EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 janvier 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur, sur le projet de loi n°3734 (A.N. XVe lég.) , autorisant l'approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom.

M. Jean-François Husson , rapporteur . - Nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de la décision relative au système des ressources propres (DRP) de l'Union européenne, rendue par le Conseil le 14 décembre 2020, qui établit les règles relatives au volet « recettes » du budget pluriannuel de l'Union européenne.

La DRP est négociée et adoptée de manière parallèle au cadre financier pluriannuel (CFP), lequel détermine le volet « dépenses » du budget européen. Ces deux instruments juridiques distincts sont adoptés selon des procédures législatives différentes. Alors que le Parlement européen doit approuver le règlement financier du CFP, il n'est que consulté sur la DRP.

En revanche, la DRP doit être ensuite ratifiée par l'ensemble des Parlements nationaux, selon leurs règles constitutionnelles. En France, l'article 53 de la Constitution prévoit que cette décision ne peut être approuvée qu'en vertu d'un projet de loi. C'est la raison pour laquelle nous sommes aujourd'hui saisis de ce texte portant un article unique.

Le budget de l'Union européenne est actuellement financé par quatre catégories de ressources : les ressources propres traditionnelles, c'est-à-dire les droits de douane ; la ressource TVA, qui correspond à l'application d'un taux d'appel de 0,3 % à une assiette harmonisée entre tous les États membres ; la ressource sur le revenu national brut (RNB), soit une contribution fondée sur la part de chaque État membre dans le RNB de l'Union européenne - il s'agit de la ressource d'équilibre du budget européen, qui est augmentée quand les autres ne suffisent pas à financer la totalité des besoins en crédits - ; et enfin diverses recettes, telles que le produit des amendes.

S'agissant de l'établissement du cadre budgétaire de l'Union européenne, tel que proposé à compter de 2021, je ne reviendrai pas sur l'historique complet des négociations qui ont été initiées en 2018 par la Commission européenne, car notre commission a déjà eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'en retracer le fil, notamment en examinant les rapports de nos collègues Patrice Joly et Jean-Marie Mizzon. Ces négociations se sont inscrites dans le contexte singulier du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. La suppression de la participation de ce contributeur net au budget européen a nourri de nombreux débats sur la question de la valeur ajoutée européenne, et le juste dimensionnement du budget européen. À cette question, opposant les États contributeurs nets aux États bénéficiaires nets, s'est ajoutée la réflexion de longue date sur la réforme globale du système des ressources propres de l'Union, appelant à leur diversification.

Alors qu'elle semblait au point mort, la négociation sur le CFP a finalement été bouleversée par les conséquences économiques de la crise sanitaire. En effet, cette dernière a frappé une économie européenne encore convalescente à la suite de la crise financière et de la crise des dettes souveraines, qui ont provoqué une divergence sans précédent des trajectoires des différents États membres. À titre d'exemple, alors que la richesse par habitant de l'Allemagne a augmenté de 12 % sur la période 2007 - 2019, celle de la Grèce était encore inférieure de 20 % au niveau atteint avant le déclenchement de la crise financière. Dans ce contexte, la crise sanitaire, loin de constituer un choc symétrique, a malheureusement touché plus durement les pays déjà fragilisés, au risque de provoquer une nouvelle divergence. Ainsi, les pays les plus touchés économiquement par l'épidémie, comme l'Espagne ou l'Italie, sont aussi ceux qui ont abordé la crise avec le moins de marges de manoeuvre budgétaires.

Face au risque de fragmentation de l'Union, la réponse européenne a d'abord revêtu des formes traditionnelles : mobilisation des budgets nationaux, renforcement des instruments européens de prêts et mise en place par la BCE d'un programme d'achats d'actifs d'urgence. Si cela a ramené le calme sur les marchés financiers, cette première réponse paraît insuffisante : sur le plan juridique, la contestation de la politique de la BCE par la Cour constitutionnelle allemande a rappelé le danger de se reposer exclusivement sur la politique monétaire ; sur le plan budgétaire, la crainte d'une future remontée des taux souverains a conduit les pays européens aux finances publiques les plus fragiles à limiter fortement l'ampleur de leurs mesures de soutien direct aux entreprises, par contraste avec les pays plus solides, comme l'Allemagne.

C'est dans ce contexte qu'Emmanuel Macron et Angela Merkel ont présenté en mai dernier une proposition commune visant à créer un fonds de relance européen, sur la base de laquelle les États membres sont parvenus à trouver un compromis en juillet dernier.

