EXAMEN EN COMMISSION

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JEUDI 4 NOVEMBRE 2021

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons cet après-midi, en nouvelle lecture, le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, sur lequel notre rapporteur a déposé une motion tendant à opposer la question préalable.

M. Philippe Bas , rapporteur . - C'est avec tristesse que j'ai déposé cette motion. J'ai le sentiment que nous avons défendu les droits de nos concitoyens, en voulant préserver le rôle de la représentation nationale, et que nous avons été bien seuls à le faire. Le rapporteur de l'Assemblée nationale nous a opposé, expressément au nom du Gouvernement, une fin de non-recevoir.

Cette tristesse est alimentée par le fait que cette fin de non-recevoir ne s'appuie sur aucune raison sanitaire ou liée à la lutte contre l'épidémie. Nous n'avons jamais dit que nous excluions par avance de donner de nouveau une autorisation au Gouvernement au-delà du mois de février, si cela devait être nécessaire. Nous avons seulement dit que nous ne pouvions pas concéder les pleins pouvoirs au Gouvernement jusqu'au 31 juillet 2022, sans assurer un réel contrôle parlementaire.

J'ajoute que, depuis le début de cette crise, nous avons parfaitement montré que nous avions le souci de la sécurité sanitaire de nos concitoyens, puisque nous avons accepté la plupart des demandes du Gouvernement, tout en les ajustant en cas de nécessité - je pense naturellement au couvre-feu, au confinement ou encore au passe sanitaire. On ne peut donc pas nous faire aujourd'hui le procès en irresponsabilité que certains voudraient nous faire. Pour autant, jamais nous n'avons accepté d'accorder au Gouvernement de tels pouvoirs exorbitants du droit commun pour une durée aussi longue.

À mon sens, la demande qui est nous faite dans ce texte est strictement politique. Ce ne sont pas les exigences de la lutte contre la crise sanitaire qui justifient que le Parlement ne soit pas saisi, si cela est nécessaire, au mois de février ; c'est uniquement la volonté explicite de ne pas perturber, par un débat parlementaire, la candidature d'Emmanuel Macron à la présidence de la République. J'ajoute que l'exécutif a tort de craindre un tel débat compte tenu de l'esprit de responsabilité dont nous avons toujours fait preuve.

Nous ne défendons pas une position d'opportunité ; il s'agit au contraire de la position constante du Sénat depuis le début de cette crise : nous défendons la séparation des pouvoirs et le rôle de contrôle du Gouvernement que doit exercer, selon notre Constitution, le Parlement, en particulier lorsque celui-ci décide de déléguer à l'exécutif une partie de ses compétences.

Déléguer notre compétence pour une durée aussi longue que celle qui est inscrite dans ce texte est absolument sans précédent et c'est le noeud de notre désaccord avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement.

Certains sujets auraient pu donner lieu à une discussion, comme les modalités de mise en extinction du passe sanitaire, mais ni l'Assemblée nationale ni le Gouvernement n'a fait le moindre mouvement dans notre direction.

De la même manière, s'agissant de l'information des chefs d'établissements scolaires sur le statut vaccinal ou virologique des enfants, il n'y a pas eu non plus la moindre discussion. Or cette question ne porte pas tant sur le secret médical que sur la possibilité de procéder à des discriminations entre élèves pour l'accès à l'enseignement en fonction de leur statut vaccinal, statut qui résulte d'une décision des parents.

Imaginez les réactions si un tel dispositif était transposé dans le monde du travail, c'est-à-dire entre employeurs et salariés. Ces réactions seraient légitimes : jamais un employeur ne pourrait décider d'admettre ou non dans l'entreprise un salarié en fonction de son statut vaccinal ou virologique. Il n'y a pas de raison de procéder différemment pour les élèves, d'autant que des procédures existent dans le cas où un élève est cas contact. Cette mesure, présentée comme banale, fait montre d'une grande légèreté, car elle me semble en fait extravagante.

Voilà les raisons pour lesquelles je propose à la commission d'adopter, en nouvelle lecture, une motion tendant à opposer la question préalable à ce texte.

M. Loïc Hervé . - De mon côté, j'éprouve du dépit.

M. Philippe Bas , rapporteur . - C'est assez proche de la tristesse...

M. Loïc Hervé . - Je pense que tout le monde y perd dans cette affaire.

Ceux qui, comme moi, sont opposés au passe sanitaire y perdent, parce qu'il va perdurer et que l'accoutumance s'installe... Nous ne sommes donc plus à mettre en place un dispositif « le temps d'un été »... Et on peut sincèrement s'interroger : dans quelles circonstances sanitaires ou épidémiologiques pourra-t-on supprimer le passe sanitaire, alors que, dès maintenant, une très grande partie de la population est vaccinée ? Malheureusement, cette question n'a pour l'instant aucune réponse.

Ceux qui sont favorables au passe sanitaire au Sénat y perdent aussi, puisque notre assemblée n'aura pas fait changer la position du Gouvernement d'un iota.

Finalement, le Sénat, dans son ensemble, y perd parce qu'il n'aura pas su apparaître, dans le débat public sur ce texte, comme le défenseur des libertés fondamentales, alors qu'il s'agit d'une position traditionnelle pour lui. J'ai sur ce point une divergence stratégique avec le rapporteur. Les efforts qu'il a fournis lors de l'examen en première lecture n'auraient eu de sens que s'il y avait eu un accord en commission mixte paritaire. Dans la mesure où il y a eu un désaccord, tout aura été vain.

