B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une dégradation préoccupante de la situation financière des CROUS

En 2021, le réseau des oeuvres universitaires a enregistré des pertes d'exploitation significatives, en raison notamment des contraintes pesant sur l'activité de restauration . L'instauration de jauges à 20 % puis 50 % des effectifs au cours des six premiers mois de l'année 2021 s'est ainsi traduite par une chute de la fréquentation des restaurants universitaires ; en tenant compte des économies de personnel qui ont pu être réalisées en parallèle, le montant total des pertes d'exploitation devrait atteindre 32 millions d'euros .

En parallèle, les différentes mesures destinées à lutter contre la précarité étudiante - comme le gel de l'augmentation des loyers et la mise en place d'une offre de restauration à 1 euro - n'ont pas été intégralement compensées auprès des Crous depuis 2020 .

En outre, les mesures nationales destinées à améliorer la situation des étudiants, qui ont été initiées à la rentrée universitaire 2021, n'ont fait l'objet d'aucun financement supplémentaire , si bien qu'elles ont dû être préfinancées par les ressources issues de la contribution vie étudiante et de campus (CVEC).

Ce dernier point est particulièrement problématique : la CVEC étant acquittée par les étudiants, ce sont ces derniers qui ont financé, jusqu'à présent, le recrutement d'assistantes sociales supplémentaires ou encore la mise en place de distributeurs de protections périodiques.

De surcroît, selon les informations transmises au rapporteur spécial, les ouvertures de crédits consenties dans le second projet de loi de finances rectificative pour 2021 ne permettront qu'une prise en charge partielle du coût de ces mesures - sans épuiser, en tout état de cause, le sujet des pertes d'exploitation.

Par ailleurs, rien ne garantit une stabilisation de la situation financière du réseau des oeuvres universitaires dans les années à venir. Ce dernier sera en effet exposé à des surcoûts de l'ordre de 10,6 millions d'euros en 2022 sur son activité de restauration , résultant de la mise en oeuvre de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) 16 ( * ) , qui impose le renouvellement de certains marchés (passage au bio de la quasi-totalité des produits laitiers achetés, passage en appellation d'origine protégée ou contrôlée de l'ensemble des fromages secs, suppression de l'huile de palme et de nombreux édulcorants, etc.)

A ces obligations s'ajoutent la suppression du plastique à usage unique en restauration, résultant de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC) 17 ( * ) , pour un coût de 2,1 millions d'euros, et enfin l'impact de la hausse des prix applicables depuis le 1 er septembre 2021, estimé à 1,2 million d'euros.

Au total, le réseau des oeuvres universitaires se trouverait donc confronté à 13,9 millions d'euros de dépenses additionnelles, non prises en compte dans le calcul de la subvention pour charges de services public pour 2022 .

2. Le plan « 60 000 logements » : un bilan décevant témoignant de blocages persistants

À la suite du « Plan 40 000 » qui visait à créer 40 000 nouveaux logements étudiants pendant le quinquennat précédent 18 ( * ) , le Gouvernement a annoncé un plan de construction de 60 000 nouveaux logements 19 ( * ) pour les étudiants.

Ce dernier a néanmoins accumulé un retard considérable. En effet, dans le cadre de son enquête annuelle arrêtée au 31 mars 2021, la « mission 60 000 » a recensé seulement 4 973 places livrées en 2018, 7 679 en 2019 et 9 207 places en 2020 , pour un total de 21 859 places entre 2018 et 2020 .

En dépit des efforts mis en oeuvre par la « mission 60 000 », seules 35 926 places devraient finalement être mises en service entre 2018 et 2022 20 ( * ) , soit à peine plus de la moitié de l'objectif initial . Selon le tableau de bord national de suivi du « Plan 60 000 », l'Ile-de-France bénéficierait au total de 16 934 places, contre 19 532 pour les autres régions.

Ce résultat décevant s'expliquerait en partie par les contraintes juridiques s'imposant au réseau des Crous ; ainsi, ces derniers ne peuvent bénéficier des nombreuses possibilités offertes aux organismes HLM, comme par exemple le conventionnement sans travaux, alors même qu'ils exercent des prérogatives similaires.

Dans son rapport de contrôle intitulé « Gestion de l'immobilier universitaire : un sursaut indispensable pour un avenir soutenable 21 ( * ) », le rapporteur spécial regrettait déjà la faible souplesse offerte par les règles de la commande publique, les obligations procédurales se traduisant souvent par un allongement significatif des délais et des incertitudes significatives concernant le coût final des opérations immobilières.

3. La CVEC, une ressource de grande utilité pendant la crise sanitaire, un suivi toujours perfectible

Pour la quatrième année consécutive, les crédits de l'action 03 « santé des étudiants et activités associatives, culturelles et sportives » seront complétés par le produit de la « contribution de vie étudiante et de campus » (CVEC) .

Cette contribution d'un montant de 92 euros pour l'année 2021-2022 , a été créé en 2018 par la loi Orientation et réussite des étudiants ; se substituant au droit de médecine préventive, elle est due chaque année par les étudiants inscrits en formation initiale dans un établissement d'enseignement supérieur - à l'exception des étudiants bénéficiant d'une bourse sur critères sociaux ou d'une allocation annuelle attribuée dans le cadre des aides spécifiques, des réfugiés, demandeurs d'asile et bénéficiaires de la protection subsidiaire.