S'agissant du CFP dit « socle », il a été fixé à 1 074 milliards d'euros par les États membres, puis relevé de 15 milliards d'euros dans la négociation avec le Parlement européen. En outre, l'accord de juillet acte la mise en place d'un instrument de relance - le Next Generation EU -, doté de 750 milliards d'euros, dont 390 milliards d'euros pour des subventions.

Au coeur de cet instrument de relance figure la « facilité pour la reprise et la résilience », qui correspond à une capacité de prêts aux États membres de 360 milliards d'euros, et à un volume de subventions de 312,5 milliards d'euros. Pour en bénéficier, les États membres devront élaborer des plans nationaux pour la reprise et la résilience, établissant leur programme de réforme et d'investissement pour les années 2021-2023, qui seront évalués par la Commission européenne et approuvés par le Conseil à la majorité qualifiée. Les crédits versés au titre de cette facilité permettront donc de financer notre plan de relance. Dans cette perspective, la principale innovation du paquet budgétaire européen tient à l'autorisation exceptionnelle d'emprunt portée par la décision sur les ressources propres.

En effet, l'article 5 de la décision habilite la Commission à emprunter des fonds sur les marchés de capitaux à hauteur de 750 milliards d'euros d'ici à 2026, dont 360 milliards d'euros pour fournir des prêts et 390 milliards d'euros pour des dépenses. Cet emprunt doit être réalisé à la seule fin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire. Le remboursement du capital ne devrait débuter qu'en 2028 et s'achever en 2058 au plus tard.

La DRP encadre strictement à la fois le montant, la finalité et la temporalité de l'emprunt. L'instrument de relance européen conserve un caractère temporaire, empêchant tout risque de glisser vers un mécanisme fédéral. La nécessité de modifier la DRP constitue un verrou politique puissant contre une évolution à bas bruit vers un mécanisme permanent. En effet, cette révision supposerait d'obtenir l'unanimité au Conseil et l'approbation de chacun des États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Un retour devant les Parlements nationaux serait donc indispensable.

En complément, cette autorisation exceptionnelle d'emprunt est assortie d'un relèvement temporaire de 0,6 % du RNB des plafonds de crédits d'engagement et de paiement pour garantir que l'Union puisse faire face à ses obligations en toutes circonstances. Cette hausse des plafonds s'ajoute à celle, permanente, de 0,2 % du RNB afin de tenir compte de la contraction de celui-ci en raison de la crise économique et du départ du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Si les crédits autorisés, inscrits au budget, ne sont pas suffisants pour remplir ses obligations résultant de l'emprunt ou si un pays n'honore pas ses engagements, l'article 9 autorise la Commission, en dernier ressort, à faire contribuer les États membres jusqu'à un montant maximum correspondant à leur part du plafond des ressources propres temporairement relevé, soit 0,6 % du RNB. Pour la France, cela représente une contribution maximale de l'ordre de 15 milliards d'euros.

D'après la direction du budget, le remboursement du capital à la charge de la France, à compter de 2028, devrait s'élever à 2,5 milliards d'euros, en l'absence de nouvelles ressources propres, pesant sur le déficit public à hauteur de 0,1 % du PIB.

Outre l'instrument de relance européen, l'article 2 de la décision introduit deux évolutions dans le système des ressources propres. D'une part, il prévoit une simplification du mode de calcul de la ressource TVA, afin de répondre aux critiques de longue date du caractère complexe de cette ressource et de la charge administrative afférente ; d'autre part, il introduit une nouvelle contribution fondée sur le recyclage des déchets plastique. Cette contribution, qui constitue en réalité une modulation de la contribution nationale selon le taux de recyclage, est accompagnée d'un nouveau mécanisme compensatoire, de type « rabais », au bénéfice des États membres dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne de l'Union européenne.

Au-delà de la question de l'introduction d'un nouveau rabais contribuant à nuire à la lisibilité du système des ressources propres, il est permis de s'interroger sur la crédibilité de cette nouvelle ressource, dans la mesure où une majorité d'États membres bénéficient de réductions forfaitaires.

La ressource propre fondée sur les droits de douane reste inchangée, à l'exception du taux de retenue pour les États membres, au titre des frais de collecte, qui est augmenté de 20 à 25 %. Alors même que la Commission européenne, soutenue par la France, avait proposé une réduction de ce taux afin de mieux refléter le coût réel de la collecte, la négociation a cependant retenu une hausse de celui-ci, s'apparentant ainsi au renforcement d'un rabais pour les États membres qui sont de grands importateurs.

