de locuteurs avait été divisé par deux, passant de 90 000 à 45 000 environ, par manque de soutien politique. Et cette langue régionale a la chance d'être transfrontalière et de bénéficier du dynamisme linguistique présent en Belgique. Il faut imaginer la situation des langues régionales qui ne sont pratiquement plus transmises dans le cercle familial, ne peuvent s'appuyer sur un vivier linguistique transfrontalier, et ne bénéficient d'aucun volontarisme politique pour les promouvoir et les défendre !

J'en viens au cadre constitutionnel de l'utilisation et de la promotion des langues régionales. Le Conseil constitutionnel s'est saisi de cette question à l'occasion des débats sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et plusieurs décisions sont venues ensuite réaffirmer sa position, sur laquelle je souhaite revenir. D'abord, l'usage du français s'impose aux personnes de droit public et aux personnes de droit privé exerçant une mission de service public. De plus, les particuliers ne peuvent se prévaloir d'une langue autre que le français dans leurs relations avec les administrations et les services publics, et ne peuvent être contraints à utiliser une autre langue que le français. Toutefois, et c'est un point sur lequel je reviendrai, le Conseil constitutionnel précise explicitement que l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'usage de traduction.

Vous le savez, la Constitution s'est enrichie en 2008 de l'article 75-1, qui affirme que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Nous pouvons légitimement nous interroger sur les conséquences de ce nouvel article : la jurisprudence du Conseil constitutionnel, antérieure à 2008, est-elle toujours d'actualité ? À la lecture des travaux préparatoires du projet de loi constitutionnelle de 2008, il me semble que c'est le cas. En effet, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, les deux rapporteurs du projet de loi ont indiqué que l'insertion des langues régionales dans la Constitution n'avait pas pour conséquence d'introduire de nouveaux droits pour ces langues. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est souverain, et un revirement de jurisprudence constitutionnelle est toujours possible.

Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Il s'agit d'un patrimoine immatériel et leur valorisation, comme leur promotion, passe par leur utilisation et leur transmission. À ce sujet, je souhaite d'abord évoquer rapidement la présence des langues régionales dans les médias. Selon la loi, France Télévisions doit contribuer à la connaissance et au rayonnement des territoires et des langues régionales. En 2018, 385 heures de programmes en langue régionale ou bilingue ont été diffusées sur les chaînes métropolitaines de France Télévisions, et près de 1 800 heures sur les antennes ultramarines. Par ailleurs, quatre stations locales de France Bleu diffusent dans des langues régionales, et des programmes sont proposés dans ces langues au sein du réseau France Bleu. Au total, ce sont 5 000 heures de programmes diffusées sur les antennes du réseau France Bleu.

J'en viens à présent à l'école et à l'enseignement des langues régionales. Aujourd'hui, à part pour quelques langues, la transmission ne se fait plus dans le cercle familial, mais à l'école, qui a donc un rôle important à jouer. Depuis 1951, il est possible d'enseigner les langues régionales à l'école publique et si des progrès sont certainement nécessaires, cette possibilité existe.

Au moyen de plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a défini le cadre dans lequel doit se dérouler cet enseignement. Tout d'abord, celui-ci ne peut revêtir un caractère obligatoire ni pour les élèves ni pour les enseignants. De plus, il ne doit pas avoir pour objet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à tout usager du service public de l'Éducation. Enfin, l'usage d'une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves, ni dans la vie de l'établissement ni dans les disciplines autres que celles de la langue considérée, et l'enseignement dit immersif est donc interdit dans les écoles publiques. Il existe toutefois une exception à cette interdiction : l'expérimentation, qui doit faire l'objet d'une approbation de la part du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen). L'expérimentation est conduite pendant une période de cinq ans et doit faire l'objet d'une évaluation. Certaines écoles publiques se sont saisies de ce cadre expérimental pour proposer un enseignement plus intensif des langues régionales, rencontrant plus ou moins de difficultés de la part du rectorat.

De manière générale, il existe un dispositif d'apprentissage des langues régionales de la maternelle à la terminale. À l'école maternelle, les enfants peuvent bénéficier d'une sensibilisation et d'une initiation et puis, à l'école primaire, la langue régionale peut être enseignée pendant l'horaire consacré aux langues vivantes étrangères. Des classes bilingues français et langue régionale peuvent également être créées. Dans ce cadre, la pratique de la langue peut aller jusqu'à la parité hebdomadaire horaire dans l'usage de la langue régionale et du français. Toutefois, aucune discipline autre que les cours de langue ne peut être exclusivement enseignée en langue régionale. Au collège, les élèves peuvent choisir une langue régionale comme deuxième langue et au lycée, la langue régionale peut faire l'objet d'un enseignement au titre de la deuxième, voire de la troisième langue vivante. Du CP à la terminale, ce sont donc un peu plus de 118 000 élèves qui étudient une langue régionale.

