EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 3 juin 2021 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par les rapporteurs, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-François Rapin , président. - Je vais revenir sur les propositions d'amendements qui sont faites par les rapporteurs, même si le fond du texte est largement préservé :

- à l'alinéa 5, il est proposé après « sur le revenu et sur la fortune », d'ajouter « et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales » ;

- à l'alinéa 9, après « juridique », il est proposé d'ajouter « réciproque » ;

- à l'alinéa 19, il est proposé, après « 25 % de leur temps de travail », de préciser « soit à peine plus d'un jour de télétravail par semaine », à la place de « soit un jour de télétravail par semaine »;

- à l'alinéa 20, il est proposé d'ajouter « notamment » après « à l'exception » ainsi qu'une réécriture de la fin de l'alinéa qui serait ainsi rédigé : « considérant que les conventions et les accords fiscaux conclus par la France avec les États avec lesquels elle partage une frontière, à l'exception notamment de la convention conclue avec le Luxembourg, prévoient qu'un salarié est imposé dans son pays de résidence à condition qu'il travaille dans l'État frontalier mais qu'il rentre au moins une fois par semaine dans son pays de résidence, et qu'il travaille ou réside dans la zone transfrontalière définie conventionnellement, en ne dépassant pas un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État »;

- à l'alinéa 22, il est proposé de procéder à une modification rédactionnelle puisqu'il s'agit de remplacer « s'est » par « a été » ;

- après l'alinéa 23, il est proposé d'ajouter un considérant ainsi rédigé : « considérant qu'à condition de mener, en parallèle, un contrôle plus strict sur les adresses de domiciliation des entreprises, notamment au Luxembourg, pour éviter tout phénomène de fraude, la France pourrait retirer d'un recours accru au télétravail des frontaliers des avantages économiques certains, notamment en évitant des investissements coûteux en termes d'infrastructures, en encourageant les frontaliers à ne pas quitter la France pour emménager dans l'État d'emploi, et en bénéficiant du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire » ;

- à l'alinéa 27, il s'agit de remplacer « plus d'un jour » par « jusqu'à deux jours » ;

- enfin, à l'alinéa 28, il est proposé de procéder à une modification rédactionnelle.

Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Je voudrais préciser que, concernant certains régimes d'imposition spécifiques aux frontaliers qui payent leurs impôts en France, la France verse une compensation aux pays d'emploi pour leur perte de recettes fiscales. Sur ce point, nous ne disposons pas d'éléments chiffrés mais nous allons essayer d'en avoir prochainement car cette compensation représente aussi un coût certain. Nous sommes conscients des réticences de Bercy comme de la commission des finances du Sénat, qui ne sont pas très favorables à l'adoption de cette proposition de résolution. Je pense qu'il serait utile de mener une étude complète sur le sujet, et notamment sur les départs des cadres à haut revenu dans les pays frontaliers et notamment au Luxembourg. J'ai pu en discuter longuement avec un membre du cabinet PWC, qui a rédigé une étude sur le sujet.

Les travailleurs frontaliers - dont le pouvoir d'achat est 20 à 30 % plus élevé que les personnes travaillant en France - pourraient davantage consommer en France si le télétravail était plus largement autorisé, d'ailleurs ils dépensent déjà une partie de leurs revenus dans la région de Thionville-Metz plutôt qu'au Luxembourg.

Un recours accru au télétravail de la part des frontaliers permettrait également de décongestionner les flux routiers et de faire, par la même occasion, des économies en termes d'infrastructures routières et immobilières. Aujourd'hui, un projet d'aménagement autoroutier est actuellement en cours dans la région de Thionville dont le coût s'élèverait à 1,4 milliard d'euros.

M. Cyril Pellevat , auteur de la proposition de résolution européenne. - Merci Monsieur le Président. Je voudrais remercier Pascale Gruny et Laurence Harribey pour leur travail. La crise sanitaire a effectivement conduit de nombreux frontaliers à recourir au télétravail, c'est le cas encore aujourd'hui. Les travailleurs frontaliers souhaiteraient continuer de bénéficier de ce mode d'organisation de travail de façon pérenne. L'autorisation de recourir au télétravail, dans les conditions prévues par la proposition de résolution, constitue, par ailleurs, une question d'équité par rapport aux travailleurs français. Cette proposition de résolution concernerait 500 000 personnes essentiellement sur des emplois de bureaux ; elle est donc réellement attendue.

