EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Du droit de visite des patients hospitalisés et des résidents d'établissements médico-sociaux

Cet article inscrit dans la loi le droit de visite des patients hospitalisés et des résidents d'établissements médico-sociaux.

La commission a adopté cet article avec modification, en en proposant une nouvelle rédaction.

I - L'inscription dans la loi du droit de visite des patients et résidents d'ESMS : un levier opportun pour mieux assurer son respect

A. Un droit certes reconnu, mais dont l'application largement déconcentrée ne va pas sans risques

1. Un droit certes non dépourvu de fondement juridique

a) Au niveau conventionnel et constitutionnel

Les patients pris en charge à l'hôpital et en établissement médico-social peuvent se prévaloir de leur droit à la vie privée. Celui-ci est reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont l'article 8 stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Une telle notion est regardée par la Cour européenne des droits de l'homme comme un « droit pour l'individu de nouer et développer des relations avec ses semblables » 1 ( * ) , et sa jurisprudence confirme, bien qu'on ne puisse qu'extrapoler à partir des décisions portant sur le cas de visites en établissement pénitentiaire, qu'elle protège la possibilité pour les personnes privées de liberté en établissement de recevoir la visite de leurs proches 2 ( * ) .

La jurisprudence ultérieure de la Cour EDH tend à dilater sa signification pour la rendre protectrice du « développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables » 3 ( * ) , coïncidant ainsi avec la protection de la personnalité, c'est-à-dire un élément de l'intégrité psychique de l'individu, laquelle justifie une protection particulière des liens affectifs et familiaux.

Le droit au respect de la vie, garanti par l'article 2 de la convention européenne des droits de l'homme, et le droit à la protection de la santé, assuré notamment par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 et donc à valeur constitutionnelle, seraient encore invocables par des résidents d'Ehpad menacés de glissement au sens que la gériatrie donne à ce terme, c'est-à-dire d'abandon à la mort par désespoir causé par l'isolement contraint. Le Conseil consultatif national d'éthique a ainsi alerté dans son avis du 30 mars 2020 sur le risque que la privation brutale de visites ne provoque chez ces personnes une « sérieuse altération de leur état de santé de façon irrémédiable » voire enlève « à certains le désir de vivre » 4 ( * ) .

b) Au niveau infra-législatif

La loi n'est pour l'heure guère explicite sur le droit de visite des patients et résidents. Écartons d'emblée la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire 5 ( * ) . Elle autorise le pouvoir réglementaire à prendre des dispositions restreignant les visites et précise que les personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux disposant d'un passe sanitaire valide - ou non, en cas d'urgence - ne peuvent « se voir imposer d'autres restrictions d'accès liées à l'épidémie de covid-19 pour rendre visite à une personne accueillie et ne [peuvent] se voir refuser l'accès à ces services et établissements que pour des motifs tirés des règles de fonctionnement et de sécurité de l'établissement ou du service, y compris de sécurité sanitaire ». De telles dispositions ne portent effet que temporairement - à ce stade, jusqu'au 15 novembre 2021.

Écartons également l'article 9 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juillet 1970, lequel est parfois cité à l'appui de l'idée que la législation actuelle suffit. Contrairement à l'acception large consacrée par la convention européenne, le droit au respect de la vie privée du code civil renvoie au jardin secret qui préserve l'intimité de la personne. Comme le disait le doyen Carbonnier, « le respect de la vie privée se traduit essentiellement par un devoir d'abstention : laissez-moi tranquille » 6 ( * ) .

Le code de la santé publique n'est pas muet sur la question mais il procède par renvoi. Son article L. 1112-2 dispose que « chaque établissement remet aux patients, lors de leur admission, un livret d'accueil auquel est annexée la charte du patient hospitalisé ».

Cette charte, annexée à la circulaire du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées 7 ( * ) reconnaît en effet que « la personne hospitalisée peut recevoir dans sa chambre les visites de son choix en respectant l'intimité et le repos des autres personnes hospitalisées. Elle a le droit à la confidentialité de son courrier, de ses communications téléphoniques, de ses entretiens avec des visiteurs et avec les professionnels de santé », mais aussi qu' « une personne hospitalisée peut refuser toute visite ».

