EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, prédisent, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Vincent Segouin et Patrice Joly, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

M. Claude Raynal , président . - Nous accueillons M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, et poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport spécial de MM. Vincent Segouin et Patrice Joly sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR).

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » . - En hausse de 3 %, les concours publics à l'agriculture s'élèvent à 23 milliards d'euros pour 2022, avec une participation de l'Europe à hauteur de 9,9 milliards d'euros. Le total des crédits nationaux apportés à l'agriculture s'élève à 13,12 milliards, en tenant compte des exonérations fiscales et sociales, mais aussi des crédits apportés par la mission que nous examinons aujourd'hui et les crédits du CASDAR.

Concernant la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », le budget est stable à 3 milliards d'euros soit un montant à peu près similaire à celui prévu par la loi de finances pour 2021, mais en baisse de 381 millions d'euros si nous rajoutons le projet de loi de finances rectificative (PLFR) voté cet été pour compenser les aléas sanitaires et climatiques.

Dans ce budget de 3 milliards d'euros, on observe une diminution des crédits dédiés au renouvellement, ainsi qu'à la modernisation des exploitations. On note une augmentation des budgets alloués à la gestion équilibrée et durable des territoires, avec les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), le bio ou les indemnités compensatoires des handicaps naturels (ICHN). On constate également une provision pour aléas débordée par la crise sanitaire, la sécheresse et le gel, avec des crédits pour cette provision sous-dotés, y compris pour 2022, malgré une fréquence des aléas qui augmente.

L'agriculture française perd de la compétitivité, mais ne refuse pas la transition écologique. Elle manque de lisibilité et de stabilité ; cela handicape l'installation des jeunes et joue sur le moral des exploitants agricoles qui, pour un tiers, vivent avec moins de 1 000 euros par mois. Cela nuit également aux entreprises de transformation et aux filières, notamment betteravières.

Ce problème est lié à plusieurs causes : le prix de vente des matières ; les normes et les surtranspositions franco-françaises - tout le monde se rappelle l'épisode des néonicotinoïdes et du glyphosate - ; et enfin, une main d'oeuvre trop chère, qui influe sur la compétitivité de nos fruits et légumes.

Pour les jeunes agriculteurs, le principal risque concerne les pertes de récoltes et de cheptels à cause des aléas ; aujourd'hui, une récolte sur cinq est définitivement perdue.

Ces aléas sont de plus en plus fréquents, mais les budgets sont toujours sous-évalués. En 2020, à cette même période, nous prévoyions un budget pour la provision pour aléas pour 2021 de 190 millions d'euros.70 millions d'euros ont déjà été mobilisés, dont 40 millions d'euros versés au fonds des calamités. L'épisode marquant du gel a nécessité un plan d'aides de 1 milliard d'euros ; et, dans les différents PLFR de 2021, 850 millions d'euros ont été inscrits. Les phénomènes d'aléas climatiques et de crises sanitaires se multiplient et le recours aux dépenses exceptionnelles ne cesse d'augmenter, alors que les budgets sont toujours anormalement bas. La provision pour aléas est maintenue à 190 millions d'euros pour 2022.

Nous pouvons donc douter de la sincérité de ce budget et craindre d'autres PLFR en 2022. Pour répondre à cette crainte, le Gouvernement souhaite mettre en place une assurance et développer la prévention des risques, par exemple contre la sécheresse.

Le sujet majeur de l'assurance récolte doit arriver en discussion au Sénat en janvier 2022. On nous annonce que l'État prendra en charge les pertes supérieures à 50 %, mais nous ignorons encore l'estimation de cette participation. Cette question est cependant primordiale pour conserver nos agriculteurs et attirer des jeunes vocations.

Notre politique agricole privilégie le court-terme alors qu'elle devrait se projeter à cinq ou dix ans. Pèsent aujourd'hui des risques de pertes des outils industriels de transformation, avec également une politique écologique susceptible de sacrifier notre souveraineté alimentaire. À ce titre, qu'adviendra-t-il, une fois passés les trois ans, du moratoire sur les néonicotinoïdes et le glyphosate ? Comment un industriel peut-il investir dans un outil avec seulement trois ans de perspective ? On observe ainsi la fermeture des sucreries, et l'on s'interroge actuellement sur la filière betteravière.

Où en sommes-nous concernant la recherche sur le glyphosate ? Disposons-nous de méthodes alternatives pour garder notre compétitivité ? Ou repousserons-nous encore l'échéance jusqu'à ce qu'il soit trop tard ? C'est une vraie question, à laquelle le Gouvernement ne répond pas dans ce budget.