Concernant les sujets fiscaux, je me demande si porter le seuil de 25 % à 40 % aurait un sérieux impact financier pour la France. Concernant la Suisse, le régime fiscal est un peu différent selon les cantons : pour les travailleurs frontaliers des cantons hors celui de Genève, il y a une compensation financière de la France équivalant à 4,5 % de la masse salariale. Cette somme est souvent reversée avec beaucoup de retard. L'inverse est, en revanche, observable dans le canton de Genève où il existe un prélèvement à la source et où la Suisse reverse 3,5 % du montant de la masse salariale correspondante à la France.

J'espère que la commission des affaires sociales du Sénat accueillera favorablement cette proposition de résolution, qui est attendue. Elle répond aux enjeux soulevés par la crise sanitaire et à des problématiques de déplacements, d'environnement, d'infrastructures, ou de qualité de vie des personnels.

Je suis désolé du peu de temps laissé aux rapporteures pour étudier cette proposition de résolution, qui mériterait effectivement d'être affinée. Mais j'ai souhaité la déposer rapidement, l'échéance du 30 juin de fin des accords temporaires se rapprochant.

M. Jean-François Rapin , président. - Merci. Je précise que les délais d'examen d'une proposition de résolution européenne relèvent du Règlement du Sénat et ne sont pas le fait des auteurs du texte.

Mme Laurence Harribey , rapporteure. - Sur le sujet de l'équité soulevé par cette proposition de résolution, il y a effectivement une question d'égalité de traitement entre les travailleurs frontaliers et ceux employés en France, mais également par rapport aux personnes travaillant et résidant dans les pays frontaliers. En comparaison des travailleurs du Luxembourg, pour lesquels le télétravail pourrait être systématisé, les travailleurs français ne pourraient faire que 25 % de télétravail. Cette distinction poserait de vraies difficultés en termes d'égalité de traitement au sein d'une même entreprise, et pourrait être jugée discriminatoire au vu de la règlementation européenne.

M. André Gattolin . - Je remercie les deux rapporteures pour leur travail et je partage très largement l'analyse exposée par Laurence Harribey dans sa présentation. Le sujet est complexe et n'est pas délaissé par les autorités françaises puisqu'il a été mis sur la table pendant la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne. Nous n'avions alors pas eu de soutien sur ce sujet. Toutefois, cette proposition de résolution pose deux difficultés selon moi : d'abord, le choix de la PPRE puisqu'une partie de son contenu relève du domaine fiscal et entre donc dans le champ des conventions bilatérales. Pour avoir passé un peu de temps à la commission des finances, qui est compétente en la matière, j'aurais préféré le recours à une proposition de résolution sur le fondement de l'article 34-1 de la Constitution. En effet, si nous commençons à utiliser les PPRE pour des enjeux mixtes, relevant des affaires européennes et d'autres sujets, cela pourrait s'avérer délicat. Il est, en effet, plus facile de déposer et de faire examiner une proposition de résolution européenne qu'une résolution fondée sur l'article 34-1 de la Constitution. Or, nous tendons vers une inflation de propositions de résolution européennes qu'il ne faudrait pas encourager.

Ensuite, sur l'augmentation du seuil de télétravail de 25 à 40 %, nous sommes tous d'accord en théorie sur ce principe, mais comme cela a été expliqué par les deux rapporteures, cette évolution engendre un certain nombre de complexités et de difficultés de calcul. Il s'agit donc, selon moi, d'une « PPRE d'appel » à une autorité gouvernementale, qui est très concernée par le sujet car c'est la France qui a abordé ce point pendant la présidence allemande. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce sujet du travail frontalier recouvre un certain nombre de problématiques difficiles, dont notamment l'indemnisation du chômage de ces travailleurs.

Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Je rejoins les propos de ma collègue rapporteure sur le risque de traitement différencié entre les emplois occupés par des frontaliers et par des nationaux. Certains travailleurs frontaliers pourraient ainsi être conduits à revenir complètement en France car ils n'auraient plus accès à la souplesse permise par le télétravail, et c'est finalement la France qui devrait alors payer leurs indemnités chômage, le cas échéant. Les enjeux fiscaux et sociaux, sur ce sujet, sont donc liés, même s'ils ne relèvent effectivement pas des mêmes bases juridiques. Je ne suis pas convaincue que la France y gagne vraiment à rester rigide sur le sujet fiscal. La pandémie a certes accéléré le recours au télétravail, mais il constituait déjà une demande des salariés ou de certaines entreprises. Aujourd'hui, on observe qu'un certain nombre de personnes apprécient le télétravail, qui est à lier aux enjeux environnementaux que nous connaissons et dont nous aurons notamment à débattre dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience ».