Alors que l'on désespère souvent de la lenteur du processus de décision européen et de la difficulté à avancer à vingt-sept, ne boudons pas cette fois notre plaisir : il s'agit d'une avancée majeure dans le fonctionnement de l'Union européenne, qui concrétise une ambition ancienne de la France que l'on pourrait faire remonter aux premiers projets d'eurobonds, un temps soutenus lors de la précédente crise financière.

J'y vois deux ruptures majeures. Pour la première fois, l'Union européenne devrait s'endetter pour financer solidairement des dépenses, et non de simples prêts, à une échelle suffisamment importante pour entrer dans une logique de stabilisation macroéconomique.

Contrairement à ce qui avait été observé lors des précédentes crises, la réponse économique commune de l'Union européenne face au choc sanitaire serait ainsi d'un ordre de grandeur comparable à celle observée aux États-Unis : personne ne l'aurait imaginé il y a encore quelques mois.

S'agissant de la France, les financements européens au titre de la facilité devraient atteindre 39,4 milliards d'euros courants - 1,6 % du PIB de 2019 -, permettant le financement d'une part significative de notre plan de relance, soit 46 %.

Le taux de préfinancement de 13 % finalement retenu permettrait un premier versement de l'ordre de 5,2 milliards d'euros d'ici à la fin du premier semestre. Une première tranche pourrait ensuite être débloquée d'ici la fin de l'année, sur la base des dépenses éligibles engagées depuis le 1er février 2020, ce qui permettrait d'atteindre la cible de 17,3 milliards d'euros fixée par la loi de finances. Reste maintenant à savoir si, dans le contexte de rebond épidémique, le plan de relance français pourra réellement être mis en oeuvre...

La deuxième rupture tient à la logique de solidarité qui gouverne la répartition des subventions de la facilité pour la reprise et la résilience. Ces dernières sont allouées selon une clef de répartition mixte : une part fixe de 70 % tient compte du taux de chômage, du PIB par habitant et de la population d'avant-crise ; une part variable de 30 % dépendra de la perte de PIB observée en 2020 et en 2021.

Mais les remboursements ne sont pas proportionnés aux montants perçus par chaque État membre : en l'absence de nouvelles ressources propres, ils dépendent de leur quote-part dans le RNB de l'Union européenne. Dès lors, l'instrument de relance devrait se traduire par des transferts interétatiques d'une ampleur inédite au profit des pays dont la richesse par habitant est éloignée de la moyenne européenne ou qui ont été fragilisés par les crises successives, soit principalement les pays de l'Est et du Sud. Pour la Grèce, cela représenterait une aide atteignant 7,4 % du PIB - soit trois fois l'aide moyenne perçue par les États européens dans le cadre du plan Marshall !

Cette ambition politique, notamment portée par la France, s'accompagne toutefois d'une première concession : si notre pays figure parmi les États membres où la chute du PIB devrait être la plus forte en 2020, il sera contributeur net en l'absence de nouvelles ressources propres. Au titre de la facilité pour la reprise et la résilience, qui rassemble 80 % du total des subventions, la France devrait ainsi rembourser, entre 2028 et 2058, environ 20 milliards d'euros de plus que les financements reçus entre 2021 et 2026, soit 0,8 % du PIB étalé sur 30 ans. Cette contribution nette reste néanmoins plus de deux fois inférieure à celle consentie par l'Allemagne. Surtout, cette contribution devrait être contrebalancée par les effets macroéconomiques liés à la relance européenne coordonnée. En première approximation, avec un taux de prélèvements obligatoires de l'ordre de 45 %, un surcroît d'activité cumulé de l'ordre de 2 % du PIB serait suffisant pour compenser la contribution nette attendue de la France, ce qui correspond à l'estimation la plus pessimiste aujourd'hui disponible. Cela souligne une nouvelle fois les limites de l'approche comptable du « juste retour ».

La deuxième concession de la France réside dans cette occasion manquée de mettre fin aux rabais, que nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années. Certes, certains ont disparu : c'est le cas du rabais sur le rabais, c'est-à-dire la réduction accordée dans le financement du chèque britannique, et du rabais TVA que constituait le taux réduit d'appel. Toutefois, le niveau de rabais dont bénéficiaient les États membres en 2020 a servi de base pour la négociation, puis ce montant a été relevé. Ce renforcement des réductions forfaitaires accordées à l'Allemagne, au Danemark, à l'Autriche, aux Pays-Bas et à la Suède, participe d'un alignement par le haut des compensations pour ces contributeurs nets. Cependant, l'accord obtenu sur le rabais a constitué une concession importante pour parvenir à un accord sur le plan de relance, car ces États membres sont en effet parmi les principaux contributeurs nets à l'instrument de relance.