Enfin, je souhaite aborder le sujet du CASDAR. Le compte est financé par les agriculteurs, et la prévision de recettes s'est élevée en 2021 à 126 millions d'euros. Or, les recettes s'élèveraient finalement autour de 140 millions d'euros. Cette situation s'est déjà produite dans le passé, et l'excédent de recettes est souvent reversé au budget général ; il s'agit d'un véritable hold-up, dont on ignore les raisons, alors qu'il conviendrait de dynamiser la recherche et l'innovation pour répondre aux exigences de consommation des produits de qualité, avec un budget maîtrisé et une rémunération pour celui qui les cultive.

En conclusion, il s'agit d'un budget de transition, avec une politique qui va dans le sens de la souveraineté et de la compétitivité, mais une vision trop court termiste, à cause des habituelles surtranspositions et des coûts de main-d'oeuvre. Il est temps d'impulser une politique à plus long terme pour rééquilibrer notre balance commerciale et donner des perspectives aux acteurs, en particulier aux jeunes agriculteurs. Avec la pandémie, nous avons bien compris que la souveraineté alimentaire était nécessaire et que les risques de pénurie pouvaient exister ; tâchons d'être à la hauteur de ces défis.

M. Patrice Joly , rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » . - J'évoquerai le programme 149 dans son volet consacré à la forêt et la pêche, ainsi que le programme 206 lié à la sécurité sanitaire de l'alimentation.

Les crédits dédiés à la pêche par le programme 149 sont à peu près constants. La répartition entre les États membres de l'enveloppe globale du nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa), identique à la clé actuelle, fixe à 567 millions d'euros les crédits pour la France, ce qui représente une baisse de 21 millions d'euros.

La conclusion de l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni de décembre dernier a mis en lumière plusieurs enjeux, que l'actualité récente n'a pas manqué de nous rappeler. La question des accès des navires européens aux eaux du Royaume-Uni n'est toujours pas réglée, de même que celle des mesures associées aux licences délivrées par le Royaume-Uni et les autorités locales du bailliage de Jersey. Nous constatons que les risques liés au Brexit n'ont pas été pris en compte pour accompagner les pêcheurs, qui en subissent aujourd'hui les préjudices.

La politique forestière constitue un véritable enjeu en termes de lutte contre le réchauffement climatique, notamment à travers la captation de carbone. Les enjeux sont également importants sur le plan sanitaire. La sécheresse fragilise l'ensemble des essences, dans un contexte de dépérissements liés au réchauffement du climat et au déficit hydrique. La filière reste confrontée à des difficultés économiques majeures, tandis que l'opérateur principal de la gestion forestière, l'Office national des forêts (ONF), connaît de graves difficultés auxquelles le nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) n'apporte pas de réponses.

Dans ce contexte, le budget alloué à la forêt par le programme 149 augmente de 27 millions d'euros en crédits de paiement, pour atteindre 276 millions d'euros. Cette hausse résulte principalement d'une augmentation des transferts au bénéfice de l'ONF.

La situation financière de l'ONF s'est dégradée en 2020 sous l'effet conjugué de ventes de bois moins dynamiques et de charges d'exploitation qui ne diminuent pas. L'endettement de l'ONF enfle depuis plusieurs années et devrait dépasser 508 millions d'euros à la fin de l'année. On peut considérer qu'il s'agit d'une situation normale, dès lors que les investissements de l'ONF sont à très longue durée de vie. Cet endettement pose néanmoins problème à un établissement vulnérable à l'évolution du prix du bois. Une subvention exceptionnelle de 30 millions d'euros est prévue en 2021 par le PLFR que nous allons prochainement examiner ; elle devrait permettre de réduire de moitié le déficit prévu de 64,2 millions d'euros.

Le renforcement du soutien de l'État s'inscrit dans le cadre du nouveau COP signé en juillet dernier. L'État mobilise ainsi 60 millions d'euros supplémentaires sur trois ans, de manière dégressive : 30 millions, 20 millions, puis 10 millions d'euros. Les missions d'intérêt général (MIG) portées par l'ONF sont également confortées. Au total, les transferts en direction de l'ONF atteindront 204 millions d'euros en 2022, contre 182 millions d'euros en 2021.

En contrepartie, des réformes d'ampleur sont attendues de la part de l'ONF. Il est demandé à l'établissement un effort de réduction de ses charges, portant principalement sur sa masse salariale, d'ici à cinq ans. Cela représenterait une suppression de 475 équivalents temps plein (ETP), dont 95 en 2022. Pour faire diminuer la masse salariale, l'idée est également de recourir à des contractuels sous statut privé. Au sein de l'ONF, nous sommes aujourd'hui dans une phase de restructuration importante des effectifs.