Un régime particulier est prévu pour les enfants. La charte précitée ajoute que « tout enfant hospitalisé dans un service de pédiatrie doit pouvoir bénéficier de la visite de son père, de sa mère ou de toute autre personne s'occupant habituellement de lui, quelle que soit l'heure, y compris la nuit, pour autant que la présence du visiteur n'expose ni lui-même, ni l'enfant à un risque sanitaire, en particulier à des maladies contagieuses » .

Les résidents d'établissements médico-sociaux peuvent quant à eux invoquer l'article L. 311-3 du code de l'action sociale et des familles, qui dispose que « l'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux », parmi lesquels sont cités en premier lieu « le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement ». L'article L. 311-4 procède comme le code de la santé publique en disposant qu'au livret d'accueil remis à tout résident est annexé la charte des droits et libertés de la personne accueillie 8 ( * ) , dont l'article 8 prévoit qu'« il est garanti à la personne la possibilité de circuler librement. À cet égard, les relations avec la société, les visites dans l'institution, à l'extérieur de celle-ci, sont favorisées ».

Ces dispositions, qui traitent allusivement du droit de visite, en renvoient donc la fixation des modalités au niveau des règlements des établissements.

À l'hôpital, le règlement intérieur « peut » préciser les modalités d'application de la section réglementaire du code consacrée aux modalités d'admission et de visite, laquelle section ne s'étend toutefois que sur les devoirs des visiteurs, et « peut » comporter également les mentions énoncées dans l'arrêté portant charte du patient hospitalisé 9 ( * ) . En pratique, d'après la DGOS, les règlements intérieurs le font effectivement, après concertation en directoire, lequel a été opportunément élargi aux usagers par le législateur en 2016 10 ( * ) .

En établissement médico-social, l'article L. 311-7 du code de l'action sociale et des familles impose que le règlement de fonctionnement définisse « les droits de la personne accueillie et les obligations et devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective au sein de l'établissement ou du service », ses dispositions minimales étant fixées un décret de 2003 qui se borne à préciser, pour ce qui nous intéresse, que le règlement « indique les principales modalités concrètes d'exercice des droits énoncés » dans la partie législative du code 11 ( * ) .

2. Une précision législative toutefois opportune

a) Car il revient naturellement à la loi de préciser le régime des droits et libertés

Le droit des patients et résidents de recevoir des visites est donc soutenu, si l'on peut dire, par les deux extrémités de la hiérarchie des normes : il est protégé en dernière instance par nos principes constitutionnels et nos engagements internationaux, et précisé dans son application dans les règles de fonctionnement des établissements dont l'esprit est déterminé par des textes infra-législatifs. Ces deux niveaux présentent chacun leurs avantages propres.

La protection au plus haut niveau ne peut donner que ce qu'elle a, à savoir un caractère définitif au sens procédural du terme. Il ne fait aucun doute qu'elle garantit le droit des personnes de recevoir des visites, mais cette garantie, par hypothèse, n'est apportée qu' a posteriori . Pour que les usagers dont les droits sont menacés en recouvrent la jouissance, encore faut-il qu'un juge soit saisi. Or, quand bien même on ferait toute confiance au juge pour assurer une juste conciliation des droits avec les impératifs qui les bornent, il semble qu'on doive collectivement souhaiter que nul n'ait jamais à demander au juge l'autorisation de rendre visite à un proche.

Quant aux textes infra-législatifs, ils relèvent du droit souple 12 ( * ) . Ils contribuent à améliorer la lisibilité de l'information portée à l'attention des usagers et des professionnels, mais ils ne font que cela puisqu'ils n'emportent pas d'effet juridique. La charte du patient hospitalisé est ainsi une grande référence pour les professionnels de santé et les usagers, mais elle est regardée par le juge comme l'émanation d'une instruction administrative, dépourvue donc de valeur réglementaire, et par conséquent impropre à fonder le moindre recours 13 ( * ) .