J'en viens à présent aux conclusions. Les difficultés ne sont pas dues à un cadre législatif insuffisant, même s'il pourrait être renforcé dans les limites fixées par le Conseil constitutionnel. Elles le sont davantage à une sous-exploitation des possibilités offertes par les textes, par méconnaissance, manque de moyens ou de volonté politique, et à des freins infra-législatifs. Je veux ici vous donner deux exemples.

Premièrement, comme l'a rappelé Laurent Nuñez devant notre assemblée en janvier dernier, les officiers de l'état civil sont autorisés à délivrer, à la demande des intéressés, des livrets de famille ainsi que des copies intégrales et extraits d'actes de l'état civil bilingues ou traduits dans une langue régionale. À titre personnel, je l'ai découvert en préparant ce rapport.

Deuxièmement, je souhaiterais évoquer la réforme du baccalauréat, qui illustre bien les difficultés infra-législatives pouvant être rencontrées. En effet, les nouvelles modalités de comptage des points rendent les langues régionales moins attractives pour certains élèves. Auparavant, seuls les points au-dessus de la moyenne comptaient tandis qu'aujourd'hui les options langues régionales sont comptabilisées dans la moyenne des bulletins scolaires de la première et de la terminale, et peuvent ainsi faire baisser la note du contrôle continu. À l'inverse, une bonne moyenne sera noyée parmi les autres matières du contrôle continu, qui ne compte que pour 10 % de la note finale.

Il existe pourtant un moyen simple pour le ministère de l'éducation nationale d'envoyer un signal en faveur des langues régionales : leur appliquer le même régime qu'au latin et au grec ancien. En effet, ces deux langues sont les seules qui continuent à bénéficier de la bonification pour les points au-dessus de la moyenne. Le grec ancien et le latin sont ainsi comptabilisés deux fois : dans les 10 % du contrôle continu, et dans les points au-dessus de la moyenne qui sont bonifiés d'un coefficient trois avant d'être ajoutés au total des points reçus par l'élève.

Malgré ces réserves, je vous propose d'adopter le texte conforme. Des dispositifs législatifs plus ambitieux pourraient mieux assurer la promotion des langues régionales, mais il n'est pas certain qu'ils puissent faire consensus à l'Assemblée nationale, ni même au sein de notre assemblée. Par ailleurs, depuis la loi Deixonne, une soixantaine de propositions de loi relatives aux langues régionales ont été déposées. Aucune n'a été adoptée ni même, bien souvent, inscrite à l'ordre du jour de l'autre assemblée. L'adoption conforme de ce texte permettrait de clore la navette parlementaire et offrirait un symbole de l'engagement du Parlement en faveur des langues régionales.

M. Laurent Lafon , président . - Avant d'ouvrir le débat général, nous allons examiner la définition du périmètre de l'article 45, qui encadrera le dépôt d'éventuels amendements.

Mme Monique de Marco , rapporteure . - Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution applicable à cette proposition de loi, je vous propose d'accepter les amendements qui concernent la protection des langues régionales ainsi que leur valorisation et leur promotion. En revanche, pourraient être déclarés comme ne présentant pas de lien, même indirect, avec le texte ceux visant les langues étrangères, portant sur les langues de France autres que les langues régionales, et concernant la promotion et la valorisation de la francophonie.

M. Max Brisson . - Je souhaiterais d'abord remercier le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) d'avoir porté cette proposition de loi du député du Morbihan Paul Molac, ainsi que Monique de Marco, pour son rapport circonstancié et argumenté dont je partage les grandes lignes et la conclusion finale.

Cependant, j'aurais peut-être été plus dur sur la réforme du baccalauréat qui illustre parfaitement le rapport qu'entretient l'éducation nationale avec les langues régionales, qui en avaient tout simplement été oubliées ! Cet oubli résume tout. J'aurais aussi été plus dur sur l'absence de l'audiovisuel public et aurais souligné le relais assuré par les radios associatives, qui portent les langues régionales sur les ondes.

Pour le reste, j'approuve ce rapport et espère qu'il servira de support à un débat apaisé et constructif. En effet, dans les territoires où les langues régionales sont parlées, nous gardons parfois de bien mauvais souvenirs des caricatures offensantes qui sont développées à l'occasion des débats sur les langues régionales - peut-être davantage à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. J'espère en tout cas que le débat de la semaine prochaine sera digne de ces langues qui sont, pour certains de nos concitoyens, des langues maternelles. Nous sommes tous militants de la francophonie et souffrons quand l'usage du français recule ; acceptons que l'on puisse aussi souffrir lorsque l'on voit sa langue maternelle fragilisée ou menacée de disparition.