En outre, si la part de la France dans le financement de l'ensemble des rabais augmente en raison du Brexit, son montant diminue bien, passant ainsi de près de 2 milliards d'euros par an en moyenne à 1,6 milliard d'euros à partir de 2021.

Une fois ces concessions évoquées, il faut maintenant appeler à la plus grande vigilance : rien n'est acquis et le succès du plan de relance européen reste à construire. En effet, son ambition n'est pas seulement de soutenir la demande en sortie de crise dans une logique keynésienne, mais aussi de stimuler la croissance potentielle européenne par l'investissement et les réformes, en particulier dans les pays fragilisés qui, pour la première fois, bénéficieront de subventions de grande ampleur pour accélérer leur rattrapage économique.

De ce point de vue, la bonne utilisation des fonds européens dans le cadre des plans nationaux pour la reprise et la résilience sera cruciale.

Or la gouvernance retenue est le résultat d'un compromis fragile entre les pays dits « frugaux » d'Europe centrale et du Nord, qui souhaitaient lier le déblocage des fonds à une conditionnalité stricte sur le plan de la nature des investissements et des réformes structurelles, et les pays du Sud de l'Europe, qui plaidaient pour un contrôle aussi peu invasif que possible, compte tenu des mauvais souvenirs laissés par la Troïka dans le cadre de la crise européenne des dettes souveraines.

Tout se jouera donc dans la mise en oeuvre de ce compromis, et il faudra que la Commission prenne ses responsabilités pour bloquer les financements si certains États membres dérapent, comme l'y autorisent les textes européens.

Enfin, seule l'introduction de nouvelles ressources propres permettra de soulager les budgets nationaux qui, à défaut, se retrouveront en première ligne pour rembourser le plan de relance.

Au terme d'une négociation difficile, le Conseil et le Parlement se sont accordés sur une feuille de route, présentant un calendrier de discussion de plusieurs pistes pouvant constituer de nouvelles ressources propres. Parmi elles, on trouve un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, une redevance numérique, une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission, une taxe sur les transactions financières et une contribution financière liée au secteur des entreprises, ou une nouvelle assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis).

Mais ne soyons pas naïfs : les désaccords persistants entre les États membres sur ce sujet ne rendront pas les discussions aisées. À ce titre, le calendrier défini par la feuille de route constitue plus une obligation de moyens que de résultats. Toutefois, la perspective d'assumer uniquement par les contributions nationales le remboursement du plan de relance pourrait constituer une incitation inédite au déblocage des discussions.

Le rendement de ces ressources reste difficile à évaluer aujourd'hui, en l'absence d'informations sur le calibrage qui sera retenu par la Commission européenne.

Néanmoins, les auditions que j'ai menées m'ont conforté dans l'idée que la ressource fondée sur le système d'échange des quotas d'émissions était la piste la plus pertinente à l'heure actuelle. En effet, le système d'échange existe déjà, ce qui devrait permettre une mise en oeuvre plus consensuelle. Cette ressource pourrait générer des recettes très élevées. Enfin, elle serait cohérente avec les politiques environnementales européennes et l'objectif de neutralité carbone à l'horizon de l'année 2050.

De façon complémentaire, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières se justifie également à plusieurs titres. En effet, cette ressource deviendra indispensable dès lors que le différentiel de prix s'accentuera entre l'Union européenne et les pays tiers. En outre, elle s'inscrit dans l'esprit du Pacte vert pour l'Europe et pourra constituer un levier d'action de la politique commerciale de l'Union européenne. Enfin, elle ne se substituera pas à des recettes aujourd'hui perçues par les budgets nationaux.

Parmi les pistes de nouvelles ressources envisagées, figure aussi la création d'une taxe européenne sur les services numériques. Vous le savez, une première proposition en la matière en mai 2018 s'est soldée par un échec, faute d'unanimité des États membres, ce qui nous a conduits à introduire une taxe à l'échelon national en 2019. Face à la difficulté de parvenir à un accord international au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission européenne a lancé une nouvelle consultation pour aboutir à une potentielle nouvelle proposition, sans doute au printemps.