Le produit de la CVEC est réparti entre les établissements d'enseignement supérieur d'une part, et les CROUS d'autre part, afin que ces derniers financent des actions au profit des étudiants inscrits dans les établissements non affectataires de la CVEC.

Évolution du produit de la CVEC depuis sa création

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Ainsi, depuis la rentrée universitaire 2018, 350,4 millions d'euros ont été affectés aux établissements d'enseignement supérieur affectataires et 61,9 millions d'euros aux CROUS.

En 2021, les établissements ont pu bénéficier de 121,2 millions d'euros de recettes de CVEC, contre 21,4 millions d'euros pour les CROUS, pour un total de 142,6 millions d'euros, soit une progression de 3,4 % par rapport à l'année universitaire 2019-2020.

Cette ressource supplémentaire s'est révélée d'une grande utilité dans le contexte de la crise sanitaire, la ministre ayant élargi son emploi à plusieurs actions prioritaires 22 ( * ) , à savoir :

- la satisfaction des besoins alimentaires ;

- le financement d'outils informatiques ou d'accès Internet afin d'assurer au plus grand nombre d'étudiants un accès réel et sécurisé aux outils de formation à distance déployés par leurs établissements ;

- le soutien financier aux étudiants qui avaient, avant la crise, un job étudiant ou un stage gratifié dont ils dépendaient pour subvenir à leurs besoins.

Ainsi, selon l'enquête menée par la DGESIP du 17 mars 2020 au 9 juillet 2021, les établissements ont consacré plus de 34,2 millions d'euros à des actions de soutien , dont près de 26,5 millions d'euros (soit 77 %) à des actions dans le domaine social (aides alimentaires, lutte contre l'isolement, etc.)

Actions financées par la CVEC pendant la crise sanitaire

(en millions d'euros)

17 mars 2020 au
11 décembre 2020

11 décembre 2020 au 9 juillet 2021

Total

Accompagnement social

21, 04

5,5

26,54

Dont aides alimentaires et de première nécessité

11,78

3,83

15,61

Dont lutte contre l'isolement numérique des étudiants

8,36

1,49

9,85

Dont autres actions sociales

0,9

0,18

1,08

Accompagnement sanitaire

2,39

2,02

4,41

Accompagnement culturel

0, 29

0,39

0, 68

Accompagnement sportif

0,77

0,11

0,88

Accueil

0,8

0,92

1, 72

TOTAL

25,32

8,92

34,23

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Si l'ampleur des crédits CVEC mobilisés témoigne de la plasticité de cette contribution , il n'en demeure pas moins que le suivi de l'emploi de cette ressource demeure très perfectible.

Emploi et suivi des produits de la CVEC

La circulaire du 21 mars 2019 précise les actions éligibles à un financement par le biais de la CVEC : accompagnement social des étudiants, pratique sportive, art et culture, accueil. Pour programmer et suivre l'usage de la CVEC, chaque établissement affectataire doit se doter d'une commission spécifique rassemblant les différents acteurs de la vie étudiante pour proposer à son conseil d'administration une programmation et un bilan qualitatif et quantitatif de l'utilisation de la CVEC.

À l'échelle académique, une commission territoriale, présidée par le recteur associant l'ensemble des établissements affectataires ou non, le CROUS et les acteurs de la vie étudiante, devra se réunir entre une et trois fois dans l'année afin de faciliter la coordination des actions menées avec le financement de la CVEC.

Le CNOUS présente au ministre chargé de l'enseignement supérieur un rapport annuel récapitulant le total des sommes collectées, les montants reversés à chaque établissement.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Ainsi, le rapport annuel du CNOUS n'a toujours pas été publié ; il en est de même s'agissant des enquêtes sur l'emploi de la CVEC pour les années 2018-2019 - toujours en cours de finalisation - et 2019-2020.

Afin que la représentation nationale soit en mesure de suivre et contrôler efficacement l'emploi de cette ressource, une amélioration de l'exhaustivité et de la qualité des données transmises annuellement parait désormais incontournable.

Dans ce contexte, le rapporteur spécial prendra donc connaissance avec un grand intérêt des recommandations du rapport de la mission des inspections générales sur les modalités d'utilisation de la CVEC , qui devrait être publié dans les mois à venir.


* 16 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

* 17 Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

* 18 De fait, quelque 40 391 places nouvelles ont été créées pendant cette période, dont, comme prévu, près de la moitié (19 904) sont situées en Ile-de-France.

* 19 Ce plan prévoit également la création de 20 000 places pour les « jeunes actifs ».

* 20 Le rapporteur spécial n'a pu obtenir le nombre de places créées en 2021.

* 21 Gestion de l'immobilier universitaire : un sursaut indispensable pour un avenir soutenable, Rapport d'information de Mme Paoli-Gagin, fait au nom de la commission des finances n° 842 (2020-2021) - 22 septembre 2021

* 22 Communiqué du 30 mars 2020.

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