Le législateur est donc parfaitement fondé à détailler le régime du droit de visite en établissement . D'autres composantes ou principes connexes au droit à la vie privée ont d'ailleurs été précisées dans le code de la santé publique ou le code de l'action sociale et des familles : le premier est par exemple plus précis sur la protection du secret des informations concernant le patient 14 ( * ) , le second sur la liberté d'aller et venir des résidents 15 ( * ) .

b) Pour prévenir toute déformation des pratiques à l'issue de la pandémie

Que la première vague d'épidémie de covid-19 ait conduit à limiter drastiquement la vie sociale des patients et résidents, il est à peine besoin d'y revenir , sans qu'un tel constat emporte d'ailleurs la moindre appréciation sur l'opportunité des décisions prises. Qu'il soit permis de renvoyer sur ce point aux divers rapports d'évaluation de la gestion de la crise 16 ( * ) ou au rapport de la Défenseure des droits sur les personnes résidents en Ehpad 17 ( * ) .

Or la gestion de la première crise sanitaire marque à l'évidence un tournant majeur dans l'appréciation de l'organisation des visites .

D'une part car il se peut qu'aient ainsi été révélées des pratiques trop restrictives des visites, prises par mauvaise habitude ou manque de personnel pour les encadrer, et jamais remises en cause à ce jour.

D'autre part car il est douteux que le retour à une situation sanitaire plus ordinaire dissuade totalement les directeurs d'établissements de faire preuve d'une prudence excessive. La Défenseure des droits a étayé cette crainte dans l'avis rendu sur le présent texte à la demande de la rapporteure 18 ( * ) , dont il y a lieu de mettre sous les yeux du lecteur des passages complets  : « depuis la pandémie, nombreux sont les Ehpad, par exemple, objets de réclamations, dans lesquels les visites n'ont été rendues possibles qu'à une faible fréquence : visites hebdomadaires, parfois moins, bimensuelles, voire mensuelles ; limitées à 30 ou 45 minutes ; sur des plages horaires pouvant être imposées ; et, en tout état de cause, systématiquement limitées à un ou deux visiteurs. Les aidants familiaux, se rendant habituellement quotidiennement dans les Ehpad pour aider leur proche, notamment à s'alimenter, n'ont guère obtenu de dérogations à ces limitations de visites (fréquence et durée).

Des situations parfois ubuesques ont été rapportées à la Défenseure des droits. Les résidents et leurs proches ont rapidement constaté que le rapport entre le nombre de créneaux de visites et le nombre de résidents limitait de fait les possibilités de visites, notamment en raison de l'insuffisance de personnel des établissements mobilisés pour organiser et surveiller le bon respect des gestes barrières. Pour les personnes d'ordinaire fortement entourées (famille nombreuse notamment), cela conduisait à étaler les visites sur plusieurs mois.

La crise sanitaire a ainsi accentué les difficultés d'ordre organisationnel préexistantes mais aussi mis en lumière la difficile conciliation de l'impératif de protection des patients et résidents et celui du droit de visite. Or le droit à la protection de la santé ne peut se réduire à la simple appréciation de la santé somatique, sans tenir compte de la santé psychique des patients, qui est intimement liée au maintien d'une vie privée et familiale. La possibilité d'un droit de visite quotidien, y compris pendant les weekends, et dans des plages horaires rendant effectif ce droit, est indispensable. »

Les statistiques ci-dessous témoignent que l'ampleur du problème des visites en établissement ne suit pas homothétiquement l'évolution de la gravité de l'épidémie.

Saisines de la Défenseure des droits sur le motif du droit de visite
en établissement de santé et médico-social

Du 17 mars 2020
au 19 mai 2021

De mai 2021
au 30 septembre 2021

Résident en structure médicale

160

75

Patient en établissement de santé

22

4

Source : Défenseur des droits.

B. Le dispositif proposé

Cet article inscrit dans la loi le droit qu'ont les patients pris en charge à l'hôpital et les personnes accueillies en établissement médico-social de recevoir des visites et en fixe les premiers contours.

Ce droit n'est en réalité affirmé qu'au détour de l'identification de ceux à qui est confiée la charge de son respect, puisque l'article dispose que les établissements « assurent l'effectivité du droit des personnes qu'ils accueillent à recevoir chaque jour tout visiteur que ces personnes consentent à recevoir » (alinéa 1 er ).

Sont visés les « établissements de santé » et les « établissements mentionnés aux 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles », à savoir, respectivement :

- les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ;

- les établissements et les services, y compris les foyers d'accueil médicalisé, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert.