Je suis élu d'un département qui a la chance de compter deux langues dites régionales : le béarnais et la langue basque, qui est par ailleurs une langue d'Europe puisqu'elle est parlée et bénéficie d'un statut officiel au sein de la communauté autonome d'Euskadi et de la députation forale de Navarre, dans le royaume d'Espagne. En Pays basque de France, 60 % des écoles ont des sections bilingues français et basque, mais j'ai bien conscience que cette situation est exceptionnelle, tout comme l'est le consensus politique qui s'est noué au Pays basque sur ce sujet. Ainsi, un homme comme moi, élu d'un parti de tradition jacobine, a fondé et présidé l'Office public de la langue basque, qui regroupe l'État, la région, le département et les communes du Pays basque.

La République a toujours eu un rapport difficile avec les langues de France, parce qu'elles ont longtemps été le symbole de la France du cheval de trait, que leur usage paraissait archaïque et réactionnaire. Lutter contre les langues de France était aussi le moyen d'imposer la République et l'émancipation, ce que l'on peut respecter. Les hussards noirs ont mené ce combat en conscience, mais, en 1950, dans les rues de Mauléon ou de Saint-Palais où l'école publique était pourtant bien implantée, on continuait de parler parfaitement la langue basque. Il ne faut donc pas surestimer le rôle de l'école comme élément destructeur des langues de France. En fait, c'est la télévision, la modernité et l'urbanisation qui sont responsables. Avec Intervilles, Guy Lux a fait plus de mal aux langues de France que les hussards noirs de Jules Ferry !

Et nous sommes aujourd'hui dans une situation paradoxale puisque la langue est moins parlée dans la rue des villages et des villes et davantage à l'école alors qu'en 1950, c'était le contraire. Cela donne à l'école une responsabilité particulière. La transmission, familiale ou scolaire, est un pilier de ce qui en France est encore un concept inconnu : la politique linguistique.

Il serait injuste de dire que l'école ne fait rien pour les langues de France puisque c'est l'administration française qui en fait le plus, en termes de postes déployés et d'efforts budgétaires. Cependant, l'école conçoit l'apprentissage du basque, de l'occitan, du breton, du catalan ou du corse comme une discipline enseignée et non comme un élément de la politique linguistique d'un territoire qui inscrit sa langue non pas dans une vision muséographique, nostalgique ou historique, mais dans la modernité. C'est en tout cas ce que nous avons fait au Pays basque, où nous sommes partis d'une réflexion simple : la langue est le premier vecteur de l'identité, qui est un facteur d'attractivité, car les territoires sans identité sont des territoires sans projet. En Pays basque de France, nous avons pris conscience dans les années 1990 du lien existant entre identité, langue, attractivité et modernité. Ce que nous demandons, c'est que notre combat soit considéré comme un combat de modernité. Nous ne cherchons pas à protéger et à préserver la langue, mais à produire des locuteurs capables de s'exprimer, de travailler et de vivre dans nos langues ! C'est ce que l'éducation nationale ne comprend pas, et c'est là que réside le hiatus entre l'éducation nationale et les élus des territoires, qui ont pris conscience de la dimension moderne des langues, comme reflets des territoires et vecteurs de leur attractivité.

Depuis la loi Deixonne, les textes qui ont porté sur les langues régionales sont des textes fondamentaux pour l'école et les collectivités, mais les langues y ont toujours été traitées de façon mineure. À l'opposé, la loi Toubon, qui avait pour but de lutter contre l'anglomania et l' imperium de l'anglo-américain, a été largement utilisée par les préfets et les recteurs contre les langues régionales, trahissant par là même l'objectif du législateur.

La proposition de loi de Paul Molac est la bienvenue parce qu'elle rappelle à l'État un certain nombre de ses obligations en ce qu'elle prévoit un cadrage de la loi Toubon, et qu'elle sécurise la place des langues dans l'espace public. En revanche, nous avons tous été surpris par l'absence totale de référence à l'Éducation nationale. Nous avons donc fait des recherches, qui ont montré que les députés de la majorité présidentielle, certainement à l'appel du ministre de l'éducation nationale, avaient systématiquement supprimé tous les articles concernant l'enseignement ! Nous nous retrouvons donc avec une magnifique proposition de loi sur les langues régionales, qui ne dit pas un mot de l'enseignement, comme s'il pouvait y avoir une politique linguistique en faveur des langues régionales qui ne passe pas par l'enseignement !