Permettez-moi d'être prudent à ce sujet, pour au moins deux raisons. D'abord, comme le dit le proverbe, « chat échaudé craint l'eau froide » : deux ans plus tard, même si l'approche de certains pays a évolué, rien n'indique que cela suffise à recueillir l'unanimité de tous les États membres. Cette initiative pourrait surtout être un moyen pour la Commission européenne d'adresser une pression sur la nouvelle administration américaine, afin d'obtenir un accord à l'OCDE, échelon le plus adapté. Ensuite - et surtout ! -, quand bien même la taxation européenne des GAFA serait adoptée, elle conduirait à la suppression de notre taxe nationale, ce qui s'apparenterait davantage à un transfert de fiscalité qu'à une nouvelle ressource.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je vous propose d'adopter l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de la DRP adoptée par le Conseil le 14 décembre dernier. Cette adoption n'est toutefois pas un blanc-seing. Il nous faudra être particulièrement vigilants dans l'exécution du plan de relance européen, dont le suivi est assuré par la Commission européenne, ainsi que dans l'adoption des nouvelles ressources propres. Cela sera notamment permis par les travaux de contrôle de notre collègue Jean-Marie Mizzon.

M. Philippe Dallier . - Je dois bien admettre que j'ai du mal à me réjouir de la situation autant que le souhaiterait notre rapporteur général. Le schéma que vous présentez est intéressant, mais j'aurais aimé que la commission nous fournisse un même tableau, non pas en pourcentage de PIB, mais avec les montants en euros, pour que l'on comprenne bien ce dont bénéficieront les uns, et ce que payeront les autres. La France recevra 40 milliards d'euros de subventions environ, et remboursera pour 60 milliards d'euros : jamais aucun emprunt ne nous aura coûté aussi cher !

L'accord a été arraché au prix de nouvelles concessions vis-à-vis des États dits « frugaux ». On aurait pu espérer, avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, qu'il en soit fini de la politique des rabais. Le rabais ne nous coûtera plus que 1,6 milliard d'euros - au lieu de 2 milliards -, alors qu'on aurait pu ne rien avoir à débourser ! On est donc plus proches des 70 milliards d'euros à rembourser : tout cela nous coûtera 30 milliards. Sachons-le !

M. Éric Bocquet . - Sur les 40 milliards d'euros prévus pour la France, 5 milliards seraient versés au premier semestre : est-ce bien cela ? Mais comment expliquer une telle lenteur dans un contexte d'urgence ? Concernant la taxe sur les transactions financières, il faut recueillir l'unanimité, or seuls onze États sont d'accord pour le moment. Une telle taxe, même avec un taux faible de 0,1 %, pourrait pourtant rapporter entre 50 et 60 milliards d'euros à l'échelle européenne ! Il y a encore des résistances très fortes, où en sont donc les discussions ?

M. Vincent Segouin . - J'ai le sentiment que l'on exporte notre modèle français de la dette immaîtrisable à l'échelon européen. Il me semble en outre que l'on nous cache beaucoup de choses : un remboursement est prévu en 2028, mais pourquoi si tard, alors que nous sommes dans le feu de la relance ? Il faut que nous remboursions les effets de l'épidémie, non pas dans dix ans, mais tout de suite, car j'ai bien peur que certains États ne s'en rappellent plus et que des organisations politiques nationalistes, au moment du remboursement, critiquent l'Union européenne, justement pour la raison que les emprunts souscrits pour faire face à la crise sanitaire auront été oubliés !

Avons-nous besoin réellement de l'Union européenne pour financer notre plan de relance ?

Je suis convaincu qu'il aurait fallu négocier les nouvelles ressources propres, en même temps que l'on souscrit ces emprunts : c'est le moment ou jamais d'entrer en négociation, par exemple sur la taxe carbone ou la taxe numérique. Pourquoi une clause de revoyure, alors que l'on sait pertinemment qu'elle n'aura aucun effet, parce que nous ne serons plus dans le même contexte et que les emprunts auront été faits ?

M. Roger Karoutchi . - J'ai été député européen, et je n'ai jamais cru au risque fédéral, auquel nous exposerait prétendument ce projet. Il y a beaucoup plus de réflexes nationalistes que fédéralistes en Europe. En revanche, je partage les observations de Philippe Dallier et de Vincent Segouin : tout cela va nous coûter cher ! Vous nous direz que les subventions que nous recevons redresseront le système et nous permettront de disposer de ressources dans les années à venir... Mais ce remboursement se fera à un coût considérable, non pas en raison du taux d'intérêt, mais de la solidarité avec les autres États membres.

Je ne veux pas dire que la France est l'homme malade de l'Europe, mais nous ne sommes pas dans une situation formidable vis-à-vis de la dette ou du déficit. Voir la France être aussi solidaire a quelque chose de sympathique et de généreux, mais c'est risqué. En comparaison, l'Estonie se porte plutôt bien : dans la configuration actuelle, elle sera bénéficiaire, tandis que la France sera contributeur net.