L'article apporte encore deux précisions :

- les plages horaires des visites sont fixées par le règlement intérieur de l'établissement et sont « journalières » (alinéa 2) ;

- aucune visite ne peut être subordonnée à une information préalable de l'établissement (alinéa 3).

II - La position de la commission : une réécriture de l'article pour codifier le droit des patients hospitalisés de recevoir des visites et en préciser les contours

La rapporteure estime légitime la précision dans la loi des contours du droit de visite en établissement. Par souci de lisibilité, elle préconise de codifier ces dispositions nouvelles et de consacrer deux articles distincts aux secteurs sanitaire et médico-social, qui appellent des traitements différents.

C'est pourquoi l'amendement n° 1 réécrit l'article 1 er pour le consacrer au droit de visite dans les seuls établissements de santé, qu'il inscrit dans un article nouveau placé immédiatement après l'article L. 1112-2 du code de la santé publique. Son premier alinéa reprend la substance du texte initial en disposant que « Les établissements de santé garantissent le droit des personnes qu'ils accueillent de recevoir chaque jour tout visiteur qu'elles consentent à recevoir ». Le renvoi au règlement de l'établissement pour préciser des « plages horaires » de visite est toutefois supprimé, pour ne pas rigidifier l'organisation des visites. L'impossibilité de subordonner une visite à l'information préalable de l'établissement est conservée.

Un deuxième alinéa fixe les motifs par lesquels une visite peut être légalement refusée par le directeur de l'établissement. Ils reprennent les motifs dégagés par la pratique et la jurisprudence, à savoir l'existence d'une menace pour l'ordre public ou celle d'un risque sanitaire. Une telle décision devra encore être un minimum formalisée par sa motivation et sa notification sans délai aux intéressés 19 ( * ) .

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
Droit de visite des patients pris en charge en établissement de santé

Cet article encadre le droit de visite des patients pris en charge en établissement de santé.

La commission a supprimé cet article.

I - Le dispositif proposé : tracer les contours du droit de visite des patients en établissements de santé

A. L'exercice actuel du pouvoir de police des visites en établissement de santé

Le droit de visite dont les fondements ont été détaillés plus haut ne saurait, non plus qu'aucun autre droit, s'exercer de manière absolue . Il doit se concilier avec les autres impératifs dont les gestionnaires d'établissements portent la responsabilité, au premier rang desquels la protection des autres résidents. La liberté étant, en la matière également, la règle et la restriction l'exception, c'est par la finesse de la délimitation des exceptions que s'apprécie la réalité du droit accordé aux individus.

Dans les établissements de santé publics , la mise en oeuvre de telles restrictions est soumise au contrôle du juge administratif. Ce contentieux est parallèle de celui portant sur le droit de visite au sein des établissements pénitentiaires. Depuis 2010, la décision du directeur relative à l'organisation des visites ne constitue plus une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours mais bien un acte faisant grief pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Elle doit être motivée, proportionnée à la situation et aux buts recherchés ; elle ne doit pas revêtir un caractère général ou absolu ; elle doit être limitée dans le temps.

Au sein d'un établissement de santé privé , les dispositions relatives au droit de visite figurent en principe dans le contrat hospitalier. Les règles d'accès à l'établissement sont par ailleurs opposables aux tiers souhaitant visiter un patient. La décision de l'établissement de restreindre ou d'interdire les visites peut être sanctionnée par la résolution du contrat ou la mise en jeu de la responsabilité contractuelle. Le patient ne dispose là d'aucun recours comparable au recours pour excès de pouvoir.

L'organisation des visites, donc l'appréciation des motifs de refus, relève du pouvoir de police générale dans l'établissement, appelé à s'exercer plus particulièrement dans le cas où l'exercice du droit de visite perturberait le bon fonctionnement du service, l'ordre public, la sécurité des patients ou celle du personnel. Le directeur en dispose, sous réserve d'une concertation préalable avec le directoire et de la consultation des instances de l'établissement 20 ( * ) .