Ma chère collègue, vous avez proposé un vote conforme, mais j'espère que nous ferons preuve d'imagination dans l'hémicycle pour déposer quelques amendements qui rappelleront au Gouvernement qu'il n'y a pas de politique linguistique qui ne s'appuie sur l'éducation. Sinon, c'est de l'enfumage !

Notre génération a une responsabilité. J'appartiens à un territoire dans lequel les jeunes qui n'ont pas reçu d'enseignement en langue basque ou en langue occitane reprochent à leurs parents de ne pas les avoir inscrits dans une école publique pour apprendre la langue de leurs grands-parents. Mais aujourd'hui, les plus jeunes générations retrouvent des taux de pratique linguistique proches de ceux des années 1960.

Enfin, tout cela n'a jamais remis en cause l'unité de la République. Et je dirais même que les territoires dans lesquels on pratique les langues régionales sont aussi des territoires où l'intégration sociale, le lien et la solidarité sont parmi les plus forts. Les membres du groupe Les Républicains suivront la position formulée par la rapporteure.

M. Claude Kern . - Après ce brillant exposé, il est difficile d'intervenir, mais je vais peut-être le faire en alsacien puisque mon collègue n'a pas osé parler en basque ! (M. Kern prononce une phrase en alsacien, à laquelle répond Mme Drexler).

Je voudrais féliciter Monique de Marco pour ce brillant exposé et m'associer aux propos de Max Brisson sur l'audiovisuel. Cependant, nous avons su chez nous préserver un espace pour les langues régionales sur les chaînes locales, notamment grâce à l'émission Rund Um , qui signifie « autour de nous ». Un certain nombre d'heures de programmes en alsacien sont également diffusées sur France Bleu Alsace.

En ce qui concerne les écoles, il existe une convention pour l'enseignement bilingue entre la région, les deux départements et l'État. Nous avons toutefois des difficultés à trouver des enseignants suffisamment bien formés, même pour les écoles bilingues, qui représentent 40 % de nos écoles. La formation des professeurs d'allemand est un véritable problème, et l'ensemble du cycle allemand de l'université de Strasbourg ne compte que trente étudiants. De plus, dès qu'ils sont formés, ces jeunes partent en Allemagne, où ils gagnent presque le double de ce qu'on leur propose en France. Les écoles de l'Association pour le bilinguisme en classe dès la maternelle (ABCM), soutenues par les collectivités, assurent, quant à elles, un enseignement en alsacien.

Vous l'avez dit, langues et cultures régionales font partie de notre patrimoine. Nous essayons de le préserver dans la région, notamment avec l'Office pour la langue et les cultures d'Alsace et de Moselle (Olcam). Par ailleurs, nous organisons des cours d'alsacien pendant les activités périscolaires, mais également des séances s'adressant aux adultes.

Quand je suis arrivé à l'école maternelle, je parlais alsacien, pratiquement pas français, et il était interdit de parler alsacien même dans la cour d'école. Nous avons eu ensuite le réflexe de ne pas parler alsacien à nos enfants, et je fais mon mea culpa . Aujourd'hui, ce sont les jeunes parents qui demandent à l'éducation nationale de prendre le relais pour enseigner cette langue encore parlée dans la rue en zone rurale, cette langue qui nous permet de comprendre les Allemands et d'être compris par eux.

Grâce à cette proposition de loi, j'espère que nous réussirons à faire évoluer les mentalités. Nous suivrons la proposition de la rapporteure, mais, comme Max Brisson, je pense que quelques amendements s'imposeront en séance.

M. Pierre Ouzoulias . - Comme toute sa génération, mon grand-père parlait le limousin. Il a appris le français à l'école ; il n'avait pas le droit d'y parler une autre langue, même dans la cour de récréation. Il est ensuite monté à Paris, et en perdant l'usage du limousin, il a aussi perdu un vocabulaire précieux, ce qu'il a d'ailleurs beaucoup regretté à la fin de sa vie. L'odeur de la nature après l'orage, ou encore certains noms d'oiseaux ne trouvent pas d'équivalents en français. Républicain fervent et absolu, il concevait pourtant parfaitement qu'on puisse avoir deux cultures.

En Corrèze, il existe toujours un droit coutumier en limousin, qui n'est pas traduisible. Il réglemente notamment certains usages de la forêt. Si celui-ci disparaît, nous serons alors dans l'incapacité de trouver une transcription dans le droit français. Il s'agirait d'une grande perte culturelle. Les langues régionales font partie de l'identité d'un territoire, et de la relation complexe que les individus nouent avec celui-ci. Il est admirable que des familles étrangères au département, voire parfois à la France, utilisent ce vocabulaire pour décrire des réalités quotidiennes. Ainsi, cette identité n'exclut pas, au contraire : elle est intégrante.