M. Jacques Fernique . - Les auditions menées vous ont-elles permis de savoir si les organisations syndicales des travailleurs transfrontaliers étaient favorables au dispositif proposé dans la PPRE ?

Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Malheureusement, les délais contraints ne nous ont pas permis d'auditionner ces organisations. Une étude approfondie serait probablement nécessaire pour étudier les incidences financières d'un tel dispositif de part et d'autre de la frontière. La question de la fraude doit également ne pas être oubliée. Avec ma collègue rapporteure, lors de nos travaux précédents, nous avions pu constater que les adresses de domiciliation, particulièrement au Luxembourg, étaient nombreuses...

M. André Gattolin . - Je suis ravie que vous disiez cela car j'ai entendu un ministre luxembourgeois récemment à la radio qui affirmait qu'il n'y avait pas de société « boîte aux lettres » au Luxembourg.

Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Je confirme, la pratique des adresses de domiciliation existe bel et bien au Luxembourg.

M. Cyril Pellevat . - Je souhaitais répondre au point soulevé par notre collègue André Gattolin. L'objet principal de cette PPRE est bien sûr le volet social qui entre pleinement dans le champ de compétence de l'Union européenne et donc de notre commission. Toutefois, il est vrai que j'ai souhaité également aborder le volet fiscal, en étant conscient de la nature hybride du texte. C'est la raison pour laquelle la PPRE ne fait qu'inviter « le Gouvernement à essayer d'harmoniser les conventions fiscales ». Les volets social et fiscal sont étroitement liés. Or, lors de la crise, à un moment, les accords temporaires avaient été prolongés pour le volet social, mais pas encore pour le volet fiscal. Il y a donc eu une incertitude pendant deux ou trois semaines, pour les travailleurs et entreprises. Par conséquent, en tant que parlementaires de Haute-Savoie, nous avons dû solliciter le Ministre Clément Beaune pour obtenir une clarification, qui est intervenue peu de temps après.

Pour répondre à notre collègue Jacques Fernique, le groupement transfrontalier européen - avec qui j'ai discuté de cette PPRE - est clairement favorable à ce texte.

M. Ludovic Haye . - Je voudrais compléter ce que vient de dire mon collègue, Cyril Pellevat. Il s'agit effectivement d'un dossier complexe, face auquel il faut avoir l'humilité de ne pas vouloir tout traiter d'un coup. Effectivement, l'urgence aujourd'hui, est de passer d'un à deux jours de télétravail tout en s'assurant qu'une telle mesure n'ait pas d'incidence fiscale. Je travaille beaucoup avec les entreprises transfrontalières qui voient cela d'un bon oeil, le télétravail permettant de libérer des locaux par une rotation des salariés face à la tension immobilière également présente de l'autre côté du Rhin.

En France, tous les salariés ne sont pas éligibles au télétravail, il en est de même pour les travailleurs frontaliers et transfrontaliers. Selon moi, l'augmentation de 25 à 40 % n'a pas d'incidence. La question des reversions fiscales entre la Suisse et la France, évoquée par Cyril Pellevat, est un sujet connu des agences de défense des transfrontaliers avec lesquelles nous sommes en contact. Je pense que ces organismes pourraient nous fournir des informations complémentaires sur ces différents sujets, si besoin.

M. Jean-François Rapin , président. - Merci à tous pour vos interventions. La commission des affaires sociales pourra se saisir de la PPRE et approfondir la réflexion.

Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Il faudrait envisager des études et un travail de fond un peu plus larges.

M. André Gattolin . - Le travail sur les conventions fiscales prend des années. Pour la convention fiscale avec Andorre, nous avons négocié pendant plus de dix ans pour arriver, excusez-moi, à une « coquille de noix ». Andorre a accepté de mettre en place un impôt sur le revenu de 5 % alors que Bercy nous avait présenté cette convention comme une grande victoire. Or, Andorre est une co-principauté, dont le Président de la République française est le co-souverain. Les conventions fiscales sont le fruit de négociations interminables à la suite desquelles il faut passer à la signature puis à la ratification par le Parlement. On dit que la procédure en matière de législation européenne est longue, mais elle est beaucoup plus rapide que celle sur les conventions fiscales.

M. Jean-François Rapin , président. - Merci à tous pour ce débat intéressant. Je vais mettre aux voix la PPRE.

La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.

M. Cyril Pellevat . - Merci Monsieur le Président et merci aux rapporteures pour leur travail.

La commission a conclu à l'adoption de la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.

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