Autre point sur lequel je rejoins Vincent Segouin : dire que les remboursements ne se feront pas avant une dizaine d'années, c'est prendre un énorme risque politique par rapport aux opinions publiques. Dans dix ans, quand le choc de l'épidémie aura disparu et que les gens auront oublié la covid-19, je vous laisse imaginer les réactions ultranationalistes. Il me paraît donc extrêmement dangereux d'avoir prévu un système de remboursement qui commence tard et qui dure longtemps. Certains ont évoqué le risque d'une Europe fédérale, je crains pour ma part davantage le risque d'une Europe déstructurée.

M. Patrice Joly . - Je n'ai pas peur d'une plus grande intégration européenne, compte tenu du contexte géopolitique et des risques qui pèsent sur le monde. Je ne nie pas non plus les risques nationalistes liés au fait que l'Europe n'ait pas été suffisamment solidaire au cours des dernières décennies et qu'elle se soit engouffrée dans un libéralisme débridé. Il est important de changer l'Europe, c'est une occasion qui nous est peut-être offerte avec ce paquet budgétaire. C'est la première fois qu'un emprunt est réalisé à l'échelle de l'Union européenne pour 750 milliards d'euros. S'agit-il d'un signe politique suffisant ? Bien évidemment, non. Les évaluations pour un tel emprunt datent de quelques mois et je crains que les sommes empruntées ne soient pas à la hauteur, d'autant que nous sommes loin du rebond économique envisagé à l'époque. Ces 750 milliards d'euros sont à rapprocher des 1 900 milliards de dollars du plan de relance des États-Unis annoncé par Joe Biden.

Avec 390 milliards en contributions et 360 milliards en prêts, on est très loin de ce qui avait été évoqué à l'époque : 500 milliards en subventions et 250 milliards au titre des prêts. Pour la France, cela donne 40 milliards auxquels s'ajoutent d'autres financements - je pense au dispositif REACT-EU.

On a évoqué la question du remboursement de ce prêt. Sans ressources propres, la facture risque d'être lourde. Le compromis fiscal sur ce point est fragile à plusieurs titres, notamment politique, en raison du risque de voir des gouvernements souverainistes gagner les élections. Chaque État membre ayant un droit de veto, il sera impossible d'avancer sans unanimité. Un autre point de fragilité est le calendrier de mise en oeuvre. Les taxes qui ont véritablement un rendement ne pourront au mieux être mises en oeuvre qu'à compter du 1 er janvier 2026. Je pense, en particulier, à la taxe sur les transactions financières, évaluée à environ 50 milliards d'euros, et à la taxe sur les sociétés. La taxe sur les plastiques non recyclés devrait, quant à elle, s'appliquer dès cette année. Son rendement se situe entre 3 et 5 milliards d'euros, mais cette fiscalité a vocation à disparaître puisque son objet est de conduire à une modification des comportements.

Derrière tout cela, il y a un enjeu de justice fiscale. Sans ressources propres, la charge de la dette pèsera toujours plus sur les ménages, car les entreprises pourront se soustraire à l'effort. Reste la question de l'appréciation des plans nationaux, qui seront soumis à l'Union européenne. Quelle sera la grille d'analyse ? Quelles seront les contreparties en matière d'adaptation et d'ajustement des régimes fiscaux ?

Parce qu'il y a un signe politique et parce qu'il y a urgence, le groupe socialiste, écologiste et républicain votera ce projet de loi.

M. Jean-François Rapin . - Ce texte de loi, qui tient en un article unique, ne manquera pas de déclencher des discussions très fortes. Elles nous ramèneront les uns et les autres à notre vision de l'Europe, sans stigmatisation aucune des anti-européens. Il n'y a pas non plus de doux angélisme de ceux qui auraient l'intention de soutenir ce texte, d'autant que le rapporteur général nous appelle à faire preuve d'une vigilance accrue. Je partage l'analyse de Roger Karoutchi : le fédéralisme n'est pas ici un problème. Les ressources propres ne sont pas une nouveauté. Les taxes douanières existaient déjà, même si elles se sont étiolées au fil du temps. Certes, on crée de nouvelles ressources propres, mais toujours avec les garanties apportées par les traités européens. Les États membres auront donc leur mot à dire.

La première ressource propre, qui existe déjà, est la taxe sur les plastiques. On aura ensuite deux autres vagues de ressources propres, détaillées par le rapporteur général. N'oublions pas qu'au sein de l'Union européenne, tout euro rapporté par une ressource propre est un euro de moins de contribution nationale. On a tout intérêt, si ce texte est approuvé, à ce que les ressources propres fonctionnent, d'autant qu'il s'agit de ressources que l'on va chercher ailleurs et qui ne pèseront pas sur les États membres - taxe carbone ou taxe sur les GAFA.