Cette proposition de loi me pose plusieurs problèmes, notamment au travers de son article 2, qui fait passer les langues régionales dans le cadre étroit des trésors nationaux. Or, ces derniers sont précisément décrits comme des biens meubles et immeubles. Au-delà de mes doutes sur l'utilité d'une telle démarche, je crains qu'intégrer les langues dans ce registre n'affaiblisse la notion même de patrimoine national, alors que nous en avons absolument besoin.

À propos de l'enseignement, je partage totalement les propos de M. Max Brisson : aujourd'hui, rien n'interdit une reconnaissance plus forte des langues régionales. Il est sidérant de constater l'existence de 185 sections internationales dans les lycées, mais de ne pas pouvoir enseigner certaines disciplines en langue régionale. Faudra-t-il attendre l'instauration d'un lycée international occitan à Toulouse pour pouvoir continuer à utiliser la langue d'oc ? Il y a ici une distorsion que je ne comprends pas. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, l'enseignement d'une langue étrangère au lycée est considéré comme un critère d'attractivité énorme. Pourquoi une langue régionale ne le serait-elle pas ? Il y a un certain vestige jacobin qui aboutit à différencier le traitement donné à ces langues.

J'approuve aussi les propos formulés sur la loi Toubon. Celle-ci n'est absolument pas appliquée en ce qui concerne l'anglais. Le Centre national de recherche scientifique (CNRS) interdit même quasiment à ses agents de produire des articles scientifiques en français ! En revanche, elle a été utilisée contre les langues régionales, ce qui est une absurdité absolue.

L'article 9 vise à autoriser les signes diacritiques des langues régionales dans les actes d'état civil. Mais je ne vois pas ce qui l'interdit dans le droit actuel. De plus, il ne s'agit pas ici des actes de l'administration, mais de la façon dont les gens s'appellent eux-mêmes, ce qui est très différent. Dans les bureaux de vote, on a des cas où les noms sont transcrits sans aucun signe diacritique dans le registre d'état civil, alors que, sur la pièce d'identité de l'individu, ces signes apparaissent parfaitement. Leur usage est donc permis, puisque cette pièce est reconnue par l'administration. Pourtant, cela n'apparaît pas correctement sur la liste électorale. C'est une absurdité.

Nous aurions pu aller beaucoup plus loin sur ce texte. Pour un certain nombre de dispositions, on devine qu'il s'agit de forcer la main à une administration encore très rétive à appliquer les textes existants sur la protection des langues régionales. Même si je souhaite que ce texte poursuive son chemin législatif, je pense qu'une réflexion plus ample et plus aboutie sur le sujet est nécessaire.

M. Lucien Stanzione . - Je félicite la rapporteure pour son travail approfondi. Max Brisson a quasiment tout dit. Ce texte institue la reconnaissance de l'intérêt patrimonial des différentes langues régionales, qui bénéficieront désormais d'actions de conservation et de promotion, confiées à l'État et aux collectivités territoriales - on ne peut qu'y être favorable. Il consacre également l'usage des langues régionales dans la vie publique, avec le recours à une signalétique plurilingue, ainsi que l'usage de signes caractéristiques de ces langues dans les actes d'état civil. Je m'en réjouis, car les mesures prises pour sauvegarder la diversité linguistique ne se révéleront positives que si l'on attribue un rôle significatif aux langues régionales. Le dynamisme d'une langue dépend en effet de son utilisation, dont l'espace public et l'état civil sont deux composantes essentielles.

Concernant la langue provençale, on peut dire que l'école de la République a fait son travail. Dans les cours d'école, il était effectivement interdit de parler le patois, comme me le racontaient mes grands-parents. Aujourd'hui, le provençal n'est quasiment plus utilisé. L'audiovisuel est un vecteur important, qui peut contribuer à sa conservation. Dans mon département, cela se résume à une émission d'une heure et demie appelée « Vaqui », diffusée le dimanche matin. Effectivement, la pratique du provençal est réinstaurée en maternelle et en primaire, mais cela reste relativement marginal. Mon groupe et moi-même sommes donc favorables aux dispositions de cette proposition de loi. Comme l'ont indiqué certains de mes collègues, il sera probablement utile d'y ajouter quelques amendements, afin d'aller plus loin dans ce travail.