La forêt française - essentiellement une forêt de propriétaires privés - n'est guère encouragée. Le sursaut attendu en matière de politique forestière ne s'est pas produit, alors même que la situation sanitaire de la forêt française s'est considérablement dégradée ; les crédits supplémentaires consacrés à ce titre, dans le cadre du plan de relance, sont donc bienvenus.

On peut également signaler la perspective d'augmentation de la contribution financière des communes forestières à compter de 2023. Cette augmentation prévue par le COP, si elle est proposée par le conseil d'administration, devra nécessairement figurer en loi de finances, afin que l'on puisse délibérer sur le sujet.

Concernant la maîtrise des risques sanitaires, on observe une augmentation de crédits de 13 millions d'euros, soit une hausse de 2,1 %. Les dépenses de personnel représentent plus de la moitié de cette hausse, avec la création d'emplois nouveaux liés au Brexit. En dehors de renforcements des dotations de fonctionnement rendues nécessaires par l'évolution des règles européennes, la programmation est assez inerte.

Or, la situation sanitaire des végétaux et des animaux est très inquiétante. Le niveau de risque relatif à l'influenza aviaire vient de passer, vendredi 5 novembre, au stade « élevé » en métropole. Alors même que les dépenses relatives à l'indemnisation des éleveurs ont été exceptionnellement élevées en 2021, à la suite de la crise de l'hiver 2020 ayant entraîné la décimation des canards, et qu'elles n'ont pas encore fini d'être payées par le programme, une nouvelle crise se dessine à l'horizon. De telles crises à répétition ont une influence, à moyen terme, sur la soutenabilité du programme.

Les objectifs de réduction des consommations d'intrants ne seront pas atteints et sont même révisés. Je tiens également à évoquer le projet de sortie du glyphosate. Le 9 octobre dernier, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a rendu les conclusions de son évaluation comparative sur les alternatives non chimiques au glyphosate. L'analyse de ces travaux, menée à partir d'études de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), a révélé des situations d'impasse technique ; aucune alternative d'usage courant ne permet, à court terme, de répondre aux besoins des professionnels sans nécessiter une modification substantielle de leurs pratiques. Le Gouvernement s'est engagé dans un processus de sortie du glyphosate ; en repoussant la réalisation des objectifs sur le sujet, il s'éloigne également des objectifs agro-écologiques prévus dans le cadre de l'application du Green Deal.

L'augmentation de 2 % des dépenses de personnel, après une progression de 6 % l'année précédente, s'explique par l'évolution des effectifs liés au Brexit. Les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires aux frontières de l'Union européenne ont été rétablis depuis le 1 er janvier 2021. Des moyens ont été alloués par les lois de finances des années précédentes pour faire face à ces contrôles. La création d'emplois s'élève au total à 466 ETP, dont une centaine de vétérinaires. S'il est toujours difficile de recruter des vétérinaires, 90 % des recrutements envisagés ont été satisfaits.

En conclusion, mon appréciation sur les crédits pour 2022, notamment ceux qui sont dédiés au programme 149, diverge de celle de mon collègue Vincent Segouin. Il s'agit d'un budget de transition, avant la mise en oeuvre de la nouvelle programmation de la politique agricole commune qui débutera le 1 er janvier 2023. Ce budget ne permet pas de faire face aux enjeux de transition qui attendent notre agriculture, pas plus qu'il n'ouvre de perspectives concernant le renouvellement et la modernisation des exploitations agricoles. Je propose donc de ne pas adopter les crédits.

M. Jean-Claude Tissot , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Je partage l'avis des deux rapporteurs spéciaux, ces crédits ne sont pas à la hauteur des enjeux du renouvellement de l'agriculture, et quand nous regardons de plus près les éléments dont vous avez parlé, comme la hausse du plafond d'emplois aussi bien que le moratoire sur les néonicotinoïdes, nous nous interrogeons sur la sincérité même de ce budget.

Mme Christine Lavarde . - Vous évoquez les difficultés de l'ONF et la chute du cours du bois, mais on entend plutôt parler d'une pénurie de bois et d'une pression de la demande, du fait en particulier des exportations vers la Chine : l'ONF est-elle concernée ?

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a institué le chèque alimentation, sans étude d'impact ni provision budgétaire : le ministère, depuis l'été, at-il provisionné ce nouveau chèque ?