En l'état actuel de la pratique et de la jurisprudence, le refus de visite peut résulter :

- d'un motif médical, sur le fondement du « repos des malades » 21 ( * ) , du fait que l'état de santé du patient ou du résident ne la permet pas ; le cas échéant, le refus peut porter sur le nombre de visiteurs autorisés ;

- du comportement du visiteur, jugé incompatible avec le bon fonctionnement du service, notamment en cas d'attitude injurieuse ou violente ou de gêne caractérisée pour les autres patients ; il présente alors un caractère quasi-disciplinaire, quoiqu'il sanctionne non pas l'usager mais son proche ;

- de motifs matériels, tels que la non-conformité de la demande aux règles relatives aux horaires, précautions de non contagion dans un contexte épidémique, suspension du droit de visite d'un mineur faisant l'objet d'une mesure de placement, etc .

B. Le dispositif proposé

Cet article fixe le cadre dans lequel un établissement de santé peut légalement s'opposer à une visite.

Les motifs sont au nombre de deux : l'existence d'une « menace pour l'ordre public à l'intérieur ou aux abords de l'établissement », ou celle d'une « menace pour la santé de celui-ci, notamment en fonction de la gravité de sa pathologie, ou pour celle des visiteurs, des autres patients du service ou de ceux qui y travaillent ».

La procédure est succinctement décrite : le refus de visite est émis par l' « établissement », lequel apprécie simplement l'existence d'une menace pour l'ordre public ; quant au second motif, il exige que « le médecin chef du service dont dépend le patient estime » qu'il est effectivement rempli.

II - La position de la commission : suppression de l'article

La rapporteure estime que l'essentiel des motifs justifiant légalement un refus de visite peut être subsumé sous les catégories prévues par la rédaction initiale du texte. La question s'est posée de savoir s'il convenait de légaliser toutes les caractéristiques que la jurisprudence exige, à peine d'illégalité, de telles décisions : limitation de durée, possibilité éventuelle de reconduction, caractère strictement nécessaire et proportionné. L'impératif de concision a été privilégié.

La substance de cet article ayant été transférée et son dispositif légèrement réécrit dans l'article 1 er , l'amendement n° 2 de la rapporteure proposait de supprimer cet article.

La commission a supprimé cet article.

Article 3
Droit de visite des personnes accueillies en établissement médico-social

Cet article précise les contours du droit de visite des personnes accueillies en établissement médico-social.

La commission a adopté cet article avec modifications, en en proposant une nouvelle rédaction.

I - Le dispositif proposé : tracer les contours du droit de visite des personnes accueillies en établissement médico-social

Cet article fixe le cadre d'exercice du droit de visite dans les établissements médico-sociaux visés aux 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.

Le premier alinéa fixe les motifs possibles de refus, qui sont au nombre de deux : il peut s'agir soit d'une « menace pour l'ordre public à l'intérieur ou aux abords de l'établissement », soit d'une menace « pour la santé des visiteurs, des patients ou de ceux qui y travaillent ».

Les alinéas 4 et 5 précisent les conditions nécessaires à réunir pour invoquer ce second motif sanitaire :

- il n'est « valable qu'avec l'accord du médecin référent de l'établissement », lequel serait le médecin coordonnateur ou, à défaut, un médecin désigné par le directeur de l'établissement ;

- ce motif sanitaire ne peut par ailleurs être invoqué par l'établissement « que s'il est établi qu'il ne peut être obvié à cette menace par des comportements, des gestes, le port d'équipements ou l'organisation de la visite dans un lieu adapté à la protection de la santé ».

Les alinéas 2 et 3 précisent la procédure à suivre. La décision de refus est émise par le « directeur de l'établissement », lequel doit « expressément en informer la personne interdite de visite et le résident ». Cette décision individuelle « doit être motivée à la vue des circonstances et sa durée d'application ne peut excéder sept jours » , durée toutefois « renouvelable sous les mêmes conditions ». Lorsque le visiteur ou le résident informe l'établissement d'une visite au moins 24 heures avant l'heure prévue, le directeur dispose de ce laps de temps pour s'y opposer.

II - La position de la commission : codification, allègement et précision du dispositif

La rapporteure n'ignore pas que les ministres de la justice, de la santé, de l'autonomie et chargée des personnes handicapées ont mandaté le 2 juin 2021 un groupe de travail interministériel réunissant la direction des affaires civiles et du sceau et la direction générale de la cohésion sociale afin d'identifier les principales mesures restrictives de la liberté d'aller et venir dans les établissements médico-sociaux, et de proposer un cadre juridique adapté, dont les propositions sont attendues pour la fin du 1 er trimestre 2022.