M. Jean-Pierre Decool . - Madame la rapporteure, je salue votre détermination à défendre les langues régionales. Je voterai cette proposition. J'en profite pour souligner que la version présentée par mon ancien collègue à l'Assemblée nationale, Paul Molac, a été complètement vidée de sa substance. Ce débat est donc très emblématique.

Je souhaite évoquer le problème du flamand occidental, qui n'est pas inscrit dans la circulaire relative à l'enseignement des langues et cultures régionales. On a beau soutenir les langues régionales et la pédagogie qu'il faut mettre en oeuvre au collège et au lycée, mais si la langue n'est pas inscrite dans cette circulaire, on ne peut pas avancer. Dans le Nord, nous avons certes réussi à obtenir une expérimentation, mais sa pérennisation n'est pas assurée - cela témoigne de la lenteur administrative pour continuer à enseigner le flamand.

Le néerlandais, langue officielle pratiquée en Belgique et aux Pays-Bas, est souvent mis en opposition avec le flamand. Or, il n'y a pas d'antagonisme : le flamand est un dialecte, et les frontaliers franco-belges apprennent le néerlandais à l'école tout en parlant le flamand en entreprise ou à la maison. Je regrette donc que cette proposition de loi n'évoque pas la circulaire et ne prévoit pas la possibilité d'y ajouter une langue, d'autant que le soutien de la région des Hauts-de-France est sans équivoque sur ce point. Il y a, par exemple, une volonté de créer un office de la langue flamande. Néanmoins, je soutiendrai l'adoption de cette proposition de loi.

Mme Sylvie Robert . - Depuis 2014, nous débattons de ce sujet au Sénat. La dernière fois, ce fut à l'occasion de l'examen de la loi pour une école de la confiance, en 2019. Nous avions aussi débattu de la question de la signalétique plurilingue, à l'occasion de la discussion d'une proposition de loi déposée par le groupe socialiste, qui avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat, mais qui n'avait jamais été inscrite à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale. Je suis donc heureuse de voir que ce texte consacre cette question. Par ailleurs, il y a de vrais sujets sur l'audiovisuel, mais aussi sur l'enseignement et la transmission de ces langues régionales, lesquels pourront faire l'objet de futurs amendements.

Sur la question de l'inscription des langues régionales parmi les trésors nationaux, je rejoins l'avis de Pierre Ouzoulias. En revanche, je voudrais lui répondre sur les signes diacritiques dans les actes d'état civil. La question du tilde sur le prénom « Fañch » a suscité des revirements de jurisprudence en Bretagne. En effet, le 19 novembre 2019, la cour d'appel de Rennes a autorisé son inscription sur un acte d'état civil, alors même que le tribunal de Brest avait refusé. Le fait d'introduire cet article dans la proposition de loi n'est donc pas anodin, car il y a les discours et les actes.

Je suis ravie que l'on puisse débattre de nouveau de ces sujets dans notre hémicycle. Je regrette que la portée de la proposition de loi de Paul Molac ait été amoindrie par l'Assemblée nationale, notamment sur le volet de l'enseignement. Le Sénat a toute liberté pour légiférer. Comme nous souhaitons que ce texte soit voté conforme, nous suivrons la proposition de la rapporteure.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je félicite Monique de Marco pour son travail. Je m'associe aux propos de mes collègues, qui se sont exprimés avec passion et finesse. Il manque peut-être à ce texte l'évocation de ce que l'on appelle les géolectes, qui sont des variations géographiques du langage. L'une d'entre elles m'est particulièrement chère : il s'agit de l'argot parisien, si cher à mes idoles que sont Albert Simonin, Michel Audiard, André Pousse. Les géolectes font vraiment partie de notre patrimoine. À l'heure où l'on parle talbin dans la cambuse, laisse quimper ton sabir, Maxou ! Mordez un peu le papelard, c'est de la roupie de sansonnet !

Mme Monique de Marco , rapporteure . - Nous venons d'entendre un véritable plaidoyer en faveur des langues régionales. Même si cette proposition de loi ne donne pas entière satisfaction, car elle a été largement amputée par l'Assemblée nationale, je préfère m'y tenir dans un premier temps, par prudence. Et, libres à vous de déposer des amendements. Quoi qu'il en soit, il était important, pour moi, de poser une première pierre sur ce sujet qui est en suspens depuis très longtemps, et qui a toujours fait l'objet de débats, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Je remercie Max Brisson pour ce plaidoyer pour les langues régionales. Au Pays basque, j'ai constaté que la presse était très mobilisée pour la défense de la langue locale. Cela crée un véritable dynamisme. Il est vrai que le Pays basque est un peu à part, comme nous le voyons au travers des expériences d'immersion à l'école. Ils ont réussi à faire vivre la langue basque. Il en est d'ailleurs de même pour les Corses.