Oui, nous sommes sur le fil du rasoir. Oui, la situation est très grave. L'Europe prend deux coups violents : le Brexit et la crise sanitaire. Jusqu'à maintenant, je n'avais pas entendu de cris d'orfraie sur la qualité du plan de relance européen, notamment lorsque nous avons examiné les différentes propositions concernant le CFP. C'est un peu tard. Ce plan de relance est aussi celui du marché unique : si nous ne faisons pas jouer la solidarité aujourd'hui, il sera trop tard pour pleurer demain lorsque les plus fragiles des États membres vont s'écrouler. On cite souvent l'Allemagne comme un exemple budgétaire. Or Angela Merkel a très bien compris que si ses voisins s'écroulaient, l'Allemagne s'écroulerait aussi. Autre argument intéressant, celui de la crise politique que vit l'Italie. La presse internationale s'en fait l'écho, une des dernières cartes économiques de l'Italie est le plan de relance européen. Si elle échoue, elle connaîtra une situation similaire à celle de la Grèce. Ne perdons donc pas de vue cette dimension internationale.

Enfin, la façon dont les crédits du plan de relance irrigueront nos régions et nos territoires a son importance. Les Hauts-de-France devront gérer en direct 228 millions d'euros, plus 90 millions d'euros gérés par l'État. Ce n'est pas anodin dans les circonstances à venir. Certes, les décisions ne sont pas faciles à prendre, mais il faut à un moment mouiller sa chemise. Même si les débats seront difficiles, je soutiendrai ce texte.

M. Claude Raynal , président . - Nous ne pouvons qu'être sensibles à l'avis du président de la commission des affaires européennes.

Mme Sophie Taillé-Polian . - Je ne suis pas inquiète quant au remboursement, car l'échéance est lointaine. Mes inquiétudes sont plus proches. Quelles réformes structurelles nous seront-elles demandées pour 2023 ? L'Europe exige des réformes qui touchent au plus près du quotidien des Français : il faut donc assumer démocratiquement les engagements que l'on prend au nom de la France. Je suis inquiète quand j'entends des ministres mettre l'accent sur la nécessité d'un certain nombre de réformes, dont celle des retraites, qui ont produit des débats peu apaisés dans notre pays. Je crains que cela n'engage au-delà du mandat actuel.

Certes, la mutualisation de la dette est une bonne nouvelle : nous avons tous été rassurés que l'Union européenne tienne la promesse d'une solidarité entre États. Néanmoins, l'Europe reste dans une logique qui n'est pas forcément partagée par les peuples, avec les effets délétères que l'on connaît.

J'éprouve également quelques craintes sur les ressources propres. Certaines d'entre elles semblent peu crédibles. Le rapporteur général l'a souligné : l'engagement n'est pas d'y arriver, mais d'y travailler. Comment les Français accepteront-ils ce type d'engagement, très ferme pour ce qui est des réformes structurelles, mais moins ferme pour ce qui est des ressources propres ? Lors du traité de Maastricht, le volet social devait aussi être pris en compte : on attend toujours ! Moi qui suis profondément européenne, je perçois le fossé grandissant à cause des promesses non tenues.

Mme Christine Lavarde . - Philippe Dallier a suggéré que l'on actualise le coût complet pour la France du dispositif. Je propose que l'on établisse également un coût net en actualisant la croissance du PIB. Les montants complémentaires entreront-ils dans la définition de la dette maastrichtienne ? Dans quelle mesure ? Jusqu'à quand ?

M. Claude Raynal , président . - Vincent Segouin s'interroge : en sommes-nous vraiment là et avons-nous besoin de l'Europe pour 40 milliards ? De mon point de vue, non, puisque cette année l'endettement de la France est passé de 100 à 120 % du PIB...

En revanche, comme l'a souligné Philippe Dallier, s'agit-il de la même dette et du même emprunt ? La réponse est non. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette dette nous coûte beaucoup plus cher. L'idée est d'aider les autres pays européens pour leur permettre aussi d'importer français. Il n'y a rien de philanthropique dans cette affaire ! Autre question, mais il s'agit plutôt d'une boutade : la taxe GAFA est-elle un transfert de fiscalité ? J'appelle en tout cas de mes voeux une vraie taxe GAFA au niveau de l'Union européenne et je souhaite qu'elle fonctionne : les montants en jeu ne seraient alors plus les mêmes !