Nous constatons, enfin, de nouvelles obligations d'approvisionner en bio les cantines scolaires et d'autres établissements, au point que la production française de bio ne suffise plus et qu'il faille importer des produits bio, avec un bilan carbone négatif : est-ce le cas, ou bien couvre-t-on encore nos besoins ?

M. Thierry Cozic . - Un peu plus de la moitié des jeunes agriculteurs touchent la dotation jeune agriculteur (DJA), n'est-ce pas que certains devraient la toucher, mais qu'ils n'en bénéficient pas ? Je pense à certaines contraintes, par exemple quand les banques hésitent à soutenir des projets agricoles de monoculture et qu'elles demandent de la diversification : dans la Sarthe, un jeune éleveur s'est vu conseiller de faire aussi un poulailler pour diversifier ses revenus...

M. Bernard Delcros . - La forêt joue un rôle pour la biodiversité, pour la régulation du climat, mais elle est en difficulté du fait du réchauffement climatique, qui menace en réalité la sylviculture elle-même : subit-on la dégradation de l'espace forestier, ou bien conduit-on des études et définit-on des stratégies pour adapter notre forêt au réchauffement climatique ? Comment se prépare-t-on à l'avenir ? L'ONF fait-il ce travail, et comment ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - L'ONF rencontre des difficultés récurrentes liées en partie à son endettement. Quelle en est votre vision pluriannuelle ? Quelles perspectives de sortie de crise voyez-vous pour cet établissement ?

Ensuite, nous savons que la plus grande partie de la forêt française est détenue par de petits propriétaires, qui ignorent souvent l'étendue précise de leur propriété : comment les aider à l'exploiter ?

Enfin, je vois que la moitié des jeunes agriculteurs sollicitent l'aide à l'installation. Plus largement, comme de moins en moins de jeunes s'installent, comment voyez-vous l'avenir de ce que l'on appelle le modèle agricole français ?

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial . - Notre collègue Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission affaires économiques, n'a pas pu nous rejoindre, mais il m'a transmis une note dont je vais vous donner lecture :

« Je me réjouis de la convergence des analyses des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis sur ce budget agricole.

« En l'état, je constate que le budget proposé est en réalité stable ou en légère augmentation une fois retraités les éléments exceptionnels comme la fin de l'exonération pour les viticulteurs. Je m'inquiète toutefois du fait que ce budget, qui autrefois portait l'action agricole, se transforme en simple budget de gestion. Chaque année, la loi de finances initiale est peu sincère dans la mesure où un ou plusieurs collectifs ouvrent des crédits très importants pour faire face aux épidémies, aux aléas climatiques et aux apurements communautaires. Tendanciellement, les quelques mouvements que le budget retranscrit sont en fait surtout des contraintes imposées au ministère : je pense cette année à la subvention d'aide à l'ONF ou aux effectifs dédiés aux contrôles pour le Brexit.

« Plus problématique, la seule augmentation régulière est celle des coûts informatiques du ministère, transformant peu à peu le budget des agriculteurs en budget du ministère de l'agriculture.

« En prenant en compte les mouvements inscrits en loi de finances rectificative de juillet dernier, celle de fin d'année et en ajoutant les crédits agricoles du plan de relance et de France 2030, certes très disséminés, on constate que le Gouvernement a engagé près de 4 milliards d'euros d'autorisations d'engagement supplémentaires pour le monde agricole depuis janvier 2021 par rapport à la tendance habituelle. Cela revient à plus que doubler le budget agricole en crédits budgétaires ! Et les crédits utilisés me semblent aller dans le bon sens puisqu'ils reprennent les idées que le Sénat porte depuis des années en loi de finances : favoriser les investissements productifs, en permettant aux agriculteurs d'investir pour mieux se prémunir des effets du changement climatique, pour réduire l'utilisation d'intrants, pour redevenir compétitifs et pour faire émerger l'agriculture de demain. Il me semble donc difficile, d'un strict point de vue agricole, de dire que c'est un mauvais budget.

« De manière constructive, il me semble que le budget présente toutefois quatre défauts.

« Premièrement, l'absence de pérennisation du mécanisme de soutien à l'emploi des travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) : j'espère que nous le ferons lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), ce qui aura des conséquences budgétaires post-2023 pour la mission.

« Deuxièmement, il ampute les crédits des stages tutorés en école vétérinaire, mettant à mal un dispositif qui a fait preuve de son efficacité puisque 84 % des élèves ayant bénéficié de ce stage se sont définitivement installés en zone rurale. Son succès fait doubler le nombre d'étudiants concernés l'année prochaine pour une enveloppe identique : cela revient à décourager les tuteurs qui devront financer l'accueil de ces étudiants de leur poche. L'année suivante, ils ne le feront plus et on aura tué un système qui lutte efficacement contre la désertification vétérinaire. C'est une erreur.