Concernant les médias, depuis 1999, la situation évolue, même si cela reste encore insuffisant. Par exemple, le nombre d'heures de diffusion en langues régionales est en augmentation, mais cette évolution pourrait être plus importante encore. Il est clair que les radios associatives et locales ont un grand rôle à jouer pour faire perdurer cette culture locale.

Je ne comprends pas la réticence de Pierre Ouzoulias sur les signes diacritiques. Je constate plutôt un besoin de faire en sorte que ces signes soient actés et écrits. On ne peut pas les accepter parfois, et les rejeter à d'autres occasions, car cela peut parfois aboutir à des refus d'acceptation de documents officiels. Il faut donc être très prudent sur ce point ; c'est pourquoi il est important de maintenir cette mesure.

Le terme de « trésor national » concerne les biens présentant un intérêt majeur. Nous avons posé la question au ministère de la culture, pour savoir si cette rédaction était acceptable. Ils ont considéré qu'elle l'était.

M. Decool, très présent au cours des auditions que nous avons réalisées, nous a vraiment sensibilisés sur cette problématique du flamand occidental, qui n'est absolument pas reconnue par l'éducation nationale, considérant qu'il s'agit d'un dérivé du néerlandais. Je comprends son combat. Pourtant, le breton, ou encore le gallo, sont inscrits dans la circulaire. Je ne comprends toujours pas ce refus à ce jour.

Il est vrai que je n'avais pas pensé à l'argot, qui, pour moi, n'est pas une langue régionale. À mes yeux, il s'agit plutôt d'un dérivé d'une langue de France. C'est pourquoi nous ne l'avons pas du tout évoqué.

M. Laurent Lafon , président . - Je remercie la rapporteure de son avis éclairé. Nous allons avoir un débat de belle qualité dans l'hémicycle ; chacun d'entre vous a apporté une dimension personnelle, dont nous avons apprécié la sincérité. En tant que sénateur francilien, j'ai considéré ce texte, au départ, comme une curiosité législative, mais cette prétention francilienne était déplacée. Au contraire, on voit bien à l'issue de vos interventions à quel point il touche à des questions d'identité culturelle, qui doivent être abordées avec beaucoup de sérénité. Il est de notre responsabilité de législateur de protéger ces identités en vue de pouvoir les transmettre.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

L'article 1 er est adopté sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 2 bis

L'article 2 bis est adopté sans modification.

Article 8

L'article 8 est adopté sans modification.

Article 9

L'article 9 est adopté sans modification.

Article 11

L'article 11 est adopté sans modification.

Article 12

L'article 12 est adopté sans modification.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée sans modification.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 48, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 14 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 15 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 16 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 17 ( * ) .

En application des articles 28 ter et 48 du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2020, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 321 (2019-2020) relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives :

- à la protection des langues régionales ainsi que leur valorisation et leur promotion.

En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé , des amendements relatifs :

- aux langues étrangères ;

- portant sur des langues de France, autres que les langues régionales ;

- concernant la promotion et la valorisation de la francophonie.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 18 novembre 2020

- Fédération pour les langues régionales dans l'enseignement public (FLAREP) : M. Thierry DELOBEL , président de la FLAREP et de IKAS-BI, Pays Basque, M. Ala BAYLAC-FERRER , président APLEC - Catalogne, Mme Marie-Jeanne VERNY , secrétaire FELCO - Occitan.

- Réseau associatif Diwan : Mme Isabelle STOLL , présidente.

- Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) : MM. Jean-François BALDI , délégué général adjoint, Vincent LORENZINI , chef de la mission Langues de France et Outre-mer, et Thomas MOUZARD , chargé de mission Ethnologie et patrimoine culturel immatériel (PCI).

Jeudi 19 novembre 2020

- Ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports : MM. Laurent BERGEZ , chef du bureau des contenus pédagogiques et des langues, Didier LACROIX , chef de service de l'accompagnement des politiques éducatives, Jean HUBAC , chargé d'études langues régionales, et Mme Maud BOURDIN , chargée d'études langues régionales.