Il lui semble néanmoins que, pour les raisons évoquées ci-dessus, il importe d'encadrer immédiatement l'exercice du droit de visite par la loi en tâchant de mieux protéger la vie sociale des personnes fragiles sans pour autant alourdir la responsabilité pesant sur les directions d'établissements chargés de la mettre en oeuvre.

L'amendement n° 3 de la rapporteure procède comme précédemment à la codification du dispositif et à sa réécriture dans un souci de concision, afin de limiter les risques procéduraux auxquels seraient confrontés les responsables d'établissement.

Les contours du droit de visite sont codifiés dans un nouvel article suivant immédiatement l'article L. 311-5-1 du code de l'action sociale et des familles, où est transposée la rédaction du droit de visite prévu dans les établissements de santé.

Un second alinéa reprend les motifs par lesquels un directeur d'établissement peut légalement s'opposer au droit de visite : une menace à l'ordre public ou un risque sanitaire. Ce dernier serait apprécié par le médecin coordonnateur de l'établissement ou, à défaut, plus simplement, tout professionnel de santé consulté par le directeur.

Un formalisme minimal est là encore imposé : une décision de refus devrait enfin être motivée et notifiée sans délai aux intéressés.

L'amendement prévoit enfin d'associer les conseils de la vie sociale (CVS) à la détermination des modalités d'exercice du droit de visite, en disposant que celles-ci sont fixées par le règlement de fonctionnement de l'établissement, dont l'élaboration requiert déjà la consultation du CVS 22 ( * ) .

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4
Droit de visite inconditionnel pour les personnes en fin de vie

Cet article rend le droit de visite en établissement inconditionnel pour les personnes en fin de vie.

La commission a adopté cet article avec modifications, en en proposant une nouvelle rédaction.

I - Le dispositif proposé : rendre inconditionnel le droit de visite de leurs proches pour les personnes en phase terminale d'une maladie incurable

L'article 4 crée un droit de visite inconditionnel pour les personnes « en phase terminale d'une affection mortelle incurable » et fait obligation aux établissements de santé et médico-sociaux d'organiser « les conditions qui permettent d'assurer ces visites ».

Les proches que ces personnes seraient inconditionnellement autorisées à recevoir sont limitativement énumérés : il s'agit du « descendant, ascendant, conjoint ou membre de la fratrie » ou de la personne de confiance désignée en application de l'article L. 1111-6 du code de la santé publique.

II - La position de la commission : rendre le dispositif plus généreux

La rapporteure estime que la création d'un droit de visite inconditionnel pour les personnes en fin de vie est très opportune, car de nature à empêcher que se reproduise les drames humains nés de la gestion de la première épidémie de covid-19, au printemps 2020.

Le droit des résidents malades de voir leurs proches avant leur décès se rattache d'ailleurs possiblement moins au droit à la vie privée qu'au respect de la dignité de la personne humaine, ainsi que le laissent penser les décisions du juge des référés du Conseil d'État d'avril 2020 23 ( * ) , ainsi que l'analyse la doctrine : « le droit pour la personne âgée de (re)voir ses proches avant son décès se rattache à un impératif de sauvegarde de la dignité du mourant qui exige l'apaisement des souffrances physiques comme psychiques » 24 ( * ) .

La rapporteure a cependant proposé la réécriture de l'article par l'amendement n° 4.

Cet amendement précise d'abord la qualité des personnes dont l'état exige qu'aucun obstacle ne puisse être fait à la visite de leurs proches. Il lui semble en effet que les personnes en phase terminale d'une affection mortelle incurable - à supposer encore que l'on puisse correctement identifier toutes celles qui le sont réellement - ne devraient pas être seules à bénéficier d'un tel droit. Les personnes atteintes du covid-19, dont l'évolution, même chez les personnes présentant des comorbidités, n'est guère prévisible, ne remplissaient d'ailleurs pas ce critère. Cibler les personnes « en fin de vie ou dont l'état requiert des soins palliatifs », que le code de la santé publique définit déjà à son article L. 1110-10 est donc plus précis, mais aussi un peu plus large, car l'état requérant des soins palliatifs n'est pas nécessairement celui des personnes mourantes 25 ( * ) .