M. Charles Guené . - Les différentiels exigés des pays peuvent être lus comme l'hommage du vice à la vertu. On pourrait ajouter une ligne supplémentaire au tableau réclamé par Philippe Dallier et Christine Lavarde pour tenir compte de l'effet des réformes qui sont exigées de la France.

M. Jean-François Husson , rapporteur . - Il est bon que nous ayons des débats. Loin de nous l'idée de vouloir contourner certains sujets. Je savais qu'en disant que j'étais plutôt satisfait, certains se sentiraient piqués. Nous avons voté les plans de relance nationaux en connaissance de cause, sans avoir le détail des financements européens. Mais si l'Europe n'avait pas répondu présente, avec le risque d'effondrement et de repli sur soi que cela comporte, les commentaires auraient été tout autres !

Philippe Dallier obtiendra satisfaction car certains des éléments demandés figureront bien dans le rapport. J'ai essayé de trouver un équilibre tout en définissant de manière pédagogique la ligne qui est celle de notre pays depuis l'origine en tant que membre fondateur.

Sur la question des contributeurs nets, il en va de l'Europe comme des intercommunalités : chacun essaie toujours de tirer au mieux son épingle du jeu !

J'ai expliqué très clairement quel serait le niveau d'engagement de la France. Certains d'entre vous ont évoqué l'Allemagne. Il ne vous a pas échappé que cette dernière contribuera bien davantage que la France. Or si l'Allemagne fait ce choix depuis longtemps, ce n'est pas pour rien ! Il me paraît judicieux que la France la suive. Éric Bocquet a parlé d'une course de lenteur. Je ne crois pas que ça soit le cas : il faut simplement du temps pour que les différents Parlements, à l'échelle de chaque pays, ratifient l'accord. L'engagement des crédits sur trois ans me paraît également logique.

En ce qui concerne les futures ressources propres, je pourrais teinter mes propos de davantage d'optimisme si j'écoutais certaines des personnes que j'ai auditionnées. Un ministre m'a dit lundi que la taxe sur le numérique risquait d'aboutir avant la contribution carbone aux frontières. J'éprouve toujours quelques doutes, donc je maintiendrai ma priorité sur cette dernière taxe.

Est-ce que l'on exporte la dette ? L'Allemagne n'est pas complètement dupe. Il faut éviter de mélanger les sujets. Les Français sont pour le moment plus préoccupés par la crise sanitaire que par l'économie et l'emploi. Où en serons-nous de l'épidémie dans 45 jours ? Je l'ignore, mais le son de cloche sera différent en cas d'amélioration !

Cette dette est isolée et n'est pas financée par de nouveaux impôts sur les ménages. Au contraire, les Parlements essaient de trouver des ressources propres innovantes, et qui ne pèseront pas trop sur tel ou tel secteur. On voit bien qu'il va y avoir des enjeux au niveau international, notamment en termes de rétorsion. Il existe néanmoins une réelle ambition, de nature à redonner un nouveau souffle à l'Europe. Il faut essayer d'être lucide et rigoureux : les travaux que conduira Jean-Marie Mizzon me paraissent d'une importance majeure, d'autant qu'il vient d'un territoire frontalier.

En réponse à Sophie Taillé-Polian, les engagements français seront bien formalisés dans le cadre du plan national soumis au Parlement d'ici au mois d'avril. Il faut que les choses soient bien posées et qu'elles emportent notre adhésion. Il importe de corriger l'espèce de facilité qu'ont les États de « rouler la dette » !

Roger Karoutchi parle d'expérience : je ne pense pas qu'il y ait de risque fédéral, mais notre vigilance collective doit prévaloir dans les négociations. Les pays européens ont fait le pari de se faire confiance. Certes, il y a encore trop de rabais, mais les parlementaires ont obtenu 15 milliards de plus que prévu, avec un fléchage concret sur un certain nombre de dispositifs. Comme dans toutes négociations, il a fallu céder sur certains sujets.

Enfin, la dette sera bien européenne et non française. Nous en avons eu confirmation par Eurostat.

Le fait de ne rembourser qu'à partir de 2028 est un point qui me gêne aussi, mais il faut se mettre d'accord sur les ressources propres. Je forme le voeu que la situation se redresse suffisamment pour autoriser un remboursement anticipé. Les plus pessimistes prédisent tout de même un bilan positif pour la France, y compris dans le scénario le moins favorable de reprise de croissance. C'est un élément qu'il faut entendre, même s'il ne s'agit que de projections.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

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