« Troisièmement, le budget ne met pas en oeuvre la solution parlementaire sur la question des engrais dégagée dans le cadre de la loi Climat et résilience, à savoir refuser l'idée d'une taxe, mais accompagner la transition pour réduire les émissions et, si possible, les utilisations, grâce à un plan « Eco-Azot ». Aucune traduction de ce plan n'a eu lieu à ce stade. C'est une deuxième erreur, d'autant que les cours des engrais flambent, entraînant une charge supplémentaire colossale pour les exploitants.

« Quatrièmement, concernant le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », les agriculteurs ont accepté dans les années 1960 de se taxer eux-mêmes pour financer leur innovation, et ils en ont besoin tant le secteur est stratégique. Aujourd'hui, par un mécanisme de plafonnement entraînant de maigres économies, bien inutiles au regard des dépenses pharaoniques du Gouvernement dans ce budget, c'est l'État qui récupère chaque année une part de plus en plus importante de l'argent des agriculteurs au détriment de leur innovation. C'est une erreur, il faut remonter ce plafond et sanctuariser un principe : la taxe payée par les agriculteurs doit rester dans les cours de ferme. Faisons plutôt faire des économies à l'État dans les fonctions centrales, et non en taxant davantage les agriculteurs !

« C'est pourquoi il me semble, en tant que rapporteur pour avis, que la solution la plus équilibrée serait de proposer un avis de sagesse sur les crédits de la mission et du CASDAR aux fins de favoriser l'adoption de ces quatre corrections nécessaires pour que disparaissent ces erreurs stratégiques du Gouvernement en matière agricole. »

M. Patrice Joly , rapporteur spécial . - Les évolutions des cours du bois sont variables selon les essences. En outre, l'ONF gère uniquement les forêts domaniales et les forêts des collectivités en France, alors que la forêt privée représente les trois quarts de la forêt française. L'ONF a une approche de long terme, tandis que des propriétaires privés peuvent être plus sensibles à des propositions de court terme d'exploitants forestiers. Les moyens mis en oeuvre pour cartographier précisément les forêts privées permettront d'en améliorer la gestion : le plan de relance consacre 22 millions d'euros à la technologie « Lidar ». Sur la recherche en sylviculture même, je ne sais pas bien ce qu'il en est, mais le plan de relance a prévu 150 millions d'euros pour le renouvellement forestier notamment au bénéfice des propriétaires privés - ils s'en sont saisis, c'est une piste intéressante.

Sur les perspectives de sortie de crise de l'ONF, je ne suis pas sûr qu'on ait travaillé sur un vrai projet d'établissement. Qu'est-ce que la gestion forestière, dans le fond ? L'ONF fait face à des difficultés profondes, des agents se suicident, le climat social est difficile, il faut en tenir compte.

Sur le chèque alimentaire, rien n'est prévu dans ce projet de budget - il faudra voir en 2023.

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial . - La moitié des jeunes agriculteurs ne sollicitent pas l'aide parce que les procédures sont assez lourdes : on leur demande notamment un plan d'entreprise sur quatre ans, ce qui n'est pas toujours simple à faire. L'aide s'élève en moyenne à 32 000 euros. Je confirme que des banques incitent à la pluriculture.

M. Patrice Joly , rapporteur spécial . - La moitié des agriculteurs de moins de 40 ans sont aidés, ce qui veut dire, en considérant l'âge des agriculteurs, qu'une exploitation sur quatre est aidée, ce qui est faible au regard des besoins. En outre, de plus en plus d'agriculteurs qui s'installent se reconvertissent après une autre carrière, et n'ont donc pas la même attente en matière de revenus. Cependant, compte tenu du nombre de départs en retraite dans les prochaines années, il va falloir trouver d'autres moyens d'accompagner ceux qui veulent s'installer.

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial . - L'agriculture bio suffit-elle à couvrir les besoins liés aux nouvelles obligations de la restauration collective ? Aujourd'hui, pour des problèmes de coût et d'organisation, des exploitations bio repassent en agriculture conventionnelle. Il y a un problème de phasage entre la demande et l'offre, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) cherche des moyens de régler ce problème.

M. Claude Raynal , président . - Monsieur Segouin, quel est votre avis sur les crédits de cette mission ?

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial . - Sagesse plutôt favorable.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial . - Avis défavorable au compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission confirme sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission, et de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale.

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