Je rejoins toutefois le rapporteur sur un point, mais je pousserai sa logique un peu plus loin : l'exécutif aura la capacité incroyable de décider seul de supprimer le passe sanitaire, y compris durant la période électorale - le fait du prince, finalement ! Il pourra ainsi récompenser les « bons » citoyens au moment où il le jugera opportun... Et cette décision ne viendra pas du Parlement, mais de Jupiter ! Cette abdication décidée par l'Assemblée nationale aura nécessairement des conséquences sur la démocratie parlementaire ; c'est en ce sens une folie, et cela m'inquiète grandement.

J'espère ne pas avoir eu raison trop tôt ! En tout cas, je m'abstiendrai sur cette motion.

M. Jean-Yves Leconte . - Le groupe socialiste avait certaines convergences avec le texte adopté par le Sénat en première lecture. Nous partagions la volonté de territorialiser le passe sanitaire et l'opposition à la capacité des directeurs d'école de prendre connaissance du statut virologique des élèves.

Nous partagions surtout le profond regret que l'Assemblée nationale organise finalement sa propre démission, en permettant que de tels pouvoirs exceptionnels soient confiés au pouvoir exécutif.

Et c'est justement parce que nous considérons qu'il n'est pas convenable que le Parlement n'assume pas ses fonctions fondamentales - contrôler le Gouvernement et voter la loi - que nous nous opposons à la motion présentée par le rapporteur. Depuis un an et demi, le Parlement a participé à l'amélioration des outils mis en place pour lutter contre la crise et nous refusons qu'il démissionne aujourd'hui.

Il nous semble tout de même paradoxal que vous nous proposiez ici de ne pas adopter de texte. Il nous paraît pourtant nécessaire de réaffirmer en nouvelle lecture nos principes et notre opposition à un certain nombre de mesures.

M. Guy Benarroche . - Depuis le début, le groupe écologiste est opposé au passe sanitaire et nous n'avons soutenu ni le texte de la commission ni celui du Sénat. Nous pensions déjà que ces textes ne permettraient pas un accord en commission mixte paritaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Vous êtes pessimiste !

M. Guy Benarroche . - Loïc Hervé a expliqué pourquoi nous ne pourrions pas aboutir à un compromis. Il s'agissait d'une question de stratégie...

De fait, le Gouvernement n'a pas bougé d'un centimètre - il n'a d'ailleurs jamais eu l'intention de bouger et de coconstruire un texte avec nous. Comme toujours depuis le début de cette crise, toutes les décisions ont émané d'un seul endroit. Or rien ne justifie cette obstination, hormis des éléments politiciens - aucun argument de fond !

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu'il faut dire stop. Il n'est plus possible de discuter avec des gens qui n'ont pas l'intention de nous respecter.

Nous avons cependant déposé trois amendements, qui portent sur les points qui nous semblent les plus importants. Ils deviendront évidemment sans objet, si la motion tendant à opposer la question préalable était adoptée, mais nous avons estimé que, s'il n'est effectivement pas possible de discuter avec le Gouvernement, cela l'est encore au sein de notre commission...

Mme Éliane Assassi . - Le groupe CRCE n'a soutenu ni le texte du Sénat ni celui du Gouvernement. Plusieurs éléments nous ont poussés à prendre cette position, notamment la date en débat, la mesure relative aux directeurs d'école ou la question du passe sanitaire.

Mais finalement, la vérité est ailleurs ! Comme je le dis souvent, il y a le texte et le contexte... Or le contexte est particulier et, quoi que l'opposition puisse faire ou dire, rien ne passera du fait des élections à venir.

Par conséquent, même si nous ne partageons pas l'ensemble de l'objet de cette motion, nous la voterons. Il faut savoir dire stop !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion.

Nous sommes tous inquiets de ce qui se passe aujourd'hui. Nous voterons contre la motion, parce que, même si nous partageons l'analyse de base du rapporteur, nous voulons continuer le combat. Certes, nous ne pensons pas que la discussion serait plus fructueuse si nous débattions effectivement du texte, d'autant que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale hier en nouvelle lecture nie complètement le travail réalisé par le Sénat, mais nous pensons qu'il faut continuer.

Il me semble que nous avons tort de voter des motions si nous voulons dans le même temps défendre les droits du Parlement. Il y a là un paradoxe !

M. Philippe Bas , rapporteur . - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Je vous propose d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux articles restant en discussion, c'est-à-dire ceux concernant les prérogatives accordées aux autorités de l'État pour lutter contre la crise sanitaire et à la durée de celles-ci ; les traitements de données mis en oeuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19 ; les modalités de contrôle du respect de l'obligation vaccinale contre la covid-19 ; le champ des personnes soumises à l'obligation vaccinale ; les sanctions en cas de non-respect de l'obligation vaccinale ; et les modifications à apporter à diverses dispositions de nature législative prises pour faire face à la crise sanitaire, en particulier en matière d'activité partielle et d'indemnisation des salariés ne pouvant travailler en raison de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales, de droits d'auteur et de droits voisins, de modalités de vote, participation et réunion au sein des organes délibérants des collectivités territoriales pendant la crise sanitaire, de validité des titres de formation professionnelle maritime et de règles d'organisation des assemblées générales de copropriétaires.

La motion COM-1 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

L'ensemble des amendements devient sans objet.

M. François-Noël Buffet , président . - Il résulte de la décision de déposer une motion que nous n'adopterons pas de texte en commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Motion

M. BAS, rapporteur

1

Motion tendant à opposer la question préalable

Adopté

Article 1 er

M. BENARROCHE

2

Suppression de l'article

Rejeté

Article 2

M. BENARROCHE

3

Suppression de la prolongation du régime de gestion de la crise sanitaire

Rejeté

Article 4 ter

M. BENARROCHE

4

Suppression de l'article

Rejeté

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