Il élargit ensuite le périmètre des proches inclus dans ce droit de visite inconditionnel . Car en effet, pourquoi autoriser les personnes en fin de vie de dire adieu à leur conjoint, mais non à leurs amis ? Il faut cependant bien borner l'énumération, quitte à créer un inévitable effet de seuil. Par analogie avec l'énumération, dans le code du travail, des proches pouvant justifier la prise d'un congé de proche aidant, l'amendement propose de faire entrer dans le dispositif : le conjoint de la personne prise en charge, son concubin, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, un ascendant, un descendant, un collatéral jusqu'au quatrième degré, l'enfant dont il assume la charge au sens de l'article L. 512-1 du code de la sécurité sociale, un ascendant, un descendant ou un collatéral jusqu'au quatrième degré de son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité, une personne avec laquelle il réside ou avec laquelle il entretient des liens étroits et stables.

Des raisons formelles et légistiques justifiaient enfin la réécriture de l'article. L'amendement reformule ainsi le dispositif pour tenir compte du fait que le droit de visite est attaché à la personne prise en charge elle-même et non au visiteur, ainsi que pour codifier l'ensemble dans le code de la santé publique, à l'article L. 1112-4 du code de la santé publique, consacré à la prise en charge par les établissements de santé et médico-sociaux des personnes dont l'état requiert des soins palliatifs.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 5
Encadrement des atteintes portées au droit de visite en établissement
sous le régime de l'état d'urgence sanitaire

Cet article vise à prévenir les atteintes portées au droit de visite par des mesures réglementaires prises sous le régime de l'état d'urgence sanitaire

La commission a adopté cet article avec modifications, en en proposant une nouvelle rédaction.

I - Le dispositif proposé : limiter les possibilités de remise en cause du droit de visite sous le régime de l'état d'urgence sanitaire

L'article tâche de préserver le droit de visite en établissement des atteintes que pourraient lui porter les mesures réglementaires prises sous le régime de l'état d'urgence sanitaire.

Un premier niveau de protection consiste à soumettre les mesures ayant pour objet ou effet d' « empêcher d'exercer pendant une journée » le droit de visite à l'avis conforme motivé du comité de scientifique dont la loi du 23 mars 2020 26 ( * ) a imposé la mise sur pied en cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire, et de soumettre leur prolongation au-delà de 96 heures à l'autorisation du législateur.

Un niveau de protection plus élevé concerne l'hypothèse envisagée à l'article 4, à savoir le droit de visite inconditionnel dont jouiraient les personnes en fin de vie ou dont l'état requiert des soins palliatifs : à ces dispositions, les mesures réglementaires prises sous le régime de l'état d'urgence sanitaire ne pourraient porter atteinte.

II - La position de la commission : la réécriture de l'article

Le mécanisme proposé par cet article est opportun, car il pose une digue à la volonté que pourrait manifester tel gouvernement confronté à une crise sanitaire justifiant la déclaration de l'état d'urgence de porter une atteinte excessive à la vie sociale des personnes prises en charge en établissement.

Cette digue ne saurait certes être infranchissable, ne serait-ce que parce qu'une loi peut défaire ce qu'une loi précédente a fait : le gouvernement qui estimerait que la situation sanitaire justifie la suspension totale des visites pendant une longue durée trouverait sans doute une majorité pour le suivre en soumettant au Parlement la demande de prolongation de l'état d'urgence qu'exige de lui l'article L. 3131-13 du code de la santé publique.

Il n'est toutefois pas inutile de solliciter préalablement l'avis d'instances indépendantes telles que le comité de scientifiques compétent pour évaluer l'état de la situation sanitaire. L'amendement n° 5 proposé par la rapporteure, et adopté par la commission, y ajoute le Conseil consultatif national d'éthique afin d'éclairer la décision publique d'une lumière, précisément, plus éthique que scientifique.

L'amendement supprime toutefois la mention du caractère conforme de l'avis rendu, où le Conseil constitutionnel ne manquerait pas de voir une atteinte à l'exercice, par le Premier ministre, de son pouvoir réglementaire incompatible avec l'article 21 de la Constitution 27 ( * ) .