Mardi 24 novembre 2020

- Institut de la langue régionale flamande : M. Jean-Paul COUCHÉ , président.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-321.html

ANNEXE

Liste des langues régionales ou autochtones de France

En métropole (20 langues)

Alsacien ; basque ; breton ; catalan ; corse ; flamand occidental ; francique ; francoprovençal ; langues d'oïl : bourguignon-morvandiau, champenois, franc-comtois, gallo, lorrain, normand, picard, poitevin-saintongeais, wallon ; occitan (sous ses différentes formes : auvergnat, béarnais, gascon, languedocien, limousin, niçard, provençal, vivaro-alpin) ; parlers du Croissant ; parlers liguriens

Dans les Outre-mer (55 langues)

Antilles (3 langues) : créole de Saint-Martin (à base lexicale anglaise) ; créole guadeloupéen (à base lexicale française) ; créole martiniquais (à base lexicale française)

Guyane (12) : apalaï (langue amérindienne) ; arawak (langue amérindienne) ; créole guyanais (à base lexicale française) ; hmong (langue originaire du Laos) ; kali'na (langue amérindienne) ; nenge (créole à base lexicale anglaise, sous ses différentes formes : aluku, ndyuka, pamaka) ; palikur (langue amérindienne) ; saamaka (créole à base lexicale anglo-portugaise) ; sranan tongo (créole à base lexicale anglaise) ; teko (langue amérindienne) ; wayampi (langue amérindienne) ; wayana (langue amérindienne)

La Réunion (1) : créole réunionnais (à base lexicale française)

Mayotte (2) : mahorais (langue bantoue), malgache de Mayotte

Nouvelle-Calédonie (29) : Grande Terre : ajië ; arhâ ; arhö ; caac ; cèmuhî ; langue de Voh-Koohnê (sous ses différentes formes : bwatoo, haeke, haveke, hmwaeke, hmwaveke, vamale, waamwang) ; drubéa ; fwâi ; hamea-tîrî ; jawe ; neku ; nêlêmwa-phwaxumwââk ; nemi ; numèè-kwényï ; nyelâyu ; `ôrôê ; paicî ; pije ; pwaamei ; pwapwâ ; sîshëë ; tayo (créole à base lexicale française) ; xârâcùù ; xârâgùrè ; yuanga-zuanga

Îles Loyauté : drehu ; fagauvea (langue de typologie polynésienne) ; iaai ; nengone

Polynésie française (6)

- Archipel de la Société : tahitien

- Archipel des Marquises : marquisien

- Archipel des Tuamotu : langue des Tuamotu

- Archipel des Gambiers : mangarévien

- Archipel des Australes : langue des Îles Australes (sous ses différentes formes : langue de Ra'ivavae, langue de Rimatara, langue de Rurutu, langue de Tupua'i) ; langue de Rapa

Wallis et Futuna (2) : wallisien ; futunien


* 1 Six langues sont concernées : l'arabe dialectal maghrébin, l'arménien occidental, le berbère, le judéo-espagnol, le rromani, le yiddish.

* 2 Rapport rédigé à la demande du ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et du ministère de la culture, à l'occasion des débats sur la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

* 3 Cf. annexe.

* 4 Selon la 6 ème enquête sociolinguistique menée en 2016, le nombre de locuteurs basques en France s'est stabilisé entre 2011 (date de la précédente enquête) et 2016, alors qu'il était en diminution constante depuis la première enquête menée en 1996.

* 5 Le quatrième alinéa du préambule de cette charte visait à reconnaître à chaque personne « un droit imprescriptible » de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique.

* 6 Notamment décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse (corse), décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française (tahitien) ; décision n° 2001- 456 DC du 27 décembre 2001 pourtant sur la loi de finances pour 2002 (breton).

* 7 À titre d'exemple 19 expérimentations immersives en langue basque ont lieu actuellement dans des écoles publiques.

* 8 En ce qui concerne la presse, le fonds d'aide à la presse périodique régionale et locale a été élargi en 2004 aux périodiques en langues régionales en usage en France.

* 9 Rapport sur l'exécution du cahier des missions et des charges de Radio France, année 2018.

* 10 16 langues régionales ou locales font l'objet d'une utilisation sur le réseau France Bleu : l'alsacien, le basque, le béarnais, le breton, le catalan, le chti'mi, le corse, le gascon, la langue d'oc, le marseillais, le nissart, le normand, l'occitan, le provençal, le picard et le platt.

* 11 Compte rendu du 15 janvier 2020.

* 12 Compte rendu de la première séance du 1 er février 2011.

* 13 La DGLFLF a indiqué à votre rapporteur l'existence d'autres signes diacritiques. Par exemple, il existe en tahitien le â, ç, î, ô, û ; en catalan, créole et occitan le signe ò ; en alsacien et en corse, le signe ì.

* 14 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 15 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 16 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 17 Décision n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011 - Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, confirmée par les décisions n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016 - Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, et n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017 - Loi organique pour la confiance dans la vie politique.

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