L'amendement n° 5 propose encore de supprimer les dispositions soumettant à autorisation législative les mesures réglementaires qui aurait pour objet ou effet de porter atteinte au droit de visite pendant plus de 96 heures, car de telles précisions semblent peu opérantes : exigera-t-on que le gouvernement, dans une situation d'urgence et d'incertitude sanitaire, annonce simultanément la fermeture des établissements pour une durée inférieure à 96 heures et son intention de déposer un projet de loi pour demander à prolonger cette durée ? Ou bien, qu'ayant décidé la fin des visites jusqu'à nouvel ordre, il s'avise la veille de l'expiration d'un délai de 96 heures de solliciter l'autorisation du Parlement ? Il a semblé plus équilibré de s'en tenir, sur ce point, à la demande d'avis d'organes d'aide à la décision compétents, l'essentiel étant sauvegardé par l'impossibilité pour lesdites mesures réglementaires de porter atteinte au droit de visite des personnes en fin de vie.

L'amendement n° 5 procède enfin à des modifications formelles, en tenant compte des codifications opérées aux précédents articles.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 6
Caractère d'ordre public des dispositions de la présente loi

Cet article dispose que la présente loi est d'ordre public.

La commission a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif proposé

Cet article dispose que « la présente loi est d'ordre public ».

II - La position de la commission

Une telle précision vise à prévenir toute application contraire aux dispositions qui précède d'engagements contractuels. Autrement dit, ne pourrait ni contredire ni compléter ces dispositions les stipulations dont seraient convenus deux cocontractants - tels les établissements de santé privés et leurs patients dans un contrat de séjour, par exemple.

Jugeant une telle précision opportune, la commission a adopté cet article sans modification.


* 1 CEDH, 16 déc. 1992, n° 13710/88.

* 2 Voir le « Guide sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme », mis à jour au 31 août 2020 : https://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_8_fra.pdf

* 3 CEDH, 24 févr. 1998, n° 21439/93, Botta c/ Italie. - CEDH, 14 juin 2005, n° 14991/02, Minelli c/  Suisse.

* 4 CCNE, Réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD, 30 mars 2020.

* 5 Loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

* 6 Voir Jean Carbonnier, Droit civil : les personnes, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2004, p. 518.

* 7 Circulaire DHOS/E1/DGS/SD1C/SD4A n° 2006-90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée, qui actualise la charte du patient hospitalisé de 1995.

* 8 Arrêté du 8 septembre 2003 relatif à la charte des droits et libertés de la personne accueillie, mentionnée à l'article L. 311-4 du code de l'action sociale et des familles.

* 9 Article R. 1112-77 du code de la santé publique.

* 10 Loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification - article 31.

* 11 Décret n° 2003-1095 du 14 novembre 2003 relatif au règlement de fonctionnement institué par l'article L. 311-7 du CASF.

* 12 Conseil d'État, Le droit souple, étude annuelle, 2 octobre 2013.

* 13 CAA Bordeaux, 24 février 2005, n°00BX02751, Lebon.

* 14 Voir l'article L. 1110-4 du code de la santé publique.

* 15 Voir l'article L. 311-4-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 16 Voir notamment le deuxième rapport d'information de la mission d'information dotée de pouvoirs d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid-19, décembre 2020, pp. 208 et suivantes.

* 17 Défenseur des droits, « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad », avril 2021.

* 18 Défenseur des droits, avis n° 21-14 du 4 octobre 2021.

* 19 Voir commentaire de l'article 2, ci-après.

* 20 Voir notamment Marc Dupont, « Visiter, être visité : un droit des malades et de leurs proches ?, dans RDSS, 2020, pp. 1137 et s.

* 21 Art. R. 1112-47.

* 22 Article L. 311-7 du code de l'action sociale et des familles.

* 23 CE, ord. réf., 15 avr. 2020, n° 439910 et CE, ord. réf., 15 avr. 2020, n° 440002.

* 24 « Le droit aux relations personnelles des résidents d'EHPAD dans le contexte du covid-19 », Aperçu rapide par Muriel Rebourg, professeur de droit privé et Stéphanie Renard, maître de conférences HDR en droit public, La Semaine Juridique Edition Générale n° 25, 22 Juin 2020, 749.

* 25 Sur cet aspect, voir le rapport d'information de Mmes Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, n° 866 (2020-2021) - 29 septembre 2021.

* 26 Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 - article 2.

* 27 Voir par exemple Conseil constitutionnel, décision n° 2021-2 RIP du 6 août 2021.

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